Moment magnétique anomal

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En physique des particules, le moment magnétique anomal[a] désigne l'écart entre la valeur du facteur de Landé g d'un lepton et la valeur donnée par l'équation de Dirac. Cette anomalie est remarquablement bien expliquée par le modèle standard, en particulier par l'électrodynamique quantique, lorsque l'influence du vide quantique est prise en compte.

L'anomalie est une quantité sans dimension[4], notée [4],[5] et donnée par : [4],[5],[6].

Rappels sur le moment magnétique de spin[modifier | modifier le code]

Définition et facteur de Landé[modifier | modifier le code]

Au moment cinétique orbital d'une particule de charge et de masse est associé un moment magnétique orbital :

Le facteur est appelé rapport gyromagnétique. De même, on associe à une particule de charge , de masse , et de spin S, un moment magnétique de spin :

est un nombre pur, appelé facteur de Landé (1921). Ce nombre varie selon la nature de la particule : on a approximativement pour l'électron, pour le proton, et pour le neutron[7].

Magnéton de Bohr[modifier | modifier le code]

Pour l'électron, les valeurs propres du spin selon un axe sont  ; on introduit alors le « quantum de moment magnétique » suivant, appelé magnéton de Bohr :

Moment magnétique anomal de l'électron[modifier | modifier le code]

L'équation de Dirac prédit pour l'électron un facteur de Landé exactement égal à : . Or, la valeur expérimentale admise en 2014 vaut :

Il existe donc un écart, décelé pour la première fois en 1947 dans la structure hyperfine de l'hydrogène et du deutérium[8].

Anomalie[modifier | modifier le code]

On est ainsi amené à introduire une anomalie , définie par :

La théorie quantique des champs du modèle standard permet de calculer cette anomalie. La contribution dominante vient de l'électrodynamique quantique perturbative, et se présente sous la forme d'un développement en série de puissances de la constante de structure fine , également appelée constante de couplage. Plus précisément, on est amené à écrire le développement suivant :

en puissances de .

Note : le moment magnétique de l'électron est, à quelques millièmes près, égal au moment magnétique orbital, le magnéton de Bohr. Cela se voit dès la première correction par Julian Schwinger. En fait, la valeur de la constante de structure fine est tirée de cette formule de l'électrodynamique quantique et on obtient :

[b].

Première correction de Schwinger[modifier | modifier le code]

Correction à une boucle au vertex électron-photon.

Le premier terme du développement, calculé par Schwinger en 1948, vaut simplement : . Ce fut le premier grand succès de la toute nouvelle électrodynamique quantique. Ce calcul, qui repose sur le diagramme de Feynman ci-contre, est aujourd'hui un exercice standard pour tout étudiant de troisième cycle débutant en théorie quantique des champs.

Les calculs des termes suivants sont beaucoup plus compliqués, car le nombre de diagrammes croit exponentiellement vite avec l'ordre du développement.

Correction d'ordre deux[modifier | modifier le code]

Ce calcul fait intervenir 7 diagrammes de Feynman. Un premier résultat – erroné – a été publié en 1950, puis revu et corrigé en 1957-1958. On obtient[8] :

dont la valeur numérique est :

est la fonction zêta de Riemann, définie par :

et vérifiant en particulier : .

Correction d'ordre trois[modifier | modifier le code]

Ce calcul fait intervenir 72 diagrammes de Feynman. Le calcul, commencé en 1969, n'a été terminé et publié qu'en 1996 (Laporta et Remmidi). On obtient une expression analytique assez compliquée (voir par exemple [8]:p. 101) :

désigne la fonction polylogarithme :

Numériquement, on obtient :

Correction d'ordre quatre[modifier | modifier le code]

Ce calcul, qui fait intervenir 891 diagrammes de Feynman, est impossible à faire entièrement à la main en un temps raisonnable. Il a requis l'usage intensif de l'ordinateur. T.Kinoshita, a publié en 2006 le meilleur résultat numérique[réf. nécessaire]

La correction d'ordre 5 n'a pas été évaluée, mais on a seulement un intervalle de confiance.

On en tire l'anomalie dite universelle pour les leptons.

Comparaison théorie - expérience[modifier | modifier le code]

Il convient alors de différencier les trois leptons: l'électron, le muon et la particule tau.

Pour l'électron[modifier | modifier le code]

L'électron étant le lepton le plus léger, les contributions à son moment magnétique des autres leptons, des bosons vecteurs de l'interaction faible, et des quarks et gluons, sont petites, mais non négligeables à la précision actuelle. Leurs inclusions donne la prédiction théorique du modèle standard[8] :

L'accord avec le résultat expérimental (2006,Odum, Phys.Rev.Lett 97) est à ce jour excellent[8] :

Pour le muon[modifier | modifier le code]

L'expérience n'est pas aussi satisfaisante. Il est vrai que le rapport de masse de ce pseudo-électron lourd est :

et la durée de vie d'une microseconde.

et les corrections sont plus importantes, en gros de 206².

La valeur de l'anomalie du muon est pourtant affinée par les récents résultats du Laboratoire national de Brookhaven. Mais les corrections théoriques sont plus élevées ; il faut outre les corrections entre leptons, prendre en compte les corrections de l'électro-faible, et celle des hadrons. À ce jour (2023) l'anomalie est :

soit environ 5,2 écarts-type de différence[9], ce qui pose problème à l'heure actuelle (2023).

Pour le lepton tau ()[modifier | modifier le code]

Sa masse est encore plus grande (1.77699 (29) GeV.c-2) et surtout sa durée de vie est 0.1 ps. Il est plus difficile à produire et la détermination de son anomalie n'a pas encore été réalisée.

Cela dit, il restera toujours à évaluer la variation de , qui jouera encore plus à ces énergies.

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. À l'usage, le terme « anormal » se rencontre fréquemment[1],[2],[3].
  2. À comparer avec la valeur CODATA (2014) : 137,035 999 139 (31)? La « meilleure » valeur est sans doute 137,035 999 084 (51) selon la référence citée (février 2008) et même seulement (21) selon (en) « Inverse fine-structure constant », sur physics.nist.gov, National Institute of Standards and Technology (consulté le ).

Références[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Dictionnaires et encyclopédies[modifier | modifier le code]

Manuels d'enseignement supérieur[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

  1. Dictionnaire de physique sur Google Livres
  2. « Le moment magnétique du muon » [PDF],
  3. Michel Davier, « Le moment magnétique anormal du muon : une fenêtre au-delà du modèle standard ? », Bulletin de la Société Française de Physique, vol. 141,‎ , p. 14 (lire en ligne)
  4. a b et c Basdevant et Dalibard 2005, part. A, chap. 3, p. 43.
  5. a et b Greulich 2004, s.v. anomalous magnetic moment, p. 87, col. 1.
  6. Taillet, Villain et Febvre 2018, s.v. anomalie [1], p. 35, col. 1.
  7. Bien que le neutron ait une charge , il possède un spin 1/2. On lui attribue ici un facteur de Landé correspondant au moment magnétique de spin calculé pour la valeur , afin de le comparer à ceux de l'électron et du proton. Se référer aux (en) Valeurs du facteur de Landé des particules courantes sur le site du National Institute of Standards and Technology.
  8. a b c d et e (en) Marc Knecht, The anomalous magnetic moments of the electron and the muon, séminaire Poincaré, Paris, 12 octobre 2002 [lire en ligne] [PDF], publié dans : (en) Bertrand Duplantier et Vincent Rivasseau (Eds.), Poincaré Seminar 2002, Progress in Mathematical Physics 30, Birkhäuser, 2003 (ISBN 3-7643-0579-7).
  9. (en) Aguillard, D.P.; et al., « Measurement of the Positive Muon Anomalous Magnetic Moment to 0.20 ppm », (consulté le ).