Non-assistance à personne en danger

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La non-assistance à personne en danger est l'engagement de la responsabilité pénale d'une personne qui n'interviendrait pas face à une personne courant un danger.

L'engagement a lieu si :

  • la personne a connaissance du danger ;
  • elle est en mesure d'agir ;
  • l'action ne présente pas de danger pour la personne ou pour un tiers.

Pour ces raisons, la loi française préfère parler d'abstention volontaire de porter assistance à une personne en péril.

Cette notion existe dans plusieurs pays, par exemple :

Le droit américain et le droit canadien ne possèdent pas d'obligation de porter secours, sauf en cas d'obligation antérieure (médecin traitant, relation parent-enfant) ou si la personne est responsable de l'état de la victime. Par contre, la Charte des droits et libertés de la personne (Québec) (art. 2) évoque cette obligation de porter secours. Les États-Unis et certaines provinces canadiennes disposent d'une loi atténuant les risques de poursuite judiciaire en cas d'intervention, connue sous la dénomination loi du bon samaritain.

En Chine, la question fait également débat en 2011[3].

Concept en droit français

Historique

Pendant longtemps, il n'existait pas d'obligation légale de porter secours.

Mais, au Moyen Âge, la jurisprudence est illustrée en 1392 par le cas d'une « femme qui s'était réfugiée dans un fort et que le capitaine abandonne par faiblesse à ses gens d'armes[4] » : « Mahyet de Marquivilliers, capitaine de l’esglise fortifiée de Lumeau en Beausse (prévenu que des) hommes d'armes (venus de) Boigneaux qui est à une demi-lieu du-dit lieu de Lumeau (...) gens d'armes qui estoient en la taverne de la dicte ville de Lumeau (avaient agressé une) chamberière ou amie du preste de Lingny en Beausse (qui avait demandé secours au capitaine et se plaint) au gouverneur du baillage d'Orliens, qui, pour ledit fait, a ledit Mahyet fait emprisonner en nostre chastellet d'Orliens[4] » durant le règne de Charles VI (roi de France).

La première apparition législative de cette obligation remonte au projet de réforme du code pénal élaboré en 1934 en son article 108 puis à l’article 251, mais ce projet de nouveau Code pénal est abandonné. Cette disposition légale a été instaurée par le régime de Vichy dans un acte dit « Loi du 25 octobre 1941 »[5]. Ce texte réprimait d’ailleurs non seulement l’abstention de porter secours, mais, d’une façon plus générale, la non-dénonciation de certaines infractions[6]. Il est promulgué quelques jours après les attentats contre les soldats et officiers allemands à Nantes et Bordeaux[6]. Ce texte très critiqué à la Libération est abrogé mais remplacé par une ordonnance du qui reprit à peu près le projet de 1934[5].

Actuellement, l'existence de l'obligation de porter secours semble aller de soi dans le droit français et n'est plus remise en cause. Pourtant de nouvelles problématiques sont apparues : les conditions et les limites d'une telle obligation.

Formulation du Code pénal

L'article art. 223-6 du code pénal (art. 63-1 de l'ancien code pénal) condamne l'abstention volontaire de porter assistance à une personne en péril :

Art. 223-6
Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.

Cette obligation d'agir est renforcée dans deux cas :

  • dans le cas des professions médicales et paramédicales, outre le Code pénal, le Code de la santé publique précise :
    • pour un médecin, l'article R.4127-9[7] (article 9 du Code de déontologie médicale) : « Tout médecin qui se trouve en présence d'un malade ou d'un blessé en péril ou, informé qu'un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s'assurer qu'il reçoit les soins nécessaires. » [1]
    • pour un chirurgien-dentiste, l'article R.4127-205[8] : «  Hors le seul cas de force majeure, tout chirurgien-dentiste doit porter secours d'extrême urgence à un patient en danger immédiat si d'autres soins ne peuvent lui être assurés. »
    • pour une sage-femme, l'article R.4127-315[9] : « Une sage-femme qui se trouve en présence d'une femme enceinte, d'une parturiente, d'une accouchée ou d'un nouveau-né en danger immédiat ou qui est informée d'un tel danger doit lui porter assistance ou s'assurer que les soins nécessaires sont donnés. »
    • pour un pharmacien, l'article R.4235-7[10] : « Tout pharmacien doit, quelle que soit sa fonction et dans la limite de ses connaissances et de ses moyens, porter secours à toute personne en danger immédiat, hors le cas de force majeure. »
    • pour un infirmier, l'article R.4312-6[11] : « L'infirmier ou l'infirmière est tenu de porter assistance aux malades ou blessés en péril. »
  • l'article 121-3[12] du Code pénal prévoit qu'il y a délit en cas de « manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »

Ce dernier point peut concerner les personnels de santé ou les secouristes professionnels (sapeurs-pompiers ou ambulanciers privés), mais aussi les personnes responsables de la sécurité d'une activité, ayant suivi une formation spécifique et ayant les moyens d'assurer cette sécurité, comme le déclenchement de procédures d'urgence en cas d'accident industriel, le balisage d'un obstacle routier par un employé d'une société d'autoroute, l'utilisation de matériel de lutte contre l'incendie pour le personnel de sécurité incendie…

Cette obligation d'agir s'accompagne d'une atténuation de la responsabilité pénale si l'action du sauveteur avait des conséquences néfastes, à condition que les moyens employés soient proportionnés au danger (notion proche de la légitime défense) :

Art. 122-7[13]
N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace.

Limites apportées par la jurisprudence

Les limites sont de trois ordres : un danger grave et immédiat, une assistance possible et une abstention démontrable.

Pour résumer, le délit d'omission n'existe que si l'action aurait pu produire un effet.

Cette infraction ne protège pas contre tout. Il ne s'agit pas d'imposer l'action dans tous les cas mais de limiter les excès. Il faut protéger de la complicité tacite. Dans le même ordre d'idées, il faut rappeler que, dans certains cas, une omission peut facilement se transformer en complicité.

La qualification de l'infraction résulte des faits. Il n'existe pas de critères prédéterminés pour lesquels une intervention est obligatoire, juste une trame à suivre.

Un danger grave et immédiat

Le danger doit être perçu comme suffisamment grave et imminent. Ainsi, l'omission d'appeler les secours lors d'un incendie sera sûrement qualifiée d'omission de porter secours.

D'un autre côté, ne pas appeler la police lors d'une dispute ne sera sûrement pas qualifié de non-assistance, sauf si la victime donne l'impression de ne pas pouvoir s'en sortir toute seule.

Les modalités de l'assistance

L'assistance doit avoir pu provoquer un résultat. L'exemple courant est celui d'un automobiliste qui voit une personne et du sang sur le bas-côté et qui ne s'arrête pas. Si cette personne est déjà morte alors l'automobiliste ne risque rien. Si elle est vivante alors le délit d'omission pourra être qualifié.

L'assistance doit pouvoir être raisonnable. La loi n'oblige pas les gens à se conduire en héros. Ainsi, l'omission d'appeler les secours est souvent l'infraction la plus reconnue. L'omission d'agir pour la protection de la victime n'étant retenue que dans les cas où le secouriste possède des connaissances particulières. Ainsi, un médecin ou des secouristes professionnels en service (cf. supra) se verront obligés par la loi de faire des actes sur la victime, mais une personne sans formation pourra se contenter d'appeler les secours. En cas de risque technique ou technologique (risque lié à une machine, un produit chimique, un fort courant), un technicien formé devra appliquer les consignes de sécurités spécifiques pour combattre le sinistre ou mettre fin au risque, mais une personne non formée pourra se contenter de protéger en éloignant les personnes ou en actionnant une alarme, un arrêt d'urgence.

La preuve de l'abstention

L'abstention doit faire l'objet d'une preuve particulière. Il ne faut pas se contenter de dire que rien n'a été fait mais dire ce que l'on aurait pu faire.

Ainsi, il faut prouver le refus volontaire d'intervenir. Toutefois, la seule abstention peut être une simple négligence et donc source de responsabilité civile et pénale (l'article 121-3[14] du code pénal prévoyant la responsabilité en cas « d'imprudence, de négligence »).

Difficultés

Ce concept est à la croisée de plusieurs notions : la liberté individuelle, le droit à la sécurité, l'infraction d'homicide involontaire.

Non-assistance à personne en danger et liberté individuelle

La liberté individuelle est souvent résumée par cette formule reprise par les juridictions françaises : « La liberté est la règle, la contrainte l'exception ». On peut donc se poser la question si on doit obliger la personne à agir et même si on peut obliger une personne à être secourue alors qu'elle ne le veut pas.

La loi française ne permet pas de soigner une personne contre son gré (art. L.1111-4[15] du Code de la santé publique), mais encore faut-il que la personne soit en mesure d'exprimer son consentement et que celui-ci ne soit pas faussé (personne en pleine possession de ses facultés mentales). Ainsi, laisser agir une personne menaçant de se suicider sous prétexte que c'est sa volonté engage la responsabilité pénale.

Cependant, il faut aussi considérer le cas particulier des mineurs et des sectes. Depuis 2002, les mineurs et leurs parents ne peuvent s'opposer à des soins vitaux sous prétexte religieux ou autres ; la loi protège les médecins en leur donnant une totale latitude (sauf réserves de l'acharnement thérapeutique), mais cela se limite aux soins urgents comme le remplissage vasculaire (perfusion d'un liquide de synthèse) ou la réanimation cardiopulmonaire. Pour les soins pouvant attendre quelques heures, les médecins doivent demander la levée de l'autorité parentale au procureur de la République ou à son substitut pour passer outre l'opposition des parents.

Pour les majeurs, la solution est plus compliquée. La seule limite claire est celle de la folie passagère, tentative de suicide, annonces répétées et insistantes d'un suicide avec éléments de préparation (ex : installation d'une corde).

Voir : euthanasie, suicide, acharnement thérapeutique, secte.

Non-assistance à personne en danger et les autres infractions

La qualification d'omission peut parfois se transformer en homicide involontaire ou en faute professionnelle.

L'homicide involontaire est une infraction dans le temps ; le délit de non-assistance est instantané. L'homicide involontaire exige une action positive (par exemple : donner un coup de poing).

La faute professionnelle exige que la profession soit en rapport avec le risque non évité. Par exemple, un médecin qui n'a pas agi selon les « règles de l'art » pourra être poursuivi pour faute professionnelle au lieu de non-assistance.

Notes et références

  1. art. 223-6 du code pénal Article 223-6 du code pénal français
  2. coprince-fr.ad
  3. http://french.peopledaily.com.cn/VieSociale/7623058.html
  4. a et b Charles VI, roi de France (dir.) et Jean de Montagu, Choix de pièces inédites relatives au règne de Charles VI, publiées par la Société de l'histoire de France : Femme qui s'était réfugiée dans un fort et que le capitaine abandonne par faiblesse à ses gens d'armes ; 25 mai 1382 (Arch. de l'Emp. Tres. du Ch. JJ. 120, pièce 307), vol. 2, Paris, Vve de J. Renouard, coll. « Acte royal », 1863-1864 (BNF 30351469, lire en ligne), p. 89-91 lire en ligne sur Gallica.
  5. a et b « NON-ASSISTANCE À PERSONNE EN PÉRIL Extrait du «  Cours de droit pénal spécial » de Georges LEVASSEUR( Les cours de droit, Paris 1967-1968 ) », ledroitcriminel.fr (consulté le )
  6. a et b Jean-Pierre Le Crom, « L’avenir des lois de Vichy », dans Le droit sous Vichy, Klostermann, , 453-478 p. (lire en ligne)
  7. Article R.4127-9 du code de la santé publique
  8. Article R.4127-205 du code de la santé publique
  9. Article R.4127-315 du code de la santé publique
  10. Article R.4235-7 du code de la santé publique
  11. Article R.4312-6 du code de la santé publique
  12. Article 121-1 du code pénal français
  13. Article 122-7 du code pénal français
  14. « Article 121-3 du Code pénal », sur Légifrance
  15. Article L.1111-4 du code de la santé publique

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes