Hypothèse ergodique

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L'hypothèse ergodique, ou hypothèse d'ergodicité, est une hypothèse fondamentale de la physique statistique. Elle fut formulée initialement par Ludwig Boltzmann en 1871 pour les besoins de sa théorie cinétique des gaz. Elle s'appliquait alors aux systèmes composés d'un très grand nombre de particules, et affirmait qu'à l'équilibre, la valeur moyenne d'une grandeur calculée de manière statistique est égale à la moyenne d'un très grand nombre de mesures prises dans le temps. La première valeur est celle que permet de calculer la physique statistique, la seconde est proche de ce qu'on peut expérimentalement mesurer. L'hypothèse ergodique est donc fondamentale pour un bon rapprochement entre la théorie et l'expérience.

Un système pour lequel l'hypothèse ergodique est vérifiée sera qualifié de système ergodique. Dans la plupart des cas, il est très difficile de démontrer rigoureusement qu'un système est ergodique ou non. L'analyse mathématique de ce problème a donné naissance à la théorie ergodique qui précise la nature mathématique de l'hypothèse et donne des résultats sur ses conditions de validité. Mais l'hypothèse ergodique reste souvent une simple hypothèse, jugée vraisemblable a posteriori quand elle permet de faire des prédictions correctes. En ce sens, elle constitue un point faible de la physique statistique.

L'hypothèse d'ergodicité intervient également en traitement du signal, où elle consiste à admettre que l'évolution d'un signal aléatoire au cours du temps apporte la même information qu'un ensemble de réalisations. Elle est importante dans l'étude des chaînes de Markov, les processus stationnaires et pour l'apprentissage numérique.

Approche intuitive de l'hypothèse ergodique

D'une façon intuitive, et pour reprendre l'exemple d'un gaz, les milliards de particules qui le constituent peuvent être considérées comme des copies les unes des autres ayant toutes le même comportement aléatoire. Elles prennent chacune des valeurs aléatoires, probablement différentes, de position et de vitesse à un instant donnée. La vitesse moyenne des particules peut se calculer en sommant les vitesses de toutes les particules à un instant donné. Cependant, on peut calculer également une moyenne en considérant une seule particule mais en mesurant ses vitesses à différents instants. L'hypothèse d'ergodicité revient à dire que les deux méthodes sont équivalentes.

On peut également penser à une forêt d'une seule espèce et s'intéresser à la croissance d'un arbre en fonction du temps : l'hypothèse ergodique revient à considérer qu'il est similaire d'observer la forêt à un instant donné, ou un arbre tout au long de sa vie pour en connaître l'évolution (par exemple relever le diamètre du tronc en fonction du temps ou mesurer tous les diamètres de la forêt et le reporter en fonction de l'âge de l'arbre).

Historique

L'hypothèse ergodique est née avec la théorie cinétique des gaz et la physique statistique dans la seconde moitié du XIXe siècle. Elle fut formulée initialement par Ludwig Boltzmann en 1871[1], ainsi que par Maxwell[2].

Le nom « hypothèse ergodique » ne fut introduit qu'en 1911 par les époux Ehrenfest dans leur célèbre article de revue sur les fondements de la physique statistique (cf. bibliographie). Il est construit à partir des termes grecs εργος, qui signifie « travail », et οδος, pour « chemin ». Boltzmann utilisait pour sa part dès 1884 un mot voisin, « ergoden », mais il donnait à ce mot un sens assez différent[3].

Formalisation mathématique de l'hypothèse

Représentation d'un système dans l'espace des phases

Soit un système à degrés de liberté décrits à l'instant par :

  • les coordonnées généralisées ,
  • les moments conjugués , .

À chaque instant, les coordonnées définissent un point dans l'espace des phases, qui représente l'état du système à cet instant .

On considère de plus que le système est à l'équilibre, c'est-à-dire que ses propriétés sont invariantes dans le temps. Un tel système satisfait toujours à la conservation de l'énergie qui s'écrit :

de telle sorte que sa dynamique est en fait toujours restreinte à une hypersurface à dimensions. On supposera dans la suite que le système hamiltonien considéré est invariant par translation dans le temps et qu'il ne possède pas d'autre constante du mouvement que l'énergie[4].

Évolution du système, flot hamiltonien

L'évolution dynamique du système selon les équations canoniques de Hamilton à partir d'une condition initiale engendre le flot hamiltonien , c'est-à-dire le groupe continu à un paramètre tel que :

La succession des positions dans l'espace des phases se traduit par une courbe continue, appelée orbite.

Grandeurs mesurables et valeurs moyennes

À une grandeur physique mesurable correspond une fonction sur l'espace des phases qui à chaque point, correspondant à un état du système, associe une valeur. On notera cette fonction. Il existe deux valeurs moyennes distinctes pour cette grandeur. On peut faire une moyenne temporelle en faisant la moyenne d'une série de mesures effectuées sur un temps suffisamment long. Mathématiquement on la représente par la limite (si elle existe) :

Cette valeur moyenne dépend a priori de la condition initiale .

On peut également définir la moyenne d'ensemble de f, ou moyenne microcanonique, par :

La moyenne spatiale et la moyenne temporelle n'ont a priori pas de raison d'être égales. L'hypothèse ergodique consiste à supposer qu'elles le sont.

Le théorème ergodique de Birkhoff

L'évolution du système dans le temps est déterminé par le flot hamiltonien, c'est-à-dire l'application . Cette application sera dite ergodique pour une mesure donnée si et seulement si tout ensemble mesurable invariant sous est de mesure nulle, ou de complémentaire de mesure nulle.

Le théorème de Birkhoff montre alors que lorsque l'application est ergodique, moyenne spatiale et moyenne temporelle sont effectivement égales presque partout.

Les hypothèses ergodiques forte et faible

Le théorème de Birkhoff présenté ci-dessus permet de formuler l'hypothèse ergodique non plus comme une égalité de moyenne, mais en fonction des propriétés du flot hamiltonien , c'est-à-dire de l'évolution du point représentatif du système dans l'espace des phases.

On peut alors distinguer deux hypothèses ergodiques distinctes :

Un système hamiltonien invariant par translation dans le temps sera dit ergodique au sens fort si le point représentatif de ce système passe au cours du temps par chaque point de l'hypersurface d'énergie constante.

Un système hamiltonien invariant par translation dans le temps sera dit ergodique au sens faible si le point représentatif de ce système passe au cours du temps aussi près que l'on veut de chaque point de l'hypersurface d'énergie constante.

Boltzmann et Maxwell utilisèrent dans leurs travaux les deux énoncés de façon indifférenciée[5]. La non-équivalence mathématique des deux hypothèses ergodiques précédentes n'a été reconnue explicitement qu'en 1910 par Paul Hertz[6].

Conditions de validité de l'hypothèse ergodique

Le théorème « no-go » de Plancherel & Rosenthal (1912-1913)

Utilisant les progrès récents réalisés en mathématiques dans le cadre de la théorie des ensembles de Cantor d'une part, et de la théorie de la mesure de Lebesgue d'autre part, les deux mathématiciens Plancherel et Rosenthal ont démontré indépendamment le théorème suivant[7] :

Un flot hamiltonien ne peut pas être ergodique (au sens fort).

En revanche, il a été démontré depuis que certains systèmes pouvaient être ergodiques au sens faible ; cf. l'article théorie ergodique.

Au fondement de la mécanique statistique ?

En dépit des importants progrès réalisés en théorie ergodique et en théorie du chaos, l'utilisation de l'hypothèse ergodique pour justifier l'utilisation de l'ensemble microcanonique en mécanique statistique reste à ce jour controversée[8].

Notes et références

  1. Ludwig Boltzmann ; K. Akademie der Wissenschaften (Wien) 63 (1871) 679.
  2. James Clerk Maxwell ; Transaction of the Cambridge Philosophical Society 12 (1879) 547.
  3. Ludwig Boltzmann ; K. Akademie der Wissenschaften (Wien) 90 (1884) 231. Pour plus de précisions sur ce point, on consultera le chapitre 10.10 du livre de Stephen G. Brush cité dans la bibliographie.
  4. Cette dernière hypothèse implique qu'il ne peut pas s'agir d'un système isolé. En effet, tout système isolé possède :
    • une quantité de mouvement totale constante
    • un moment cinétique total constant
    Ces deux constantes du mouvement vectorielles sont équivalentes à six constantes du mouvement scalaires. Un système isolé possède donc a priori sept constantes du mouvement.
  5. Pour plus de précisions, on consultera le chapitre 10.10 du livre de Stephen G. Brush cité dans la bibliographie.
  6. (de) Paul Hertz, « Über der Thermodynamischen Grundlagen der Thermodynamik », Annalen der Physik, vol. 33,‎ , p. 225-274 et 537-552 (lire en ligne)
  7. Michel Plancherel ; Archives des Sciences Physiques & Naturelles (Genève) 33 (1912) 254. Michel Plancherel, « Beweis des Unmöglichkeit ergodischer mechanischer Systeme », Annalen der Physik, vol. 42,‎ , p. 1061 (lire en ligne). A. Rosenthal, « Beweis des Unmöglichkeit ergodischer Gassysteme », Annalen der Physik, vol. 42,‎ , p. 796 (lire en ligne). Une traduction en anglais de ces articles se trouve dans : Stephen G. Brush, « Milestones in mathematical physics - Proof of the impossibility of ergodic systems: the 1913 papers of Rosenthal and Plancherel. », Transport Theory & Statistical Physics, vol. 1,‎ , p. 287-298 (lire en ligne).
  8. Lire par exemple :
    • George W. Mackey ; Ergodic Theory and its Significance for Statistical Mechanics and Probability Theory, Advances in Mathematics 12(2) (1974), 178-268.
    • Oliver Penrose ; Foundations of Statistical Mechanics, Report on Progress in Physics 42 (1979), 1937.
    • Domokos Szasz ; Botzmann's ergodic hypothesis, a conjecture for centuries ?, Studia Scientiarium Mathematicarum Hungarica (Budapest) 31 (1996) 299-322. Texte au format Postscript.

Voir aussi

Bibliographie

  • Anouk Barberousse, La Mécanique Statistique - De Clausius à Gibbs, Paris, Belin, coll. « Histoire des Sciences », (ISBN 978-2-7011-3073-6 et 2-7011-3073-5), « L'hypothèse ergodique : une histoire souterraine », p. 144-149
  • (en) Paul et Tatiana Ehrenfest, The Conceptual Foundations of the Statistical Approach in Mechanics, New York, Dover Inc., (ISBN 978-0-486-66250-3 et 0-486-66250-0, LCCN 89077772)
    Réédition d'un article classique paru initialement en allemand en 1912. Niveau second cycle universitaire. Il en a existé une traduction française, réalisée par le mathématicien Émile Borel : Encyclopédie des Sciences Mathématiques 4(1.1) (1915) 188.
  • Stephen G. Brush, The Kind of Motion we call Heat - A History of the Kinetic Theories of Gases in the 19th Century (2 vols.), North-Holland (1976). Tome 2 : Statistical Physics and Irreversible Processes, (ISBN 0-444-87009-1).
    Histoire érudite du développement de la théorie cinétique des gaz, par un professeur de Mécanique des Fluides de l'Université du Maryland (États-Unis). Niveau second cycle universitaire.
  • (en) A.I. Khinchin, Mathematical Foundations of Statistical Mechanics, Dover, DoverPublication, Inc., , poche (ISBN 978-0-486-60147-2 et 0-486-60147-1, LCCN 49009707)
    Ouvrage classique sur les fondements de la physique statistique, notamment l'hypothèse ergodique. Niveau second cycle universitaire.
  • (en) Carlo Cercignani, Ludwig Boltzmann - The man who Trusted Atoms, Oxford, Oxford University Press, , 1re éd. (ISBN 978-0-19-850154-1 et 0-19-850154-4, LCCN 98017743)
    Biographie scientifique du grand professeur Boltzmann, qui a porté la théorie cinétique des gaz à son acmée. Par un professeur de Physique Mathématique de l'Université de Milan (Italie), spécialiste de l'"équation de Boltzmann". Niveau plutôt second cycle universitaire.
  • Giovanni Gallavotti, Ergodicity, ensembles, irreversibility in Boltzmann and beyond, (1994). Texte complet disponible sur l'ArXiv : chao-dyn/9403004.

Articles connexes