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Dada

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Le mouvement dada (aussi appelé dadaïsme) est un mouvement intellectuel, littéraire et artistique ponctuel du début du XXe siècle, qui se caractérise par une remise en cause de toutes les conventions et contraintes idéologiques, esthétiques et politiques.

Dada est issu d’une filiation expressionniste et sa véritable naissance est le Manifeste littéraire, publié sous forme de tract, en février 1915, à Berlin, par Hugo Ball et Richard Huelsenbeck. Ceux-ci, en se déclarant « négativistes », affirment : « Nous ne sommes pas assez naïfs pour croire dans le progrès. Nous ne nous occupons, avec amusement, que de l’aujourd’hui. Nous voulons être des mystiques du détail, des taraudeurs et des clairvoyants, des anti-conceptionnistes et des râleurs littéraires. Nous voulons supprimer le désir pour toute forme de beauté, de culture, de poésie, pour tout raffinement intellectuel, toute forme de goût, socialisme, altruisme et synonymisme ». C’est à partir de ce texte que s’esquisse la position spécifique de dada.

Dada connaît notamment une rapide diffusion internationale. Il met en avant un esprit mutin et caustique, un jeu avec les convenances et les conventions, son rejet de la raison et de la logique, et il marque, avec son extravagance notoire, sa dérision pour les traditions et son art très engagé. Proche de l'idéologie socialiste, voire anarchiste pour Tzara, ou même pour Raoul Hausmann, Dada se démarque à l'époque par sa proximité avec le militantisme radical. Les artistes de Dada se voulaient irrespectueux, extravagants, affichant un mépris total envers les « vieilleries » du passé. Ils cherchaient à atteindre la plus grande liberté d'expression, en utilisant tout matériau et support possible. Ils avaient pour but de provoquer et d'amener le spectateur à réfléchir sur les fondements de la société[1]. Ils cherchaient également une liberté du langage, qu'ils aimaient lyrique et hétéroclite.

Origine du nom

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Le nom Dada apparait pour la première fois dans l'éditorial de l'unique numéro de la revue Cabaret Voltaire dirigée par Hugo Ball[2]. Ce texte en allemand, mais dont l'ultime phrase est en français, est daté du 15 mai 1916 et s'achève par les mots : « L'intention des artistes assemblés ici est de publier une revue internationale. La revue paraîtra à Zurich et portera le nom DADA, Dada Dada Dada Dada[α] [3]. »

Des versions contradictoires s'opposent quand il s'agit d'expliquer comment le mot a été trouvé et quel sens on doit lui donner. La légende veut que le mot « dada » ait été trouvé au hasard dans un dictionnaire. « Pour tout le monde, désormais, » explique Henri Béhar, « dada est né à Zurich le 8 février 1916, son nom ayant été trouvé à l'aide d'un coupe-papier glissé au hasard entre les pages d'un dictionnaire Larousse. ». L'historien authentifie l'anecdote avec une formule ambiguë : « Gardons-nous de ne pas croire aux légendes[4] ! »

L'histoire a été répétée plusieurs fois par les promoteurs du mouvement. Dans une lettre de janvier 1921 adressée à des artistes new-yorkais, Tzara explique les circonstances de l'invention du nom dont il se garde de revendiquer la paternité : « J'étais avec des amis, je cherchais dans un dictionnaire un mot approprié aux sonorités de toutes les langues, il faisait presque nuit lorsqu'une main verte déposa sa laideur sur la page du Larousse — en indiquant d'une manière précise dada — mon choix fut fait »[n 1]. Au cours d'un entretien accordé à Arts magazine (New York, décembre 1982), Marcel Janco reconnaît qu'il n'était pas présent à ce moment-là : « Un après-midi, dans un café où nous nous retrouvions, j’ai appris que Tzara avait trouvé un nom pour le groupe, que tout le monde avait accepté. Ils cherchaient un nom parce que le mouvement était devenu très important. Tzara avait trouvé le mot dans le Larousse »[5].

En 1921, l'apparente précision du témoignage de Hans Arp paraît disqualifiée par la description ironique des circonstances : « Tzara a trouvé le mot dada le 8 février 1916 à 6 heures du soir ; j’étais présent avec mes 12 enfants lorsque Tzara a prononcé pour la première fois ce nom qui a déchaîné en nous un enthousiasme légitime. Cela se passait au Café de la Terrasse à Zurich et je portais une brioche dans la narine gauche »[n 2].

La controverse sur la naissance du nom « dada » vient de Richard Huelsenbeck qui en a toujours revendiqué la paternité : « Le mot dada a été découvert par hasard dans un dictionnaire allemand-français par Hugo Ball et moi, alors que nous cherchions un nom de théâtre pour Mme Le Roy, la chanteuse du cabaret »[7]. Même si une lettre de H. Ball à R. Huelsenbeck du 28 novembre 1916 semble soutenir sa version : « Et finalement j’y ai également décrit dada : le Cabaret et la Galerie. Tu auras donc eu le dernier mot de dada comme tu as eu le premier », la récurrente revendication[8] de Huelsenbeck ne résiste pas au fait que, appelé par Hugo Ball, il ne soit pas arrivé à Zurich avant le 11 février 1916[9].

Naissance de dada

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Une affiche faite à gros traits noirs, dont le titre est "Künstlerkneipe Voltaire" ; elle représente un portrait de femme, et derrière elle deux hommes grisés.
Affiche pour l'ouverture du Cabaret Voltaire, le 2 mai 1916, par Marcel Slodki.

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale a transformé la capitale de la Suisse alémanique qu'était Zurich, en berceau d'un mouvement artistique inédit dont le « nom écrin », dada, fut trouvé dans des circonstances légendaires et controversées en février 1916[10]. Zurich accueillait alors plusieurs artistes ayant fui les horreurs de la guerre.

Début 1916, Hugo Ball, écrivain, traducteur de littérature française (Henri Barbusse, Léon Bloy, Arthur Rimbaud) et dramaturge allemand, exilé depuis 1915, et sa compagne, Emmy Hennings, poète et danseuse, fondent le Cabaret Voltaire et en annoncent l'ouverture, dans la presse zurichoise, pour le 2 février. Ils invitent les « jeunes artistes et écrivains dans le but de créer un centre de divertissement artistique, […] à [les] rejoindre avec des suggestions et des propositions »[11]. Il persuade Ephraïm Jan de lui louer une pièce dans l'Auberge de la Meierei, au 1 de la Spiegelstrasse, située dans le quartier mal famé de Zurich.

Hugo Ball a l'idée de mêler la tradition des cabarets parisiens de la fin du XIXe siècle avec l'esprit du cabaret berlinois d'avant-guerre, sous la figure emblématique de Voltaire dont il admire l'opposition au clergé[12]. Ball voulait offrir un lieu de rencontre et d'exposition aux artistes et aux intellectuels.

Quelques jours auparavant, Marcel Janco, à la recherche d'un travail, passe devant l'auberge. Il entend de la musique sortir d'une boîte de nuit et « découvre un personnage “gothique” jouant du piano ». C'était Hugo Ball. Quand ce dernier apprend que Janco est peintre, il lui offre les murs du cabaret pour exposer. Janco revient au cabaret accompagné de ses amis, Hans Arp, Sophie Taeuber et Tristan Tzara[13].

L'inauguration a lieu le 5 février, la salle est comble. Ball joue du piano, Hennings chante en français et en danois, Tristan Tzara récite ses poèmes en roumain. Le décor est signé Janco et Arp. Bientôt, les représentations intègrent des lectures simultanées, accompagnées de bruitisme. Une revue est créée Cabaret Voltaire, avec textes et dessins.

Le nom « dada » est choisi trois jours plus tard[4].

Développement de dada

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Sophie Taeuber-Arp,
Composition verticale-horizontale (1916).

Au bout de six mois, en juillet 1916, les protagonistes du Cabaret Voltaire veulent créer une revue et une galerie. Mais Hugo Ball s'oppose à l'idée de faire de dada un mouvement artistique. Dans son manifeste, écrit à ce moment-là, il donne la primauté au mot, et hésite à parler d'art : « Le mot, messieurs, le mot est une affaire publique de tout premier ordre. » Les dadaïstes créent tout de même une maison d'édition et une galerie. Le mouvement dérive des spectacles spontanés des cabarets à la programmation d'événements. Il converge vers la danse, probablement grâce à Sophie Taeuber. La galerie dada, ouverte en janvier 1917, se révèle un succès, mais elle ne dure que quelques semaines. Hugo Ball, finalement, voyait dans cette galerie un effort pédagogique pour réviser les traditions littéraires et artistiques. Durant cette expérience, Huelsenbeck quitte le mouvement zurichois, l'assimilant à un petit commerce artistique, pour aller relancer dada à Berlin[14].

À Berlin, Huelsenbeck passe quelque temps à étudier et réfléchir. Le mouvement est effectivement relancé à partir de quelques soirées au Café des Westens, en février 1918, par des artistes tels que Huelsenbeck et Grosz. Leur posture est de se battre contre l'expressionnisme, de se présenter comme adversaires de l'art abstrait, d'aborder des sujets politiques comme la guerre (une nouveauté par rapport à l'époque zurichoise), et d'intégrer le scandale maximum dans leur démarche. Dada prend un tour nettement offensif. Le public afflue à Berlin pour voir le phénomène et des soirées dada s'organisent dans toute la ville. Les dadaïstes berlinois effectuent même une tournée en Tchécoslovaquie.

Un peu avant la fin de la guerre, des mouvements dadas sont créés dans les grandes villes allemandes : Berlin, Hanovre et Cologne. Les différents Manifestes parviennent à Paris, malgré la censure et le « bourrage de crâne » contre tout « germanisme ».

En poésie, Dada reprend tout ce qui est délaissé par la littérature bon chic bon genre : blagues, contrepèteries, comptines, fous-rire, non-sens, bafouillages, répétitions, etc. Cette régression apparente a pour but de tout détruire, pour expérimenter de nouvelles formes de lecture sur scène. Ils inventent de nombreuses pratiques de poésie sonore : le poème statique, lu de plusieurs côtés de la salle en même temps, le poème bruitiste, qui reprend la réalité comme les artistes cubistes, le poème mouvementiste, qui exprime le sens des mots par des mouvements exagérés, ou le poème de voyelles, qui recherche une sonorité primitive[15].

Ils suivent le même mouvement pour le théâtre, reprenant les techniques de cabaret, revue, music-hall, cirque ou variétés, faisant sketchs, marionnettes, parades, défilés, chansons, masques, bruitages. Emmy Hennings fabrique des poupées, Marcel Janco des masques. Leurs ballets évoquent des danses chamaniques dans des improvisations démentes. En cela ils utilisent les mêmes procédés que le futurisme, mais en structurant leurs œuvres par le collage de matériaux de récupération assemblés par le hasard. Pour eux, ce théâtre doit se jouer partout, et transgresser le statut d'auteur, auteurs et autrices devenant des manifestes[15].

Page du premier et avant dernier numéro de Rongwrong, revue où le futur Henri-Pierre Roché défend son ami Marcel Duchamp, censuré par le public newyorkais.

Courant 1917 et 1918, le mouvement s'internationalise. La revue DADA paraît en juillet 1917 et dure trois ans, portée par Tristan Tzara qui explore les possibilités typographiques non conventionnelles. À Zurich, l'improvisation des débuts est remplacée par une programmation plus institutionnalisée. De nouvelles personnalités, comme Walter Serner, émergent, et une visite au Cabaret Voltaire reste un passage obligé pour tous ceux qui veulent participer à dada. Ainsi, Francis Picabia s'y présente, publie un numéro spécial de sa revue 391 (dont le nom est inspiré de la revue 291 d'Alfred Stieglitz) sur Zurich, tout en réalisant, à New York, avec Marcel Duchamp et d'autres, des événements dada, comme le salon des artistes indépendants, où est présentée (mais refusée) la Fontaine de Marcel Duchamp. C'est dans le numéro de mars 1920 de 391 qu'est publié le célèbre ready-made de Duchamp, L.H.O.O.Q., un portrait de La Joconde avec moustache et barbe, se moquant ainsi du côté trop précieux de l'art. Avec Arthur Cravan, dada investit aussi le domaine du sport avec, à Madrid, un combat mémorable, dès avril 1916, pour le titre de champion du monde de boxe[16].

Après quatre années passées à Zurich, Tristan Tzara décide de rejoindre Paris, où il débarque le 17 juillet 1920[17], pour donner à l'anarchie dada un nouvel élan. Dès 1918, il avait commencé à collaborer à une des revues dadas parisiennes, Littérature, ce qui l'avait rapproché des principaux artistes parisiens[18]. Des ramifications du mouvement se retrouvent en Allemagne, à Cologne avec Jean Arp, Johannes Baargeld et Max Ernst, à Berlin où était revenu Richard Huelsenbeck, et à Hanovre avec Kurt Schwitters qui créait des collages à partir de déchets trouvés dans la rue.

Au moins deux œuvres, qualifiées a posteriori de prédadaïstes, avaient déjà sensibilisé publics et artistes parisiens à la manière dada : Ubu roi et le ballet Parade, de Jean Cocteau. Ces œuvres donnèrent des héros aux artistes : Alfred Jarry, l'auteur du premier, et Erik Satie, compositeur du second. Elles suscitèrent auprès du public une sorte d'attente de la provocation, si porteuse pour le mouvement dada[19].

La fin de dada

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Une image d’Entr'acte, film de transition entre dada et surréalisme, par René Clair.

Dans l'après-guerre, les premières galeries dada, avec les premiers journaux et manifestes de ce mouvement apparaissent en France, en Allemagne et aux États-Unis. Contemporain du cercle de Zürich, un groupe d'amis s'est formé à New York, autour de Marcel Duchamp, Francis Picabia, Man Ray, etc., qui partage l'ambition de libérer la peinture à venir de la tyrannie de la signature de l'artiste et de « lui opposer une conception de l'Art d’où, comme avec les “objets trouvés” de Duchamp, la griffe de l'artiste est évacuée »[20]. À Cologne, Hans Arp et Max Ernst organisent les premiers rassemblements dadaïstes.

À Berlin, Richard Huelsenbeck qui, en 1917, avait colporté le terme « dada » de Zürich à Berlin[21], et Raoul Hausmann fondent en janvier 1918 le Club Dada, groupuscule informel dépourvu de règlement, de lieu de réunion, de statuts ou même de programme. Ses membres sont les artistes George Grosz, Hannah Höch, John Heartfield et Johannes Baader, rejoints de temps en temps par Franz Jung, Walter Mehring ou Erwin Piscator.

Après quelques tournées dada à Dresde, Leipzig, Prague, Karlsbad, Hambourg et Teplitz-Schönau au printemps 1920, George Grosz, Raoul Hausmann (alias « Dadasophe ») et John Heartfield (alias « Monteurdada ») organisent la Première foire internationale Dada[22], première expression publique du dada berlinois[23] ; mais cette manifestation se termine par un procès qui disperse les participants[24],[25].

À Paris, bien que les premiers contacts avec les artistes locaux suscitent un enthousiasme mutuel, de nombreuses incompréhensions apparaissent. Certains défendent une tradition qu'ils disent zurichoise et refusent toute notion d'art ayant un caractère positif, voire toute notion d'art tout court, mais d'autres pensent que dada porte en lui les germes d'une nouveauté. Les discussions, souvent violentes, entraînent une scission dans le mouvement dada, le séparant d'un côté en artistes de tradition zurichoise, mouvement qui dépérira, et de l'autre côté des artistes qui se rassembleront autour de Breton et donneront le surréalisme[26].

Le mouvement vit au rythme des soirées et spectacles que les artistes organisent, spectacles qui cristallisent les différences de position, mais font souvent l'événement à Paris, dont notamment le festival dada, à la salle Gaveau, le 26 mai 1920. Le public, en nombre, assista à des pièces de théâtre jamais répétées, des concerts impossibles à jouer, grâce à quoi les auditeurs se mirent à crier au scandale, à envoyer tomates, œufs et côtelettes de veau sur les interprètes. Tous les dadaïstes portaient un chapeau en forme d’entonnoir, Éluard un tutu de ballerine, le reste à l'avenant. Bien que les artistes soient tous en désaccord, cette soirée leur parut être une réussite[27].

Mais le monde dada ressentait une impasse dans les soirées-spectacles, inquiet de ce que le public y voie une sorte d'habitude agréable. Après presque un an de tergiversations, ils décidèrent d'organiser une excursion dada à l'église Saint-Julien-le-Pauvre, choisie parce que totalement inconnue, excursion dont les guides devaient être des célébrités dada. Dans ce choix, il n'y avait pas de connotation anticléricale, mais la volonté de dénoncer les guides suspects. Mais le public se montra absent. Alors, les dadaïstes abandonnèrent l'idée des excursions, et s'engagèrent dans le modèle de procès[28].

Selon l'historien Marc Dachy[réf. souhaitée], le procès contre Maurice Barrès, en 1921, marque la décomposition véritable des dadaïstes. La Mise en accusation et jugement de Maurice Barrès pour crime contre la sûreté de l'esprit n'était pas sans déplaire à Tzara, Francis Picabia, Georges Ribemont-Dessaignes, Erik Satie, ou Clément Pansaers, qui s'opposaient à l'idée d'un tribunal, et plus particulièrement d'un tribunal révolutionnaire. Tzara n'intervient que comme témoin, laissant à Breton le soin de diriger le procès. Le procès tourne rapidement en plaisanterie, ce qui n'était pas le souhait de Breton.

  • Tzara s'exclame : « Je n'ai aucune confiance dans la justice, même si cette justice est faite par dada. Vous conviendrez avec moi, monsieur le Président, que nous ne sommes tous qu'une bande de salauds et que par conséquent les petites différences, salauds plus grands ou salauds plus petits, n'ont aucune importance. »
  • Breton intervient : « Le témoin tient-il à passer pour un parfait imbécile ou cherche-t-il à se faire interner ? »
  • Tzara répond : « Oui, je tiens à me faire passer pour un parfait imbécile et je ne cherche pas à m'échapper de l'asile dans lequel je passe ma vie. »

Le fondateur du mouvement quitte violemment la salle, aussitôt suivi par Picabia et ses amis, au moment où Aragon commence son plaidoyer, plus contre le tribunal que contre Barrès, qui fut d'ailleurs condamné à vingt années de travaux forcés.

Les artistes dada, après le procès, ne sont plus capables d'organiser des événements ensemble, tant les disputes entre eux sont vives et déplaisantes. Ils évoluent en différents clans mouvants : les dadaïstes (Tzara), les surréalistes (Breton, Soupault), ou les anti-dadaïstes qui sont aussi des anti-surréalistes (Picabia)[29].

Au mois de juin suivant, en 1922, le Salon Dada organisé par Tzara, à Paris, est dédaigné par André Breton, et Marcel Duchamp refuse tout envoi pour cette exposition, à l'exception d'un télégramme avec les deux mots : « Pode Balle ».

La soirée dada, dite du Cœur à barbe, du 6 juillet 1923 organisée par Tristan Tzara au théâtre Michel[30] marque la rupture définitive entre dadaïstes et les futurs surréalistes (André Breton, Robert Desnos, Paul Éluard et Benjamin Péret). Face aux violentes interruptions de ces derniers : Breton, d'un coup de sa canne, casse le bras de Pierre de Massot, Tzara appelle la police, présente sur place, qui intervient. La soirée prévue le lendemain est annulée[31],[32].

En 1924, André Breton publie le Manifeste du surréalisme, et ce mouvement prend son envol. À partir de là, les surréalistes réinterprètent, a posteriori, nombre d'événements dada comme étant d'ordre surréaliste. Les notions d'automatisme, de simultanéité, de hasard étant au cœur de dada comme du surréalisme naissant, ils n'ont aucune difficulté à se les approprier[33].

Artistes dadas

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Réunion du groupe Dada à Paris en 1921 : Louis Aragon, Theodore Fraenkel, Paul Eluard, Clement Pansaers, Paul Dermée, Philippe Soupault, George Ribemont Dessaignes, Tristan Tzara, Céline Arnauld, Francis Picabia, André Bréton.

Écrivains, peintres, plasticiens, cinéastes, danseurs, photographes et même quelques musiciens, dada a traversé toutes les expressions artistiques de son temps[34].

Jean (ou Hans) Arp
  • Symétrie pathétique, broderie d'après un dessin de Jean Arp.
  • Fleur-marteau.
Johannes Baader
  • Deutschlands Grösse und Untergang (Grandeur et déchéance de l'Allemagne), 1920
Victor Brauner
  • La ville qui rêve[35].
Marcel Duchamp, Francis Picabia, et Beatrice Wood, New York, 1917.
Alfred Stieglitz, photographie[36] de la Fontaine de Marcel Duchamp (1917).
Marcel Duchamp
Suzanne Duchamp
  • Ariette. D'oubli de la chapelle étourdie (1920).
  • Ready-made malheureux de Marcel (1919), traité de géométrie à suspendre à son balcon.
Max Ernst
  • La bicyclette graminée garnie de grelots, les grisons grivelés et les échinodermes courbant l'échine pour quêter des caresses (1920-1921).
George Grosz
Raoul Hausmann
Hannah Höch
  • Paire de mariés bourgeois (1927), huile sur toile représentant un mannequin en bois habillé de voile blanc aux côtés d'un marié en frac.
  • Da-Dandy, collage.
Richard Huelsenbeck
  • Almanach dada, traduit de l'allemand par Sabine Wolf, notes de Sabine Wolf et Michel Giroud, édition bilingue, Paris, Champ libre, 1980.
Clément Pansaers
Julius Evola
  • Five o'clock tea (1917)
  • The tendency of aesthetic idealism (1918)
  • Fucina, studio di rumori (1918)
  • Paesagio interiore, apertura del diaframma (1921)
  • Astrazione (1921)
Francis Picabia
  • Danse de Saint-Guy (Tabac-Rat) (1919), un cadre sans toile, composé de ficelles et de carton.
  • Jeune fille (1920), une encre sur papier.
  • Portrait dada de Germaine Everling (1920).
  • L’Œil cacodylate (1921), une huile sur toile, composée de signatures avec des collage de photographies, cartes postales, papiers divers découpés.
  • Chapeau de paille ? (1921), huile, ficelle et carton d'invitation collés sur toile.
  • Volucelle II (1922).
  • Dresseur de chien (1923) qui annonce le Dresseur d'animaux (1937).
  • Lettres à Christine (1945-1951), suivi de Ennazus, édition établie par Jean Sireuil, présentation de Marc Dachy, Paris, éditions Gérard Lebovici, 1988.
Man Ray, Rrose Sélavy (1921).
Man Ray
Georges Ribemont-Dessaignes
  • Dada, manifestes, poèmes, nouvelles, articles, projets, théâtre, cinéma, chroniques (1915-1929), nouvelle édition revue et présentée par Jean-Pierre Begot, Paris, éditions Champ libre, 1978.
Kurt Schwitters
  • Merz Picture 46 A (The Skittle Picture) (1921), un cadre et des petits objets fixés.
Sophie Taeuber-Arp
  • Tapisserie Dada, Composition à triangles, rectangles et parties d'anneaux (1916), une tapisserie.
  • Gardes (1918), une sculpture articulée évoquant l'univers des marionnettes.
  • Triptyque abstrait (1918), une huile sur toile avec application de feuilles d'or.
  • Masque de Janco (1918), masque.
  • Série des Tête dada (1918-1920), des sculptures en bois tourné et peint.
  • Composition abstraite (1919), un collage.
  • Composition dada (Tête au plat) (1920), une huile sur toile collée sur carton encadrée sous verre.
Beatrice Wood
  • Un peu d'eau dans du savon (1917), collage loufoque avec un dessin de femme nue dont le sexe est caché sous un vrai savon[37].
Otto Dix
  • Pragerstrasse (1920).
  • Les Joueurs de skat (1920)
Tzara, Janco et Huelsenbeck
  • L'amiral cherche une maison à louer (1916), poème simultané en français, anglais et allemand caractéristique et très fidèle à la philosophie dada.

Principaux foyers dadas

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Culture dada

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Dada et l'art

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Bien qu'animé majoritairement par des artistes, Dada n'est pas comme tel un mouvement artistique. Sur les décombres de la guerre, il est davantage un état d'esprit, une réaction forte aux idées reçues. La thèse la plus importante est que l'art, d'interprétation de la réalité, devait devenir partie intégrante de la vie[40]. En rejetant les valeurs esthétiques et artistiques en vigueur, et qu'il considérait comme désuètes, Dada a contribué à libérer les artistes de la tradition et à les encourager à explorer de nouvelles voies dont on mesure les effets plusieurs décennies plus tard, par exemple avec le surréalisme, l'expressionnisme abstrait, le Pop art, Fluxus, le Nouveau réalisme et le Punk. Plus spécialement le groupe punk Massicot[41] fait référence à l'univers dadaïste dans son disque Suri gruti[42].

Dada et l'humour

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Après la Première Guerre mondiale, les jeunes ont besoin d'exprimer leur jubilation d'être en vie, la guerre finie et la paix retrouvée. La vie a vaincu la mort, la paix a vaincu la guerre, l'enfance et l'insouciance sont de retour et vont pouvoir s'exprimer. En 1963, Tristan Tzara a dit : « Dada n'était pas seulement l'absurde, pas seulement une blague, dada était l'expression d'une très forte douleur des adolescents, née pendant la guerre de 1914. Ce que nous voulions c'était faire table rase des valeurs en cours, mais, au profit, justement des valeurs humaines les plus hautes. »

En 1920, Tristan Tzara nomme des « présidentes dada », les plus anticonformistes possibles et à l'originalité débridée. Les « jeunes filles dada », les « dada's girls », dansent en solo avec ou sans masque, comme Sophie Taeuber. Elles font tourner les têtes et suscitent l'enthousiasme, mais aussi les huées. Une « dada dance » bien connue consiste à mettre ses bras en l'air (épaule perpendiculaire au tronc et avant-bras perpendiculaire au corps) et à sauter en même temps. Emmy Hennings, compagne de Hugo Ball, fonda avec lui le cabaret Voltaire à Zurich, dont elle devint l'âme en animant ses soirées, par la danse, le chant et la poésie.

L'Américaine Clara Tice, peintre caricaturiste et poète, horrifie la prude société américaine avec ses dessins de femmes nues accompagnées d'animaux, illustrant de manière érotique les Fables de La Fontaine. Ses œuvres seront confisquées par la police. Une autre Américaine, Beatrice Wood, réalise aussi des œuvres à forte connotation érotique.

Valeska Gert crée ses « danses » lors de certaines soirées berlinoises. Bien loin du classique Lac des cygnes, elles ouvrent la voie à la libération du corps des femmes et au nudisme. Renée Dunan, élevée au couvent et grande admiratrice du marquis de Sade, se libère, se proclame « dadaïste de la première heure », et défraie la chronique, sous divers pseudonymes, dont « Marcelle la Pompe » et « M. de Steinthal », en hommage à Stendhal et à l'écrivain aventurier Casanova de Seingalt.

Notes et références

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Citations originales

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  1. « Das nächtste Ziel der hier vereinigten Künstler ist die Herausgabe einer Revue Internationale. La revue paraîtra à Zurich et portera le nom DADA, Dada Dada Dada Dada »
  1. Manuscrit français cité dans Dachy 2011, p. 98, voir note 28 p. 704.
  2. Dachy 2011, p. 96 et 568, note 25 p. 703 et Sanouillet 2005, Chapitre XVII. Brouilles et bisbilles. Déclaration parue dans Dada au grand air [lire en ligne], considéré comme le no 8 de la revue DADA, sorte de « post-scriptum bilingue[6]. »

Références

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  1. « Le dadaïsme (XXe siècle) », sur espacefrancais.com (consulté le ).
  2. Dachy 2005b, p. 15-18. « QUand le nom apparut-il ? Dans l'éditorial de l'unique numéro de la revue Cabaret Voltaire. »
  3. Dachy 2005b, p. 25.
  4. a et b Henri Béhar et Michel Carassou, Dada, histoire d’une subversion, Fayard, Paris 1990-2005, p. 8.
  5. Marc Dachy, Archives dada. Chroniques, Éditions Hazan, Paris, 2005, p. 29.
  6. Hugnet 2013, p. 125.
  7. « En avant dada. Die Geschichte des Dadaismus », Hanovre/Leipzig, Paul Steegermann, 1920, cité dans Dada et les dadaïsmes, op. cit., p. 97.
  8. Almanach Berlin, 1920 : « un mot fut né, on ne sait pas comment », cité dans Dada et les dadaïsmes, op. cit., p. 98.
  9. Dachy, Dada et les dadaïsmes, op. cit., p. 97.
  10. Michel Sanouillet, Dada à Paris, CNRS Éditions, 1965-2005, p. 6-7.
  11. D’après Marc Dachy, Archives dada. Chroniques, Paris, Éditions Hazan, , p. 10 et Laurent Le Bon, Dada, Paris, Éditions du Centre Pompidou, , p. 202.
  12. Laurent Le Bon, Dada, Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2005, p. 990.
  13. Marc Dachy, Archives dada. Chroniques, p. 20.
  14. Roselee Goldberg (trad. de l'anglais), La Performance : Du futurisme à nos jours, Londres/Paris, Thames & Hudson / L'univers de l'art, , 256 p. (ISBN 978-2-87811-380-8), chap. 3 (« Dada : la revue et la galerie »).
  15. a et b Denis Marleau, « Dada : un théâtre international de variétés subversives », Études littéraires, vol. 19, no 2,‎ , p. 13-22 (ISSN 0014-214X et 1708-9069, DOI https://doi.org/10.7202/500753ar, lire en ligne, consulté le ).
  16. Goldberg 2012, 3. Dada : dada à New York et à Barcelone.
  17. Sanouillet 2005, p. 119.
  18. Goldberg 2012, 3. Dada : La fin de dada à Zurich.
  19. Goldberg 2012, 4. Le surréalisme : Les représentations pré-dada à Paris.
  20. D'après coll., Keysers Grosses Stil-Lexikon Europa. 780 bis 1980, Munich, Keysersche Verlagsbuchhandlung (ISBN 978-3-87405-150-7 et 3-87405-150-1), p. 479.
  21. Hannah Höch. 1889 bis 1978, In: Künstler der Galerie Remmert und Barth, Düsseldorf.
  22. Hermann Korte, Die Dadaisten, p. 66.
  23. (de) Helen Adkins et Bernd Klüser, Katharina Hegewisch (dir.), Die Kunst der Ausstellung : Eine Dokumentation dreißig exemplarischer Kunstausstellungen dieses Jahrhunderts, Francfort-sur-le-Main/ Leipzig, Insel Verlag, , « Erste Internationale Dada-Messe, Berlin 1920 », p. 70.
  24. Goldberg 2012, 3. Dada : Huelsenbeck à Berlin.
  25. Hanne Bergius, Tendenzen der Zwanziger Jahre. 15. Europäische Kunstausstellung Berlin 1977, Berlin, Dietrich Reimer Verlag Berlin, , catalogue, « Dada Berlin », p. 3-72.
  26. Goldberg 2012, 4. Le surréalisme / De dada au surréalisme.
  27. Goldberg 2012, 4. Le surréalisme / Salle Gaveau, mai 1920.
  28. Goldberg 2012, 4. Le surréalisme / L'excursion et le procès de Barrès.
  29. Goldberg 2012, Le surréalisme / Relache.
  30. L'affiche de la manifestation est conçue par Ilia Zdanevitch. Au programme : projection du film de Charles Scheeler, Fumées de New York, représentation du Cœur à barbe de Tzara, dont les costumes sont de Sonia Delaunay.
  31. Marguerite Bonnet, André Breton, œuvres complètes, tome 1, Gallimard, coll. « La Pléiade », Paris, 1988, page XLVI, Le Bon, op. cit., p. 269 ; Michel Sanouillet, Dada à Paris, éd. CNRS, 1965-2005, p. 333.
  32. Goldberg 2012, 4. Le surréalisme / Nouvelles orientations.
  33. Goldberg 2012, 4. Le surréalisme / Le Bureau de recherches surréalistes.
  34. L'exposition 2005 du Centre Georges-Pompidou a présenté plus de deux mille pièces.
  35. La ville qui rêve sur centrepompidou.fr.
  36. Image publiée dans The Blind Man, New York, mai 1917, no 2, p. 4. Voir une reproduction d'un tirage au gélatino-bromure d’argent original ici.
  37. Visible sur L'art DADA, Estelle Book
  38. Marc TRILLET, « Dada à Lyon : le docteur Emile Malespine », Mémoires de l'académie de Lyon, 4e série, t.4, année 2004,‎ , p. 227-234.
  39. Marc Danval, Robert Goffin, avocat, poète et homme de Jazz, Le Carré Gomand Editions, (2014)
  40. Calvin Tomkins, Duchamp et son temps 1887-1968, Time-Life Internatonal (Nederland), , 191 p., p. 58.
  41. ensemblevide.ch
  42. Cinema Spoutnik : Rencontre galactique avec Massicot

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Bibliographie

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Publications par les dadas
Fac-similés
  • "Cabaret Voltaire", "Der Zeltweg", "Dada", "Le Cœur à barbe" : 1916-1922, J.-M. Place, coll. « Collection des réimpressions des revues d'avant-garde », (ISBN 2-85893-044-9)
  • Tristan Tzara :
    • Tristan Tzara, Dada. Réimpression intégrale et dossier critique de la revue publ. de 1917 à 1922, Nice, Centre du XXe siècle, (ISBN 978-2-902311-17-0 et 978-2-902-31119-4).
    • La Première Aventure céleste de Mr Antipyrine, illustré par Marcel Janco, réimpression 2005 de l'édition originale de 1916.
    • Cinéma calendrier du cœur abstrait, dessins de Jean Arp, réimpression 2005 de l'édition originale de 1920.
    • Sept manifestes dada et quelques dessins de Francis Picabia, réimpression 2005 de l'édition originale de 1924.
  • Richard Huelsenbeck (trad. Sabine Wolf), Almanach Dada, Paris, Champ Libre, , 404 p. (ISBN 978-2-85184-117-9). Édition originelle de 1916, c’est le premier livre dada.
  • Francis Picabia
  • Kurt Schwitters, Merz, écrits choisis et présentés par Marc Dachy suivi de Schwitters par ses amis. Ursonate, fac-similé de la typographie originale. Enregistrement de son interprétation par son auteur (CD). Textes allemands traduits par Marc Dachy et Corinne Graber. Textes anglais traduits par Marc Dachy, Paris, éditions Gérard Lebovici, 1990 (ISBN 2-85184-225-0).
Publications critiques

Articles connexes

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Filmographie

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Liens externes

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