Aller au contenu

Jean Eustache

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Jean Eustache
une illustration sous licence libre serait bienvenue
Biographie
Naissance
Décès
Sépulture
Nom de naissance
Jean André Eustache
Nationalité
Activités
Autres informations
Films notables
Œuvres principales
Sépulture de Jean Eustache au cimetière parisien de Bagneux (division 94).

Jean Eustache est un réalisateur français, né le à Pessac et mort le à Paris.

Proche de la rédaction des Cahiers du cinéma et des réalisateurs de la Nouvelle Vague, il passe à la réalisation en 1963 avec Les Mauvaises Fréquentations puis tourne, en 1965 à Narbonne, Le père Noël a les yeux bleus.

En 1972, il réalise La Maman et la Putain qui obtient le grand prix au festival de Cannes 1973. Après ce succès, Eustache met en scène son enfance à Narbonne dans Mes petites amoureuses, film sorti en 1974 dont le succès est moindre. Par la suite, il ne parvient pas à tourner un nouveau long métrage.

Jean Eustache naît à Pessac en 1938, son père, ouvrier communiste, est maçon[1],[2]. Après le divorce de ses parents, il est d'abord élevé par sa grand-mère maternelle Odette Robert avant de rejoindre sa mère à Narbonne en 1951-1952 où il passe un CAP d'électricien[2],[3]. Il arrive à Paris en 1957 et travaille à la SNCF comme ouvrier spécialisé. Cinéphile, il fréquente la Cinémathèque française le week-end[2]. Refusant de partir en Algérie, il fait une tentative de suicide en s'ouvrant les veines et passe un an en hôpital psychiatrique[2].

Il épouse Jeanne Delos avec qui il a deux fils, Patrick et Boris[2].

À la Cinémathèque française, et par l'intermédiaire de sa femme qui travaille comme secrétaire aux Cahiers du cinéma, il rencontre les principaux protagonistes de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard, Éric Rohmer, Jean Douchet, Jean-Pierre Léaud et Paul Vecchiali[2]. En 1962, il assiste au tournage de La Boulangère de Monceau d'Éric Rohmer et du Mannequin de Belleville de Jean Douchet[4],[5].

Grâce à Paul Vecchiali, il peut réaliser La Soirée, son premier court métrage, en 1962. À l'hiver 1963, il tourne un moyen métrage, Du côté de Robinson, plus connu sous le nom Les Mauvaises Fréquentations[2]. Le film raconte l'histoire de deux copains, d'origine modeste, qui s'ennuient dans les rues de Paris. Ils abordent une fille dans la rue et l'emmènent au dancing. La fille finit par danser avec un autre garçon. Pour se venger, ils lui volent son portefeuille.

À l'hiver 1965-1966, il réalise à Narbonne un second moyen métrage, Le père Noël a les yeux bleus, avec des chutes de pellicule du film Masculin féminin de Jean-Luc Godard[6],[2]. Le film raconte l'histoire d'un jeune homme, Daniel (Jean-Pierre Léaud), qui, pour se payer un duffel-coat, accepte la proposition d'un photographe de se déguiser en père Noël pour poser dans la rue avec les passants.

En 1966, il travaille comme monteur pour la série de trois émissions que Jacques Rivette réalise sur Jean Renoir, Jean Renoir, le patron dans le cadre de la série Cinéastes de notre temps produite par Janine Bazin et André S. Labarthe[7] puis pour l'émission consacrée à Murnau[8].

Jean Eustache se sépare de sa femme en 1967[2]. Il vit ensuite une histoire d'amour avec Françoise Lebrun[2] qui sera l'une des deux principales actrices de La Maman et la Putain. Il tourne alors la première version de La Rosière de Pessac, le documentaire Le Cochon avec Jean-Michel Barjol et Numéro Zéro, un film sur sa grand-mère, Odette Robert, qu'il filme en continu grâce à deux caméras fixes qui permettent d'avoir un film « en temps réel ». Après une projection privée devant un petit nombre de proches, dont Jean-Marie Straub, Eustache lui-même décide de ne pas diffuser Numéro Zéro. En 1980, il accepte de le diffuser en version courte (54 min) sous le titre Odette Robert à la télévision. Le cinéaste Pedro Costa, qui a entendu parler du film par Jean-Marie Straub, retrouve et restaure une version du film et permet ainsi la sortie en salle en 2003[9]. Lors de sa sortie en salles en 2003, il fait 3 500 entrées[10].

La Maman et la Putain

[modifier | modifier le code]

En 1972, Eustache écrit et tourne son film autobiographique La Maman et la Putain, d'une durée finale de h 40. L'histoire, qui s'inspire de sa vie réelle immédiate et notamment de son histoire d'amour avec Catherine Garnier, raconte quelques jours de la vie d'un jeune homme oisif, Alexandre (Jean-Pierre Léaud), qui passe sa vie à discuter dans les cafés. Vivant chez sa maîtresse, Marie (Bernadette Lafont), il tente désespérément de persuader son ancienne petite amie, Gilberte (Isabelle Weingarten), de revenir avec lui et sort avec Veronika (Françoise Lebrun), une infirmière abordée dans la rue. En 1973 le film, sélectionné au festival de Cannes, obtient le grand prix spécial du jury[2] présidé par Ingrid Bergman, qui déteste le film, dans un climat houleux[11]. Il divise la critique, Jean-Louis Bory (Le Nouvel Observateur), par exemple, n'apprécie ni le film, ni le style de jeu de Léaud qui selon lui « joue faux et reste faux[12]. » Juste après Cannes, Catherine Garnier se suicide et Eustache passe quelque temps en maison de repos. Le film fait 340 000 entrées[13].

La Maman et la Putain est devenu un film culte. Ainsi, dans son histoire du cinéma français, Jean-Michel Frodon le considère comme un des plus beaux films du cinéma français[5].

Le succès relatif du film permet à Eustache de tourner Mes petites amoureuses dans de bonnes conditions[1],[2]. Le film raconte l'enfance et l'adolescence de Daniel dans un petit village proche de Bordeaux auprès de sa grand-mère, puis à Narbonne auprès de sa mère. Le film s'inspire de la jeunesse du cinéaste à Narbonne[14]. À l'inverse du précédent, le film comporte beaucoup moins de dialogues[15]. Il ne rencontre qu'un faible succès (120 000 entrées)[16].

Eustache joue dans L'Ami américain de Wim Wenders, puis dans La Tortue sur le dos de Luc Béraud.

Il tourne aussi Une sale histoire et la deuxième version de La Rosière de Pessac, intitulée La Rosière de Pessac 79.

En , en Grèce, il chute du haut d'une terrasse et se brise une jambe. Cloîtré chez lui de longs mois, il apprend qu’il boitera toute sa vie[17],[2]. En pleine dépression, il se suicide le [note 1], dans son appartement du 106 rue Nollet, à Paris, en se tirant une balle de pistolet dans le cœur[2]. Sur la porte de la chambre, il a punaisé une carte sur laquelle il a laissé ces mots lapidaires : « Frappez fort. Comme pour réveiller un mort[3]. »

Il avait plusieurs projets en cours dont Peine perdue[18], La rue s'allume avec Jean-François Ajion, la suite de La Maman et la Putain et Un moment d'absence avec Sylvie Durastanti[2],[19],[note 2].

Il est inhumé au cimetière parisien de Bagneux (division 94).

Analyse de l’œuvre

[modifier | modifier le code]

Aspect autobiographique

[modifier | modifier le code]

L'œuvre de Jean Eustache s'inspire largement de sa vie réelle (Les Mauvaises Fréquentations, Le père Noël a les yeux bleus, La Maman et la Putain, Mes petites amoureuses)[1]. Mes petites amoureuses raconte la fin de son enfance à Pessac et à Narbonne[20]. La Maman et la Putain s'inspire directement de sa vie au moment même où il tourne le film et plus particulièrement de sa rupture avec Françoise Lebrun, de sa vie avec Catherine Garnier et de son amour pour Marinka Matuszewski[3].

Travail avec les acteurs

[modifier | modifier le code]

Jean Eustache écrit des textes précis et demande que les acteurs respectent le texte. Dans un entretien avec Sylvie Blum et Jérôme Prieur, il explique : « Cela n'est pas intéressant que l'acteur trouve lui-même une phrase plus juste (et modifie les dialogues du scénario) : le jeu de l'acteur consiste précisément à se trouver lui-même à l'intérieur d'une chose écrite[15]. »

Dans un entretien donné à la revue So Film en 2012, Jean-Pierre Léaud raconte que, sur le tournage de La Maman et la Putain, Jean Eustache était intraitable avec les acteurs et voulait absolument que le texte, particulièrement long et dense, soit connu au mot et à la virgule près. L'exigence était d'autant plus grande qu'il n'y avait qu'une seule prise par plan[21].

Dans Bernadette Lafont, une vie de cinéma (Atelier Baie, 2013), Bernadette Lafont évoque le rapport d'Eustache aux acteurs : « Alors que Léaud devait absolument être présent, je pensais qu'il n'était pas nécessaire de faire appel à des comédiennes professionnelles pour les deux rôles féminins. Eustache pouvait, en effet, diriger n'importe qui. Il était de ces metteurs en scène capables de faire jouer une chaise […]. J'ai longuement hésité et il s'en est fallu de peu que je ne fasse pas le film. Je disais à Jean : "Mais pourquoi tu me prends moi ?". "C'est comme ça, répliquait-il. C'est Léaud, toi et Françoise. Ou alors je change tout et je prends Marie-France, le travesti !" ».

Filmographie

[modifier | modifier le code]

Réalisateur

[modifier | modifier le code]

Publications

[modifier | modifier le code]
  • « Peine perdue, fragments d'un scénario abandonné », Cahiers du cinéma, no 330,‎ (lire en ligne, consulté le )
  • « La rue s'allume, projet de film de Jean Eustache et Jean-François Ajion », Cahiers du cinéma, no 330,‎ (lire en ligne, consulté le )
  • La Maman et la Putain : scénario, Cahiers du cinéma, (1re éd. 1986), 122 p. (ISBN 978-2-86642-208-0)
Le cinéma Jean-Eustache à Pessac.

Le cinéma de sa ville natale, Pessac, porte son nom.

Jean Eustache a profondément marqué ses amis et plusieurs lui ont rendu hommage depuis sa mort en 1981.

  • Après lui avoir dédié Elle a passé tant d'heures sous les sunlights en 1985[26], Philippe Garrel lui rend hommage dans son film Les Ministères de l'art (1988)[27].
  • En , Bernard Bonnamour réalise un film L'Entretien où Jean Eustache (incarné par Stéphane Roche) répond à une interview[28]. Le texte prononcé par Jean Eustache est issu de la retranscription d'un véritable entretien.
  • En 2000, l'écrivain Lucile Laveggi, une de ses amies, lui consacre son roman Damien[29]. L'année suivante, Evane Hanska, une autre de ses amies, lui consacre également un ouvrage en 2001 intitulé Mes années Eustache.
  • En 2006, son ami Jean-Jacques Schuhl lui rend hommage dans le journal Libération dans un article intitulé « Jean Eustache aimait le rien »[30].
  • En 2005, Jim Jarmusch lui dédie son film Broken Flowers[30].
  • En 2008, le cinéaste Vincent Dieutre lui rend hommage dans un court métrage intitulé Exercice d'admiration : Jean Eustache. Dieutre reprend le monologue final de Veronika dans La Maman et la Putain en compagnie de Françoise Lebrun.

L'œuvre de Jean Eustache était difficile d'accès en DVD. Pour des raisons liées aux droits d'auteurs, il y a eu peu d'éditions de la plupart de ses films[note 5]. Depuis 2022, Les Films du losange ont entrepris de restaurer et rééditer l'œuvre du réalisateur, à commencer par La Maman et la Putain, présenté au festival de Cannes 2022.

Rétrospectives

[modifier | modifier le code]

Notes et références

[modifier | modifier le code]
  1. Un jour avant la date anniversaire du suicide de Jacques Rigaut, auteur cité par Eustache, le 6 novembre 1929.
  2. Sylvie Durastanti est écrivaine et traductrice. Durant les dernières années de la vie de Jean Eustache, elle était sa compagne. Elle a écrit pour lui deux scénarios, dont Nous Deux, publié aux éditions Tristram en 2022.
    Voir : L'Heure bleue, France Culture, par Laure Adler, le .
  3. En 1980, Eustache a accepté de diffuser une version courte du film (54 min) à la télévision sous le titre Odette Robert.
  4. Il est crédité comme assistant monteur au générique.
  5. Son fils Boris a rompu successivement plusieurs contrats avec MK2 et Tamasa Films. Il affirme : « Tant que l'on voudra que je signe des contrats qui m'engagent pendant dix ans et que l'on ne me donnera pas 50 % de droits d'auteur, je ne le ferai pas. Désolé pour les cinéphiles, mais s'ils veulent vendre leurs affaires au quart de leur prix, c'est leur problème. Moi, je refuse » ; cela cause de vives protestations et la réclamation par certains d'une intervention étatique contre les ayants droit qu'on peut considérer comme abusifs (Florence Raillard, « Quand les héritiers bloquent la sortie des DVD », Le Nouvel Observateur,‎ (lire en ligne)).

Références

[modifier | modifier le code]
  1. a b c et d Philippon 2005.
  2. a b c d e f g h i j k l m n o p et q Hanska 2001, p. 305-312.
  3. a b et c Philippe Azoury, « Jean Eustache, une balle à la place du cœur », Les Inrockuptibles,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  4. Philippon 2005, p. 12-13.
  5. a et b Jean-Michel Frodon, Le Cinéma français, de la Nouvelle Vague à nos jours, Paris, Cahiers du cinéma, , p. 405-406.
  6. Philippon 2005, p. 31.
  7. Philippon 2005, p. 15.
  8. Frodon 2010, p. 406.
  9. Jean-Baptiste Morain, « Inédit Jean Eustache : Numéro zéro », Les Inrockuptibles,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  10. « Numéro zéro », sur base Lumiere (consulté le ).
  11. Bernadette Lafont, Le Roman de ma vie, Flammarion, 1997, p. 286.
  12. Jean-Louis Bory, « Romance d'un jeune homme pauvre », Le Nouvel Observateur,‎ , p. 79 (lire en ligne, consulté le ).
  13. « La Maman et la Putain », sur jpbox-office.com (consulté le ).
  14. Frodon 2010, p. 408.
  15. a et b Sylvie Blum et Jérôme Prieur, « Scénario, entretien avec Jean Eustache », Caméra/stylo,‎ réédité dans Philippon 2005, p. 113-124.
  16. « Mes petites amoureuses », sur jpbox-office.com (consulté le ).
  17. Hanska 2001, p. 178.
  18. Eustache 1981.
  19. Hanska 2001, p. 233.
  20. Hanska 2001, p. 67.
  21. Aurélien Bellanger et Thierry Lounas, « Jean-Pierre Léaud », So Film, no 3,‎ , p. 24-33.
  22. Également connu sous le titre Du côté de Robinson (second titre, film gonflé en 35 mm).
  23. a et b Hanska 2001, p. 52.
  24. Conférence de la critique de cinéma Stéphanie Serre sur Marcel Hanoun à la Cinémathèque française le 6 mai 2010.
  25. Hanska 2001, p. 48.
  26. Frodon 2010, p. 546.
  27. Philippe Beer-Gabel, « Sauvage innocence », sur Chronic'art (consulté le ).
  28. « L'Entretien », sur Institut d'art contemporain de Villeurbanne (consulté le ).
  29. Philippe Lançon, « La tombe d'Eustache », Libération,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  30. a et b Jean-Jacques Schuhl, « Jean Eustache aimait le rien », Libération,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  31. Édouard Waintrop, « Jean Eustache, une bonne fréquentation », Libération,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  32. Florian Guignandon, « À la recherche du temps perdu », Critikat,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  33. « Rétrospective Jean Eustache », sur cinematheque.fr (consulté le ).

Sur les autres projets Wikimedia :

Bibliographie

[modifier | modifier le code]
Avec des contributions de Philippe Azoury, Sonia Buchman, Jean-François Buiré, Marc Cerisuelo, Angie David, Samuel Douhaire, Jean-Luc Douin, Avril Dunoyer, Rémi Fontanel, Marie-Anne Guérin, André Habib, Michel Marie, Olivier Pélisson, Natacha Thiéry, Francis Vanoye.
  • Luc Béraud, Au travail avec Eustache, Éditions Institut Lumière/Actes Sud, .
  • Philippe Haudiquet, « Entretien avec Jean Eustache », Image et Son, no 250,‎
  • Jérôme Prieur,
    • « La Maman et la Putain », Les Cahiers du Chemin,
    • « Mes petites amoureuses », Les Cahiers du Chemin,
    • « Une sale histoire », La Nouvelle Revue française,
  • Gérard Courant, « La Rosière de Pessac de Jean Eustache », Cinéma 79, no 252,‎ (lire en ligne)
  • Serge Daney, « Le fil », Libération,‎ , réédité dans Serge Daney, Ciné-journal : Volume 1, 1981-1982, Cahiers du cinéma, coll. « Petite bibliothèque des cahiers », , 222 p. (ISBN 978-2-86642-212-7), p. 83-85 ; disponible en version anglaise : (en) Steve Erickson, « The Thread »
  • Pascal Bonitzer, « Jean Eustache a franchi la porte », Cahiers du cinéma, no 330,‎ (lire en ligne, consulté le )
  • Jean Douchet, « Spécial Jean Eustache », Cahiers du cinéma, no 523,‎
  • Françoise Lebrun, « Diamant brut », Cahiers du cinéma, no 523,‎
  • (en) Jared Rapfogel, « Desire & Despair : The Cinema of Jean Eustache », Senses of Cinema, no 11,‎ (lire en ligne, consulté le )
  • Alain Bergala, « Le Paris de Jean Eustache », Paris au cinéma, sur Forum des Images, (consulté le )

Films sur Eustache

[modifier | modifier le code]

Liens externes

[modifier | modifier le code]