L'Enlèvement des Sabines (Poussin)
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Date | |
Technique | |
Dimensions (H × L) |
154 × 206 cm |
No d’inventaire |
46.160[1] |
Localisation |
Artiste | |
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Date | |
Technique | |
Dimensions (H × L) |
159 × 206 cm |
No d’inventaire |
INV 7290[2] |
Localisation |
L'Enlèvement des Sabines est le sujet de deux tableaux de Nicolas Poussin. Il est tiré de l'œuvre de Plutarque Vie de Romulus, et illustre le moment où les Romains s'emparèrent des Sabines, afin de les prendre pour épouses. Le premier, peint en 1634-1635 est conservé au Metropolitan Museum of Art de New York et a été peint à Rome. La deuxième version, peinte en 1637-1638 et exposée au musée du Louvre, montre qu’il n’a pas épuisé le sujet, même si certains personnages principaux sont identiques.
Le sujet commun
[modifier | modifier le code]Le tableau décrit Romulus, à gauche, donnant le signal de l’enlèvement des Sabines. Sa pose dérive directement de la statuaire impériale antique que Nicolas Poussin a l'occasion d'observer à Rome. La composition très dramatique de ces toiles reflète toute la tension de l'épisode. Les personnages sont nombreux : des soldats romains s'emparent des femmes qui s'efforcent de fuir et pleurent. Seule au milieu du chaos, une vieille Sabine implore Romulus le visage déconfit par l'horreur de la scène, personnage au manteau rouge qui supervise la scène à gauche du tableau.
Le thème de l'enlèvement
[modifier | modifier le code]Le thème de l'enlèvement connaît un vif succès aux XVIe et XVIIe siècles. Il permet de fusionner un corps féminin et un corps masculin, comme dans la sculpture, mais aussi de présenter des expressions diverses et, en peinture surtout, les effets de foule et de panique. Parmi les épisodes relatant des enlèvements, les plus fréquents, sans compter celui des Sabines, sont ceux d'Hélène par Pâris, d'Europe par Zeus, de Déjanire par le centaure Nessos, de Mikonos par les Gaulois et de Proserpine par Pluton, dont le Bernin avait donné une illustration en sculpture. Poussin s'en est probablement inspiré dans le groupe du premier plan à gauche, commun aux deux tableaux.
Version du Metropolitan
[modifier | modifier le code]L'architecture est présentée comme un décor de théâtre. Elle est évidemment anachronique par son classicisme. Poussin utilise un mode d'expression « furieux » qui, selon lui, décrit parfaitement les incroyables scènes de guerre. Son souci est d'être intelligible pour celui qui ne connaîtrait pas le sujet. Pour cela, il donne à ses personnages des attitudes très expressives. Les couleurs violentes rouges, jaunes, bleues participent à la création de cette atmosphère de terreur et de bouleversement. Pour imaginer l'œuvre finale, Poussin fabrique de petits personnages à la cire qu'il habille et qu'il place devant un paysage (principe nommé mise en boite ou "boite optique"). Il est un peintre classique savant qui construit minutieusement ses compositions.
Version du Louvre
[modifier | modifier le code]Ce tableau a été peint pour le cardinal Luigi Omodei. Après un passage dans la collection de Louis XIV, il arrive au Louvre en 1685[2]. Un siècle plus tard, en 1793, il fait partie des premiers tableaux exposés au Muséum Central des Arts, futur musée du Louvre. Outre que certains personnages diffèrent de la version peinte trois ans plus tôt, la composition architecturale est plus complexe.
La construction du tableau repose sur deux diagonales qui se croisent dans l'arc de triomphe au centre, qui est donc le point de fuite. Les courbes et les effets circulaires donnent dans la foule l'impression du mouvement.
L'espace central, avec un temple, une basilique et des palais groupés autour d'une vaste place, illustre le forum vitruvien[3].
Les appropriations de Braun-Vega
[modifier | modifier le code]Le peintre péruvien Herman Braun-Vega résidant à Paris fait en 1974 une étude technique et iconographique de L’enlèvement des Sabines du musée du Louvre pour produire sa série de vingt tableaux sur L’enlèvement des sabines de Poussin qu'il transpose dans la réalité contemporaine française et internationale[4]. Il s’intéresse particulièrement aux rapports entre civils et militaires, à l’agression, et à la violence politique et sociale, thèmes universels du tableau de Poussin qu’il actualise dans le contexte des années 1970.
Dans cette série, Braun-Vega adopte une facture « à la Poussin » — une construction plastique froide et rigoureuse — qu’il oppose à une chaleur chromatique et à l’insertion de motifs contemporains, tels que des objets de consommation courante ou des coupures de presse[5], pour souligner la violence de son époque[6], notamment le coup d’État au Chili ou l’attentat du drugstore de Saint-Germain à Paris[7]. Il détourne les éléments du tableau de Poussin, les met en abyme avec des éléments triviaux ou contemporains[8], des natures mortes inversées en trompe-l’œil[9] (par exemple, Tiens, voilà du boudin[10], L’enlèvement à la baguette[11]), pour offrir un regard ironique et critique sur la société moderne et la culture de la consommation[12]. Sa démarche ne relève pas de la parodie mais d’un transfert de valeurs[13], cherchant avant tout à démontrer la continuité de l’art[14].
L'appropriation de L'enlèvement des Sabines dans l'œuvre de Braun-Vega ne s'arrête pas à cette série. En dehors des 3 sérigraphies produites à la même époque (L'enlèvement à la miche de pain, L'enlèvement au Bain-Vapeur et Poids culturel)[15], on retrouve des références à cette œuvre de Poussin en 1981 dans Bonjour Monsieur Poussin[16], puis en 2007 dans Mémoires (Poussin)[17] et enfin en 2012 dans Casse-croûte de campagne (Poussin)[17] et La chair du sectarisme (Ingres, Poussin)[17] avec pour constante le questionnement des réalités sociales et politiques contemporaines.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- ↑ Fiche de l’œuvre sur le site du Metropolitan Museum of Art
- Notice no 2142, base Atlas, musée du Louvre
- ↑ Sabine Frommel, Peindre l'architecture durant la Renaissance italienne, Louvre éditions, coll. « La Chaire du Louvre », , p. 196-197.
- ↑ (es) Seymour, « Herman Braun: Pintura, Historia e ironía crítica » [« Herman Braun : Peinture, Histoire et ironie critique »], El Comercio, Lima, , p. 7 (lire en ligne) :
« quand j’ai fait la série Poussin sur L'enlèvement des Sabines, c'était pour une exposition en France. Dans cette exposition apparaissent des informations sur la situation politique et sociale française au moment où je peignais les tableaux. Et aussi, des informations sur l’Amérique latine. C’est quand le coup d’État militaire au Chili a eu lieu. Ces événements ont joué un rôle décisif dans la série sur Poussin. »
- ↑ Alain Jouffroy, « Herman Braun-Vega : la critique peinte », , n° 45, décembre 1975, p. 159-161 », XXe siècle, essais sur l'art moderne et d'avant-garde, no 45, , p. 159-161 (lire en ligne) :
« La série de peintures à l'acrylique sur bois qu'il a consacrée à L'enlèvement des Sabines de Poussin, en particulier, où il introduit l'information actuelle (fragments de journaux) et les objets de consommation (cageots, légumes, viandes d'étalage, etc.) dans un espace illusionniste où les personnages de Poussin sont analysés, répétés en miroir et resitués, parfois, dans le contexte des rues du Paris actuel, développe une véritable critique peinte sur les rapports et les oppositions que l'on peut découvrir entre l'espace pictural traditionnel et la réalité contemporaine. »
- ↑ Jean-Luc Chalumeau, La Nouvelle Figuration : Une histoire, de 1953 à nos jours, Figuration narrative - Jeune Peinture - Figuration critique, Paris, Cercle d’Art, , 222 p. (ISBN 978-2-702-20698-0), p. 140 :
« Les années 1973 et 1974 sont placées sous le signe de Nicolas Poussin et plus particulièrement de l'Enlèvement des Sabines du Louvre (1637). Braun-Vega élabore une série de vingt numéros qu'il conçoit comme une « étude technique et iconographique » à partir des rapports entre le civil et le militaire et du thème de l'agression. Il retrouve une facture « à la Poussin », c'est-à-dire non réaliste mais obéissant à un rythme intellectuel: une construction plastique « efficace et froide » qu'il oppose à une chaleur chromatique toute personnelle liée à des allusions à des événements politiques et sociaux contemporains. »
- ↑ Jean-Pierre Van Tieghem, Herman Braun, peintures (catalogue de l'exposition à la galerie Isy Brachot), Bruxelles, galerie Isy Brachot, (lire en ligne) :
« À eux seuls, les objets de l'avant-scène portent le témoignage de l'humanité d'aujourd'hui. Ils expriment la conscience d'un artiste né au Pérou et vivant à Paris. Dans Reconstitution de l'attentat, il s'agit de celui commis dans un drugstore de Saint-Germain -- le faisant et le lièvre rappellent qu'il eut lieu le jour de l'ouverture de la chasse. Ailleurs, il est question d'un autre assassinat : Allende au Chili. »
- ↑ (en) Rona Dobson, « Herman Braun », International Herald Tribune, (lire en ligne) :
« In this show, he uses Poussin’s Rape of the Sabines as his main theme, fragmenting it and festooning the borders with his own trompe l’œil offerings in the form of supermarket produce, banal everyday objects. »
- ↑ Stéphane Rey, « De Lima à Izegem », L'écho de la bourse, Bruxelles, , p. 6 (lire en ligne) :
« Voici [Braun-Vega] chez Isy Brachot avec de curieuses (et grandes) compositions inspirées de Poussin, pleines de mouvement, de soldats, de cavaliers, de sénateurs en toge avec, à l'avant-plan, des victuailles de tous genres (poulets, saucissons, lapins écorchés, pains de ménage) exécutées dans le plus pur style hyperréaliste. Tout cela est si habilement fait, si adroitement agencé qu'on prend le plus grand plaisir à ces spectacles simultanés, à ces ruptures de rythme, à ces trompe-l'œil. »
- ↑ Herman Braun-Vega, « Tiens, voilà du boudin (Poussin) », Acrylique sur bois, 85 x 111 cm, sur braunvega.com, (consulté le )
- ↑ Herman Braun-Vega, « Enlèvement à la baguette (Poussin) », Acrylique sur bois, 85 x 111 cm, sur braunvega.com, (consulté le )
- ↑ « Herman Braun », Les Nouvelles Littéraires, , p. 14 (lire en ligne) :
« Actuellement, dans ma dernière série, dans laquelle je traite l'Enlèvement des Sabines, j'essaie de démontrer l'inter-relation de la réalité plastique du tableau de Poussin et tous ses dérivatifs conceptuels et la réalité quotidienne française dans laquelle je vis, ce qui aboutit à une image ironique de notre "culture de consommation". »
- ↑ Marie-Claude Volfin, « Herman Braun », Les Nouvelles Littéraires, no 2523, , p. 26 (lire en ligne) :
« Un jeu allégorique à la fois pictural et littéraire où se rejoignent l'Antique et le Contemporain. A mi-parcours, une référence constante: L'enlèvement des Sabines [...] il n'y a pas parodie dans l'excellent travail d'Herman Braun mais un transfert de valeurs, dialogue entre le réel et le factice où tous les éléments associés se situent sur le même plan. »
- ↑ Monique Dittière, « Herman Braun à Bruxelles », L'aurore, (lire en ligne) :
« Après sa série de tableaux sur Les Ménines de Vélasquez, Le déjeuner sur l'herbe de Manet, Le bain turc d'Ingres, son hommage à Picasso... voici Poussin, où une fois encore, ce grand ancien n'est qu'un prétexte dans l'esprit de Braun : celui de démontrer d'abord la continuité dans l'art. »
- ↑ Michel Caza, 55 ans de sérigraphie d'art, Michel Caza : le caméléon de l'art contemporain, Champagne-sur-Oise, Michel Caza-Terascreen, (ISBN 978-2-9564404-0-6, lire en ligne), p. 188
- ↑ (es) Juan Voos, « El arte como reflejo de su época » [« L’art comme reflet de son époque »], La Crónica, (lire en ligne) :
« Dans le tableau Bonjour monsieur Poussin, Où l'on voit un tank avec des policiers passant devant le Club Nacional sur la Plaza San Martin, ce n’est pas une invention de moi, c’est ce que j’ai vu. Comme on le sait beaucoup de "coups" nationaux sont partis du Club Nacional. Dans ce même tableau et devant le tank j’ai peint un fragment de L'Enlèvement des Sabines de Poussin, dans lequel les Romains sont représentés en attaquant les Sabins et de cette façon, nous trouvons représentée une des premières agressions militaires contre des civils pacifiques. »
- Herman Braun-Vega : Fenêtres d’art, d’âme et de vie (catalogue de l'exposition de 2018 à la maison de l'UNESCO à Paris), Paris, Ministère des Relations extérieures du Pérou – Représentation du Pérou auprès de l’UNESCO, (lire en ligne), p. 57, 66-67, 80-81
Annexes
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]Liens externes
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- Ressource relative aux beaux-arts :
- Notice no 2142, base Atlas, musée du Louvre