Manifestations de 2016-2017 au Cameroun

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Manifestations de 2016-2017 au Cameroun
Manifestation en 2017 à Bamenda.
Manifestation en 2017 à Bamenda.

Type manifestations, ville fantômes, grèves, fermeture des écoles, émeutes
Pays Drapeau du Cameroun Cameroun
Localisation Région du Nord-Ouest et Région du Sud-Ouest
Cause Nomination de juges francophones dans les régions anglophones du Cameroun, utilisation du français dans les écoles et salles d'audience des régions anglophones
Date
(11 mois et 26 jours)
Revendications Préservation de la common law dans les tribunaux des régions anglophones, traduction en anglais des actes de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) et du code de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC), arrêt du français dans les écoles et salles d'audience des régions anglophones
Résultat Début de la crise anglophone au Cameroun
Bilan
Morts 27
Répression
Arrestations plus de 100

Les manifestations de 2016-2017 au Cameroun, également appelées la Révolution du cercueil[1], sont des manifestations qui commencent le dans les deux régions anglophones du Cameroun - le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, à la suite de la nomination de juges et d'enseignants francophones dans ces zones[2].

Le , au moins deux personnes sont tuées et 100 manifestants sont arrêtés à Bamenda[3],[4].

En septembre 2017, la répression des manifestations par le pouvoir central déclenche la crise anglophone au Cameroun.

Contexte[modifier | modifier le code]

Anglophonie au Cameroun[modifier | modifier le code]

Le français et l'anglais sont les deux langues officielles du Cameroun. Environ 80 % de la population est francophone et 20 % anglophone. Sur dix régions, deux sont anglophones :

  • La région du Nord-Ouest ;
  • La région du Sud-Ouest.

Ces deux régions côtoient le Nigeria à l'ouest. Elles constituaient auparavant l'ancien Cameroun méridional, partie sud du Cameroun britannique devenu le Cameroun occidental après son rattachement au Cameroun indépendant en 1961 à l'issue d'un référendum.

Déroulé[modifier | modifier le code]

Octobre 2016[modifier | modifier le code]

Le , le Consortium de la société civile anglophone du Cameroun (CSCAC), une organisation composée de syndicats d'avocats et d'enseignants des régions anglophones lance une grève. Elle est menée par les avocats Felix Agbor Balla, Fontem Neba et Tassang Wilfred[5].

Les barristers auraient écrit une lettre au gouvernement critiquant l'utilisation du français dans les écoles et salles d'audience des régions anglophones. Ils entament une grève dans toutes les salles d'audience[6].

Des marches pacifiques sont organisées dans les villes de Bamenda, Buéa et Limbé, appelant à la préservation du système de common law dans les régions anglophones. Les avocats demandent également que le système juridique anglais soit pratiqué dans les tribunaux des régions anglophones, plutôt que celui du droit romano-civiliste, utilisé par la magistrature francophone. Ils exigent la traduction en anglais des textes existants tels que les actes uniformes de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), le code de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) et autres[7].

En outre, ils réclament également la création d'une école de droit, basée sur l'enseignement de la common law, pour les deux seules universités anglophones du pays, Buéa et Bamenda[8],[6].

Novembre 2016[modifier | modifier le code]

Manifestation d'avocats anglophones, le .

Courant novembre 2016, des milliers d'enseignants anglophones rejoignent le mouvement initié par les avocats pour appeler à la préservation du particularisme culturel des régions anglophones, reprenant les revendications des avocats[9],[10]. Du 21 au 22 novembre, de violents heurts opposent de jeunes manifestants aux forces de sécurité à Bamenda et font trois morts[11].

Le , les forces de l'ordre répriment une manifestation d'étudiants de l'université de Buéa[12].

Décembre 2016[modifier | modifier le code]

Début décembre 2016, au moins quatre personnes sont tuées lorsque les forces de sécurité tirent à balles réelles en l'air et lancent des gaz lacrymogènes sur un marché[13]. Le , des affrontements entre jeunes et forces de l'ordre font deux morts à Bamenda[14]. Quatre personnes sont abattues par la police lors d'une manifestation dans la région du Nord-Ouest[15].

Janvier 2017[modifier | modifier le code]

Le , le Consortium de la société civile anglophone du Cameroun (CSCAC) lance une « journée ville morte » afin de protester contre la « marginalisation » et le « manque de reconnaissance » de la minorité anglophone. L'action est observée dans les régions anglophones[16]. Le , plusieurs villes de ces régions notamment Bamenda et Buéa suivent un second appel à une journée ville fantôme lancé par le CSCAC[17].

Février 2017[modifier | modifier le code]

Le , deux manifestants sont tués et dix autres blessés à Ndop après que la police ait ouvert le feu sur une foule de 100 personnes qui sont descendus au commissariat de police pour exiger la libération des personnes arrêtées, soupçonnées d'avoir mis le feu à une école francophone[18].

Dans la nuit du 22 au , des heurts opposent des jeunes à des policiers à Mutengene à la suite de la mort d'un jeune homme de la ville, abattu par une patrouille du commissariat de sécurité publique[19].

Septembre 2017[modifier | modifier le code]

Rues de Buéa, lors d'un couvre-feu, le .

Le , des milliers de manifestants descendent dans les rues pour réclamer l'indépendance des régions anglophones de villages et de villes de ces régions[20]. À Buéa, des manifestants indépendantistes décrochent le drapeau du Cameroun devant un commissariat, sous le regard de policiers pour y hisser le drapeau de l'Ambazonie. Des jeunes se sont peint le visage en bleu et blanc, couleurs de l'indépendance anglophone, aux cris de « Nous voulons la liberté ». Environ huit personnes auraient été tuées[21].

Parallèlement, des milliers de manifestants indépendantistes, conduits par Lucas Ayaba Cho, Sisiku Julius Ayuk Tabe et Bobga Harmony, se rassemblent devant le siège de l'ONU, où s'exprime le président Paul Biya[22],[23],[24].

Octobre 2017[modifier | modifier le code]

Le , le Front uni du consortium Ambazonie-Cameroun méridional (FUCACM), un mouvement indépendantiste non violent, déclare symboliquement l'indépendance des régions anglophones, baptisées la république fédérale d'Ambazonie. Cette proclamation est suivie de manifestations pacifiques et de marches dans les rues et les villes de plusieurs de ces régions : Buéa, Bamenda, Kumba, Kumbo et Mamfé. Les manifestants brandissent des feuilles en symbole de liberté et entonnent des chants pour célébrer la déclaration d'indépendance[25].

En réponse, le gouvernement déploie les forces de sécurité dans les régions anglophones. Le 2 octobre, Amnesty International fait état de 17 personnes tuées par les forces de l'ordre lors des manifestations[26].

Répression[modifier | modifier le code]

Coupure d'Internet[modifier | modifier le code]

La coupure d’internet la plus longue sur le continent africain – 93 jours[27] – s'est produite dans les deux régions anglophones du Cameroun – le Nord-Ouest et le Sud-Ouest – du 19 janvier 2017 au 20 avril 2017.

C'est une conséquence des tensions entre le pouvoir central et sa minorité linguistique. Les start-up camerounaises installées dans la « Silicon Mountain » s’inquiètent de ses conséquences[28].

En réaction à la coupure d'Internet, les Camerounais se mobilisent sur les réseaux sociaux réclamant le retour d'Internet dans les régions affectées sous le #BringBackOurInternet repris notamment par Edward Snowden[29],[30].

Internet est rétabli dans les régions anglophones le 20 avril vers 17h GMT[31].

Arrestations et violences policières[modifier | modifier le code]

Véhicule des forces spéciales avec canon à eau d'une unité anti-émeutes de Bamenda à Bamenda en 2016 lors des manifestations.

Le gouvernement répond aux manifestations en déployant les forces de sécurité, qui multiplient les répresailles envers les manifestants, en particulier les avocats[32],[33].

En l'espace de deux semaines, plus de 100 manifestants auraient été arrêtés. Six d'entre eux auraient été tués. Des vidéos non confirmées, diffusées sur les réseaux sociaux, décrivent diverses scènes de violence, notamment des manifestants « exhibant le cadavre d'un manifestant, des barricades incendiées, et la police frappant brutalement les manifestants et tirant des gaz lacrymogènes contre la foule »[34],[2].

Felix Agbor Balla et Fontem Neba, deux membres du Consortium de la société civile anglophone du Cameroun sont arrêtés[35],[36].

Interdiction des mouvements d'oppositions[modifier | modifier le code]

Le gouvernement du Cameroun crée un comité ad hoc pour dialoguer avec les membres du Consortium de la société civile anglophone du Cameroun (CSCAC) dirigé par Tassang Wilfred à Bamenda du Consortium et le ministre Jacques Fame Ndongo en janvier 2017. La première réunion n'est pas fructueuse, car les membres du consortium exigent que le gouvernement libère toutes les personnes arrêtées avant tout dialogue ; d'autres cas d'arrestation continuent et sont condamnés par les membres du consortium dans le but de résoudre les problèmes anglophones. Ils présentent un projet de fédéralisme qui est condamné par le gouvernement, et le 17 janvier 2017, par un décret ministériel signé par le ministre René Sadi, le CSCAC et le Conseil national du Cameroun méridional (SCNC) sont interdits au Cameroun, et leurs activités sont qualifiées d'illégales et de contraires à la sécurité et à l'unité du Cameroun.

Réactions[modifier | modifier le code]

Nationale[modifier | modifier le code]

Dans son message annuel du Nouvel An adressé au pays, le président Paul Biya, évoque les manifestations et le problème anglophone (sans toutefois mentionner l'expression « problème anglophone »). Il déclare :

« Toutes les voix qui se sont exprimées ont été entendues. Elles ont, dans de nombreux cas, soulevé des questions de fond qui ne peuvent être négligées. J'ai enjoint le gouvernement à engager un dialogue franc avec les différentes parties concernées pour trouver des solutions appropriées aux questions soulevées. Je les exhorte à participer, sans aucun parti pris, aux différentes discussions. Cependant, nous ne devons jamais oublier que nous marchons sur les traces des pères fondateurs de notre pays, nos héros nationaux, qui ont versé leur sang pour léguer à la postérité une nation unie dans sa diversité. L'unité du Cameroun est donc un héritage précieux avec lequel personne ne doit prendre de libertés. Toute revendication, aussi pertinente soit-elle, perd sa légitimité dès lors qu'elle met en péril, même légèrement, la construction de l'unité nationale. Faut-il le répéter ? Le Cameroun est un et indivisible ! Il le restera[37] »

Internationales[modifier | modifier le code]

Plus de 13.000 Camerounais anglophones résidant dans le Maryland commencent à protester et appellent les institutions internationales à l'aide pour mettre fin aux arrestations et à la marginalisation par le Cameroun.

Le 27 juin, Anthony G. Brown, membre du Congrès américain, dépose une pétition auprès du Secrétaire d'État américain, Rex Tillerson, pour demander au gouvernement camerounais de prendre en compte immédiatement les enjeux de la crise et de réagir en vue de sa résolution[38]. Les États-Unis condamnent les pertes humaines et la brutalité constatée à l'encontre des manifestants.

Conséquence[modifier | modifier le code]

Création d'une Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme[modifier | modifier le code]

Le , le président Paul Biya décrète la création d'une Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme[39] et nomme Peter Mafany Musonge, membre anglophone du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti pouvoir et ancien Premier ministre à la tête de celle-ci[40].

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) « Cameroon: 'Coffin revolution' activists advocate for school resumption in Anglophone regions », sur Journal du Cameroun, (consulté le )
  2. a et b Radina Gigova CNN, « Rights groups call for probe into protesters' deaths in Cameroon », sur CNN, (consulté le )
  3. (en) AfricaNews, « Cameroon: Two reported killed during pro-Anglophone protests », sur Africanews, (consulté le )
  4. (en) Eyong Blaise Okie in Buea, « Cameroon urged to investigate deaths amid anglophone protests », sur the Guardian, (consulté le )
  5. (en) « Trial over Cameroon's Anglophone protests exposes national divide », Reuters,‎ (lire en ligne, consulté le )
  6. a et b « Cameroun : les avocats anglophones en grève », BBC News Afrique,‎ (lire en ligne, consulté le )
  7. AfricaNews, « Cameroun : les avocats anglophones observent une grève », sur Africanews, 2016-10-12cest19:06:41+02:00 (consulté le )
  8. « Anglophone Cameroon Common Law Lawyers Protest - Contra Nocendi International », sur web.archive.org, (consulté le )
  9. (en) « Cameroon teachers, lawyers strike in battle for English », sur Aljazeera (consulté le )
  10. (en) Radina Gigova, « Rights groups call for probe into protesters' deaths in Cameroon », sur CNN, (consulté le )
  11. « Des violentes manifestations ont éclaté à Bamenda au Cameroun », sur Voice of America, (consulté le )
  12. « Coups de matraque, humiliations : les étudiants de Buea réprimés pour avoir manifesté », sur Les Observateurs - France 24, (consulté le )
  13. (en-GB) Eyong Blaise Okie, « Cameroon urged to investigate deaths amid anglophone protests », The Guardian,‎ (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le )
  14. « Cameroun: affrontements meurtriers entre jeunes et policiers à Bamenda », sur RFI, (consulté le )
  15. Ouest-France, « Cameroun. La police tue quatre personnes lors d’une manifestation », sur Ouest-France.fr, (consulté le )
  16. « Cameroun: journée de mobilisation dans plusieurs villes anglophones », sur RFI, (consulté le )
  17. « Cameroun: opération ville morte dans les zones anglophones », sur RFI, (consulté le )
  18. (en) « Cameroon police kill two in protests in English-speaking northwest », Reuters,‎ (lire en ligne, consulté le )
  19. « Biya limoge un chef de la police dans la zone anglophone du Cameroun », sur VOA, (consulté le )
  20. « Cameroun : des morts en marge de manifestations pour l'indépendance de la minorité anglophone », France-Soir, .
  21. (en) Azad Essa, « Cameroon’s English-speakers call for independence », sur Aljazeera (consulté le ).
  22. (en) Deutsche Welle, « English speakers protest in Cameroon, demand equal rights amid calls for secession », sur DW (consulté le )
  23. (en) « Cameroon's French-English Divide Flares Up », sur VOA (consulté le )
  24. (en) « English speakers take to the streets in Cameroon », sur Yahoo (consulté le )
  25. (en) Azad Essa, « Cameroon’s English-speakers call for independence », sur www.aljazeera.com (consulté le )
  26. « Crise anglophone au Cameroun : au moins 17 morts », sur Europe 1, (consulté le )
  27. « Cameroon-Info.Net:: Cameroun - Coupure d’internet: Le bilan sera très lourd », sur archive.wikiwix.com (consulté le )
  28. « Cameroun : 1,3 million de dollars perdus depuis la coupure d’Internet en zone anglophone – Jeune Afrique », sur JeuneAfrique.com, (consulté le )
  29. « Tech 24 - "Bring back our Internet" : le hashtag de ralliement des Camerounais », sur France 24, (consulté le )
  30. (en) « This is the future of repression. If we do not fight it there, it will happen here. #KeepItOn #BringBackOurInternet http://voanews.com/a/cameroon-cut », sur Twitter (consulté le )
  31. « Cameroun : retour de l'internet dans les régions anglophones », BBC News Afrique,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  32. (en) StopBlaBlaCam, « Two Anglophone lawyers beaten up in Buea », sur Stopblablacam (consulté le )
  33. (en) Zuzeeko Abeng, « Brutalization of lawyers in Cameroon and the "Anglophone problem" », sur Personal Blog of Zuzeeko Abeng (consulté le )
  34. (en) « Bamenda protests: Mass arrests in Cameroon », BBC News,‎ (lire en ligne, consulté le )
  35. « Cameroun. Les arrestations et les interdictions imposées à la société civile risquent d'attiser les tensions dans les régions anglophones », sur Amnesty International, (consulté le )
  36. « The Government Just Banned SCNC and Consortium ‹ The Standard Tribune », sur web.archive.org, (consulté le )
  37. (en) Cameroonlatest.blogspot, « The Eye Newspaper: President Paul Biya's New Year Message to Cameroonians (Full Text of December 31, 2016 Speech) », sur The Eye Newspaper, (consulté le )
  38. (en) « Anglophone protests: More pressure from United States’ congress », sur Journal du Cameroun, (consulté le )
  39. « Décret no 2017/013 du 23 janvier 2017 portant création, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme », sur www.prc.cm (consulté le )
  40. « Cameroun : Paul Biya nomme Peter Mafany Musonge et Ama Tutu Muna à la Commission pour la promotion du bilinguisme – Jeune Afrique », sur JeuneAfrique.com (consulté le )