Les Trois Lumières

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Les Trois Lumières

Titre original Der Müde Tod
Réalisation Fritz Lang
Scénario Fritz Lang
Thea von Harbou
Acteurs principaux
Pays de production Drapeau de l'Allemagne Allemagne
Durée 100 minutes
Sortie 1921

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Les Trois Lumières (Der müde Tod) est un film muet allemand en noir et blanc réalisé par Fritz Lang, sorti en 1921.

Synopsis

Aux abords d'une petite ville, la Mort, sous les apparences d'un étranger à la silhouette longiligne et au visage grave et triste, monte dans une diligence où se trouve déjà un couple d'amoureux. Tous trois arrivent dans « une petite ville perdue dans le passé ». L'installation du mystérieux voyageur intrigue. Achetant un terrain près du cimetière, il l'entoure d'une impressionnante muraille loin des regards indiscrets…

La jeune fille s'inquiète car son bien-aimé a disparu. Voyant le spectre de son amoureux pénétrer dans l'étrange propriété, elle parvient à trouver l'entrée de ce lieu interdit où La Mort, leur ancien compagnon de route, l'accueille. La jeune fille la supplie de lui rendre son bien-aimé. La Mort lui montre alors trois lumières dont chacune représente une vie. Si elle peut en sauver une, le jeune homme lui sera rendu.

Bagdad au IXe siècle ; l'infidèle pris dans la Cité de la Foi, amoureux de la sœur du Calife, Zobeïde, périt malgré l'aide de celle-ci des mains du jardinier, El Mot / La Mort.

Au XVIIe siècle à Venise, le carnaval bat son plein. Complots et intrigues se nouent dans la demeure du riche Girolamo, lequel désire la belle Monna Fianetta. Aussi fait-il assassiner son amant, Giovanfrancesco par son serviteur Maure, qui n'est autre que La Mort.

À la cour de l'Empereur de Chine, le magicien A Hi offre au monarque une armée miniature et un cheval volant, mais l'Empereur est surtout intéressé par la fille du magicien, Tsiao Tsien. Fuyant avec son bien-aimé, elle ne peut empêcher l'Archer impérial de tuer celui-ci.

Malgré ces trois échecs, La Mort donne à la jeune fille une dernière chance : qu'elle lui amène dans l'heure une autre vie en échange de celle du jeune homme. Seule se présente la vie d'un nouveau-né. Pourtant elle préfère le sauver des flammes plutôt que de le laisser périr... Avouant son échec, la jeune fille décide alors de rejoindre celui qu'elle aime au royaume de la mort.

Fiche technique

Distribution

Analyse

La mort est représentée par un personnage masculin. On peut aussi comparer la mort au diable. Il est vrai que la traduction allemande transforme le genre car « der Tod », « la mort » en allemand, est dans cette langue un nom du genre masculin. La mort veut séparer un jeune couple fou d’amour, affichant un réel optimisme qui fait contraste avec l’état d’esprit de la population allemande de 1921.

Les personnages sont à peine installés (le jeune couple, les notables du village, la mort) que les actions démarrent. Donc, celles-ci semblent plus importantes que les personnages. D’ailleurs, activant encore ce mode de fonctionnement, Lang fera disparaître très rapidement le fiancé, non pas pour se concentrer sur la psychologie du personnage féminin, mais pour nous donner à voir son combat.

Les notables se rencontrent à la « Licorne d’or » dont l’enseigne renforce l’aspect fantastique et irréel du film par sa représentation fabuleuse (un dragon et une licorne). Les bourgeois sont présentés lors du repas et nous pouvons lire à travers la façon dont ils s’alimentent en se pourléchant et en grimaçant ou sortant complètement ivres de l’auberge, une certaine critique sociale. L'apothicaire et le veilleur de nuit ne sont pas présents dans l’établissement. L’apothicaire sauvera la jeune fille de l’empoisonnement, averti en quelque sorte par le tocsin du veilleur de nuit. Le notaire voit des coulées de bougies se répandre sur ses mains. Ce détail peut s’inscrire comme la présence de la mort qui guette. Le cœur de leurs discussions s’alimente de la présence de l’étranger, c'est-à-dire de la peur de l’autre, l’essence même du racisme. La présence de la femme est d’ores et déjà associée à la mort. En effet, le plafonnier composé de bougies est agrémenté d’une statuette représentant une femme qui surplombe de fait cet univers masculin. Il n’y a pratiquement que des hommes dans cet établissement, les femmes étant condamnées au fourneau. La jeune femme, quant à elle, ne restera pas très longtemps dans la salle et rejoindra rapidement les cuisines, exclue de la sphère masculine par la mort. Auparavant, on aura remarqué que la coupe nuptiale est à l’effigie d’une femme. Peut-on y voir la volonté de réduire la femme pour démystifier la peur que l’homme a d’elle ? Le jeune couple, semblant visiblement en voyage de noces, n’a sans doute pas eu encore l’occasion d’une relation sexuelle. La tradition oblige le jeune homme à boire sous la jupe de la statuette, c'est-à-dire symboliquement à approcher la zone sexuelle, et c’est après cet épisode que le jeune homme disparaît, comme s’il n’était pas prêt à accomplir l’acte charnel.

Les notables se méfient de l’étranger mais pas de son argent. Ainsi a-t-il pu, malgré le peu de sympathie que lui portent les bourgeois, acheter le terrain longeant le cimetière car il en proposait une très coquette somme. Lang révèle encore un trait caricatural de la bourgeoisie, son amour pour l’argent, envers et contre tout.

Lorsque la jeune fille reparaît des cuisines, son fiancé a disparu. Alors qu’ils devaient sceller leur union, il s’enfuit devant ses responsabilités. Nous constatons que le verre de la mort est déplacé. Il est maintenant à la place qu’occupait la jeune femme, signe qu’il y a eu rapprochement entre les deux hommes. Nous pouvons supposer que le jeune homme, attiré par l’autre homme, a suivi ce dernier. Il a donc préféré substituer sa relation avec une femme par un rapprochement masculin où il pourra peut-être confier sa responsabilité, celle de ne pas savoir aborder la relation féminine. On remarquera que c’est la femme qui a peur de la mort et non l’homme. C’est elle qui a vu la menace, qui a remarqué la mutation du verre en sablier.

Tout le but du jeu va être de montrer à quel point la femme est combative jusque dans la non-acceptation de la mort. Les rôles sont donc inversés : l’homme est enlevé et la femme se bat pour le retrouver. Lang, en opérant de la sorte, peut insinuer que la femme est plus combative, moins soumise que l’homme au poids du destin, ce que certains appellent destin et qui est en fait dans le film le malaise non surmonté d’une crise d’identité. On ressent bien dans la disparition de l’homme l’évocation d’une crise de masculinité et le refuge de la relation homosexuelle. Ce n’est pas la femme qui est enlevée par la mort car celle-ci est perçue comme plus équilibrée et plus apte à mener un combat avec force et détermination. Ainsi la jeune femme ne jugera jamais impossible de lutter contre la mort. Ce qui est important n’est pas de savoir si les actions vont réussir mais de se battre jusqu’au bout. Voilà pourquoi la phrase lue chez l’apothicaire dans le « cantique des cantiques », « l’amour est fort, aussi fort que la mort » se transformera selon la volonté de la jeune fille qu’elle confirmera à la mort : « je crois que l’amour est plus fort que la mort ».

Les autres histoires (qu’elles soient ou non en contradiction avec la notion de ballade populaire allemande, qu’elles fonctionnent ou non comme les « tiroirs » du récit, qu’elles fassent ou non référence à la construction d’Intolérance de Griffith, encore une fois nous ne voulons pas refaire les commentaires par cent fois épuisés) sont autant de combats de femmes.

Zobéïde cache son amour pour un incroyant. Elle est exposée à la tyrannie de la religion et du pouvoir masculin. Aïcha, prolongement de Zobéïde à l’extérieur du palais, va tenter elle aussi de contourner la dictature masculine. Mais le jeune Franc n’échappera pas à la cruelle torture. Ainsi, dans cet épisode oriental, deux femmes se sont battues pour la liberté d’un homme jeune et inexpérimenté, espèce de victime du système. Elles tentent de s’opposer au poids des traditions religieuses et à la prédominance de la race masculine, mais en vain. Néanmoins elles auront combattu. Les hommes, eux, ne savent que détruire.

La présence du jeune homme au palais est une marque de son irresponsabilité qui lui vaudra la mort et qui permettra au Calife de persécuter Zobéïde par sa cruauté. L’acte inconsidéré du jeune Européen renforce la mainmise de la pression masculine sur la jeune femme. La mort, illustrée par le jardinier El Mot, ne provoque pas les choses. Il ne fait qu’exécuter les ordres que Dieu décide. Ainsi, Dieu est assimilé à un Calife cruel et inhumain. La mort est fatiguée de devoir remplir d’aussi horribles missions. Car nous ne parlons dans ce film que de la mort injuste, du crime. Le film n’exprime pas la peur de la mort qui intervient normalement à la fin de la vie; il s’insurge contre la cruauté des hommes et démonte l’idée d’un Dieu juste et bon.

À Venise, le peuple déambule joyeusement dans les rues. C’est le carnaval. Les jeunes femmes sur les chars fleuris affichent leur nudité, comme symbole de la liberté. À son balcon, tout de noir vêtue, Monna Fiametta regarde avec envie ces heureuses processions. Giovanfrancesco représente l’amour et la liberté qu’elle ne connaît pas. Girolamo symbolise tout l’inverse : haine et emprisonnement. Fiancée de force à Girolamo, Monna Fiametta est encore une victime de l’oppression masculine. De plus, elle est prisonnière d’un système bourgeois qui la prive des fêtes de la rue. Pour se libérer de sa condition, elle dresse un plan visant à éliminer Girolamo. Mais employer les méthodes masculines ne libère pas. En utilisant les plans machiavéliques propres aux tyrans, Monna Fiametta tue Giovanfrancesco, symbole de sa liberté et de son amour. De toute façon, qu’elle utilise ou non les cruelles méthodes masculines pour arriver à ses fins, la femme est condamnée à souffrir et n’arrive jamais à être heureuse. L’esclave maure que commandite Monna Fiametta se transforme en représentant de la mort assimilant ainsi les deux personnages comme victimes de l’exploitation : le Maure comme esclave de Monna Fiametta et la mort comme esclave de Dieu.

L’épisode chinois, dernière chance pour la jeune femme de retrouver son fiancé, nous conte encore une fois l’histoire d’un tyran imbu de son pouvoir. À ce dictateur, va être confrontée la lâcheté d’un homme qui est pourtant magicien. L’homme a les moyens de changer la réalité mais par faiblesse, il préfère la domination. La baguette magique n’est en effet que la métaphore de la volonté, du courage et de la combativité, preuve en est le premier tour de passe-passe qui fait jaillir du petit coffre une armée de combattants. Elle représente la liberté comme ce petit cheval qui peut s’envoler dans les airs. Mais la peur rend l’homme faible et le magicien ne tente pas de sauver le jeune couple.

Un spectateur pense que cela va encore coûter beaucoup d’argent tout comme la guerre de 1914-1918 a été pour l’Allemagne un gouffre financier. Cette remarque qui n’apporte rien à la narration présente est évidemment un reproche à l’économie allemande.

Les petits soldats, une fois leur numéro terminé, deviennent des figurines de plomb jetés dans le coffre. Qu’est donc l’homme sinon une machine à tuer ? Rien ? C’est l’interrogation que pose cet épisode. Les forces supérieures se servent des hommes comme machines de guerres et les laissent à leur misère une fois ces dernières achevées.

Le jeune Liang fait acte de courage en enlevant sa fiancée mais il est bien vite rattrapé. Alors, malgré le nombre et la force des soldats, Tsia Tsien se rue sur eux. Elle ne craint pas non plus de repousser l’empereur avec une dérisoire aiguille à cheveux. A Hi tente, pour sauver sa vie, d’infléchir le refus de Tsia Tsen en évoquant la puissance financière de l’empereur. Le bien matériel n’intéresse évidemment pas la jeune femme. Elle réclame sa baguette magique, ce qui laisserait entendre qu’elle lui appartenait auparavant. En transformant A Hi en cactus par mégarde, elle prend conscience de la chance qui lui est donnée par la baguette magique de pouvoir sauver son fiancé. Ainsi le magicien est transformé en épouvantable et immobile symbole phallique, les gardes sont transformés en porcs (allusion à Circé ?), précisant ainsi le regard que porte cette jeune femme sur la gent masculine. « Voilà ce qu’ils sont réellement » semble-t-elle dire. Hélas, l’éléphant n’est pas rapide et le choix de cet animal pour la fuite n’est pas judicieux. La jeune femme est complètement le moteur de cette fuite ; son compagnon semble absent de toute initiative. Elle va même jusqu’à écarter les branchages dans un chemin pour que son ami puisse passer sans être gêné. Il est vrai que c’est elle qui possède la baguette magique. La castration qu’elle a opérée sur A Hi en lui ôtant sa baguette, symbole de son pouvoir, lui confère donc la représentation de la masculinité. La mort arrive sur son cheval magique. Tsia Tsien se transforme en statue de pierre et fait de son compagnon un tigre féroce. Mais le félin en question ne désire pas repousser une quelconque attaque et se couche paisiblement aux pieds de sa bien-aimée. La représentation de la masculinité est en crise. Alors le tigre meurt et la statue, condamnée tout comme la mort à l’éternité, laisse une larme couler sur sa joue de pierre. Le long combat de la femme fut vain une fois encore devant l’adversité du pouvoir masculin.

Les trois lumières ont fait office d’écran cinématographique pour la mort et la jeune fille. Après le visionnement de ces trois récits, la mort prend à témoin la jeune fille pour accuser son dégoût. S’il est l’éternel invincible, c’est par la cruauté des hommes. Mais la jeune fille garde encore espoir. Elle ne baisse pas encore les bras comme le personnage masculin de la mort. Plus humain que tous les personnages masculins que nous avons rencontrés, la mort, sensible à l’acharnement de la jeune fille, lui donne encore une dernière chance.

Elle se réveille chez l’apothicaire et, pour la première fois, semble vouloir abandonner le combat et s’apprête à boire une potion empoisonnée. Mais l’homme arrive à temps pour la sauver. Dans son hystérie, la jeune femme lui réclame sa vie mais le vieux pharmacien ne cède pas à sa demande. Le mendiant, tout comme les vieillards de l’hospice, refusera également de faire don de sa vie. Il leur semble préférable de souffrir et mal vivre que de mourir. L’hospice prendra feu sur cette constatation. L’enfant resté à l’intérieur pourrait lui rendre son fiancé mais elle ne peut se résoudre à le donner à la mort. « Je n’ai pas pu te vaincre à ce prix » dit-elle. Ce bébé représente aussi celui qu’elle n’aura pas eu de son fiancé. La jeune femme se suicide alors sous les auspices de la mort qui la réunit à son fiancé. Tout comme dans « Liliom » les corps se sauvent de leur enveloppe charnelle et les deux jeunes gens peuvent enfin se rejoindre.

Les guerres créent des différences insensées entre les hommes et les femmes. Le film nous montre comment une femme (et à travers elle d’autres femmes) va tenter de combler le fossé de ce dysfonctionnement. Les personnages masculins mis à mal dans le film sont soit des tyrans, soit des êtres immatures. Pour les premiers, la femme est réduite à un objet tandis que les seconds ont peur de sa sexualité. Mais, quoi qu'il en soit, la femme luttera toujours jusqu’au bout pour refuser cette alternative. Le but premier de cette représentation féminine est sans doute un hommage de Lang et de Thea von Harbou à la femme de soldat qui a bien dû combattre seule pendant que son mari se faisait tuer sur les champs de bataille. Plus globalement, le film retrace donc une belle histoire de femme. Peu importe qu’elle n’ait pas réussi à retrouver son fiancé vivant car le film insiste surtout sur le combat et non pas sur son issue.

Restauration

Une copie 35mm en noir et blanc conservée au Musée d'art moderne a servi de base pour la restauration numérique par la Fondation Friedrich Wilhelm Murnau sous la direction de Anke Wilkening. D'autres institutions ont fourni des fragments afin de reconstituer l'œuvre, notamment la Cinémathèque de Toulouse, le musée du film de Munich (Filmmuseum München), le Gosfilmofond à Moscou en Russie, les Archives nationales du film (Národní filmový archiv) à Prague, la Cinémathèque royale de Belgique et L'Immagine Ritrovata à Bologne. Le compositeur de Fribourg-en-Brisgau Cornelius Schwehr (de) a créé une nouvelle musique qui a été interprétée par l'Orchestre symphonique de Berlin (Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, RSB), sous la direction de Frank Strobel.

La version numérique restaurée est présentée en première mondiale le à la 66e Berlinale[1],[2].

Le elle est projetée à l'Auditorium Maurice-Ravel de Lyon, avec Thierry Escaich improvisant au grand-orgue Cavaillé-Coll de l'Auditorium[3].

Autour du film

Douglas Fairbanks acquit les droits américains de ce film, dans le but de retarder la sortie américaine pour pouvoir copier les effets visuels des séquences persanes pour son film Le Voleur de Bagdad (The Thief of Bagdad) qui sortira en 1924[4]. A noter que ce film eut une influence considérable sur plusieurs jeunes gens qui se sont - en partie grâce à lui - tournés vers le cinéma et la réalisation, dont Luis Buñuel et Alfred Hitchcock en particulier.

Notes et références

  1. Un chef-d'œuvre restauré de Fritz Lang dévoilé au Festival international du film de Berlin 2016, sur le site de la RTBF.,
  2. (de) Der müde Tod, sur le site de la Berlinale.
  3. « Les Trois Lumières », sur Auditorium Orchestre National de Lyon, (consulté le ).
  4. (de) Der müde Tod

Liens externes