Les Orgueilleux

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Les Orgueilleux

Réalisation Yves Allégret
Scénario Yves Allégret
Pierre Bost
Jean Aurenche
d'après un scénario de
Jean-Paul Sartre
Acteurs principaux
Pays de production Drapeau de la France France
Drapeau du Mexique Mexique
Genre Drame
Durée 103 minutes
Sortie 1953

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Les Orgueilleux est un film franco-mexicain réalisé par Yves Allégret sorti en 1953. Il a été présenté en compétition au Festival de Venise de 1953.

Synopsis[modifier | modifier le code]

Nellie arrive avec son mari malade à Alvarado, village côtier mexicain de la région de Veracruz[1]. Alors qu'elle cherche un médecin, elle croise Georges, médecin déchu, devenu alcoolique.

Le docteur n'aura pas le temps de soigner son mari ; celui-ci est découvert mort par Georges des suites d'une méningite cérébro-spinale. Nellie est troublée par le manque de tristesse qu'elle ressent. Le cas de méningite n'était pas isolé, et une épidémie commence à ravager la région. Nellie s'installe à l'hôtel le temps d'essayer de rapatrier le corps de son mari en France, mais pour des raisons sanitaires, celui-ci sera enterré sur place. Elle est désemparée, d'autant plus que la disparition du portefeuille de son mari la laisse sans ressources dans un pays inconnu, dont elle ignore tout. Elle doit subir une douloureuse vaccination anti-méningitique par ponction lombaire. Don Rodrigo, le patron de l'hôtel, lui fait une cour insistante et s'amuse de Georges, toujours en quête d'un verre ou d'une bouteille de téquila. Georges était médecin autrefois, mais à la suite du décès de sa femme lors d'un accouchement qu'il a lui-même pratiqué, il n'a plus cessé de boire. Nellie fait preuve de plus en plus d'attention à son égard. Dans le village mis en quarantaine, l'angoisse monte, les gens cherchent à fuir : l'infirmier, pourtant vacciné, est touché par la maladie. À la demande du docteur, et ravivé par l'amour de Nellie, Georges accepte de ne pas boire et de construire une infirmerie de fortune dans son quartier, afin de sauver des vies. Après avoir repoussé Don Rodrigo qui voulait abuser d'elle dans l'hôtel déserté, Nellie court rejoindre Georges sur la plage, et ils se jettent dans les bras l'un de l'autre.

Fiche technique[modifier | modifier le code]

Distribution[modifier | modifier le code]

Autour du film[modifier | modifier le code]

On dit que Martin Scorsese est un admirateur de ce film et que l'érotisme des scènes où Michèle Morgan, en tenue légère, se passe des glaçons sur le visage et le buste, se rafraîchit les jambes avec un ventilateur, a troublé son adolescence. Parfois accusée de froideur, l'actrice est ici très émouvante dans la détresse de son rôle de jeune femme désemparée. Gérard Philipe, remarquable, donne à son personnage la complexité ambiguë qui lui évite de sombrer dans la caricature. On dit souvent que les deux acteurs ne se sont pas bien entendus pendant le tournage, mais à l'écran la connivence est totale. Même si la phase de rédemption semble moins intéresser Yves Allégret.

Aspects notables de l'œuvre[modifier | modifier le code]

1. L'authenticité de l'atmosphère, bien restituée, est due à l'acteur-musicien-chanteur Leopoldo Frances :

  • l'ambiance sonore : les détonations incessantes des pétards, les tintements obsédants des cloches et la crémation des effigies (filmée de façon presque documentaire), typiques du Vendredi saint au Mexique. La musique locale, dès le panoramique de début sur la misérable bourgade d'Alvarado, aussi bien que dans les patios et la salle d'auberge, renforce l'étrangeté de la situation avec ses glapissements des musiciens et ses trilles de guitare.
  • la chaleur moite (les pluies ne vont pas tarder) écrase manifestement les protagonistes et émacie les acteurs. Ainsi, quand Nellie sort de la poste (où elle a dû supporter les importunités d'un macho local), on la voit se tasser sous la chape écrasante de la chaleur. Dans sa chambre, ses pieds nus laissent des traces de moiteur sur le carrelage.
  • enfin, l'utilisation très large de l'espagnol (alors que les films français de l'époque où les acteurs parlent une langue autre que le français sont très rares) plonge le spectateur dans la réalité de l'histoire.

2. Le contexte social est fort bien dessiné (on sait que Luis Buñuel faisait partie de l'équipe…) : la petite ville (qui rappelle celle du Salaire de la peur de Henri-Georges Clouzot, tourné lui aussi en 1952…) est sous la botte de Don Rodrigo, le parrain d'Alvarado. Entouré de ses hommes de main revolver au côté, il se donne entre autres le plaisir d'humilier l'étranger déchu (on pense à certaines scènes d'humiliation de l'ivrogne, comme dans Rio Bravo, de Howard Hawks, 1959 — et dans La Loi de Jules Dassin, 1958…). Et il cahote fièrement dans les rues défoncées de sa ville, au volant de sa Jeep, accompagné du curé et de ses hommes de main, en raccompagnant la veuve de passage du cimetière à son hôtel. Son hôtel, où il lui offre « de se reposer quelques heures » avant son départ, et où lui, le plus grand macho de la ville, doit à son image d'exercer son droit de cuissage sur la jeune étrangère blonde (comme dans Tristana de Luis Buñuel, 1970 : là c'est Catherine Deneuve qui sera la jeune femme blonde et réservée…).

3. Par ailleurs, on notera la façon réaliste, voire satirique dont est filmée la lutte contre l'épidémie qui frappe Alvarado, bourgade typique du tiers-monde (et ici aussi l'influence de Buñuel est soupçonnable…).

  • le médecin local, débordé et épuisé, n'a que peu de médicaments
  • il transporte les malades, roulés dans un drap et tenus dans les bras de son infirmier, dans son petit coupé Ford, alors que la Land Rover, chargée de tout un fatras (mallettes, gramophone et cage à perroquet…) servira à la fuite de la maîtresse du parrain.
  • un homme du quartier du port braque son fusil sur le ventre du médecin qui veut hospitaliser sa petite fille. « Si tu l'emmènes, je te fais exploser la barriga » crie-t-il…
  • la fermeture des voies de communication (quarantaine oblige) entraîne une émeute etc.

Les clins d'œil[modifier | modifier le code]

  • rappelant les gags saugrenus et anti-cléricaux du Buñuel de la fin des années 1920 :
    • dans sa chambre étouffante, Nellie, après avoir poussé un hurlement de terreur parce qu'une grosse blatte lui grimpe aux jambes, va dans la cabine de douche et tire la chaîne. À peine si quelques gouttes d'eau tombent de la pomme de douche, mais le bruit d'une rafale de stridents tintements de cloche, suivie d'une interminable salve de pétards, entre par la fenêtre barraudée et envahit la chambre…
    • la population dépose des offrandes devant les statuettes des oratoires. Et le soir, montés sur la terrasse de la maison voisine qui domine le patio, trois jeunes hommes viennent regarder l'étrangère blonde. L'un d'eux lui jette une gerbe de glaïeuls. Nellie la ramasse à ses pieds, a un bref moment d'hésitation, puis la joint aux bouquets déposés devant la chambre où gît son mari décédé.
    • Georges, après avoir pêché au fond de sa bouteille de mezcal le gusano (la grosse chenille) qui y flottait, ressemble à Hamlet monologuant sur le crâne de Yorick…
  • rappelant la Danse macabre peinte autrefois sur les murs des cimetières :
    • Georges aide à porter son amie, une petite prostituée, de sa chambre de bordel minable à la voiture du docteur, et les compagnes de la jeune femme l'escortent, éplorées. Un jeune laitier, monté sur son mulet, s'approche de la dernière, une jolie métisse aux longs cheveux noirs, et l'appelle : « "Olà, bonita", tu n'as pas envie de venir faire un brin de causette ? Je t'offrirai un de mes fromages… ». La jeune femme, le regard allumé, lui répond par-dessus son épaule : « Oh oui, du chihuahua ! ». Mais le docteur s'interpose : « Je vais vous en donner, moi, du chihuhua [3]! Terminé la rigolade ! Je vais faire fermer vos maisons, et jusqu'à la fin de l'épidémie… ». Éros doit céder le pas à Thanatos

Des acteurs en transe[modifier | modifier le code]

Sauf lors du baiser de fin, les acteurs sont manifestement possédés et se dépassent, jusqu'à la douleur physique (comme si H.G. Clouzot et non Allégret les avait dirigés), que ce soit :

  • dans le bar, quand Georges, soutenu par les claquements de main de l'assistance, danse sur un air de huapango interminable et lancinant pour obtenir à boire : il est à la fin proche de la syncope… ;
  • dans la scène des ponctions lombaires : le visage de Michèle Morgan (ses pupilles, la montée des gouttes de sueur sur son front, la crispation de ses masséters) est hallucinant de vérité ;
  • dans la scène de la tentative de viol. Michèle Morgan (qui avait la réputation d'être une actrice "froide"…) repousse d'une ruade dans le ventre (ruade qui est loin d'être simulée) Don Rodrigo qui cherche à la renverser sur le lit ; plaquée contre le mur, elle le menace avec une bouteille d'eau gazeuse, puis échange avec lui des coups qui ne sont manifestement pas retenus. La chute du grand sombrero de l'homme, et l'essoufflement des deux acteurs en témoignent. Cette violence accentue la rapide reprise en main que l'actrice effectue sur elle-même et sur son agresseur. Elle va jusqu'à lui donner son miroir à tenir pendant qu'elle se recoiffe, détournant ainsi une scène classique d'amour courtois… Et elle l'achève en lui susurrant avant de s'éclipser : « Je ne suis pas sûre qu'il voudra de moi… ».

Une autre fin jamais tournée[modifier | modifier le code]

Le réalisateur Yves Allégret et le scénariste Jean Aurenche étaient convenus d'une autre fin, mais la partie mexicaine de la production tenait absolument à une fin optimiste en désaccord avec Yves Allégret. Ce dernier avait imaginé que Georges (Gérard Philipe), en cachette de Nellie, avait fui Alvarado pour un autre village éloigné — des repérages avaient même été effectués. Follement éprise, Nellie avait finalement retrouvé sa trace, mais à son arrivée, Georges avait déjà quitté les lieux. Comprenant l'éternel besoin d'errance de son ami, Nellie, effondrée, renonçait à son amour et retrouvait sa solitude en Alvarado.

Lors d'interviews télévisées, Yves Allégret a répété à l'envi que l'avant-dernier plan (plan américain) où les deux héros tombent dans les bras l'un de l'autre n'a pas été tourné par lui, mais par son opérateur aux studios de Boulogne sur un fond de ciel peint. Quitte à accepter une fin heureuse, Yves Allégret aurait préféré terminer son film sur le large plan général où Nellie et Georges courent l'un vers l'autre. D'ailleurs, dans le plan américain de l'étreinte finale, où sont le portefeuille noir que Nelly tenait à la main, et le sac en papier brun (contenant la paire de chaussures qu'elle venait d'acheter à Georges) qu'elle serrait contre elle en courant sur la plage d'Alvarado ?…

Publication du récit[modifier | modifier le code]

  • Mon film no 391 du  : récit illustré de 2 pages
  • Collection vie heureuse no 19 de 1959 : roman photos de 32 pages

Distinctions[modifier | modifier le code]

L'affiche du film indique Prix International de la Biennale de Venise 1953

  • Lion de Saint-Marc
  • Victoire Meilleur Acteur ⇒ Gérard Philipe
  • Victoire Meilleure Actrice ⇒ Michèle Morgan

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Anne Philipe, Claude Roy, Gérard Philipe, Gallimard, 1960, p. 296-299
  2. qui fut l'épouse d'Yves Allégret, ils reposent au cimetière de Jouars-Pontchartrain (Yvelines), où ils résidaient.
  3. fromage de chihuahua : selon la Wikipedia espagnole, il s'agit d'un fromage blanc obtenu à partir de lait de vache, fabriqué à l'origine dans l'État de Chihuahua ( Nord du Mexique ), et vendu en différents états de consistance ( du lait caillé au bloc en forme de brique ou de boule dure ressemblant au Gouda ). On l'appelle aussi de nos jours « fromage des Mennonites » ( car il est fabriqué dans leurs laiteries ). Naturellement, le jeune muletier a utilisé, en s'adressant à la prostituée, la connotation grivoise de rigueur en espagnol vulgaire (où leche ( lait ) signifie « sperme »)…

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Claude-Marie Trémois, Téléciné N° 40-41, F.L.E.C.C., Paris, Janvier-.

Liens externes[modifier | modifier le code]