Monument à Éverard t'Serclaes

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Julien Dillens, Monument à Éverard t'Serclaes, 1902, Bruxelles, Grand-Place.

Le Monument à Éverard t'Serclaes est un bas-relief en laiton de Julien Dillens de 1902. Il se trouve à Bruxelles, dans la galerie passant sous la Maison de l'Étoile, au coin de la rue Charles Buls et de la Grand-Place, un emplacement approprié[1], puisque c'est dans cette maison que t' Serclaes décéda de ses blessures en 1388. Le monument évoque la libération de la ville par Éverard t'Serclaes. L'œuvre est classée depuis 2002. Cette statue est très célèbre à Bruxelles

Description[modifier | modifier le code]

Le monument, dont le style s'inspire de la Renaissance italienne, est formé de deux pilastres soutenant un tympan semi-circulaire d'où surgit un chevalier portant l'étendard du Brabant. En dessous, on peut lire l'inscription latine « Pro aris et focis » (« Pour nos autels et nos foyers »).

Entre les pilastres se trouvent trois bas-reliefs superposés. Du haut vers le bas, ils représentent trois épisodes de l'histoire de Bruxelles. Le premier représente la reprise par t'Serclaes en 1356, de Bruxelles occupée par les troupes du comte de Flandre, Louis de Male. Sous le relief figure une inscription en néerlandais « Met hand en tand voor stad en land ». Le deuxième figure la rentrée solennelle de la duchesse Jeanne et du duc Wenceslas à Bruxelles après cet épisode. En dessous figure le cri de guerre des ducs de Brabant : « Le Brabant au riche duc ». Le troisième rappelle la destruction du château de Gaesbeek par les Bruxellois en 1388 pour venger le meurtre de t'Serclaes par le seigneur de Gaesbeek, Sweder d'Abcoude. Ce dernier bas-relief comporte un détail pittoresque dans le coin inférieur droit : une femme retirant une volaille d'un panier, discrète allusion au sobriquet des Bruxellois, « Kieke(n)vreters »[2] — mieux connu par ailleurs sous sa forme Kieke(n)fretters en dialecte bruxellois —, c'est-à-dire « mangeurs de poulets »[3]. L'allusion est plus explicite sur les culots des pilastres : sur celui de gauche, un marmiton[4] tient un poulet mis sur une broche ; sur celui de droite, un joyeux luron tient une chope sur laquelle est écrit le mot « kiekevreters »[5]. Sous ces bas-reliefs, le sculpteur a figuré le gisant de t'Serclaes mutilé et mourant, entouré d'un linceul. Sous le gisant figure une inscription latine en écriture gothique : « Eberhardo t'Serclaes Patriae liberatori », encadrée par deux dates : « 1320 » et « 1388 », respectivement la date présumée de sa naissance et celle de son décès, et en dessous les deux mots « Fortiter » et « Fideliter », qui forment la devise des t'Serclaes. Sur les pilastres figurent deux inscriptions bilingues. Celle du pilastre de gauche rappelle la décision prise en 1898 par les autorités communales d'édifier le monument ; celle du pilastre de droite les deux faits saillants de son existence, figurés sur le premier et le troisième bas-relief.

La maquette[modifier | modifier le code]

Maquette en plâtre du monument par Julien Dillens, Bruxelles, lycée Dachsbeck, rue de Rollebeek 22.

Cette maquette est un témoin exceptionnel qui permet de comprendre les qualités sculpturales et chromatiques de l'œuvre telle qu'elle apparaissait lors de son inauguration et que la décrit un journal de l'époque : « La figure de t'Serclaes, lugubre et poignante, contraste, en sa désespérance, sur le fond vif et animé de l'ensemble[6] ».

Polémique[modifier | modifier le code]

En 1902, l'archiviste de la Ville de Bruxelles, Jean Van Malderghem, écrit sous un pseudonyme un article très critique à l'égard de Dillens[7]. Il lui reproche notamment d'avoir choisi le style de la Renaissance italienne plutôt que le style gothique et d'avoir attribué à Éverard t'Serclaes des armoiries anachroniques, celles des t'Serclaes n'apparaissant, selon lui, qu'au XVe siècle[8]. En outre, t'Serclaes n'aurait pas eu comme devise « Fortiter Fideliter » et les tours de Sainte-Gudule n'auraient pas leur place sur le monument, car elles ne furent terminées qu'au XVe siècle. L'inscription « Kiekefretters » (sic) serait elle aussi anachronique, Van Malderghem doutant que ce sobriquet ait déjà existé au XIVe siècle. Il fait enfin remarquer qu'une des inscriptions en néerlandais comporte une faute d'orthographe : « gemeentecaad » au lieu de « gemeenteraad » (conseil communal). Cet article aurait peut-être été dicté par le dépit de Van Malderghem de ne pas avoir été consulté à propos de l'élaboration du monument[9].

La légende[modifier | modifier le code]

D'innombrables touristes passant par la Grand-Place de Bruxelles s'arrêtent pour frotter le bras, le genou du gisant de 't Serclaes, ou encore le chien à ses pieds. La légende voudrait que l'on puisse alors faire un vœu ou que l'on est ainsi assuré de revenir à Bruxelles. Loin d'être une coutume ancienne, cette pratique est relativement récente. Plusieurs hypothèses ont été avancées à propos de son apparition : soit que les Bruxellois, privés de manifestations patriotiques par l'occupant allemand pendant la Première Guerre mondiale, auraient pris l'habitude de caresser la main du héros pour lui demander protection ou témoigner leur respect[10], soit qu'un commerçant du marché aux oiseaux de la Grand-Place serait à l'origine de la légende pendant l'entre-deux-guerres. Quoi qu'il en soit, le succès auprès des touristes fut tel que le métal de la statue fut troué par le frottement répété et qu'il fallut la restaurer[11].

Restaurations[modifier | modifier le code]

La restauration de 2008[modifier | modifier le code]

La corrosion du laiton et l'usure de la surface, due en partie aux frottements des touristes ont finalement rendu nécessaire une restauration qui fut menée en 2008. La polychromie du monument a évolué avec le temps : les parties actuellement les plus foncées étaient dorées et le gisant était noir, comme l'avait conçu Julien Dillens à l'origine, ainsi que l'atteste la maquette du monument.

Avant les années 1970, les passants ne touchaient de la main que quelques endroits du bas-relief, mais depuis lors l'habitude a été prise de caresser la statue de t'Serclaes de la tête aux pieds, ce qui a fortement augmenté l'usure du métal.

La restauration entreprise en 2011[modifier | modifier le code]

La statue a été démontée une nouvelle fois le pour une rénovation en profondeur qui devait durer trois ans[12]. Cette opération a été confiée à l'Institut royal du patrimoine artistique (IRPA)[13]. Une copie en résine a pris sa place

En , l'échevin de l’Urbanisme annonçait que la statue pourrait être remplacée par une copie, dont l'installation était prévue pour fin 2014. En 2015, le monument n'a pas encore retrouvé sa place. En , la Commission royale des Monuments et des Sites de la Région de Bruxelles-Capitale a émis un avis favorable sous réserve concernant la restauration de l'œuvre originale et son déplacement vers la salle ogivale de l'hôtel de ville, la restauration de la maquette en plâtre et son déplacement vers la même salle ogivale et la réalisation d'une copie en laiton du monument sur base de la maquette et son installation sous le portique de la maison L'Étoile. La Commission relève que les touristes continueront à frotter le gisant et qu'il conviendrait donc de prévoir le renouvellement de sa patine noire[14].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Ce monument est le deuxième mémorial consacré à t'Serclaes. Il existait jadis rue d'Assaut une inscription commémorative disparue relatant cet exploit. Lire : Chroniques des rues de Bruxelles, ou histoire pittoresque de cette capitale, deuxième édition corrigée, tome Ier, Bruxelles, au bureau de l’émancipation, 1834, p. 127-128 : « Disons encore qu'au dernier siècle, en rebâtissant l'hôtel de Berghes, qui fait le coin de la rue d'Assaut, on déterra un monument très bien conservé qui portait cette inscription : "Le Sénat et le peuple de Bruxelles, à Éverard T'Serclaes, qui par sa victoire délivra la patrie. Le de l'année 1356, pendant la nuit, accompagné seulement de soixante-six hommes armés, il attaqua la ville occupée par l'ennemi, arracha la grande bannière des Gantois de la cour du sénat, et de concert avec les citoyens, repoussa vigoureusement l'ennemi qui s'était introduit dans Bruxelles et vit son pays libre."
    S. P. Q. B.
    EBERHARDO T'SERCLAES VICT.
    PAT. LIBERAT.
    QUI IX CAL. NOV. M. CCC. LVI. HUC NOCTU
    CUM LXVI. SOC. AR. URB. INVAS. EXPUGN.
    VEXILL. PRIMAR. GANDAV. A CUR. SENAT. DIRUP.
    ET
    CONCERTANT. CIV. HOST. INTRORUPT.
    VAL. DEP. PATR. LIBER.
    P. S. »
  2. Guillaume Des Marez, Guide illustré de Bruxelles, tome I, Touring Club de Belgique, Bruxelles, 1918, p. 68 : « Enfin, le troisième bas-relief se rapporte à la destruction du château de Gaesbek par les Bruxellois en 1388. […] Le peuple furieux alla faire aussitôt le siège du château de Gaesbeek, qu'il incendia. On raconte que les Bruxellois étaient munis de force victuailles, parmi lesquelles de nombreux et gros poulets de Bruxelles, ce qui leur valut le sobriquet de kiekenvreters (mangeurs de poulets). Ce détail est rappelé sur le bas-relief, à droite, par une femme qui tire d'un panier une superbe volaille. Les culots qui soutiennent les pilastres y font également allusion : à gauche, un marmiton serrant un poulet mis en broche ; à droite, un gai luron tenant une cannette sur laquelle on lit kiekevreters. ». Dans les éditions suivantes de 1928, p. 77 et de 1979, p. 60 on trouve le mot kiekefretters.
  3. G. Geerts et H. Heestermans, Van Dale Groot Woordenboek der Nederlandse Taal, 1984 ; ainsi que la nouvelle édition : van Dale, Groot woordenboek van de Nederlandse taal, édition revue par Ton den Boom et le prof. dr. Dirk Geeraert, Utrecht-Antwerpen, 2005 (14e édition), p. 1689 : "kiekenfretter (de (n.)) (Belg. N., spott.) Brusselaar. eig. kuikenvreter". Voir aussi les sites folkloriques : La confrérie des ""kiekeferetters" et De kiekenfretters van Brussel
  4. Selon la légende, en effet, rapportée par Foppens, les marmitons venant en aide à t'Serclaes ont combattu avec leurs broches contre les troupes du comte de Flandre qui occupaient Bruxelles. Lire : Paul Combaz et Armand de Behault, « La première enceinte de Bruxelles (à propos du dégagement de la tour dite 'la tour noire') », dans : Annales de la Société d’Archéologie de Bruxelles, tome Ier, Bruxelles, 1888, p. 164-165, note 1 : « L’historien Foppens prétend que c’est en mémoire du fait d’armes de 1356 (il dit erronément de 1376), dans lequel s’étaient distingués les marmitons et les cabaretiers, qu’on nommait alors Spits-fieltjens, que l’on a vu pendant de longues années deux figures de marmitons avec leurs broches au haut des pignons de la Porte de Flandre ». Lire également : Collection des anciennes portes de Bruxelles et autres vues remarquables du Royaume des Pays-Bas, Bruxelles, 1823, p. 16-17 : « Cette journée est encore appelée aujourd'hui quaden woensdag. Le comte de Flandre ne conserva que bien peu de temps cette conquête ; Éverard 'Tserclaes, des familles patriciennes, secondé d'une cinquantaine de compagnons déterminés, résolut de l'en chasser ; il avait des intelligences dans la ville, et, profitant d'une nuit obscure de l'automne (celle du 24 octobre 1356), il s'approcha des murailles de la ville, par la montagne aux Herbes potagères, vers les tours tracées sur le dessin de la première enceinte. Les remparts étaient négligemment gardés ; il sut en profiter, les escalada au cri de guerre : Brabant au riche duc, Limbourg à qui la conquit, renversant les soldats qui les gardaient et répétant ces cris par la ville; les bourgeois coururent aux armes et se joignirent à lui et à ses compagnons ; les soldats de Louis, surpris, opposèrent une faible résistance et gagnèrent les portes pour se soustraire au glaive des vainqueurs. Éverard arracha la bannière de Flandre, qui depuis la bataille était restée plantée sur le marché. Les marmitons-tournebroches qui avaient combattu avec des armes qui jusqu'alors n'avaient servi qu'à enfiler des poulets, dindons ou poulardes, et qui avaient beaucoup contribué à la déconfiture des ennemis de leur légitime duc, en furent récompensés par la pose des deux Spits-Filtjens qui furent placés sur le haut de la porte, soit en dérision de la défaite de l'ennemi, soit en mémoire éternelle de leur haut fait d'armes. La ville ayant été agrandie depuis 1357, la rue que l'on bâtit contre ces anciens murs, prit le nom de Storm-straet ou d'Assaut. »
  5. Guillaume Des Marez, Guide illustré de Bruxelles, Tome 1 : « Les monuments civils et religieux. Première partie : Monuments civils », Touring Club de Belgique, 1918, p. 68 : « Les culots qui soutiennent les pilastres y font également allusion : à gauche, un marmiton serrant un poulet mis en broche ; à droite, un gai luron tenant une cannette sur laquelle on lit kiekenvreters. ». Dans l'édition de 1928 on lit, p. 77 : « Kiekefretters ».
  6. La Ligue artistique, , p. 2.
  7. La Ligue artistique, .
  8. Cela est inexact, les armoiries des t'Serclaes « de gueules, semé de billettes d'argent, au lion du même, armé et lampassé du champ (souvent couronné d'or), le lion portant sur l'épaule un écusson d'or, au chef échiqueté de deux tires de quatre points d'argent et de gueules (Bigard) », sont déjà portées par Everaert II t'Serclaes échevin en 1326 et 1337. (Sceau de 1326 : Evrardus filius Nicolai). Les armories sans l'écusson sur l'épaule du lion étant plus anciennes. Voir : De Raadt, Sceaux armoriés, III, p. 346-348, P. Adam, Armoiries brabançonnes médiévales, dans Brabantica, V, 1960, p. 126-127 et François de Cacamp, Généalogies des familles inscrites aux lignages de Bruxelles en 1376", "T'Serclaes", Bruxelles, 1971, p. 845.
  9. Patrick Derom (dir.), Les sculptures de Bruxelles, Éditions Pandora, 2000, p. 121.
  10. Gwennaëlle Gribaumont, Bruxelles. 200 sculptures se racontent, Éditions Aparté, 2008, p. 63.
  11. Roel Jacobs, Une histoire de Bruxelles, Éditions Racine, 2004, p. 92.
  12. La Libre, , p. 43.
  13. Sylvie Boas, « Contributions aux journées thématiques. Le monument à Éverard T'Serclaes. Étude préparatoire a la restauration », dans : Bulletin IRPA, no 27, Bruxelles, 1996-1998, p. 231-240.
  14. [PDF] Avis de la CRMS émis en séance du .