Manfred Stern

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Manfred Stern
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Manfred Zalmanovitch Stern (connu aussi sous les pseudonymes de Lazar Stern, Moishe Stern, Mark Zilbert et Emilio Kleber) (1896–1954) est un membre du GRU. Il agit en tant qu'agitateur politique en Allemagne, espion aux États-Unis, conseiller militaire en Chine et commandant des Brigades internationales pendant la guerre d'Espagne.

Parce qu'il était un meneur d'hommes aux capacités organisatrices et stratégiques indiscutables, il est enfermé au goulag en 1939, et y meurt en 1954.

Deux de ses douze frères ont été des personnalités communistes : Leo Stern (1897-1961), militaire, directeur de l'Institut d'Histoire militaire de Potsdam ; et Wolf Stern (1901-1983), historien et recteur de l'université Martin-Luther de Halle-Wittenberg de 1953 à 1959.

Il ne doit pas être confondu avec un mathématicien contemporain homonyme, spécialisé dans les domaines des treillis (ensemble ordonné).

Jeunesse[modifier | modifier le code]

Stern naît dans une famille juive à Woloka près de Czernowitz, en Bukovine, qui était alors une province de l'Empire austro-hongrois.

Il fait des études de médecine à l'université de Vienne[1].

Première Guerre mondiale, Extrême-Orient, Allemagne, Russie[modifier | modifier le code]

Durant la Première Guerre mondiale, il est incorporé dans le service de santé de l’armée austro-hongroise, Stern est fait prisonnier par les Russes et interné dans un camp de prisonniers de guerre en Sibérie.

Libéré lors de la révolution d'Octobre, il rejoint le parti bolchevique et l'Armée rouge[2]. Il commande une unité de partisans et combat contre l'armée blanche de Koltchak puis, en Mongolie, contre le seigneur de la guerre Roman von Ungern-Sternberg et son allié, le chef religieux Bogdo Khan. En 1920, il est blessé près de Tchita. En 1921, Stern est élu à l’assemblée constituante de l'éphémère République d'Extrême-Orient.

Devenu un spécialiste de la guérilla, il revient en Allemagne en 1923, sous le pseudonyme de Lazare Stern, et intègre le Militär-Politischen Apparat (« Section militaire et politique ») du Parti communiste allemand (KPD). Il instruit et consolide le KPD, travaille avec Albert Schreiner, le chef du KPD pour le nord-ouest de l'Allemagne.

Quand Trotsky pense que le moment est venu de déclencher des troubles en Allemagne afin de « tester à la pointe de l'épée » la République de Weimar, c'est Manfred Stern qui conseille de choisir Hambourg[réf. souhaitée]. Heinrich Brandler, le chef du KPD, juge l'insurrection prématurée[3], alors que Ernst Thälmann la préconise ; Hugo Urbahns and Hans Kippenberger, chefs de la cellule de Hambourg, lancent alors le mouvement et les émeutes débutent le dans la ville. L'insurrection de Hambourg est violemment réprimée et entraîne une réaction de peur anti-bolchevique en Allemagne.

Stern retourne à Moscou (la Guerre civile russe (1917-1923) est terminée) et suit les cours de l'Académie militaire Frounzé. Sous le pseudonyme de Fred, il écrit de nombreux articles dans la Pravda et les Izvestia. Diplômé en 1924, il rejoint Walter Krivitsky au 4e Bureau de l'Armée Rouge (le GRU). Il est membre du Komintern et chargé de cours dans ses écoles militaires.

Espion aux États-Unis[modifier | modifier le code]

En 1929, sous le pseudonyme de Mark Zilbert, Stern est le chef d’un réseau d’espionnage basé à New York. Il se spécialise dans le vol de plans et projets militaires, comme celui d’un nouveau tank américain.

Le réseau a pour QG l’appartement de Paula Levine (qui sera plus tard espionne soviétique à Paris), West 57th Street ; les documents volés sont microfilmés dans le studio-photo de Leon Minster (le beau-frère de Viatcheslav Molotov), situé Gay Street, à Greenwich Village. Les micro-films sont ensuite transportés vers l’Europe par des marins allemands sympathisants.

Les rouages de l’organisation finissent cependant par se gripper : une source a averti les services secrets américains et le réseau Stern ne transmettra par la suite que de faux renseignements.

Stern part en Chine, et l'espion Alexander Ulanovsky et sa femme arrivent aux États-Unis pour reprendre l'organisation en main.

En Chine[modifier | modifier le code]

En 1932, Stern quitte New York pour Shanghai : il est le conseiller militaire du Komintern auprès de la jeune République soviétique chinoise de Mao Zedong. Les activités de Stern pendant cette période chaotique restent mystérieuses. Dans un de ses rapports au Komintern de Moscou, il affirme vouloir créer une alliance entre l’Armée rouge chinoise et une armée nationaliste rebelle qui avait pris le contrôle de la province de Fujian. Dans les faits, cette alliance n’eut pas lieu, et l’Armée nationale révolutionnaire, commandée par Chiang Kai-shek encercla l’armée rouge chinoise, forçant Mao Zedong à abandonner Jiangxi et à commencer la Longue Marche.

Stern revient à Moscou en 1935 et travaille quelque temps pour Otto Kuusinen au secrétariat du Comité exécutif du Komintern.

Pendant la guerre d'Espagne[modifier | modifier le code]

Stern arrive en Espagne en septembre 1936[4]. Il se fait passer pour un officier de l’intendance, un Canadien né en Autriche, et se fait appeler Emilio Kleber (Kleber d’après le général de la révolution française Jean-Baptiste Kléber). En fait il commande les Brigades internationales.

Au début du siège de Madrid (), Kleber défend la capitale de la Seconde République espagnole et résiste à la poussée des troupes de Franco, alors que le gouvernement de Francisco Largo Caballero, pensant Madrid perdue, part pour Valence. Sur le front de la Casa de Campo, dans les bâtiments neufs de la Cité Universitaire et sur le Manzanares, les brigadistes allemands, français et polonais de la XIe BI (avec les Allemands, Français et Italiens de la XIIe BI, général Lukács) arrêtent les nationalistes de Franco (Légion étrangère espagnole et regulares marocains). Les brigadistes perdent près de la moitié de leurs effectifs mais Franco est arrêté et le front de Madrid ne bouge plus pendant 3 ans.

Ces événements sont mis en avant par les services soviétiques pour fabriquer une large popularité à Kleber. La presse étrangère, omniprésente en Espagne pendant le conflit, présente alors Kleber comme « le sauveur de Madrid », celui qui a infligé une sévère défaite au fascisme. Ainsi Herbert Matthews, le correspondant de The New York Times écrit, dans un article sur le « général Kléber » : « il dégage une impression de force, de grand dynamisme. On peut s’attendre à le voir jouer un grand rôle dans la période troublée qui nous attend. Quand on pense à lui, on ne peut s’empêcher de souligner cette coïncidence : Hitler n’est pas le seul homme né en Autriche à jouer un rôle important dans la guerre civile espagnole »[5].

Cette popularité auprès des médias occidentaux signe la perte de Stern. Elle irrite la vanité d'André Marty[6]. Kléber est affecté à l’arrière, et on ne lui confia à nouveau un commandement (celui de la 45.ª División del Ejército Popular de la República, une division récemment créée) que pour quelques batailles, qui seront des défaites. Ainsi, au cours de l'été 1937, l'offensive de Huesca après la mort, le , du général Lukács[7], la bataille de Brunete (où la 45e Division de Kleber est gardée en réserve), l'offensive de Saragosse et la bataille de Belchite. Ces commandements sporadiques s'avérèrent naturellement inefficaces, et la popularité de Kléber chuta, d'autant plus qu'à Belchite il avait déclaré que « la 119e Brigade Mixte ne servait à rien »[8]. Par ailleurs, alors que les officiers de l'Armée Rouge et les commissaires politiques accusaient Stern de vouloir passer pour une gloire militaire auprès des occidentaux, Stern déclarait qu'eux envoyaient les soldats à l'assaut de positions imprenables, et causaient un grand nombre de pertes inutiles.

Ayant été arrêté à quelques kilomètres de Saragosse par la résistance acharnée des nationalistes, Kléber est relevé de son commandement à la tête de la 45.ª División del Ejército Popular de la República : il est remplacé, début octobre 37, par l’Allemand Hans Kahle[9], puis est réduit aux fonctions d'agent de liaison du Komintern auprès du gouvernement républicain espagnol. Marty finalement obtient son renvoi en URSS.

Fin[modifier | modifier le code]

En , Kléber est rappelé à Moscou. Alexandre Orlov, le chef du NKVD en Espagne, savait que « rappel à Moscou » signifiait « la mort » : Staline et les bourreaux de Iejov puis de Beria s’employaient alors à la Grande Purge. Orlov proposa d’employer Stern comme membre du NKVD.

En attendant les ordres de Moscou, Stern séjourna avec sa maîtresse dans une fermette entourée d’orangers. Un ordre de Vorochilov arriva : la mutation de Stern au NKVD était refusée, il devait revenir à Moscou.

Arrêté, torturé, Stern avoue avoir été un agent anti-révolutionnaire, avoir saboté l'action de Ernst Thälmann en Allemagne et le mouvement républicain en Espagne, et être trotskyste[10]. En un tribunal militaire le condamne à 15 ans de travaux forcés. Il entre au Goulag de la région de la Kolyma[11].

En 1945, Stern et huit de ses codétenus sont condamnés à 10 ans de travaux forcés supplémentaires pour avoir dit que les dirigeants du parti s'éloignaient de la ligne marxiste-léniniste. Stern est alors transféré dans le grand nord sibérien.

Stern meurt d'émaciation dans un camp (Ozerlag, camp spécial no 7) à Sosnovka[12] le .

Timide réhabilitation[modifier | modifier le code]

Peter Weiss a écrit : « Nous ne demandons pas pourquoi la mémoire du général Kléber, autrichien ou allemand, héros de nombreuses batailles, n'est pas rappelée, et a disparu comme s'il n'avait jamais existé… »[13].

En 1968, paraissent les mémoires du maréchal Kirill Meretskov : il rend hommage à l'action du général Kleber à la tête de la XIe Brigade Internationale pendant le siège de Madrid.

L'Académie des Sciences de l'URSS s'est associée à l'Union des anciens combattants soviétiques pour publier en 1975 un mémoire sur l'action des combattants soviétiques pendant la guerre d'Espagne, et le rôle essentiel du général Kleber à Madrid pendant l'automne 1936 est bien souligné.

Leo Stern, recteur de l'université Martin-Luther de Halle-Wittenberg de 1953 à 1959, a fait beaucoup pour la réhabilitation de son frère, mais ses tentatives sont restées discrètes. Le , il écrit à Dolores Ibárruri, pour la remercier d'avoir mentionné le général Kleber dans son livre de souvenirs. En 1966, Leo Stern a écrit à M. I. Brofman pour le remercier d'avoir cité le rôle de son frère Manfred dans son livre sur l’Histoire du mouvement ouvrier allemand.

En RDA, une école de Halle a reçu le le nom de Manfred Stern, et Leo Stern protesta par écrit auprès du directeur de l'école : il n'y avait eu aucune cérémonie officielle.

Kleber vu par Ernest Hemingway[modifier | modifier le code]

Dans Pour qui sonne le glas, Hemingway avance que c'est le généralissime républicain José Miaja, qui, jaloux de la notoriété de Kleber, l'a fait limoger :

« Kleber, Lucasz (General Lukács) et Hans (Hans Kahle) avaient chacun bien fait leur part du boulot lors de la défense de Madrid et alors ce vieux chauve […] salué comme défenseur de Madrid par la propagande, ce Miaja, avait été si jaloux de la publicité faite autour de Kleber qu'il avait forcé la main aux Russes : ils avaient ôté son commandement à Kleber et l'avaient envoyé à Valencia. Kleber était un bon soldat, mais limité, et il parlait vraiment beaucoup trop pour quelqu'un qui fait ce genre de travail[14]. »

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. La Bibliothèque nationale allemande conserve une publication d'un certain Manfred Stern sur l'otite moyenne chronique : Die Otitis media chronica in den Jahren 1911-1921, an der Univ.-Ohrenkl. Frankfurt a. M. Stern, Manfred. - München : Bergmann & Springer, 1926. (https://portal.dnb.de/opac.htm;jsessionid=F86BBBB92C2A23475E67A898429DF253.prod-worker5?method=showFullRecord&currentResultId=Woe%3D122254481%26any&currentPosition=2)
  2. Krebs et Schneilin, Exil et résistance au national socialisme, p. 234 (https://books.google.fr/books?id=uB4QlwalgtwC&pg=PA234&dq=Manfred+Stern&hl=fr&ei=SenWT4uHH8nB8gO8nLSBAw&sa=X&oi=book_result&ct=book-thumbnail&redir_esc=y#v=onepage&q=Manfred%20Stern&f)
  3. Stadtteilkollektiv Rotes Winterhude (2003), p. 4
  4. « dans les fourgons de l'ambassadeur soviétique Rosemberg » selon Le Siècle des communismes de Michel Dreyfus, p. 444 (voir Bibliographie)
  5. « one gets the impression of great dynamic force. He is a character possibly destined to play a great part in the troubled years which face the world… In thinking about him it is hard not to ponder on the ironical fact that Hitler is not the only native of Austria who is playing a great part in the Spanish civil war. » In New York Times, December 12, 1936, Herbert L. Matthews Canadian Leader Praises Spaniards; Kleber, Heading Government Column, Credits Militia With Halting Franco. Sees Tide of War Turning He Expects Germany and Italy Will Withdraw Support if Rebels Fail at Madrid.(« Un chef Canadien rend hommage aux Espagnols : Kleber, commandant d'une colonne gouvernementale, attribue à la milice l'honneur d'avoir arrêté Franco. Il voit là un tournant dans la guerre ; il pense qu'Italie et Allemagne vont se retirer si les rebelles échouent à Madrid »). http://select.nytimes.com/gst/abstract.html?res=FB0D11FC3959167B93C1A81789D95F428385F9
  6. Sygmunt Stein, Ma Guerre d'Espagne, 1956, Paris, Éditions du Seuil, 2012, postface de Jean-Jacques Marie, p.264
  7. Après la mort à Huesca, le 11 juin 1937, du General Lukács, c'est Kléber qui est rappelé en urgence de Valence pour prendre le commandement de la 45e Division, juste avant l'offensive de Huesca, qui échoue faute de préparation et de coordination
  8. Engel, Carlos, Historia de las Brigadas Mixtas del Ejército Popular de la República, 1999, p. 156. 84-922644-7-0
  9. voir l'article de WP es "45.ª División del Ejército Popular de la República"
  10. Michel Dreyfus écrit dans Le Siècle des communismes (voir « Bibliographie »), p. 448. : Le sort réservé aux Russes — et à des non Russes — partis en Espagne à leur retour à Moscou est connu : exécutés par fournées de 100, ou déportés au Goulag comme Kleber. Leur sort était probablement scellé avant leur départ : pour eux l'Espagne n'avait représenté qu'un sursis.
  11. selon Gerhard Oberkofler (voir « Sources »), Stern aurait séjourné « aux camps de Magadan (Chaborowsk) et Taïchet »
  12. il y a des dizaines de localités nommées Sosnovka en ex-URSS, en particulier dans les régions de l'Altaï, de l'Amour etc.)
  13. (de) Gerhard Oberkofler, Die Wahl von Leo Stern in die Deutsche Akademie der Wissenschaften, 1955
  14. in Pour qui sonne le glas, milieu du chapitre 18 : « Kleber, Lucasz and Hans had done a fine job of their share in the defence of Madrid with the International Brigades and then the old bald […] propaganda built-up defender of Madrid, Miaja, had been so jealous of the publicity Kleber received that he had forced the Russians to relieve Kleber of his command and send him to Valencia. Kleber was a good soldier; but limited and he did talk too much for the job he had. » Le manque de discrétion a été aussi avancé comme cause de la « disparition » de José Robles Pazos, et les contacts trop étroits avec les Occidentaux en Espagne ont servi de prétexte aux tribunaux militaires de Moscou pour éliminer Mikhaïl Koltsov et de nombreux autres militants

Sources[modifier | modifier le code]

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]