Lettre de rémission

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Une lettre de rémission est un document codifié, octroyé par le prince et scellé par la chancellerie, qui permet d’arrêter toute procédure judiciaire à l’encontre d’un justiciable qui a commis un crime ou un délit, au moyen d'une lettre patente.

La rémission est un acte de pardon, de grâce ou d'indulgence, accordé par le roi. La rémission décharge le coupable de la peine qu'il avait encourue. Ce n'est pas une amnistie. Le délit existe toujours, mais il est interdit d'y faire référence, d'exiger une réparation ou autre.

La rémission est différente de la grâce, qui elle, intervient après la condamnation[1]

Les origines latines du mot renvoient à remissionem, remissus, remittere qui signifient « remettre ».

Historique[modifier | modifier le code]

Lettre de rémission concernant Yves Alain Barbier de Liscoët après la Conspiration de Pontcallec (1721).

Les lettres de rémissions naissent et se développent au XIVe siècle, parallèlement à l’évolution de l’idée monarchique. Dès le départ, ces lettres de rémission ne concernent que les cas d’homicides involontaires, par exemple les accidents qui ont lieu à l’occasion de tournois sportifs ou encore les hypothèses de légitime défense. À cette époque, les juges n’ont pas à tenir compte des circonstances particulières d’un homicide puisque la seule peine prévue est la peine de mort[2]. Jusqu’au XVIIe siècle, dans les coutumes, pour l’homicide avec ou sans intention le juge est obligé de prononcer la peine de mort. Le seul moyen pour le condamné d’échapper à cette peine de mort est alors de bénéficier d’une lettre de rémission du Roi.

Contenu de la lettre[modifier | modifier le code]

Formellement la demande de lettre de rémission était effectuée par le prévenu, mais dans la pratique c’était des professionnels du droit qui rédigeaient ces lettres. La requête était ensuite envoyée au maître des requêtes de la chancellerie et étudiée par le conseil (ducal par exemple dans le cas d’une lettre de rémission demandée au Duc de Bourgogne)[3]. La lettre suspendait la procédure. Plus généralement, le Roi accordait très souvent la rémission moyennant le paiement de frais de justice, d’une réparation à la famille de la victime et d’une amende payée au Roi. C’était les petites chancelleries, installées dans chaque province, ou bailliage, du Royaume, qui accordaient les lettres au nom du Roi et qui récoltaient l’argent.

Jusqu’au premier quart du XIVe siècle les lettres de rémissions sont écrites en latin[4]. Dans les périodes suivantes, on alternera entre des prédominances de français et de latin. On constate d’ailleurs que les lettres écrites en français sont beaucoup plus longues que celles écrites en latin[4]. Les lettres de rémissions reprenaient dans leur texte la requête du prévenu qui exposait en détail tous les faits de la cause. Le requérant exposait les faits de la manière la plus propre à justifier la rémission ; il faut préciser qu’à cette époque les suppliants sont majoritairement analphabètes et donc la personne qui rapportait les faits, technicien, notaire ou écrivain public, éludait les aspects défavorables au suppliant[1]. Les lettres de rémission devaient d’abord être entérinées par la juridiction pénalement compétente qui vérifiait l’exactitude des faits allégués[5], sous peine de déboutement[6].

Au XVe siècle, l’octroi de la rémission devient une prérogative du pouvoir souverain. Le Roi accorde la rémission « selon son plaisir » et n’a pas à fournir de justifications[7]. À partir de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, il appartient aux « petites chancelleries » établies auprès des parlements de délivrer les lettres de rémission. La rémission va être réglementée en 1541 par la Charles Quint qui estime que son octroi est trop aisé. À la suite de cela, un édit de 1572 vient prévoir une condition particulière pour les lettres de rémission demandées par les nobles et les officiers du roi. Pour éviter tout jeu de pouvoir et de faveurs, ceux-ci devront faire entériner la rémission au Parlement dans le ressort duquel le crime a été commis, et non plus au bailliage[8]. Malgré leur critique par une partie de la doctrine, les lettres de rémission seront maintenues par l’ordonnance criminelle de 1670 (Titre XVI).

Jusqu’au XVIe siècle on ne fait pas de distinction précise entre les termes de lettre de grâce, de pardon ou de rémission.

Interprétation[modifier | modifier le code]

Les lettres de rémission sont le symbole d’une relation forte entre le prince et ses sujets. On voit à ce titre que plus les requérants étaient proches du roi plus les cas de rémission étaient nombreux. Par exemple, on voit qu’une visite du roi dans une province suscitait toujours une élévation marquée du nombre de rémissions[9].

L’utilisation de la rémission illustre également la place du souverain dans le système judiciaire. En effet ces lettres émanent de la justice retenue du Roi et permettent d’interrompre le cours ordinaire de la justice déléguée[6].

On retrouve la trace des lettres de rémission dans les registres qui contiennent la transcription des actes émanés du Roi qui étaient retranscrits par la chancellerie royale au fur et à mesure de leur expédition aux destinataires[4]. Ces lettres ont un intérêt historique à ne pas sous-estimer puisque du fait qu’elles soient rédigées et conservées dans des registres, elles offrent un panorama de la criminalité de l’époque. Elles peuvent concerner toutes les classes de la population et toutes les régions[8].

Sources primaires[modifier | modifier le code]

  • André Joubert, Liste et analyse sommaire de vingt-six lettres de rémission accordées par les rois de France à des habitants des châtellenies de Château-Gontier et de Craon (XIVe – XVIe siècle), Laval, Imprimerie de L. Moreau, 1891, 19 p., [lire en ligne].
  • Pierre Pégeot, Odile Derniame, Madeleine Hénin (éd.), Les lettres de rémission du duc de Lorraine René II (1473-1508), Turnhout : Brepols, Collection : ARTeM / Atelier de recherche sur les textes médiévaux ; 17, 2013, 555 p., (ISBN 9782503548326)
  • Michel Nassiet (éd.), Les lettres de pardon du voyage de Charles IX (1565-1566), Paris : Société de l'histoire de France, Collection : Société de l'histoire de France ; 539, 2010, XLIII-718 p., (ISBN 978-2-35407-132-5)
  • Augustin Chassaing, « Lettres de rémission relatives à la Haute-Loire, du XIVe siècle au XVIe siècle », Tablettes historiques de la Haute-Loire, Le Puy-en-Velay, Tablettes historiques de la Haute-Loire,‎ , p. 28-32 (lire en ligne).

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Collectif, La Faute, la répression et le pardon : actes du 107e Congrès national des sociétés savantes, Brest, 1982, Section de philologie et d'histoire jusqu'à 1610, vol. 1, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS), 1984, 476 p., (ISBN 2-7355-0045-4).
  • Frédéric, "La lettre de rémission entre source directe et source indirecte [...]" : les lettres de clémence de Grande Chancellerie au XVIIIe siècle, Paris, Presses de l'université Paris-Sorbonne (PUPS), coll. « Roland Mousnier » (no 52), , 964 p. (ISBN 978-2-84050-781-9, présentation en ligne), p. 21-..
  • Natalie Zemon Davis (trad. de l'anglais par Christian Cler), Pour sauver sa vie : les récits de pardon au XVIe siècle [« Fiction in the Archives : Pardon Tales and their Tellers in Sixteenth-Century France »], Paris, Éditions du Seuil, coll. « L'Univers historique », , 279 p. (ISBN 2-02-010108-4, présentation en ligne).
  • Jacques Foviaux, La rémission des peines et des condamnations : droit monarchique et droit moderne, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Travaux et recherches de la Faculté de droit et des sciences économiques de Paris ». Série Sciences criminelles ; 2, 1970, 191 p.
  • Claude Gauvard, « De Grace especial » : crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, vol. 1 & 2, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Histoire ancienne et médiévale » (no 24), , LXXXV-1025 p. (ISBN 2-85944-209-X, présentation en ligne), [présentation en ligne].
    Reproduction en fac-similé : Claude Gauvard, « De Grace especial » : crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Les classiques de la Sorbonne » (no 1), , LXXXV-1025 p. (ISBN 978-2-85944-641-3).
  • Jacques Le Moal, Recherches sur la criminalité d'après les lettres de rémission : de 1590 à 1597, Lille, Centre régional de documentation pédagogique (CRDP), 1972.
  • Olivier Mattéoni, « Les ducs de Bourbon et la grâce. Les lettres de rémission de Louis II (2de moitié du XIVe-début du XVe siècle) », dans Julie Claustre, Olivier Mattéoni et Nicolas Offenstadt (dir.), Un Moyen âge pour aujourd'hui : mélanges offerts à Claude Gauvard, Paris, Presses universitaires de France, 2010, VIII-580 p., (ISBN 978-2-13-057365-4), p. 128-136.
  • Isabelle Paresys, « Le criminel face aux poursuites judiciaires sous François Ier dans la prévôté de Paris d'après les lettres de rémission », IAHCCJ Bulletin, Genève, Librairie Droz, no 18 « Poursuites pénales »,‎ , p. 5-20 (JSTOR 43658134).
  • Roger Vaultier, Le folklore pendant la Guerre de cent ans : d'après les lettres de rémission du Trésor des chartes, Paris, Librairie Guénégaud, , XXIV-249 p. (présentation en ligne), [présentation en ligne].

Liens externes[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Frédéric Lalière, « La lettre de rémission entre source directe et indirecte : instrument juridique de la centralisation du pouvoir et champ de prospection pour l’historien du droit », dans Violence, conciliation et répression : Recherches sur l’histoire du crime, de l’Antiquité au XXIe siècle, Presses universitaires de Louvain, coll. « Histoire, justice, sociétés », (ISBN 978-2-87558-173-0, lire en ligne), p. 21–65
  2. Jean-Marie Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, Presses universitaires de France, , p. 173-174
  3. Eugène (-1901) Auteur du texte Lameere, Le grand conseil des ducs de Bourgogne de la maison de Valois / par Eug. Lameere,..., (lire en ligne)
  4. a b et c Michel François, « Note sur les lettres de rémission transcrites dans les registres du trésor des chartes », Bibliothèque de l'École des chartes, vol. 103, no 1,‎ , p. 317–324 (DOI 10.3406/bec.1942.449287, lire en ligne, consulté le )
  5. Jean-Marie Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, PUF,
  6. a et b Isabelle Paresys, Aux marges du royaume : Violence, justice et société en Picardie sous François Ier, Éditions de la Sorbonne, coll. « Histoire moderne », (ISBN 978-2-85944-848-6, lire en ligne)
  7. Michel Nassiet, « L'exercice de la rémission et la construction étatique (France, Pays-Bas) », Revue Historique,‎ (lire en ligne Accès limité)
  8. a et b Michel Nassiet, « Lettres de pardon du roi de France (1487-1789) », Criminocorpus. Revue d'Histoire de la justice, des crimes et des peines,‎ (ISSN 2108-6907, DOI 10.4000/criminocorpus.3572, lire en ligne, consulté le )
  9. Michel Nassiet, « L'exercice de la rémission étatique (France, Pays-Bas) », Revue Historique,‎ (lire en ligne Accès limité)