Le Père Duchesne (Révolution française)

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Le Père Duchesne
Couverture du 25e numéro du Père Duchesne d’Hébert.
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Le Père Duchesne est le titre de différents journaux qui ont paru sous plusieurs plumes durant la Révolution française. Le plus populaire était celui de Jacques-René Hébert, qui en a fait paraître 385 numéros de jusqu’à onze jours avant sa mort à la guillotine, survenue le 4 germinal An II ().

Histoire[modifier | modifier le code]

Né dans les foires du XVIIIe siècle, le père Duchesne était un personnage type représentant l’homme du peuple toujours empressé à dénoncer les abus et les injustices[1]. On trouve ce personnage imaginaire dans un texte intitulé le plat de Carnaval ainsi qu’un opuscule anonyme de intitulé Voyage du père Duchesne à Versailles ou la Colère du père Duchesne, à l’aspect des abus la même année[2]:40. En 1789, plusieurs pamphlets avaient été publiés sous ce nom[α 1]. En 1790, un employé de la poste aux lettres du nom d’Antoine Lemaire et l’abbé Jean-Charles Jumel avaient lancé des journaux ayant recours au pseudonyme fictif du père Duchesne, mais celui d’Hébert, que les colporteurs de rue vendaient en criant : « Il est bougrement en colère aujourd’hui le père Duchesne ! », s’est distingué par la violence qui a caractérisé son style[4].

De 1790 à 1791, le père Duchesne était constitutionnel et faisait l’éloge du roi et de La Fayette, blâmant Marie-Antoinette et Marat et réservant ses foudres à l’abbé Maury grand défenseur de l’autorité pontificale contre la constitution civile du clergé[2]:66. Le gouvernement a fait imprimer en 1792 certains de ses numéros aux dépens de la République afin de les faire distribuer dans les armées, en vue de sortir les soldats d’une torpeur jugée dangereuse pour le salut de la chose publique[5].

À l’origine, la publication, effectuée chez l’imprimeur Tremblay, se faisait sur huit pages non numérotées dans le format in-8°, paraissant quatre fois par décade et coûtant cinquante sous par mois. La première page de chaque numéro était surmontée d’une vignette représentant le père Duchesne une pipe et une carotte de tabac à la main avec cette épigraphe : « Je suis le véritable père Duchesne, foutre. » et deux croix de Malte de chaque côté. Le numérotage du journal commença au premier numéro de . À partir du numéro 13, il copie la vignette d’un autre père Duchesne qui se publiait rue du Vieux-Colombier, qui représente un homme à moustache, sabre au côté et une hache levée sur un prêtre qui le supplie à deux mains et auquel il adresse la menace « memento mori[α 2] ». À la fin de chaque feuille sont deux fourneaux, dont l’un est renversé. Ce dernier emblème représentait la profession du père Duchesne, qui se disait vieux marchand de fourneaux[6].

À partir du numéro 138, Hébert se sépare de son éditeur Tremblay qui publie lui-même quelques contrefaçons[6]:50. Une fois Hébert guillotiné, ses ennemis soulagés s’en donneront à cœur joie avec des parodies comme la Grande Colère du père Duchesne, en voyant tomber sa tête par la fenêtre nationale[7]. D’autres, tel Saint-Venant avec « Moustache sans peur », s’efforceront d’écrire dans l’esprit du temps avec de nouvelles parodies dans le même style ordurier qui le caractérisait[8]. Lebon en publia un en 1797[6]:12. Damane publia trente-deux numéros sous ce nom à Commune-Affranchie[9].

Style[modifier | modifier le code]

Le Père Duchesne.

Destinés à être criés dans les rues, les sommaires qui précédaient les numéros du Père Duchesne étaient conçus en termes propres à piquer la curiosité publique. Ainsi, on criait : « La grande colère du père Duchesne contre le ci-devant comte de Mirabeau, qui a foutu au nez de l’Assemblée nationale une motion contraire aux intérêts du peuple. »« Les bons avis du père Duchesne à la femme du roi, et sa grande colère contre les jean-foutre qui lui conseillent de partir et d’enlever le dauphin[10]. »

Être signalé comme ennemi de la république dans le Père Duchesne se soldait souvent par une fin à la guillotine. Celui-ci n’hésitait, en effet, jamais à demander, selon ses termes, que le « carrosse à trente-six portières » emmène tel ou tel « crapaud du Marais » « éternuer dans le sac », « demander l’heure au vasistas », « essayer la cravate à Capet »[6]:3-4.

Le père Duchesne exprime sa joie à la nouvelle de la reprise de Toulon, en décembre 1793, en ces termes :

« Quelles carmagnoles on vous fait danser, Autrichiens, Prussiens, Anglais !... Brigands couronnés, ours du Nord, tigre d’Allemagne, vous croyiez qu’il n’y avait qu’à se baisser et à prendre des villes !... Victoire, foutre ! victoire ! Aristocrates, que vous allez manger de fromage ! Sans-culottes, réjouissez-vous; chantez, buvez à la santé de nos braves guerriers et de la Convention. Nos ennemis sont à quia. Toulon est repris, foutre ! Brigands couronnés, mangeurs d’hommes, princes, rois, empereurs, pape, qui vous disputez les lambeaux de la République, tous vos projets s’en vont ainsi en eau de boudin[11]… »

Postérité[modifier | modifier le code]

Après la mort d’Hébert, le titre a reparu avec toutes sortes de variantes (La Mère Duchesne, Les Fils du père Duchesne, etc.) au moins une centaine de fois depuis 1790, notamment pendant la révolution de 1848 et la Commune de Paris de 1871. Il a ainsi paru, du 6 mars au 22 mai 1871, sous la plume d’Eugène Vermersch, Maxime Vuillaume et Alphonse Humbert, 68 livraisons du Père Duchêne[12]. Il a également paru, du 21 avril au 24 mai 1871, dix numéros du Fils du père Duchêne illustré.

Iconographie[modifier | modifier le code]

Chanson[modifier | modifier le code]

COMPLAINTE DU PÈRE DUCHESNE

Air : C’est aujourd’hui mon jour de barbe ;
Ou, Vaudeville de la soirée orageuse

Comme quoi le père Duchesne s’est trompé de chemin.

1er Couplet

O vous tous témoins de ma mort
Si je suis ici, c’est ma faute :
Je comptais sur un autre sort
Hélas ! Je comptais sur un autre sort
Je me suis vu pris comme un sot
Et cette misérable affaire,
Me fait monter à l’échafaud,
Croyant monter au ministère

Comme quoi le père Duchesne sera dedans

2e Couplet

Grâces à mes efforts nouveaux
La guerre seroit allumée
Si la flamme de mes fourneaux
Ne s’étoit changée en fumée ;
En flattant mon projet maudit,
D’une réussite parfaite,
J’avois déjà perdu l’esprit
Aujourd’hui je perdrai la tête.

Sources primaires[modifier | modifier le code]

Textes en ligne[modifier | modifier le code]

  • Grande colère du père Duchesne contre les jean-foutres de calomniateurs des Dames de la Halle, & des bouquetières du Palais-Royal, au sujet du beau discours qu’elles ont fait au roi, Hébert, Paris (lire en ligne sur Gallica).
  • La grande colère du père Duchesne contre le palefrenier Houchard qui a tourné casaque à la Sans-Culotterie, Paris, (lire en ligne), chap. 290.
  • Grande conversion du père Duchesne par sa femme, Paris (lire en ligne sur Gallica).
  • J. R. Hébert, auteur du père Duchesne, à Camille Desmoulins et compagnie, Paris (lire en ligne sur Gallica).
  • Je suis le véritable père Duchesne, foutre !, Paris (lire en ligne sur Gallica).
  • L’indignation du père Duchesne contre l’indissolubricité du mariage, et sa motion pour le divorce, Paris (lire en ligne sur Gallica).
  • Philippe d’Orléans, le ci-devant comte de Mirabeau, jugé par le père Duchesne sur la procédure du Chastelet, Paris (lire en ligne sur Gallica).
  • La Grande Joie du père Duchesne, au sujet de l’ordre qu’il reçut de Versailles, d’aller refaire les fourneaux du roi, Arras, Imprimerie de H. Schoutheer, .
  • Le Père Duchesne arrêté par les mouchards et délivré par le compère Mathieu, Paris, De l’Imprimerie du père Duchesne, .
  • Le Père Duchesne sur Gallica.
  • Numéros 260 à 355 sur scribd.

Livraisons du père Duchesne n’émanant pas de Jacques Hébert[modifier | modifier le code]

  • La Colère du père Duchesne, à l’aspect des abus, Paris, [s.n.], , 14 p. (lire en ligne sur Gallica).

Livraisons contre Jacques Hébert[modifier | modifier le code]

  • Godefroy Saint-Venant, Grande fureur de Moustache sans peur, contre le tocsin fêlé du vieux sac à vin de Père Duchesne, Paris, de l'impr. de St.-Venant, 179-, 8 p. (lire en ligne sur Gallica).
  • Lettre d’un sans-culotte, maçon de son métier, et bâtard de père en fils, au père Duchesne, Paris, , 4 p. (lire en ligne sur Gallica).

Livraisons du père Duchesne contre Jacques Hébert[modifier | modifier le code]

  • La Grande Colère du père Duchesne, en voyant tomber sa tête par la fenêtre nationale, par Le père Duchêne, Paris, G.-F. Galletti, 1794 p. (lire en ligne sur Gallica).
  • Arrivée du père Duchesne et compagnie aux enfers, suivie de sa complainte, par Le père Duchêne, Paris, de l’impr. de Chemin, , 8 p. (lire en ligne sur Gallica).

Autres publications contre Jacques Hébert[modifier | modifier le code]

  • Pierre Turbat, Vie privée et politique de J.-R. Hébert, auteur du père Duchesne : pour faire suite au Vies de Manuel, Pétion, Brissot et d’Orléans, Paris, impr. de Franklin, rue de Cléry, N°. 75, , 35 p. (lire en ligne sur Gallica).
  • Procès des conspirateurs Hébert, Ronsin, Vincent et complices : condamnés à la peine de mort part le Tribunal Révolutionnaire, le 4 germinal, l’an 2 de la République et exécutés le même jour : suivi du précis de la vie du père Duchesne, Paris, Imprimerie du Tribunal révolutionnaire, Caillot, 1794.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Histoire biographique, anecdotique et bibliographique du Père Duchêne avec vignettes, portrait et fac-similé : Le Père Duchêne d'Hébert-Le Père Duchêne de la seconde République-Le Père Duchêne de Vermersch, Paris, [s.n.], , 32 p., 1 vol. : 2 fig., couv. ill. ; 23 cm (lire en ligne sur Gallica).
  • Antoine Agostini, La pensée politique de Jacques-René Hébert, 1790-1794, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, coll. « Collection d'histoire des idées politiques » (no XVII), , 227 p. (ISBN 2-7314-0193-1, présentation en ligne), [présentation en ligne].
  • Michel Biard, « Des « bons avis » aux critiques assassines : la radicalisation d'Hébert mise en scène au fil des visites royales du Père Duchesne (décembre 1790 – décembre 1792) », Annales historiques de la Révolution française, no 357,‎ , p. 47-66 (lire en ligne).
  • Michel Biard, Parlez-vous sans-culotte ? Dictionnaire du Père Duchesne (1790-1794), Paris, Tallandier, , 575 p. (ISBN 978-2-84734-551-3, présentation en ligne), [présentation en ligne].
    Réédition : Michel Biard, Parlez-vous sans-culotte ? Dictionnaire du Père Duchesne (1790-1794), Paris, Points, coll. « Points. Histoire » (no H440), , 665 p., poche (ISBN 978-2-7578-1863-3).
  • Charles Brunet, Le père Duchesne d’Hébert : , Notice historique et bibliographique sur ce journal, publié pendant les années 1790, 1791, 1793 et 1794 précédée de la vie d’Hébert, son auteur, et suivie de l’indication de ses autres ouvrages, Paris, Librairie de France, , 228 p., in-18 (lire en ligne sur Gallica).
  • Jacques Guilhaumou, « L'idéologie du Père Duchesne : les forces adjuvantes (14 juillet - 6 septembre 1793) », Le Mouvement social, Paris, Les Éditions ouvrières, no 85 « Langage et idéologies »,‎ , p. 81-116 (lire en ligne).
  • Jacques Guilhaumou, « « Moment actuel » et processus discursifs : le Père Duchesne d'Hébert et le Publiciste de la république française de J. Roux (14 juillet - 6 septembre 1793) », Bulletin du Centre d'Analyse du Discours de l'Université de Lille III, no 2,‎ , p. 147-173.
  • Jacques Guilhaumou, « L'historien du discours et la lexicométrie : étude d'une série chronologique : le « Père Duchesne » d'Hébert (juillet 1793 - mars 1794) », Histoire & Mesure, Paris, Éditions du CNRS, vol. I, nos 3-4,‎ , p. 27-46 (lire en ligne).
  • Jacques Guilhaumou, « Dater Le Père Duchesne d'Hébert (juillet 1793 - mars 1794) », Annales historiques de la Révolution française, no 303,‎ , p. 67-75 (lire en ligne).
  • Louis Jacob, Hébert le père Duchesne, chef des sans-culottes, Paris, Gallimard, , 364 p., 1 vol. : portrait sur la couv. 21 cm (ISBN 1056008695, lire en ligne sur Gallica).
  • Paul Mahalin, Histoire biographique, anecdotique et bibliographique du père Duchesne : avec vignette, portrait et fac-similé, Paris, Au bureau de l’Eclipse, (OCLC 185554525).
  • Gustave Tridon, Les Hébertistes : la Commune de Paris de 1793, Paris, , 2e éd., 69 p., 1 vol. ; in-8° (OCLC 123194229, lire en ligne sur Gallica).
  • Gustave Tridon, Les Hébertistes : plainte contre une calomnie de l'histoire, Paris, Chez l'auteur, , 48 p., in-8° (OCLC 458379649).
  • Gérard Walter, Hébert et le père Duchesne : avec onze planches in-texte et hors-texte, Paris, J. B. Janin, , 456 p. (OCLC 185554525, lire en ligne).

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Dorvigny avait même fait représenter au théâtre de l'Ambigu-Comique, le , une comédie en deux actes et en prose, les Noces du père Duchesne[3].
  2. « Souviens-toi que tu es mortel. »

Références[modifier | modifier le code]

  1. Frédéric Braesch, Le Père Duchesne d’Hébert : édition critique avec une introduction, Paris, , 26 cm (OCLC 849079162).
  2. a et b D. Mater, J. R. Hébert, l'auteur du "Père Duchesne" avant la journée du 10 août 1792 : étude biographique & bibliographique, Bourges, H. Sire, , 126 p. (OCLC 903463850, lire en ligne), p. 40.
  3. Dorvigny, Les Noces du père Duchesne, Paris, Cailleau, , 59 p., in-8° (lire en ligne).
  4. Gérard Walter, Hébert et le père Duchesne, Paris, J. B. Janin, , 424 p. (lire en ligne), p. 48.
  5. Alphonse Aulard, La Société des Jacobins : recueil de documents pour l'histoire du club des Jacobins de Paris, t. 5, Paris, Jouaust, (lire en ligne), p. 477.
  6. a b c et d Charles Brunet, Le père Duchesne d’Hébert : Notice historique et bibliographique sur ce journal, publié pendant les années 1790, 1791, 1793 et 1794 précédée de la vie d’Hébert, son auteur, et suivie de l’indication de ses autres ouvrages, Paris, Librairie de France, , 228 p., in-18 (lire en ligne sur Gallica).
  7. La Grande Colère du père Duchesne, en voyant tomber sa tête par la fenêtre nationale, par Le père Duchêne, Paris, G.-F. Galletti, 1794 p. (lire en ligne sur Gallica).
  8. Godefroy Saint-Venant, Grande fureur de Moustache sans peur, contre le tocsin fêlé du vieux sac à vin de Père Duchesne, Paris, de l'impr. de St.-Venant, 179-, 8 p. (lire en ligne sur Gallica).
  9. Christophe Cave, Denis Reynaud et Danièle Willemart, 1793 : l’esprit des journaux, Saint-Étienne, Université de Saint-Étienne, , 345 p. (ISBN 978-2-86272-026-5, lire en ligne), p. 329.
  10. Louis Eugène Hatin, Histoire politique et littéraire de la presse en France : avec une introduction historique sur les origines du journal et la bibliographie générale des journaux depuis leur origine, t. 6, Paris, Poulet-Malassis et De Broise, (lire en ligne), p. 505.
  11. Léonard Gallois, Histoire des journaux et des journalistes de la révolution française (1789-1796) précédée d'une introduction générale : Introduction. Coup d'œil préliminaire sur les journaux publiés de 1789 à 1796. Brissot-Warville. Peltier. Marat. Hébert, t. 1, Paris, Bureau de la Société de l'industrie fraternelle, (lire en ligne).
  12. Jules Claretie, Histoire de la Révolution de 1870-1871, Paris, Librairie Illustrée, , 796 p. (OCLC 475449321, lire en ligne), p. 738.

Liens externes[modifier | modifier le code]

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