Jules Pascin

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Julius Mordecai Pincas
Jules Pascin au Café du Dôme, Paris, 1910.
Naissance
Décès
(à 45 ans)
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Sépulture
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Vue de la sépulture.

Julius Mordecai Pincas dit Jules Pascin (prononcé [pas.kin][1],[2],[3] ou incorrectement [pas.kɛ̃]), né le à Vidin (Bulgarie) et mort le à Paris (18e)[4], est un peintre, dessinateur et graveur américain d'origine bulgare.

Biographie[modifier | modifier le code]

Issu d'une famille aisée de négociants et de financiers établis à Bucarest en 1892, fils de Marcus lui-même fils d'un juif espagnol, et de Sophie, une juive italienne également séfarade, sa famille désapprouve ses activités artistiques. C'est à Bucarest qu'il entretint en 1901, une liaison avec une courtisane, tenancière d'une maison close, ce qui ne manquera pas d'influencer son œuvre.

Il vécut et reçut sa formation à Vienne, Budapest (1902), Berlin, et Munich (1903), avant de venir s'installer à Paris, où il cède à sa famille scandalisée par son mode de vie. Conseillé par Guillaume Apollinaire, il prend le nom de Pascin, anagramme de Pincas. Celui qui fut appelé le « prince de Montparnasse » et le « prince des trois monts »[5], fait partie des peintres de l'école de Paris.

Julius Mordecai Pincas par Albert Weisgerber, 1906.

Vivant chichement à Munich en dépit de sa collaboration comme illustrateur au journal satirique allemand Simplicissimus, il arrive à Paris le , année où les « Fauves » triomphent au Salon d'automne. Il s'installe au Grand Hôtel des Écoles, rue Delambre. La colonie artistique allemande du Dôme et de la Rotonde accueillent à bras ouverts « l'inquiétant Pascin[6] ».

Influencé d'abord par le fauvisme, puis par le cubisme dont il se détourne très vite, il s'affirme comme le dessinateur insatiable des nuits parisiennes dont les mensualités toujours versées par la revue Simplicissimus lui permettent d'être un animateur sans compter. Son ami et compagnon de débauche, le dessinateur Henri Bing le décrit comme « un anarchiste déguisé en dandy ». Il affirme n'être que l'admirateur de Boucher et de Fragonard.

« Pourquoi une femme est-elle considérée comme moins obscène de dos que de face, pourquoi une paire de seins, un nombril, un pubis sont-ils de nos jours encore considérés comme impudiques, d’où vient cette censure, cette hypocrisie ? De la religion[7]? »

Hermine au grand chapeau, 1917.

Au cours de l'automne 1907, il se lie avec Hermine-Lionette Cartan dite Hermine David, femme peintre de talent, et s'installe no 1, rue Lepic, à l'Hôtel Beauséjour jusqu'au courant de 1909, ou il va au no 49, rue Gabrielle. Il occupe un atelier à Montmartre près de celui occupé par Kees van Dongen. De 1908 à 1912, il participe au Salon d'automne avec des dessins ou des aquarelles. En 1909, il rencontre Cécile Vidil (1891-1977) dite « Lucy », modèle de Marquet et de l'atelier Matisse, qui devient sa seconde maîtresse.

De 1913 à 1914, il habite au no 3, rue Joseph-Bara.

Avant la guerre de 1914-1918, il doit quitter la France en raison de sa nationalité, la Bulgarie étant une nation hostile à la France, et se rend début octobre 1914 aux États-Unis où il bénéficie d'une certaine notoriété depuis l'exposition internationale d'art moderne de New York (1912). En compagnie du graveur américain George Overbury Hart dit « Pop Hart » (1868-1933), il part, début , pour le carnaval de La Nouvelle-Orléans.

Le , il épouse Hermine David qui l'a rejoint au printemps 1915. Il obtient la nationalité américaine le . Fixé à New York, se liant d'amitié avec Alfred Stieglitz, il voyage beaucoup, rapportant des dessins et des aquarelles de Cuba, du Texas, de la Floride et de Caroline du Sud.

Les Petites Américaines (1916), Paris, musée d'art et d'histoire du Judaïsme.
Photographie de Pascin (sans date).

En octobre 1920, Pascin revient à Paris et s'initie à la gravure avec Jean-Gabriel Daragnès. Il expose chez Berthe Weill, au Salon des indépendants et, retrouve Lucy dans son ancien logement, rue Joseph-Bara, qu'elle habite avec son mari le peintre norvégien Per Krohg, filleul d'Edvard Munch. Parmi ses autres modèles figure Henriette Gomès qui deviendra une galeriste internationale. Il loue un atelier au no 15, rue Hégésippe-Moreau.

En , il se rend en Algérie et en Tunisie où il reviendra en 1924 et en 1926. En 1922, il reprend l'atelier du peintre Jean Marchand (1883-1940) au no 73, de la rue de Caulaincourt[8]. À partir de 1922, Pascin envoie régulièrement des œuvres au Salon de l'araignée, fondé en 1920 par Gus Bofa[9], et effectue des séjours dans le Midi (Cassis, Marseille…). En 1923, il s'installe au no 36, boulevard de Clichy à Paris et, cette même année, il vend plusieurs de ses œuvres à Albert Barnes. Il livre une aquarelle Famille tunisienne pour illustrer le no 8 du Crapouillot ; jusqu'en 1930, il fournira huit autres livraisons à cette revue où écrit son ami le critique et romancier Pierre Mac Orlan et qui édite également des œuvres d'Hermine David. En 1924, il perfectionne sa technique de gravure chez Jean-Gabriel Daragnès (1886-1950), avec André Warnod.

Jules Pascin dans son studio, av. 1930.

En 1925, il va en Italie. Pour ne pas perdre la nationalité américaine, il retourne, en , aux États-Unis. Il réside un an à New York où Lucy le rejoint en .

En 1929, il part pour l'Espagne et le Portugal avec Lucy qui loue cette même année un atelier Villa des Camélias à Vanves pour l'éloigner de Montmartre.

Il est l'ami de critiques artistiques : André Warnod (auquel il fera découvrir les ateliers « les plus désespérément russes »), André Salmon, Georges Charensol, Florent Fels

Il prend pour modèle, entre autres, sa femme Hermine David et sa maîtresse Lucy Krogh, Aïcha Goblet, ainsi que les pensionnaires des maisons closes et des lieux mal famés de la faune montmartroise, et couvre ses carnets de dessins voluptueux et nostalgiques, parfois érotiques et toujours nimbés d'une indicible tristesse.

Rongé par l'alcool, doutant de son art resté figuratif, partagé dans ses affections, il en vient à perdre son équilibre et, le , le jour même du vernissage de son exposition à la galerie Georges Petit, qui devait lui amener de nouveaux succès, il se suicide à 45 ans à Paris dans son atelier du no 36, boulevard de Clichy en s'ouvrant les veines des deux bras, puis il écrit avec son sang « Adieu Lucy » sur les murs de l'atelier et, comme la mort ne vient pas, il se pend avec une ficelle et se brise la nuque. Lucy Krogh découvre le corps trois jours plus tard. Le Paris des arts est consterné et, le jour de ses funérailles, un grand nombre de galeries ferment.

Pascin est inhumé au cimetière du Montparnasse, division 28, à Paris le . Sur la tombe est gravé un poème d’André Salmon :

« Homme libre héros du songe et du désir de ses mains qui saignaient poussant les portes d’or esprit et chair Pascin dédaigna de choisir et maître de la vie il ordonna la mort[10]. »

Œuvre[modifier | modifier le code]

Son expérience de dessinateur satirique, sa connaissance de l'expressionnisme allemand sont évidentes dans ses premières œuvres où certains portraits rappellent Otto Dix ou George Grosz avec un trait moins incisif et moins cruel. Il évoluera rapidement vers des couleurs pastellisées, presque irréelles qu'il accorde avec justesse au thème du corps féminin, centre de sa production.

Parmi les peintres de l'École de Paris, Pascin occupe une place à part ; son art s'impose par sa vérité expressive et sa douceur mélancolique ; il décrit avec indulgence le monde interlope « des filles », à l'aide d'une touche nacrée, légère aux couleurs irisées, dans les tons de gris, de rose, d'ocre, de bleu-violacé, les corps alanguis aux formes estompées qui dégagent un lourd parfum d'érotisme. Ces femmes saisies dans leur intimité sont en fait le miroir du mal de vivre de Pascin.

Son graphisme vibrant, le trait ne dessinant que vaguement les contours du corps, lui permet de rendre ses modèles baignés dans une lumière qui reflète plus un état d'âme que la réalité d'un corps. À ce titre, il peut apparaître comme un continuateur sans complaisance des maîtres du XVIIIe siècle et de leur goût de la liberté et du libertinage.

Illustrations[modifier | modifier le code]

Illustration pour Aus den Mémoiren des Herrn von Schnabelewopski.

Pascin a illustré également de nombreux livres, de Pierre Mac Orlan ou de Paul Morand entre autres.

Réception critique[modifier | modifier le code]

Dans son roman A Moveable Feast[13], Ernest Hemingway écrit un chapitre intitulé « Avec Pascin au Dôme », racontant sa rencontre, au printemps 1924, avec le « prince de Montparnasse » accompagné de deux modèles. La description de cet épisode par Hemingway est considérée comme l'une des images typiques du Montparnasse de l'époque. On le voit partout, dans les cabarets de Montmartre et de Montparnasse, il est de tous les bals, déguisements, fêtes et banquets. Hemingway sait reconnaître son talent mais aussi ses défauts et écrit, dans ledit chapitre :

« Pascin était un très bon peintre et il était ivre, constamment, délibérément ivre, et à bon escient. […] Il ressemblait à un personnage de Broadway, vers la fin de siècle, bien plus qu'au peintre charmant qu'il était, et plus tard, quand il se fut pendu, j'aimais me le rappeler tel qu'il était ce soir-là, au Dôme. »

« Pascin le dandy des trois monts (Vénus, Montparnasse et Montmartre), enfant prodigue et clochard, vivant son art à corps perdu, aimé de tous et pourtant peintre maudit… Fervent admirateur de Toulouse-Lautrec, il se voulait et il se voulut toute sa vie grand calife des Mille et Une Nuits qui avaient hanté sa jeunesse et caïd des bordels et de la bohême… À Paris comme à Tokyo, Pascin connut la gloire de son vivant ; son œuvre est éparpillée dans tous les grands musées du monde. Couvert de femmes mais n'en aimant qu'une, il mit fin à ses jours, entraînant avec lui la fin d'une époque qu'il avait incarnée plus que quiconque. »

— André Bay[14]

« Un peintre étranger à toute influence, auteur d'une imagerie lucide, vénéneuse et tendre. Le pinceau nerveux, les tons gris et roses, le crayon d'une extraordinaire rapidité de ce "Montparno", se vouent essentiellement à décrire avec une souveraine impudeur les fêtes et les désespoirs de l'amour vénal. »

— Gérald Schurr[15]

Œuvres dans les collections publiques[modifier | modifier le code]

Expositions[modifier | modifier le code]

Expositions personnelles[modifier | modifier le code]

Expositions collectives[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Julius Pincas dit Pascin (prononcé “Pasquine”) est né en 1885 dans l'actuelle Bulgarie. »
    Cf. « Derniers jours : Pascin, “le magicien du réel” », dans Le Journal du Septième (ISSN 1774-4660), no 12, avril 2007, agenda culturel, p. 15 ; en ligne format PDF.
  2. (en) « […] Jules Pascin (pronounced Pass-kin, born Pincas, first name unremembered, in Bulgaria of a Spanish-Jewish father and a Serbo-Italian mother) […] »
    Cf. « Art : Beauty & the Baker », dans Time, lundi 18 juillet 1932.
  3. (en) « He prononced his name ‘Pass-keen’, and so did his friends. »
    Cf. John Ulric Nef (en), « Reminiscences of Jules Pascin » (juin 1966), dans Tom L. Freudenheim, Pascin (catalogue d'exposition), University Art Museum, University of California, Berkeley, 1966.
  4. Son acte de décès (n° 2110) dans les registres de décès du 18e arrondissement de Paris pour l'année 1930.
  5. Montparnasse, Montmartre, Mont de Vénus.
  6. Pierre Cabanne, L'Épopée du Cubisme, La Table Ronde, 1963, p. 123.
  7. « Jules Pascin (1885-1930) », sur lemondedesarts.com (consulté le ).
  8. A. Roussard, op. cit., 640 p., p. 400-401.
  9. Christian Delporte, « Gus Bofa et le "salon de l’araignée" (1920-1930) », Gavroche, n° 65, septembre-,texte intégral.
  10. Jules Pascin (1885-1930) à la galerie Roussard, Montmartre.
  11. Texte français mais illustrations de Pascin.
  12. (BNF 35284418).
  13. Paris est une fête, Gallimard, 1964, trad. Marc Saporta.
  14. André Bay, Adieu Lucy. Le roman de Pascin, Albin Michel, 1984.
  15. Gérald Schurr, Le Guidargus de la peinture, Gründ, 1996.
  16. Voir sur catalogue.bnf.fr.
  17. Petite danseuse
  18. André Chamson, Collection Girardin, éditions du Petit Palais, 1954, n° 264-268.
  19. Huile sur toile, 73 x 92 cm.
  20. Huile sur toile, 92 x 73 cm.
  21. Crayon noir et crayons de couleur, 54 x 40,5 cm.
  22. Gouache, 124 x 150 cm.
  23. Huile sur toile.
  24. François Fosca, « Chroniques - Pascin, Galerie Bernheim-Jeune », L'Amour de l'art, n° 4, avril 1929, p. 156.
  25. Water colors, pastels, drawings and monotypes by Hermine David, André Dunoyer de Segonzac, Jean Dufy, Henri Farge, Jean Lurçat, Aristide Maillol, Jules Pascin, Georges Rouault, Paul Signac, Henri Vergé-Sarrat, Maurice de Vlaminck
  26. Pierre Bonnard, Philippe Cara Costea, Jean Commère, Henri-Edmond Cross, Honoré Daumier, André Derain, Charles Despiau, Charles Dufresne, Raoul Dufy, André Dunoyer de Segonzac, Georges Feher, Tsugouharu Foujita, Édouard Goerg, Jean Jansem, Charles Marcon, André Marchand, Henri Matisse, André Minaux, Alain Mongrenier, Roger Mühl, Jules Pascin, Pierre-Auguste Renoir, Georges Seurat, Paul Signac, Maurice de Vlaminck, Jacques Van den Bussche »

Annexes[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

Dictionnaires et encyclopédies[modifier | modifier le code]

En français[modifier | modifier le code]
  • Georges Charensol, Les Grands Maîtres de la peinture moderne, éd. Rencontre, s.d.
  • Les Muses - Encyclopédie des arts, vol. 11, Grange-Batelière, 1972.
  • Patrick-F. Barrer, L'Histoire du Salon d'automne de 1903 à nos jours, Arts et Images du Monde, 1992.
  • Gérald Schurr, Le Guidargus de la peinture, Les Éditions de l'Amateur, 1996.
  • André Roussard, Dictionnaire des peintres à Montmartre, Paris, Éditions A. Roussard, 1999, p. 458 (ISBN 9782951360105).
  • Nadine Nieszawer, Peintres juifs à Paris 1905-1939, École de Paris, Denoël, 2000.
  • Nieszawer et Princ, Histoires des artistes Juifs de l'École de Paris, 1905-1939, Denoël, 2000 ; Somogy, 2015 ; Les étoiles éditions, 2020, p. 335-340.
  • Jean-Pierre Delarge, Dictionnaire des arts plastiques modernes et contemporains, Gründ, 2001.
En anglais[modifier | modifier le code]

Essais[modifier | modifier le code]

  • Jean-Paul Crespelle, Montparnasse vivant, Hachette, 1962.
  • André Bay, Adieu Lucy - Le roman de Pascin, Albin Michel, 1984, ill., 426 p. (ISBN 2226019596)
  • Gaston Diehl, Pascin, Flammarion, coll. « Les maîtres de la peinture moderne », 1968, ill., 96 p.
  • Stéphen Lévy-Kuentz, Pascin et le tourment, La Différence, coll. « Les essais », 2001.
  • Stéphen Lévy-Kuentz, Pascin libertin, Adam Biro, 2009.
  • Stéphen Lévy-Kuentz, Pascin, préface de Pascal Quignard, La Différence, coll. « Grandes monographies », 2009.

Catalogues raisonnés[modifier | modifier le code]

  • Yves Hemin, Guy Krohg, Klaus Perls et Abel Rambert, Pascin : catalogue raisonné, vol. 1 : Peinture, Aquarelles, Pastels, Dessins, Bibliothèque des Arts, , 456 p., 456 p., 846 ill. (ISBN 978-2-85047-010-3).
  • Yves Hemin, Guy Krohg, Klaus Perls et Abel Rambert, Pascin : catalogue raisonné, vol. 2 : Peinture, Aquarelles, Pastels, Dessins, Bibliothèque des Arts, , 508 p., 1185 ill. (ISBN 978-2-85047-011-0).
  • Yves Hemin, Guy Krohg, Klaus Perls et Abel Rambert, Pascin : catalogue raisonné, vol. 3 : Simplicissimus, Gravures, Lithographies, Illustrations, Sculptures, Objets, Bibliothèque des Arts, , 264 p., plus de 1000 ill. (ISBN 978-2-906565-02-9).
  • Yves Hemin, Guy Krohg, Klaus Perls et Abel Rambert, Pascin : catalogue raisonné, vol. 4 : Dessins, Aquarelles, Pastels, Peintures, Dessins érotiques, Bibliothèque des Arts, , 432 p., 1420 ill. (ISBN 978-2-906565-05-0).
  • Abel Rambert et Gérard Rambert, Pascin : catalogue raisonné, vol. 5 : Peinture, Aquarelles, Pastels, Dessins, Bibliothèque des Arts, , 640 p., 1167 ill. (ISBN 978-2-88453-158-0).

Articles de presse[modifier | modifier le code]

Dans la littérature[modifier | modifier le code]

Roman graphique[modifier | modifier le code]

Filmographie[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]