Loi du 16 août 1887 sur le paiement des salaires

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La loi du 16 août 1887 sur le paiement des salaires est une loi belge publiée le 21 octobre 1887 au Moniteur belge. Elle est entrée en vigueur le 31 décembre 1887[1]. Cette loi tend à «organiser la rémunération du travail en imposant des modalités strictes pour le paiement du salaire»[2], notamment en mettant fin aux abus du truck-system[3].

Première page du Moniteur belge

Contexte historique[modifier | modifier le code]

La Belgique est, au XIXe siècle, un pays capitaliste et industrialisé. Depuis la révolution industrielle, la classe ouvrière est confrontée à des conditions de vie et de travail déplorables. Les salaires versés aux ouvriers sont insuffisants pour répondre aux besoins élémentaires des ménages, le travail des enfants est très répandu, les ouvriers travaillent parfois 15 heures par jour sans aucun temps libre, ils travaillent le dimanche et la nourriture est peu abondante et de qualité inférieure[4].

Le paiement des salaires des ouvriers est contrôlé par le «truck-system». Le «truck-system» permet au patron de payer l’ouvrier soit en nature, soit en espèces. C’est donc un mécanisme permettant aux patrons d’avoir une mainmise sur la rémunération des ouvriers. Si l’ouvrier reçoit son salaire en espèces, il est contraint de dépenser cet argent dans un établissement appartenant au patron ou à son entourage. Ces établissements réalisaient des bénéfices considérables, car les marchandises étaient vendus à des prix plus élevés que ceux proposés sur le marché, alors qu'elles étaient de qualité inférieure. Si l’ouvrier n’achetait pas la marchandise dans ces établissements, il pouvait recevoir une amende, voire être renvoyé. Lorsque l’ouvrier est payé en nature, cela l’empêche de connaître la valeur réelle de sa journée de travail. C’est le propriétaire qui décide de la marchandise qui fera l'objet d'un paiement. Le propriétaire pouvait donc, d’un mois à l’autre, diminuer le salaire de l’ouvrier sans qu’il s’en rende compte, en lui donnant, en guise de paiement, une marchandise qui valait moins. Par exemple, le patron pouvait payer avec des produits avariés. En revanche, si le paiement des salaires est effectué en monnaie légale, le travailleur remarquera que son salaire aura diminué d'un mois à l'autre[5].

Dans les années 1870-80, la Belgique est marquée par une crise économique aggravant la situation sociale des ouvriers. Le patronat prend donc des mesures radicales : restriction de la main d’œuvre, diminution des salaires, etc[6].

Au 19e siècle, dans le contexte d'un État libéral, la Belgique intervient très peu pour réglementer les relations entre les patrons et les travailleurs. Le Code civil belge est très peu détaillé à ce sujet et impose au travailleur une position juridique inégale vis-à-vis de son patron. Les patrons avaient le pouvoir de décider unilatéralement des salaires, des conditions de travail et des heures de travail des travailleurs. Les travailleurs, en revanche, étaient libres d'accepter ou de refuser de travailler dans ces conditions. En cas de conflit, la parole du patron l'emportait sur celle de l'ouvrier.  Le patron profitait de l'inexpérience des travailleurs, leur imposant des conditions salariales défavorables. Le patron profitait également de la misère de l’époque en faisant conclure des contrats de travail à titre onéreux et, étant donné qu’il y avait peu d’emploi sur le marché par rapport à la demande de travail, les ouvriers acceptaient ces contrats de travail à titre onéreux. À la suite de cette situation, les ouvriers vont dénoncer la façon dont ils sont payés ainsi que leurs conditions de travail. Ils vont critiquer le «truck-system» devant les commissions du travail, où ils ne sont d’ailleurs pas représentés[7].

En 1886, une prise de conscience collective de la condition ouvrière émerge, débouchant sur des actions de grève très violentes lors du quinzième anniversaire de la Commune de Paris, causant la mort de 28 personnes. Au cours de ces émeutes, les travailleurs ont manifesté leur détermination à obtenir de meilleures conditions de travail ainsi que la suppression du mécanisme du « truck-system ». Le 9 novembre 1886, dans son discours du trône, le roi Léopold II reconnaît le problème et annonce un important programme de réforme. C'est la pression de ces événements qui va contraindre le législateur à se pencher sur la question. Il y aura donc une mise en place de législations sociales sur les conditions de travail des ouvriers[8].

Élaboration de la loi[modifier | modifier le code]

À la suite des émeutes ouvrières de 1886, le gouvernement Beenaert (catholique homogène) crée, le 15 avril 1886, une Commission du travail chargée d'enquêter sur la situation des ouvriers et de prendre une série de mesures sociales pour améliorer les conditions matérielles et morales des ouvriers. Ces enquêtes étaient menées oralement ou sous la forme de rapports écrits. La commission ne comptait presque aucun ouvrier ou chef d’entreprise et était composée essentiellement de parlementaires et de spécialistes[9].

Le Gouvernement de l’époque se base sur les résultats des travaux de la commission pour démarrer le processus législatif. Dès 1887, les premières lois sociales sont votées, elles sont au nombre de trois : la loi du 16 août 1887 organisant des Conseils de l’Industrie et du Travail, la loi du 16 août 1887 sur le paiement de salaires mettant fin à la pratique du «truck-system» et la loi du 18 août 1887 sur l’insaisissabilité et l’incessibilité des salaires des ouvriers[10].

La  loi du 16 aout 1887 sur le paiement des salaires a été adoptée à la Chambre par une majorité de 81 voix pour, 16 contre et 18 abstentions[11].

Contenu[modifier | modifier le code]

La loi du 16 août 1887 met en place une série de « mesures protectrices des salaires des ouvriers »[12]énumérées principalement aux articles 1 à 6 de celle-ci. Dans l’article 1, la loi dispose que la rémunération des ouvriers doit être payée uniquement en monnaie métallique et prévoit désormais que tout autre moyen de paiement ne sera plus acceptable. L’article 2 prévoit que le patron est autorisé à effectuer des retenues sur le salaire de l’ouvrier. En effet, l’alinéa 1re de ce même article prévoit que des frais de logement peuvent être déduits du salaire. Les alinéas 3, 4 et 5 autorisent également le patron à effectuer des retenues sur le salaire des ouvriers lorsqu’il fournit « les instruments et les matériaux indispensables au travail, ainsi que l’uniforme de travail de l’ouvrier » sans dépasser le prix de revient. Cela signifie que « le patron ne peut faire aucun bénéfice sur les objets qu’il fournit à ses ouvriers en paiement du salaire ». L’article 3 autorise également de déroger au principe visé à l’article 1 en permettant au patron d’imposer sur le salaire les denrées, les vêtements etc. L’article 4 interdit le paiement des salaires dans les cabarets ou débits de boissons, dans les magasins, etc. Enfin l’article 6 rappelle, qu’outre les cas énumérés à l’article 2, le patron ne peut pas empêcher l’ouvrier de disposer de son salaire[13].

Conséquence de la loi[modifier | modifier le code]

À la suite de l’adoption de cette loi, les ouvriers peuvent avoir une idée de la valeur de leur travail, étant donné qu’elle supprime cette pratique du «truck-system». La loi met également en place des exceptions, concernant le paiement en espèces, qui sont favorables à l’ouvrier. Par exemple, elle permet au patron, dans son article 2, 1°, d’imputer sur le salaire la fourniture d’un logement. Cette exception a un objectif : en mettant à disposition de l’ouvrier un toit, cela permet de l’éloigner des cabarets et de rester auprès de sa famille. L’exception formulée à l’article 3 est aussi favorable à l’ouvrier puisqu'elle ne court qu’à condition que l’imputation ne dépasse pas le prix de revient. L’ouvrier profite donc des fluctuations avantageuses sur le prix des denrées. Il faut aussi l’autorisation préalable des conseils de l’industrie et du travail, dont les membres sont élus au suffrage universel par les ouvriers. L’autorisation de ces conseils peut être toutefois contestée afin d’éviter la fraude. Enfin, le fait d’interdire le paiement des salaires dans des cabarets ou des débits de boissons permet de lutter contre l’alcoolisme. L’ouvrier ne sera donc plus tenté de dilapider son salaire dans l’alcool[14].

Critique[modifier | modifier le code]

La loi du 16 août 1887 contient de nombreuses exceptions permettant aux patrons de continuer à faire des retenues sur le salaire des ouvriers, ce qui empêche ces derniers de disposer librement de l'intégralité de leur rémunération. Ensuite, bien que les patrons ne puissent plus obliger les ouvriers à acheter des produits dans les établissements gérés par eux, les ouvriers restent moralement contraints de se rendre dans ces établissements pour s'approvisionner[15]. De plus, cette loi ne s’applique pas à tous les travailleurs, mais uniquement aux ouvriers qui travaillent «à la façon, à la pièce ou à l’entreprise»[16]. Elle ne vise donc pas «les ouvriers agricoles, ni les domestiques, ni d’une manière général, les ouvriers logés et nourris chez leurs patrons»[17].

Enfin, la Commission du travail, qui a mené des enquêtes sur les conditions du travail des ouvriers, s’est chargée de rédiger le projet de la loi du 16 août 1887. Cependant, les principaux intéressés par cette loi, à savoir les ouvriers et les chefs d'entreprise, n'étaient pas représentés au sein de cette même commission[18].

Références[modifier | modifier le code]

  1. M. FÉRAUD-GIRAUD et al., Revue de la législation des mines, minières, usines métallurgique, carrières et sources d’eaux minérales, E. Delacroix (dir.), Bruxelles, C. Muquardt, 1887, p. 291.
  2. J-P. NANDRIN, Hommes et normes : Enjeux et débats du métier d’un historien, Bruxelles, Presse de l’Université Saint-Louis, 2016, p. 250.
  3. J-P. NANDRIN, ibidem, p. 250.
  4. L. DENYS, « L’enquête de 1886 en Belgique : un système capitaliste dépourvu de restrictions légales », Revue du Nord, 1974, tome 56, p. 433 à 435.
  5. J-P. NANDRIN, op. cit., p. 253 ; P. VAN NEROM, Les lois ouvrières et sociales en Belgique, Bruxelles, Bruyant-Christophe, 1890, p. 109 à 110 ; X., « Histoire du salaire », L’infos, 2015, p. 3 ; A. DEGROS, « Les actions en paiement de l'employeur contre le travailleur »,  La protection de la rémunération, A. Degros (dir), Waterloo, Kluwer, 2016, p. 77.
  6. L. DENYS, op. cit.,  p. 433 ;  J-P. NANDRIN, op. cit., p. 249.
  7. L. DENYS, op. cit., p. 251.
  8. G. COX,  « Le règlement des conflits collectifs de travail en droit belge », Conciliation, médiation et arbitrage, M.RIGAUX, P.HUMBLET (dir.), 1e éd.,  Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 92.
  9. NANDRIN, J-P., op.cit. p. 250.
  10. Ibidem.
  11. [1] J-P. NANDRIN, op. cit., p. 257.
  12. H. VELGE, « Le Mouvement social en 1934 », Bulletin de l'Institut des Sciences Économiques, 1935, p. 91.
  13. M. DE RAMAIX, La question sociale en Belgique et le Congo, Bruxelles, J. Lelègue, 1891, p. 21 ; X., Petit manuel des conseils de prud’hommes et des conseils de l’industrie & du travail, Bruxelles, Librairie centrale des communes, 1890, p. 50 à 53. ; P. VAN NEROM, Les lois ouvrières et sociales en Belgique, Bruxelles, Bruyant-Christophe, 1890, p. 115 ; D. YSEULT, « Section 39. - 1886 : Le choc social : vers les aménagements de la puissance du droit de propriété dans l’entreprise », L'État et la propriété, 1re éd, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 379 ; Projet de loi concernant la protection de la rémunération des travailleurs, exposé des motifs, Doc., Parl. Rég. Brux. - Cap., 1962-1963, n°1, p. 92 ; M. HALLET, « Loi sur le paiement des salaires », Journal le peuple, Bruxelles, 1899, p. 4.
  14. P. VAN NEROM, op. cit., p. 113 à 124.
  15. M.HALLET, « Loi sur le paiement des salaires », Journal Le peuple, Bruxelles, 1899, p. 1 à 6 ; J. LOMBAERT, « La réglementation du paiement des salaires des ouvriers », Travail et Droit, 20 août 1936, p. 25 à 26.
  16. [1] M.HALLET, « Loi sur le paiement des salaires », Journal Le peuple, Bruxelles, 1899, p. 2.
  17. Ibidem, p. 19.
  18. J-P. NANDRIN, « Hommes et normes : Enjeux et débats du métier d’un historien », Bruxelles, Presse de l’Université Saint-Louis, 2016, p.253.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • BETTENS, L., «Loi instituant les élections sociales a 60 ans. Retour sur une étape essentielle de la mise en place de la concertation sociale en Belgique», Les analyses de l’IHOES, 2008.
  • COX, G., «Le règlement des conflits collectifs de travail en droit belge», Conciliation, médiation et arbitrage, M.RIGAUX, P.HUMBLET (dir.), 1e éd.,  Bruxelles, Bruylant, 2011DENYS, L., «L’enquête de 1886 en Belgique: un système capitaliste dépourvu de restrictions légales», Revue du Nord, 1974, tome 56.
  • DE RAMAIX, M., «La question sociale en Belgique et le Congo», Bruxelles, J. Lelègue, 1891.
  • FÉRAUD-GIRAUD, M. et al., «Revue de la législation des mines, minières, usines métallurgique, carrières et sources d’eaux minérales», E. Delacroix (dir.), Bruxelles, C. Muquardt, 1887.
  • HALLET, M.,«Loi sur le paiement des salaires», Journal le peuple, Bruxelles, 1899.
  • LOMBAERT, J., «La réglementation du paiement des salaires des ouvriers», Travail et Droit, 20 août 1936.
  • NANDRIN, J-P.,Hommes et normes: Enjeux et débats du métier d’un historien, Bruxelles, Presse de l’Université Saint-Louis, 2016.
  • VAN NEROM, P., Les lois ouvrières et sociales en Belgique, Bruxelles, Bruyant-Christophe, 1890.
  • VELGE, H., «Le Mouvement social en 1934», Bulletin de l'Institut des Sciences Économiques, 1935.
  • YSEULT, D.,«Section 39. - 1886 Le choc social: vers les aménagements de la puissance du droit de propriété dans l’entreprise», L'État et la propriété, 1re éd, Bruxelles, Bruylant, 2013.
  • Projet de loi concernant la protection de la rémunération des travailleurs, exposé des motifs, Doc., Parl. Rég. Brux. - Cap., 1962-1963, n°1.