Occupation d'Haïti par les États-Unis

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Occupation d'Haïti par les États-Unis
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Marines américains patrouillant dans la jungle en 1915 durant la bataille de Fort Dipitie.
Informations générales
Date 28 juillet 1915 – 1 août 1934
Lieu Haïti, Hispaniola
Issue Victoire américaine, occupation d'Haïti par les États-Unis
Belligérants
Drapeau des États-Unis États-Unis
Drapeau d'Haïti Gouvernement d'Haïti
Drapeau d'Haïti Rebelles haïtiens

Guerre des Bananes

Batailles

m Guerre des Bananes :

  • Cuba (1898–1922)
  • Porto Rico (1898)
  • Honduras (1903–1925)
  • Nicaragua (1912–1933)

Occupation américaine du Nicaragua

  • Mexique (1914)
  • Haïti (1915–1934)

Occupation d'Haïti par les États-Unis

  • République dominicaine (1916–1924)

Première occupation de la République dominicaine par les États-Unis

L'occupation d'Haïti par les États-Unis débuta le lorsque 330 Marines américains furent envoyés par le président américain Woodrow Wilson pour débarquer à Port-au-Prince, Haïti, afin d'y protéger les intérêts économiques américains. Un premier débarquement, à partir de l'USS Montana, avait déjà eu lieu le .

L'occupation prit fin le , lorsque le président Franklin Delano Roosevelt appliqua un accord de désengagement datant d'. Le dernier contingent de Marines quitta le pays le après avoir formellement transféré l'autorité aux forces armées haïtiennes.

Causes[modifier | modifier le code]

Un pays instable et stratégique[modifier | modifier le code]

Entre 1911 et 1915, Haïti vit sa présidence changer six fois de mains à la suite d'une série d'assassinats politiques et d'exils forcés. Un certain nombre d'armées révolutionnaires furent responsables de ces coups d'état. Chacune d'entre elles était formée de cacos, paysans-bandits issus des montagnes du Nord, le long de la poreuse frontière avec la République dominicaine, recrutés par des factions politiques rivales sur la base de promesses pécuniaires et de perspectives de pillage, qui seraient assurées en cas de succès du coup d'État.

Les États-Unis étaient particulièrement préoccupés par le rôle (réel et imaginaire) joué par l'Empire allemand, intervenu plusieurs fois durant les précédentes décennies dans les Amériques, y compris en Haïti. Ce pays européen cherchait à entretenir, loin de ses bases, une certaine influence en tant que puissance rivale de plus en plus hostile à la domination américaine, alors régie par la doctrine Monroe. Lorsque éclata la Première Guerre mondiale, l'importance stratégique de l'île d'Haïti, avec sa main-d'œuvre et ses richesses abondantes, ainsi que ses ports, fut compris par la plupart des parties prenantes dans les Caraïbes, notamment les marines allemande et américaine. Par conséquent, sur l'île d'Hispaniola, les investissements allemands, autant sur le plan militaire que sur l'espionnage, furent considérables. Ces investissements entraient dans le cadre d'un plus large réseau d'espionnage et d'intérêts militaires établi en Amérique latine et aux Caraïbes durant la fin du XIXe siècle, des années 1900 et 1910.

L'influence allemande à Haïti[modifier | modifier le code]

La crainte engendrée par les ambitions allemandes se reflétait par une rivalité et des tensions grandissantes avec la petite communauté allemande établie en Haïti. Bien que composée d'environ 200 personnes en 1910, elle y détenait un pouvoir économique disproportionné. En effet, elle contrôlait environ 80 % du commerce international d'Haïti, possédait et exploitait les services publics à Cap-Haïtien et à Port-au-Prince, à savoir le principal quai portuaire et le tramway de la capitale ainsi que le chemin de fer desservant la Plaine du Cul-de-Sac.

De plus, la communauté allemande était plus intégrée dans la société haïtienne que les autres communautés occidentales, y compris les Français. Certains Allemands épousèrent des Haïtiennes issues des plus grandes familles mulâtres, afin de contourner l'interdiction faite aux étrangers, par la constitution haïtienne, de posséder des terres en Haïti. Les Allemands gardèrent de forts liens avec leur patrie ainsi qu'avec l'armée et les réseaux d'espionnage allemands en Haïti, et y furent également les principaux pourvoyeurs de fonds aux nombreuses révolutions, accordant des prêts à fort taux d'intérêt à diverses factions politiques haïtiennes. En conséquence, les Allemands étaient perçus comme une menace pour les intérêts des Américains, et ces derniers considéraient donc la communauté allemande en Haïti comme un éventuel cheval de Troie qui profiterait au gouvernement impérial de Berlin.

Montée des tensions[modifier | modifier le code]

Entre 1910 et 1911, dans le but de limiter l'influence allemande, le département d'État apporte son soutien à un consortium d'investisseurs américains, constitué par la National City Bank of New York (aujourd'hui Citibank), pour l'acquisition de la Banque Nationale d'Haïti, unique banque commerciale et trésorerie nationale du pays.

Jean Vilbrun Guillaume Sam.

En , Jean Vilbrun Guillaume Sam, nommé président à vie, met en place une dictature. En juillet, dans le cadre d'une nouvelle révolte anti-américaine, il fait exécuter 167 prisonniers politiques, tous issus de riches familles mulâtres ayant une descendance des liens avec la communauté allemande. Dès lors que le massacre fut connu, Sam est lynché par la foule à Port-au-Prince.

Cette révolte anti-américaine menaçait bien entendu les intérêts économiques américains en Haïti, comme la Haitian American Sugar Company. De plus, un Haïtien anti-américain supporté par les cacos, Rosalvo Bobo, était en passe de succéder à Sam à la tête du pays. Le gouvernement américain décida alors d'agir rapidement afin d'y préserver ses intérêts.

L'occupation[modifier | modifier le code]

Woodrow Wilson en 1912.

Invasion[modifier | modifier le code]

Le président américain Woodrow Wilson envoya 330 Marines à Port-au-Prince le . Le secrétaire à la Marine des États-Unis ordonna au commandant de l'invasion, l'amiral William Deville Bundy, de « protéger les intérêts américains et étrangers ». Un autre objectif de l'invasion était de modifier la Constitution haïtienne qui interdisait aux étrangers d'y posséder des terres. Néanmoins, afin d'éviter les critiques de l'opinion publique américaine, l'occupation fut présentée, par le contre-amiral Caperton, comme étant une « mission visant à rétablir la paix et l'ordre » qui « n'a rien à voir avec de quelconques tractations diplomatiques passées ou futures ». Les Marines ne rencontrèrent de résistance que de la part d'un seul soldat, Pierre Sully, qui fut tué.

Le , les Marines capturèrent Fort Rivière, bastion des rebelles cacos, mettant fin à la première guerre des Cacos.

Prise de contrôle du pays[modifier | modifier le code]

Le gouvernement haïtien avait contracté de plus en plus de prêts auprès des banques américaines et françaises durant les dernières décennies, et s'était révélé incapable de les honorer. Si l'anti-américain Rosalvo Bobo avait été porté à la tête du pays, celui-ci aurait refusé de rembourser les dettes du pays, et l'aurait fermé aux investissements américains. Au bout de six semaines d'occupation, les représentants du gouvernement américain contrôlaient les douanes et les institutions administratives comme les banques et la trésorerie nationale haïtiennes. De même, ils réussirent à rediriger 40 % du revenu national vers le remboursement des créanciers américains et français. Malgré les dettes importantes dues à ces derniers, cette mesure fut controversée. Elle permit de stabiliser le gouvernement haïtien et de lui assurer une crédibilité internationale, mais elle se fit aux dépens d'autres dépenses publiques, et ses détracteurs prétendirent qu'elle bloquait le développement économique. Durant les dix-neuf années de l'occupation, des conseillers américains gouvernèrent le pays, n'hésitant pas à faire appel au Corps des Marines pour faire appliquer leurs décisions.

Philippe Sudre Dartiguenave, président mulâtre du Sénat haïtien, accepta le poste de président d'Haïti après le refus de plusieurs autres candidats. En 1917, le président Dartiguenave dissolut le corps législatif, à la suite du refus de ses membres de ratifier la Constitution rédigée par Franklin D. Roosevelt, alors secrétaire assistant à la Marine. Un référendum fut organisé en 1918 et la nouvelle Constitution fut approuvée à 98.225 voix pour et 768 voix contre. Celle-ci était globalement libérale, mais son importance résidait dans le fait qu'elle permettait désormais aux étrangers de posséder des terres en Haïti, ce qui avait été interdit en 1804 à l'initiative du premier chef d'État après l'indépendance, Jean-Jacques Dessalines.

Formalisation de la dépendance aux États-Unis[modifier | modifier le code]

En , le Sénat américain ratifia la convention américano-haïtienne, un traité accordant aux États-Unis le droit de supervision de l'économie et de la défense d'Haïti pour une durée de 10 ans. De plus, les représentants américains se voyaient accorder un droit de veto dans toutes les décisions gouvernementales en Haïti, et les commandants du Corps des Marines l'administration des départements haïtiens. Les institutions locales restaient entre les mains des Haïtiens, comme prévu dans les lois instaurées sous la présidence de Woodrow Wilson.

L'administration remania considérablement le chancelant système constitutionnel haïtien, réinstaurant le service civil pour la construction de routes, et établirent un système de Gardes nationales. De plus, les Américains améliorèrent grandement l'infrastructure nationale : réhabilitation de 1700 km de routes, construction de 189 ponts, rénovation de nombreux canaux d'irrigation, construction d'hôpitaux, d'écoles et de bâtiments publics et raccordement des principales villes à l'eau potable.

Opposition et violences[modifier | modifier le code]

L'opposition à l'occupation débuta immédiatement après le débarquement des Marines en Haïti en 1915. Les rebelles (surnommés « cacos » par les soldats américains) résistèrent vivement à la prise de contrôle du pays par les États-Unis. Au début de l'occupation, ils reçurent un grand soutien de la part du gouvernement allemand et de l'élite germano-haïtienne retranchée. La marge de manœuvre des Allemands était limitée par leur implication dans la Première Guerre mondiale depuis l'année précédente, tandis que les États-Unis étaient encore neutres à ce stade du conflit. Chacune des parties considérait l'autre comme un obstacle à sa domination sur l'île d'Hispaniola. Les principaux bénéficiaires des visées hégémoniques de l'Allemagne étaient donc les rebelles cacos. En réponse à cette résistance montante, les gouvernements haïtien et américain lancèrent une intense campagne militaire dans le but de démanteler les troupes rebelles.

Le racisme des forces d'occupation américaines envers les Haïtiens était répandu. Aux débuts de l'occupation, élite haïtienne et officiers américains étaient souvent en contact lors de soirées et dans les clubs. L'arrivée des familles de ces derniers en Haïti minimisa ces contacts. Mais les relations se dégradèrent considérablement lorsque les officiers américains furent envoyés en Europe alors que leur pays était entré dans la Première Guerre mondiale. Les soldats et les officiers de grade moins élevé restants étaient considérés comme ignorants et vulgaires par l'élite haïtienne. De nombreux cas de Marines excessivement alcoolisés furent rapportés, à l'origine de rixes et d'agressions sexuelles à l'encontre de femmes haïtiennes. Cette situation conduisit John A. Lejeune, général de la marine basé à Washington, à interdire la vente d'alcool aux Marines américains en Haïti.

Charlemagne Peralte.

Cette occupation fut très violente. Le secrétaire de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People - association nationale pour la promotion des gens de couleur) Herbert J. Seligman, le , raconte : « Des camps militaires furent construits à travers toute l'île. Les propriétés des autochtones furent saisies pour un usage militaire. Les Haïtiens qui portaient une arme sur eux étaient abattus à vue. Des mitrailleuses furent utilisées contre des foules d'Haïtiens désarmés, et certains Marines avec lesquels j'ai eu l'occasion de discuter m'ont déclaré qu'ils ne se préoccupaient pas de savoir combien d'autochtones furent tués ou blessés ».

Les forces rebelles n'étaient pas en reste, et s'adonnaient également à des exactions, des actes de terrorisme et autres crimes de guerre à l'encontre des forces d'occupation et de la population générale. Une rébellion comprenant 5000 cacos fut conduite par Charlemagne Péralte en 1918, responsable d'une attaque sur Port-au-Prince, avant que ce dernier ne soit tué l'année suivante. La seconde guerre des Cacos prit fin en 1920 avec la mort de Benoît Batraville, également à l'origine d'une attaque sur la capitale.

Maintien et départ des troupes américaines[modifier | modifier le code]

La fin de la Première Guerre mondiale et la défaite de l'Allemagne privèrent d'une part les rebelles haïtiens de leur principal soutien dans la guérilla, et d'autre part soulagèrent les craintes des États-Unis quant à l'éventualité de la prise de contrôle d'Haïti par une puissance hostile. Néanmoins, l'occupation se poursuivit après la fin de la Grande Guerre, malgré l'embarras dans lequel il plongea le président Wilson à la conférence de la paix de Paris en 1919 et lors d'une enquête du Congrès américain en 1922.

En 1922, le président Dartiguenave fut remplacé par Louis Borno, qui dirigea le pays sans corps législatif jusqu'en 1930. La même année, le général John H. Russell, Jr. fut nommé haut-commissaire américain en Haïti. Le gouvernement Borno/Russell supervisa l'expansion économique du pays, avec la construction de 1600 km de routes, l'établissement d'un central téléphonique automatique, la modernisation des infrastructures portuaires et la mise en place d'un système de santé publique. Le sisal fut introduit en Haïti pour diversifier l'agriculture, et le pays augmenta ses exportations de sucre et de coton.

La prospérité américaine des années 1920 profita très peu aux Haïtiens, avec une agriculture qui ne se développait que lentement. Quand débuta une profonde crise économique mondiale en 1929, les prix des produits haïtiens se mirent à chuter, exposant un pays très dépendant des marchés internationaux. En 1930 fut élu président un homme politique critique de l'occupation, Sténio Vincent. Son homologue américain Herbert Hoover, sentant que l'occupation n'était plus dans les intérêts des États-Unis, institua une commission de réflexion dirigée par William Cameron Forbes. Elle salua les réalisations américaines, mais dressa un tableau réaliste du malaise haïtien : manque d'influence de la classe politique locale, absence de mouvement démocratique structuré et éclairé, pauvreté chronique, illettrisme. Hoover ne prit aucune décision formelle, mais le retrait des troupes avait commencé dans les faits quand lui succéda en 1933 Franklin Roosevelt.

Le nouveau président connaissait particulièrement bien le pays pour avoir, en tant que secrétaire assistant à la Marine, participé à la rédaction de la Constitution haïtienne. Favorable à l'exercice de l'influence américaine par la diplomatie, avec sa « politique de bon voisinage », il signa en un accord de retrait. Il fallut un an pour que le dernier contingent américain quitte Haïti.

Notes et références[modifier | modifier le code]