Kolkhoze

Un kolkhoze (en russe колхоз, [kɐˈlxos] ⓘ) était un système agricole en Union soviétique, où les terres et les moyens de production étaient mis en commun. Il remplaça les artels. Le mot kolkhoze est une contraction de коллективное хозяйство (kollektivnoïé khoziaïstvo), « ferme collective », alors que sovkhoze est une contraction de советское хозяйство (littéralement « ferme soviétique »). Les kolkhozes et sovkhozes étaient deux composantes du système agricole soviétique, dont l'idée a émergé après la révolution d'Octobre 1917 et qui fut officiellement lancé en 1928-1929 sous Staline[1].
Selon Moshe Lewin, le système kolkhozien était une structure hybride combinant des principes incompatibles : le kolkhoze, les stations de machines et tracteurs (MTS) et le lopin privé étaient condamnés à coexister péniblement, mais le tout ne formait ni une coopérative, ni une usine, ni une exploitation privée (le terme « collectif » était dans ce cas totalement inapproprié). La « collectivisation » – qui n’avait donc rien de collectif – a eu une profonde influence sur le système étatique[2]
Le membre d'un kolkhoze était appelé kolkhoznik ou kolkhoznitsa au féminin (en russe : колхозник ou колхозница). Les kolkhozniks étaient payés en parts de la production du kolkhoze et du profit fait par le kolkhoze, proportionnellement au nombre d'heures travaillées. Les kolkozniks étaient en plus autorisés à posséder des terres, de l'ordre de 4 000 m2, et un peu de bétail.
Histoire
[modifier | modifier le code]Les années 1920 furent caractérisées par l'émergence spontanée et apparemment volontaire de plusieurs systèmes collectifs, qui étaient une version modernisée du mir traditionnel, tel le Toz. C'est uniquement après cela qu'apparaît le kolkhoze. Cette évolution progressive vers l'agriculture collective[réf. nécessaire] dans les quinze années suivant la révolution d'Octobre contraste avec la brusque collectivisation commencée en 1928.
Les kolkhozes furent en effet massivement mis en place par Joseph Staline dans le cadre de la politique de collectivisation avec la suppression des exploitations agricoles privées. À partir de 1929, la participation à un kolkhoze ou à un sovkhoze fut rendue obligatoire par les autorités soviétiques. Les membres du kolkhoze ne conservaient pas le droit de sortir librement de celui-ci. Et ceux qui sortaient tout de même du kolkhoze ne pouvaient prétendre à une indemnisation pour la perte de leur terre.
A partir de 1929, des mesures à la fois incitatives et coercitives à intégrer les kolkhozes sont progressivement instaurées par le pouvoir soviétique. Elles se heurtent rapidement à une intense résistance du monde paysan dans son ensemble avec 14 000 manifestations et émeutes obligeant les autorités soviétiques à marquer une pause tactique en 1930 tout en ne remettant pas en cause la politique adoptée sur le long terme[3].
A partir de Mai 1932 à la fois pour vaincre la résistance du monde paysan et le courant nationaliste notamment ukrainien et khazak, la loi des épis est promulguée aboutissant en 1933 à une famine volontairement instaurée par le pouvoir soviétique faisant plus de 5 millions de morts[4],[3].
En parallèle, 1 millions de propriétaires furent soumis à l'expropriation de leurs terres et 2,2 millions furent déportés[4].
La thèse du génocide a été critiquée par un grand nombre d'historiens, notamment Hiroaki Kuromiya, professeur à l'université de l'Indiana[5] et Mark B. Tauger, professeur associé à l'Université de Virginie-Occidentale[6].
À la fin de 1939, les travailleurs des kolkhozes sont au nombre de 29 millions, soit 46,1% de la population active, auxquels il faut ajouter 1 760 000 travailleurs des sovkhozes et des autres entreprises agricoles, et 530 000 employés des stations de machines et tracteurs (MTS)[1].
Bien des années plus tard, dans la période poststalinienne, et en dépit de nombreuses améliorations et réformes comme l'extension de la protection sociale, les traces de cette politique agricole volontariste et forcée d'uniformisation des années 1930 qui a traumatisé en profondeur va aussi marquer durablement le secteur agricole soviétique jusqu'à la fin de l'URSS en 1991[7].
Alors que les « collectifs » étaient dotés de champs immenses et d'une armada de tracteurs, et malgré une population rurale toujours plus considérable, l'URSS au vu des résultats catastrophiques de ces récoltes, fut obligée d'importer des céréales du Canada puis des États-Unis[2].
En effet, la politique de collectivisation a rompu le lien fondamental entre exploitation agricole et propriété de la terre[8].
Dès mars 1932, un rapport secret de l'OGPU, la police politique indique à Staline que "les paysans ont perdu leurs gestes ancestraux : les soins au bêtes sont totalement négligés depuis qu'elles "n'appartiennent plus à personne", les harnais et les selles traînent dans la boue, les labours sont fait n'importe comment, la terre est à peine retournée et les herbes parasites ne sont plus enlevées, tant et si bien qu'une grande partie des semences est perdue".[3]
Les résultats désastreux pour le pouvoir obligent ce dernier à ne pas publier les résultats du recensement de 1937 et les conséquences, véritable traumatisme du monde paysan, se répercuteront jusqu'à la fin de l'URSS et contribueront à expliquer sa chute et celle de l'empire soviétique[7].
Des déficiences instaurées pour des décénnies ?
L'URSS connaît à 8 reprises des récoltes agricoles catastrophiques en 1969, 1972, 1974, 1975, 1979, 1980, 1981 et 1984. Si les autorités soviétiques mettent l'accent sur les aléas climatiques, ce sont en réalité les conditions de conservation et de stockage degradées entrainant une perte de 15 à 20% de la récolte et la rupture plus profonde du lien, depuis la collectivisation menée à marche forcée, entre exploitation des terres agricoles et propriété du travailleur agricole qui expliquent ces résultats[8].
À partir de 1972, avec des rendements de l'ordre de 15 quintaux / hectare, gravement déficitaire d'un point de vue agricole, soit 1/4 du rendement des productions agricoles occidentales, et 50% de celui des pays du Bloc de l'Est, l'URSS va devoir importer 25 millions de tonnes de 1972 à 1979, puis jusqu'à 40 millions de tonnes de céréales par an du Canada et des États-Unis en raison de graves déficiences de production du également au primat donné à l'idéologie politique au détriment de la rigueur scientifique en agriculture (comme le démontre le courant du Lyssenkisme). Le rationnement est réintroduit dans les centres urbains de taille moyenne, illustré par les longues files d'attente devant les magasins[7],[8].
À la chute de l'Union soviétique en 1991, le pays comptait 45 % de sovkhozes et 55 % de kolkhozes. La taille moyenne d'un sovkhoze était de 153 km² (15 300 hectares), soit plus du double de celle d'un kolkhoze.[réf. nécessaire]
L'après 1991
[modifier | modifier le code]Avec la dissolution de l'Union soviétique en , les ex-républiques soviétiques sont devenues des États indépendants qui menèrent, avec plus ou moins de vigueur et de détermination, une restructuration de leur économie centralisée dans l'optique de parvenir à une économie de marché.
La réforme agraire fut ainsi l'une des composantes majeures de l'agenda de cette transition économique pour ces nouveaux états indépendants. Ces réformes permirent et privilégièrent avant tout l'exploitation familiale mais elles permirent aussi à de nouvelles formes d'entreprises agraires d'émerger telles les sociétés par action, des sociétés anonymes ou des coopératives agricoles.
Les kolkhozes et les sovkhozes furent ainsi généralement tenus de changer leurs statuts dans l'une de ces nouvelles formes d'entreprises. Cette exigence juridique conduisit à la vague d'une restructuration de façade des kolkhozes et des sovkhozes. Leur nombre a ainsi rapidement baissé après 1992, mais bon nombre des nouvelles exploitations agricoles se comportent et fonctionnent pour des raisons pratiques comme les anciens kolkhozes.
Structures internes
[modifier | modifier le code]La direction et la gestion des kolkhozes étaient directement inféodées aux décisions des autorités des collectivités territoriales étatiques, ainsi les kolkhozes furent rapidement transformés en émanation de ces dernières, délaissant totalement leur aspect coopératif. La différence entre kolkhozes et sovkhozes fut de plus en plus réduite et un grand nombre de kolkhozes changèrent leur statut pour devenir des sovkhozes.
Les kolkhozniks étaient divisés en brigades qui comprenaient en 1929 entre 15 et 30 familles chacune. Ce sont ces brigades qui endossèrent les responsabilités à court terme de gestion du personnel, de la terre, de l'équipement et des chevaux de trait.
Obligation
[modifier | modifier le code]Les membres du kolkhoze avaient pour obligation d'effectuer un nombre minimum de jours de travail par an à la fois pour le kolkhoze lui-même et pour la collectivité rurale, par exemple la construction de routes. Les exigences étaient d'un minimum de 130 jours par an pour chaque adulte valide et de 50 jours pour un garçon âgé entre 12 et 16 ans. Si des membres du kolkhoze n'avaient pas effectué le minimum de travail requis, les sanctions pouvaient être prises comme : la confiscation de la parcelle privée de l'agriculteur, un procès devant un tribunal populaire qui pouvait entraîner trois à huit mois de travail forcé dans le kolkhoze, ou jusqu'à un an dans un camp de travail correctif.
Un système de passeports internes empêcha le mouvement des zones rurales vers les zones urbaines. Jusqu'en 1969, tous les enfants nés dans une ferme collective furent contraints par la loi d'y travailler sauf si celle-ci donnait expressément l'autorisation de partir. En effet, les agriculteurs étaient reliés à leur sovkhoze ou kolkhoze dans ce qui a pu être décrit comme un système de « néo-servage », dans lequel la bureaucratie stalinienne remplaça les anciens propriétaires seigneuriaux.
Permission
[modifier | modifier le code]Les membres des kolkhozes furent autorisés à détenir un lopin de terre privé avec quelques animaux. La taille de cette parcelle privée varia au cours de la période soviétique, mais elle fut habituellement d'environ 0,40 ha (environ un acre anglo-saxon). Avant la Révolution russe de 1917, un paysan avec moins de 5,5 ha était jugé trop pauvre pour entretenir une famille. Toutefois, la productivité de ces parcelles se reflétait dans le fait qu'en 1938, 3,9 % du total des terres ensemencées qui avait pris la forme des parcelles privées, produisaient 21,5 % de la production agricole brute.
Polémique
[modifier | modifier le code]La collectivisation des terres se basait sur le postulat théorique qu'en remplaçant les fermes non mécanisées de petites tailles, alors très communes en Union soviétique, par des fermes mécanisées de grandes tailles, la production de nourriture serait beaucoup plus efficace. Lénine voyait l'agriculture privée comme une source de mentalité capitaliste et espérait remplacer les fermes par des sovkhozes ou des kolkhozes qui transformeraient les ouvriers agricoles en prolétaires, et seraient collectifs par nature.
Cependant, cette théorie jamais vérifiée ni expérimentée en conditions réelles appliquée de manière extrêmement brutale et uniforme à la mosaïque des nombreuses et différentes sociétés agricoles et pastorales qui composaient le monde paysan de l'URSS notamment russe, ukrainien et kazakh, s'est heurtée en vérité à la relation fondamentale entre exploitation de la terre ou l'élevage et la possession par l'agriculteur et ou l'éleveur. Cette dernière qui fait par la suite gravement défaut au système soviétique agricole et d'élevage dans son ensemble a constitué le fondement de son inéfficacité et à son échec global[3],[7],[8].
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Moshe Lewin, « Documentation sur la construction des kolkhozes en URSS : Rapport du Kolkhozcentr du », in Cahiers du monde russe et soviétique, vol. 6, no 4, octobre-, pp. 530-559 [1]
- Gabiden Moustafine, Le millionnaire, Littérature soviétique, 1948, 1954, 128 pages (roman)
- Sur l'évolution des kolkhozes dans les années 1990 à 2010 : Estelle Lezean, L’agriculture russe en transition : entre stagnation et modernisation post-soviétiques, (DOI 10.4000/economierurale.3309, lire en ligne), p. 325-326
Notes et références
[modifier | modifier le code]- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Kolkhoz » (voir la liste des auteurs).
- Moshe Lewin, Le Siècle soviétique, Paris, Fayard / Le Monde Diplomatique, , 518 p. (ISBN 978-2-213-61107-5), p. 91
- Moshe Lewin, Le Siècle soviétique, Paris, Fayard / Le Monde Diplomatique, , 518 p. (ISBN 978-2-213-61107-5), p. 93
- Nicolas WERTH, Les grandes famines soviétiques, Paris, Presses Universitaires de France, , 128 p.
- Nicolas WERTH, Histoire de l'Union Soviétique de Lénine à Staline (1917-1953), Paris, PUF, , 128 p. (ISBN 978-2-7154-0876-0)
- ↑ Hiroaki Kuromiya, « The Soviet Famine of 1933 reconsidered », Europe-Asia Studies, vol. 60, no 4, 2008, p. 663-675.
- ↑ Voir entre autres Mark B. Tauger, « The 1932 Harvest and the Famine of 1933 », Slavic Review, vol. 50, Issue 1, 1991, p. 70-89 ; et « Natural Disaster and Human Action in the Famine of 1931-1933 », The Carl Beck Papers in Russian & East European Studies, n. 1056, juin 2001.
- Sabine DULLIN, L'ironie du destin Histoire des russes et de leur empire (1853-1991), Paris, Payot, , 220 p.
- Nicolas WERTH, Histoire de l'Union Soviétique de Khroutchev à Gorbatchev, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais je ? », , 128 p. (ISBN 978-2-7154-0576-9)