Héraclius

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Héraclius
Empereur byzantin
Image illustrative de l’article Héraclius
Solidus à l'effigie d'Héraclius et de ses fils Constantin III et Héraclonas.
Règne
-
30 ans, 4 mois et 6 jours
Période Héraclides
Précédé par Phocas
Suivi de Constantin III
Biographie
Nom de naissance Flavius Heraclius
Naissance vers ou en 575
Cappadoce
Décès (66 ans)
Constantinople
Père Héraclius l'Ancien
Mère Epiphania
Fratrie Théodore
Épouse Fabia Eudocia
Martine
Descendance Constantin III
Héraclonas
L'empereur Héraclius reçoit la soumission du roi sassanide Khosro II (placage d'un crucifix. Champlevé sur étain provenant de la vallée de la Meuse, entre 1160 et 1170, conservé au musée du Louvre).

Héraclius (en latin Flavius Heraclius Augustus), en grec Ηράκλειος (Hérakleios), né vers ou en 575 et mort le , est un empereur romain d'Orient de 610 à 641. Il est le fondateur de la dynastie des Héraclides qui régnera sur l'Empire pendant plus d'un siècle (610-711) .

Le règne d'Héraclius est l'un des plus fondamentaux de l'histoire byzantine. Il intervient à un tournant de l'évolution de l'Empire. Dernier empereur de l'époque romaine tardive, il arrive au pouvoir en 610 au terme d'une rébellion dirigée par son père, Héraclius l'Ancien, contre l'empereur Phocas, qui a renversé et tué Maurice quelques années plus tôt. Toutes les premières années de son règne sont consacrées, avec la plus grande énergie, à une lutte à mort contre les Sassanides qui ont profité des désordres internes de l'Empire pour assaillir et conquérir ses provinces orientales, puis à menacer Constantinople avec l'aide des Avars dans les Balkans. Grâce à une habileté stratégique et diplomatique, Héraclius renverse progressivement la situation et parvient à reconquérir l'ensemble des territoires perdus, ainsi qu'à conclure la paix avec les Sassanides.

Néanmoins, il ne s'agit que du premier acte de son règne. Epuisé, l'Empire byzantin reste profondément affaibli et désorganisé sur ses marges orientales quand un nouvel adversaire apparaît. Dans les années 630, stimulées par une nouvelle religion, l'islam, les peuples de l'Arabie se lancent dans des conquêtes de grande envergure aux dépens des deux rivaux byzantins et sassanides, exsangues. Les Perses sont écrasés tandis que les Byzantins peinent à résister en Palestine et en Syrie. Héraclius tente de mobiliser une grande armée qui se fait vaincre à la bataille du Yarmouk. Bientôt, il doit abandonner définitivement toute la région aux Arabes, ainsi que l'Egypte, coupée du reste de l'Empire et qui commence à tomber au moment de sa mort.

Biographie

Les origines

Héraclius né vers 575 en Cappadoce. Il est le fils du patrice Héraclius l'Ancien, officier supérieur de l'armée de l'empereur Maurice (r. 582-602), d'origine arménienne[1], et de son épouse Epiphania. Si l'incertitude demeure sur les origines familiales d'Héraclius, c'est bien la racine arménienne qui reste la plus retenue par les historiens[2].

Héraclius l'Ancien sert longtemps dans les provinces orientales, près de la frontière perse (comme adjoint du magister militum per Orientem, puis à partir de 595 environ comme magister militum per Armeniam). C'est donc là que le futur empereur a ses racines et qu'il passe une grande partie de sa jeunesse. Il en retire aussi une bonne connaissance de la région, de sa géographie et de ses habitants, ce qui a pu lui servir dans les campagnes arméniennes qu'il mène contre les Perses au début de son règne[3]. Vers 600, Héraclius l'Ancien est nommé exarque de Carthage, l'un des postes les plus élevés de l'Empire[4] ; ce qui atteste de sa position d'homme de confiance auprès de l'empereur Maurice. L'historien Frédégaire rapporte qu'Héraclius le Jeune se livre à des combats contre des lions et des ours en Afrique, dans la tradition des jeux du cirque romains. Cependant, une telle assertion est difficile à vérifier et pourrait largement être romancée[5].

La rébellion

Un tournant intervient en 602, quand Maurice est renversé et tué à la suite d'une mutinerie de l'armée des Balkans dirigée par Phocas. C'est la première fois depuis plusieurs décennies qu'un empereur tombe à la suite d'un complot. Dans un premier temps, Phocas maintint dans leurs fonctions de nombreux responsables civils et militaires, dont l'exarque Héraclius l'Ancien, mais est rapidement en butte à leur hostilité plus ou moins déclarée et à plusieurs complots, qu'il réprime d'une façon de plus en plus sanglante. Surtout, l'empereur des Sassanides, Khosro II, profite de la situation pour envahir l'Empire, prétextant venger Maurice. Rapidement, Phocas est débordé et perd des positions en Orient, affaiblissant toujours plus sa position.

C'est dans ce contexte, en 608, que la famille d'Héraclius fomente une conspiration. Les raisons véritables derrière ce soulèvement sont difficiles à établir exactement. L'impopularité de Phocas est réelle, de même que la faiblesse de sa légitimité. Arrivé au pouvoir au terme d'un coup d'état sanglant, il ne s'est jamais imposé comme le dirigeant respecté de l'Empire. D'autant que sa violence et sa mauvaise gestion de l'Empire ne font qu'accroître son impopularité. Néanmoins, au-delà d'une rébellion guidée par le seul souci de l'intérêt général de l'Empire, des historiens, dont Kaegi, estiment que le clan d'Héraclius est aussi animé d'intérêts personnels[6]. L'Afrique byzantine est un lieu idéal pour une rébellion. C'est un territoire éloigné de Constantinople, qui n'est pas menacé par les Sassanides et qui disposent de ressources abondantes, suffisantes pour soutenir une armée et espérer s'emparer du pouvoir suprême[7].

Héraclius père et fils sont nommés consuls, probablement de leur propre initiative, ce qui représente un défi direct au pouvoir de l'empereur qui seul détient ce titre depuis de longues décennies[8]. Bientôt, l'Egypte leur est acquise grâce à l'intervention de Nicétas, le cousin d'Héraclius le Jeune, et des pièces de monnaie commencent à être frappées à leur effigie[9],[10]. Phocas est attaqué de toutes parts, y compris dans les Balkans où des incursions barbares menacent la souveraineté byzantine sur la région. Sa principale réaction est d'emprisonner Epiphania et Fabia Eudocia, la promise d'Héraclius le Jeune. Il envoie aussi son principal général, Bonosios, combattre Nicétas, sans succès.

Au printemps 610, Héraclius le Jeune prend la tête d'une flotte. Tout comme Nicétas, son armée comprend principalement des Maures et il est possible que son opération complète celle de son cousin en Egypte. Le trajet de son expédition n'est pas connu avec certitude. Il semble avoir fait étape sur plusieurs îles, dont la Sicile, ainsi qu'à Thessalonique mais sans garantie. En revanche, il finit par pénétrer dans la mer de Marmara sans rencontrer de résistance et positionne ses forces près de la capitale[11]. Il prend d'abord le port d'Abydos puis vainc une flotte loyaliste près du port de Sophia à Constantinople, avant de débarquer, le 3 octobre, près d'Hebdomon. La panique s'empare de Constantinople où les principaux soutiens de Phocas l'abandonnent l'un après l'autre, dont Priscus, chef des Excubites et des Buccelaires (des gardes impériaux). Dépourvu de troupes fidèles, l'empereur finit par être capturé par le patrice Probos qui l'emmène auprès d'Héraclius. Un bref échange est rapporté entre les deux hommes : « — C’est donc ainsi, de demander Héraclius, que tu as gouverné l’empire ? — Et tu penses, de répondre Phocas avec esprit, que ton gouvernement aurait été meilleur ? ». Héraclius ne tarde pas à le faire exécuter et à mutiler son cadavre[12].

Dès le 5 octobre, Héraclius est couronné comme nouvel empereur. Il est difficile de savoir si son père est alors encore en vie mais, quoi qu'il en soit, il décède aux environs de cette date. Juste après, Héraclius se marie avec sa fiancée, Fabia Eudocia. Nicétas devient préfet augustal de l'Égypte, dont il assure la loyauté au nouveau pouvoir. La principale résistance vient de Comentiolus, le frère du défunt empereur, qui commande une armée en Orient et se barricade à Ancyre. Il est finalement assassiné par un patrice du nom de Justin à la fin de l'année 610 ou au début de l'année 611[13],[14]. Si cette élimination conforte le trône d'Héraclius, la situation intérieure est demeure troublée. L'Empire a connu deux prises de pouvoir violentes en moins de dix ans, rompant avec une longue période de relative stabilité. L'autorité impériale s'en trouve nécessairement affaiblie, tandis qu'un peu partout dans l'Empire, des foyers de violence et d'agitation existent, en particulier dans les cités.

Un règne de combats

La guerre contre les Perses

De 610 à 628, toute l'énergie du nouvel empereur est concentré sur l'ennemi sassanide. La guerre, entamée en 602, constitue le paroxysme des guerres byzantino-perses, qui ont elles-même pris la succession de la rivalité entre Rome et le monde perse, d'abord dominé par les Parthes puis par les Sassanides. A la différence des précédents conflits, cette guerre est de grande envergure, elle mobilise tout l'appareil militaire des deux rivaux et conduisent à des pénétrations en profondeur dans le territoire adverse. L'Empire byzantin voit l'ensemble de ses provinces orientales menacées, jusqu'à l'Egypte et l'Anatolie. Plus largement, c'est l'appareil militaire byzantin qui est mis en péril par cette guerre. Affaibli conjoncturellement par le désordre interne au sein de l'Empire, il est aussi en déclin depuis la mort de Justinien. Les baisses d'effectifs ont fragilisé la capacité de l'armée byzantine a défendre des frontières étendues. A terme, cette guerre marque le début d'une évolution profonde de l'appareil militaire byzantin[15].

Défaites en séries (610-622)

Sous Phocas, les Perses ont déclenché une nouvelle guerre contre les Byzantins, ce qui ravive la rivalité traditionnelle entre les deux pôles impériaux de la Méditerranée orientale et du Moyen-Orient. Ils profitent du désordre interne à l'Empire romain d'Orient et à la faiblesse du régime de Phocas pour progresser, sans rencontrer d'opposition sérieuse car les armées ont déserté les frontières pour participer aux luttes de pouvoir[16]. À l'avènement d'Héraclius, les Perses sassanides occupent déjà d'importants territoires appartenant à l'Empire (Arménie byzantine, Cappadoce, une partie de la Syrie) et leur progression se poursuit avec la prise d'Antioche le et celle d'Apamée le 15 du même mois ; Émèse se rend aux Perses en 611. Antioche, particulièrement, est entièrement pillée, une partie de sa population massacrée (dont le patriarche melkite Anastase II d'Antioche) et une autre partie déportée sur le territoire perse, répétant ce qui était déjà arrivé lors de la précédente prise de la ville par les Perses en 540. Il semble que Héraclius ouvre des pourparlers de paix à son arrivée au pouvoir mais il essuie une fin de non-recevoir. Khosrau désire vraisemblablement capitaliser sur son avantage et profiter jusqu'au bout de la fragilité byzantine[17].

Les Perses sont désormais en mesure de s'attaquer à l'Anatolie, une région jusque-là sanctuarisée et qui ouvre sur le centre de l'Empire byzantin. Ils assiègent Césarée de Cappadoce en 611. Le général Priscus est envoyé en renfort. S'il ne peut empêcher la chute de la ville, il assiège à son tour les Perses. Il reçoit la visite d'Héraclius, qui se déplace en personne sur le front, pour la première fois pour un empereur depuis des décennies[18]. Il semble que Priscus ait mal pris ce coup d'éclat[N 1] et prétexte une maladie pour ne pas le rencontrer, ce qui crée des tensions. Il est finalement rappelé en 612, d'autant que les Perses ont réussi à briser l'encerclement[19],[20].

La situation continue de se détériorer en Orient où les Sassanides peuvent facilement poursuivre leurs conquêtes. En 613, Héraclius prend de nouveau la tête d'une armée en direction d'Antioche mais il est vaincu et doit battre en retraite, tandis que la Cilicie chute dans la foulée. La Palestine est désormais isolée, d'autant que Damas est prise la même année, et Nicétas ne peut bloquer l'avancée ennemie. En 614, Jérusalem est assiégée et tombe rapidement. Le choc est immense, d'autant que les reliques n'ont pas été évacuées au préalable. Les Perses s'emparent de plusieurs d'entre elles, dont la Vraie Croix, qu'ils amènent chez eux, tandis que de nombreuses églises sont saccagées. Les pertes humaines sont elles aussi considérables, se chiffrant à plusieurs dizaines de milliers d'hommes, tués ou réduits en esclavage, dont le patriarche Zacharie de Jérusalem[21]. La prochaine étape sur la route des forces de Khosrau est l'Egypte. La riche province dirigée par Nicétas est attaquée en 618 par Shahrbaraz et conquise entièrement en quelques années. Il est possible que la population, en large partie monophysite, n'ait pas opposé une franche résistance car elle voit là une opportunité de se débarrasser de la tutelle de Constantinople, souvent hostile à leur doctrine religieuse. Dans tous les cas, la chute de l'Egypte est un désastre. Elle prive l'Empire de son grenier à blé et l'annone, la distribution de blé gratuite à Constantinople, disparaît dès 618[22].

Après la chute de Jérusalem, le général perse Shahin mène aussi une offensive en Asie Mineure, dévastant Ancyre, Sardes, atteignant même Chalcédoine, en face de Constantinople sur le Bosphore. Philippicos parvient à le distraire par une campagne vers l'est, qui oblige le général perse à se lancer à sa poursuite. Malheureusement, le vieux commandant byzantin tombe rapidement malade et décède peu après, ce qui prive Héraclius d'un de ses meilleurs chefs militaires[23].

Héraclius sollicite à nouveau la paix vers 614 ou 615, probablement après avoir rencontré personnellement le général perse Shahin quand il se trouve à Chalcédoine[24]. Là encore, sa tentative est un échec. Pourtant, selon l'historien Sébéos, Héraclius est prêt à reconnaître la supériorité de l'Empire perse et à se reconnaître comme vassal de Khosrau[25]. Cependant, les Perses persistent à ne pas reconnaître le nouvel empereur et emprisonnent les ambassadeurs. Il est probable que Khosrau, grisé par ses multiples succès, souhaite pousser son avantage le plus possible[26].

Dans le même temps, la situation byzantine, déjà très délicate, commence à virer à la catastrophe car les ennemis de l'Empire assaillent les autres frontières de l'Empire. Dans les Balkans, la domination impériale est depuis plusieurs décennies menacée par des incursions répétées de divers peuples, principalement des Slaves. En 614, ils semblent avoir profité des défaites d'Héraclius en Orient pour s'attaquer à l'Illyricum. Ils s'emparent de Salone, capitale de la Dalmatie dont ils mettent la population en esclavage. Les Avars contribuent aussi à la dévastation des Balkans dont seule Thessalonique, puissamment fortifiée, semble sortir indemne. Militairement, les meilleures forces de la région ont été transférées en Orient, ce qui laisse le champ libre à ces envahisseurs. Enfin, un séisme frappe l'importante cité d'Éphèse, rajoutant certainement au sentiment d'une colère divine qui s'abat sur l'EmpireModèle:Sfn-Kaegi.

En Espagne, la petite province reconquise sous Justinien continue de perdre du terrain face au royaume wisigoth. Vers 615, le roi Sisebut s'empare de Malaga, ce qui réduit la domination byzantine sur la Bétique à sa portion congrue.

En Italie aussi, la situation était fort précaire : l'exarque de Ravenne Jean Lemigius (en) fut assassiné en 615 ; il fut remplacé par l'eunuque Éleuthère, qui fit exécuter les participants au complot contre son prédécesseur et parvint aussi à vaincre Jean de Conza, un rebelle installé à Naples. Mais, ensuite, en 619, il se proclama empereur et se dirigea avec son armée vers Rome où il voulait être couronné par le pape. Il fut assassiné par ses soldats avant d'y être parvenu, et sa tête fut envoyée à Héraclius.

Dans une situation aussi critique, Héraclius aurait envisagé de transférer sa capitale à Carthage, mais il en aurait été dissuadé par le patriarche Serge Ier de Constantinople. Il est difficile de connaître le degré de sérieux de ce projet mais il illustre la précarité de la situation impériale dont la propre capitale semble désormais en danger[27].

En effet, jusqu'en 622, les Perses continuent leur avancée vers Constantinople. La ville de Nicomédie chute probablement en 619 et l'île de Rhodes, base maritime importante, tombe en 622. Pour autant, l'armée byzantine maintient plusieurs positions en Asie Mineure et reste en mesure de perturber les opérations ennemies dans la région[28]. Quoi qu'il en soit, en 622, la position byzantine est très précaire. L'ensemble des régions orientales sont tombées, à l'exception d'une partie de l'Asie Mineure, les Balkans sont ravagées par les Slaves et les Avars et seules certaines cités parviennent à résister, l'Italie reste sous la menace des Lombards et Carthagène, dernière possession byzantine en Espagne, tombe aux mains des Wisigoths à cette période.

Après la perte de l'Égypte, Héraclius mit environ trois ans pour réagir : il lui fallait réorganiser et remobiliser ses troupes défaites et fortement démoralisées, et aussi rassembler des ressources car l'Empire avait perdu certaines de ses plus riches provinces. Dès 616, il avait dû diviser par deux les soldes militaires et les traitements des fonctionnaires, en compensant partiellement la perte, pour les soldats en tout cas, par des prestations en nature ; il est remarquable qu'au vu de la situation dramatique, il n'y eut aucun soulèvement. Les pièces de monnaie perdirent du poids, et une nouvelle pièce fut frappée à partir de 615, l'hexagramme en argent, portant l'inscription Deus adiuva Romanis (« Dieu, viens en aide aux Romains »). L'Église fut mise aussi à contribution, et Héraclius obtint entre autres du patriarche Serge Ier que le trésor de Sainte-Sophie lui soit livré. Enfin, il partit en campagne contre les Perses le . À l'automne de cette année, il remporta une importante victoire sur le général perse Schahr-Barâz dans la province du Pont.

Le (mais certains historiens placent cet épisode en 617), une rencontre avait été prévue à Héraclée (en) de Thrace entre Héraclius et le khan des Avars, accompagnée d'une grande réception et de jeux : l'empereur avait besoin d'un traité de paix avec les Avars pour pouvoir se consacrer à la guerre contre les Perses. Mais il tomba dans une embuscade tendue par le khan, et ne put qu'avec peine se réfugier à Constantinople, s'étant défait de ses habits impériaux et de sa couronne pour passer inaperçu. Des milliers de Byzantins furent faits prisonniers par les Avars à cette occasion. Mais fin 623 ou début 624 un accord fut quand même conclu, prévoyant le versement d'une très grosse somme d'argent (200 000 solidi) et la livraison d'otages issus de la famille impériale aux Avars. Moyennant cet accord, Héraclius se crut en mesure de retourner faire la guerre aux Perses.

La contre-attaque (622-626)

A partir de 622, Héraclius change de stratégie. Alors qu'il est resté enfermé à Constantinople, à l'exception de quelques campagnes militaires infructueuses, il décide de passer à l'offensive. Depuis quelques années, il s'est concentré sur une reprise en main progressive de la situation. Du fait des pertes territoriales, les revenus fiscaux ont été profondément perturbés. Il en prend acte et fait battre une nouvelle monnaie en argent, l'hexagramme, sur laquelle est gravée l'inscription Deus adiuta Romanis (« Dieu vient en aide aux Romains »). De même, la follis, petite monnaie de cuivre, perd aussi de sa valeur, puisqu'elle passe d'un poids de 11 grammes à huit grammes[29]. Sur le plan interne, il semble parvenir à concilier les factions urbaines que sont les Bleus et les Verts, facteurs de troubles importants depuis plusieurs décennies. Enfin, il réorganise une armée profondément perturbée par les défaites en séries. Dans l'ensemble, en dépit de la situation critique que connait l'Empire, aucune rébellion d'importance n'émerge. Enfin, Héraclius n'hésite pas à user de la fibre religieuse pour ranimer un sentiment de résistance. Profondément pieux, il multiplie les manifestations spirituelles.

Le , Héraclius quitta Constantinople pour se mettre à la tête d'une grande armée qu'il comptait conduire jusqu'au cœur du territoire perse. Avant le départ, il fit procéder pendant trois jours à des rites de purification de l'armée et de prières, invitant chaque soldat à gagner pendant cette expédition une « couronne de martyr ». L'étendard déployé en tête de cette armée était une icône miraculeuse du Christ dite acheiropoiêtos (« non faite de main d'homme »), qui avait été trouvée au fond d'un puits dans un village de Cappadoce vers 570 et apportée en grande cérémonie à Constantinople. Héraclius se fit accompagner pendant cette campagne de son épouse Martine. Il laissait dans la capitale son fils Constantin, âgé de 12 ans et officiellement couronné depuis son plus jeune âge, et il y avait investi des pouvoirs impériaux, à titre de vicarius ou τοποτηρήτης (« remplaçant »), le patrice Bonus. Il ne devait plus remettre les pieds à Constantinople jusqu'à la défaite définitive des Perses, plus de quatre ans plus tard. Cette campagne d'Héraclius, se présentant comme le champion de l'Église chrétienne, contre les Perses mazdéens, pour la reconquête de la relique de la Vraie Croix, est considérée comme la première « croisade » ou « guerre sainte » de l'histoire. C'est ainsi qu'elle fut déjà présentée par le poète de cour contemporain Georges de Pisidie.

Héraclius se dirigea vers l'Arménie byzantine, serait entré sur le territoire perse dès le , détruisit la ville arménienne (sous domination perse) de Dvin, puis descendit vers la ville de Ganzak (actuelle Takht-e Suleiman, en Iran actuel), où se trouvait Khosro II avec une armée. Le roi des Perses s'enfuit devant lui en pratiquant la tactique de la terre brûlée. Renonçant à poursuivre l'armée perse du côté de la Mésopotamie, Héraclius remonta à travers l'Azerbaïdjan et arriva à la fin novembre dans la principauté d'Albanie du Caucase pour y hiverner.

Au début de 625, Khosro II envoya trois armées (commandées par les généraux Shahraplakan, Schahr-Barâz et Shahin) pour reconquérir les territoires perdus et prendre Héraclius au piège en investissant le Caucase depuis trois directions différentes. Les Byzantins descendirent vers le Sud-Ouest dans la région du lac de Van (où ils campaient à la fin ) et parvinrent à mettre les trois armées perses en échec dans des escarmouches non décisives, utilisant la ruse et tirant parti des rivalités entre les généraux ennemis. Ensuite, Héraclius réussit à se replier jusqu'en Cilicie, esquivant les tentatives de Schahr-Barâz de lui couper la retraite, et il remonta vers la province du Pont pour y passer l'hiver 625-626.

Au début de 626, Khosro II envoya Schahr-Barâz avec une armée pour attaquer Constantinople, et Shahin avec une autre, plus importante, contre l'armée d'Héraclius. Le frère de celui-ci, Théodore, remporta une victoire déterminante sur Shahin près de la ville de Satala (l'actuelle Sadak, dans l'arrière-pays de Trébizonde) en juillet 626. Une légende peu sûre rapporte que le roi Khosro II, enragé, aurait condamné Shahin à être écorché vif ; mais certains affirment qu'il mourut de maladie et que son corps fut seulement profané par le roi furieux.

Pendant l'été 626, Constantinople se trouva dans une situation fort périlleuse. Schahr-Barâz arriva sur la rive asiatique du Bosphore au cours du printemps et fit le siège de Chalcédoine, que, selon une source (la Chronique de Frédégaire), il aurait fini par prendre et brûler. Une armée d'Avars et de Slaves, sous le commandement du khan des Avars, assiégea la ville du au . Sans qu'on ait d'informations précises, il est probable que les deux forces, de part et d'autre du Bosphore, s'étaient entendues d'une façon ou d'une autre ; en tout cas, elles communiquèrent à partir du mois de juillet (notamment en allumant des feux). Le , après deux jours d'assauts infructueux, le khan rencontra une délégation byzantine pour exiger une reddition sans conditions ; trois ambassadeurs perses étaient présents près de lui. Les 6 et , les Avars menèrent un grand assaut sur les murailles tandis que leurs alliés slaves attaquaient sur des barques appelés « pirogues monoxyles », en grec monoxyla. Le , il y eut une bataille navale sur le Bosphore contre la cavalerie perse qui tentait de traverser. Le , les Avars commencèrent à lever le siège ; Théodore, frère d'Héraclius, qui venait de vaincre Shahin, arriva et engagea des négociations avec le khan. On ne sait si celui-ci reçut de l'argent pour se retirer. En tout cas l'échec de ce siège fut un très grand succès pour les Byzantins, d'autant qu'il fut suivi d'une révolte des Slaves contre la domination des Avars et de la formation par les Slaves de l'Ouest d'un royaume indépendant gouverné par le Franc Samo de Bohême. Une bonne part du crédit moral de cette heureuse issue fut attribuée au patriarche Serge Ier, qui promena en procession l'icône de la Vierge, dans le quartier des Blachernes et sur les murailles, devant les Barbares, et dans les rues de la ville.

Ce moment de plus grande précarité qu'ait encore connu l'empire d'Orient ne fut pas sans conséquences sur ses positions en Occident : entre 622 et 626, le roi des Wisigoths Swinthila mit définitivement fin à la présence byzantine en Espagne (prise et destruction de Carthagène, prises de Cadix et de Valence, puis expulsion des dernières troupes byzantines).

On ignore quelle fut la réaction de Schahr-Barâz au retrait des Avars, car les sources divergent : soit il resta en Bithynie et s'y livra au pillage jusqu'à l'hiver 626-627, soit il se retira. Quant à Héraclius, toujours dans le Pont, il était de toute façon en contact avec la capitale par voie de mer. À la fin de 626, il se déplaça avec son armée dans le royaume de Lazique, où il scella son alliance avec les Göktürk ou « Turcs bleus » dont il rencontra le khagan ou « yabghu » Tong[note 1] dans un camp militaire devant Tbilissi au début de 627. Il était en contact diplomatique avec ce peuple depuis son séjour en Albanie du Caucase pendant l'hiver 624-625, et c'est encouragés par lui qu'ils avaient mené un raid très dévastateur en territoire perse pendant l'été 626. L'empereur et le khagan échangèrent les plus grandes marques de respect, et Héraclius promit sa fille Eudocia (de son premier mariage) à son nouvel allié (un projet qui n'aboutit pas, car le khagan mourut avant l'arrivée de sa fiancée en 629). Quoi qu'il en soit, la ville de Tbilissi, capitale du royaume d'Ibérie (du Caucase) allié aux Perses, fut prise et dévastée par l'armée turco-byzantine.

Vers la même époque, le roi Khosro II, déçu des échecs de Schahr-Barâz ou inquiet des richesses et de la puissance qu'il acquérait en territoire byzantin, décida de le faire assassiner par l'un de ses adjoints. Mais le message fut intercepté par des soldats byzantins en Galatie et apporté à Constantinople à l'empereur-fils, futur Constantin III, qui le fit parvenir à son père Héraclius. Celui-ci organisa une rencontre avec Schahr-Barâz et lui montra la lettre. Le général perse rompit alors avec Khosro II et s'allia aux Byzantins. Ce fut un tournant dans la guerre : le roi des Perses était privé de son armée en Asie Mineure et de son meilleur général ; Héraclius, d'autre part, avait les mains libres pour attaquer en territoire perse.

Venant d'Ibérie (du Caucase), l'empereur s'élança avec son armée et ses alliés turcs vers le territoire perse à l'automne 627 ; il était inhabituel d'entreprendre une campagne militaire pendant l'hiver et le roi Khosro II en fut surpris. Héraclius atteignit Ninive au début décembre et établit son camp près de la ville. C'est à proximité de cet endroit qu'eut lieu l'affrontement décisif avec une armée perse commandée par le général arménien Rotchvēhān (appelé Rhazatês dans les sources grecques), le . Après avoir remporté la victoire, l'empereur poussa encore son avantage, à la grande surprise des Perses, et se dirigea vers le Sud-Est, vers le centre du pouvoir des Sassanides. Il passa Noël à Kirkouk. Poursuivant encore vers le Sud, il s'empara au début du palais royal de Dastagard, à proximité de la rivière Diyala, résidence de Khosro II ; ce dernier s'en était enfui neuf jours auparavant pour se réfugier dans la capitale Ctésiphon, située 120 km plus au sud. Les Byzantins trouvèrent dans le palais d'immenses richesses, dont une bonne part était le produit du pillage de l'Empire romain d'Orient, et que le roi n'avait pas eu le temps d'emporter dans sa fuite.

Les envahisseurs continuèrent leur route vers la capitale, mais ils furent arrêtés par le grand canal de Nahrawan, une dérivation du Tigre, dont les ponts avaient été coupés. Ils rebroussèrent alors chemin et se dirigèrent vers le Nord, vers l'Azerbaïdjan occidental perse, jusqu'à Ganzak (Takht-e Suleiman), où ils arrivèrent en . Pendant ce temps, les événements se précipitaient à Ctésiphon : déjà âgé et atteint de dysenterie, Khosro II voulut assurer la succession à son fils Mardânshâh, qu'il avait eu de son épouse préférée Chirine, une chrétienne jacobite, mais son fils aîné Shiruyih organisa une conspiration avec le général Gourdanaspa et les deux fils de Schahr-Barâz. Khosro II fut renversé et emprisonné le , exécuté le 29. Shiruyih devint roi sous le nom de Kavadh II. Il écrivit aussitôt à Héraclius pour demander la paix ; il s'engageait à libérer tous les prisonniers byzantins et à faire évacuer le territoire de l'Empire romain d'Orient. Ce roi mourut de maladie dès le mois de septembre suivant et fut remplacé par son fils Ardachir III, un enfant de sept ans.

Héraclius rentra à Constantinople à une date inconnue entre , où il est encore à Ganzak, et , où il promulgue un édit depuis la capitale ; l'itinéraire et les circonstances de ce retour sont très incertains. Il fut reçu en grande pompe et avec de grandes marques de liesse par son fils Constantin, le patriarche Serge Ier de Constantinople, le Sénat et toute la population de la ville (le patrice Bonus étant mort en ). L'édit de , qui porte sur la situation juridique des membres du clergé, a surtout fait date en officialisant le titre grec de βασιλεύς (basileus) pour l'empereur d'Orient (au lieu du titre latin d'Augustus, éventuellement hellénisé en Αὔγουστος) ; en fait, Héraclius et Constantin, auteurs officiels de l'édit, sont appelés πιστοὶ ἐν Χριστῷ βασιλεῖς, « empereurs fidèles en Christ », un titre qui restera.

Cependant, les engagements de Kavadh II concernant l'évacuation du territoire byzantin n'avaient pas été suivis d'effet : la Syrie, la Palestine et l'Égypte restaient occupées par des troupes perses obéissant à Schahr-Barâz, lequel séjournait alors en Syrie et n'avait reconnu ni Kavadh II, ni Ardachir III. Héraclius écrivit à Schahr-Barâz pour lui proposer un pacte, et les deux hommes se rencontrèrent en à Arabissos en Cappadoce. Ils se mirent pleinement d'accord : les provinces byzantines étaient évacuées par les Perses ; inversement, les Byzantins allaient quitter la partie du territoire perse qu'eux et leurs alliés occupaient (toute la moitié Nord de la Mésopotamie) ; et Héraclius donnait son appui au désir de Schahr-Barâz de devenir roi des Perses. Schahr-Barâz rendit la relique de la Sainte Éponge à l'empereur ; apportée à Constantinople, elle y fut jointe à celle de la Vraie Croix qu'Héraclius avait apparemment reçue de Kavadh II pendant son séjour en Perse ; toutes deux firent l'objet d'une cérémonie d'exaltation le (la fête de l'Exaltation de la Vraie Croix figure toujours en ce jour du calendrier dans les liturgies catholique et orthodoxe). La Sainte Lance fut apportée le par Nicétas, fils de Schahr-Barâz, qui devait devenir patrice et résider à Constantinople ; elle fit l'objet de quatre jours de vénération publique du 1er au (les deux premiers jours pour les hommes, les deux autres pour les femmes). À cette date, les Perses occupaient donc toujours la Palestine ; ils s'en retirèrent au cours de l'hiver 629-630.

Schahr-Barâz retourna en Perse accompagné d'un corps expéditionnaire byzantin commandé par l'eunuque Nersès. Il remonta d'abord vers le Nord pour affronter les Göktürk, mais fut vaincu par eux dans la région d'Outik, près du lac Sevan. Le , de retour à Ctésiphon, il s'empare du trône et fait exécuter le jeune roi Ardachir III. Mais dès le , il est lui-même renversé et tué par une conspiration. Il est remplacé par la reine Bûrândûkht, fille de Khosro II, qu'il avait épousée pour justifier son usurpation.

Héraclius, toujours accompagné de son épouse Martine, partit pour Jérusalem au début de l'année 630 pour y rapporter la relique de la Vraie Croix. Il y fut accueilli le par Modeste de Jérusalem, locum tenens du patriarcat depuis l'exil du patriarche Zacharie de Jérusalem. Il entra dans la ville à pied, sans aucun insigne impérial, en portant lui-même la relique tout au long de la Via Dolorosa. Il fut le seul empereur qui se soit rendu à Jérusalem[note 2]. Le retour du pouvoir byzantin en Palestine s'accompagna, malgré des assurances données par Héraclius, d'un grand massacre des Juifs, accusés d'avoir collaboré avec les Perses ; la résidence à Jérusalem et dans ses environs leur fut interdite ; d'une façon générale, cette époque connut une grande flambée contre le judaïsme, et Héraclius lui-même prit plusieurs mesures tendant au baptême forcé de tous les Juifs (situation illustrée par le texte contemporain Doctrina Jacobi nuper baptizati). L'empereur séjourna ensuite un long moment en Syrie ; pendant l'été 630, il rencontra notamment à Alep le catholicos nestorien Ichoyahb II envoyé comme émissaire par la reine Bûrândûkht. Il ne regagna pas Constantinople avant l'été 631. À son retour, il célébra un triomphe où figuraient entre autres quatre éléphants et fit de grandes largesses au peuple. Ce fut l'apogée de son règne.

C'est à cette époque qu'un nouveau peuple de langue turque apparut dans l'histoire : les Bulgares, qui devaient avoir une importance majeure pour les Byzantins dans les siècles suivants. Leur khan Koubrat, qui avait séjourné à Constantinople, connaissait Héraclius ; il était chrétien depuis 619 et portait le titre byzantin de patrice. De retour au sein de son peuple, vers 630, il vainquit les Avars, s'affranchit de leur joug, et forma un État au nord de la mer Noire qui est appelé dans les chroniques byzantines la Grande Bulgarie. Héraclius conclut avec cet État un traité d'alliance contre les Avars en 635.

La conquête arabe

Mais une autre menace pointait déjà : le premier affrontement (la bataille de Mu'tah) rapporté par la tradition musulmane entre Byzantins et Arabes eut lieu en septembre 629 près de Mu'tah (en), dans l'actuelle Jordanie. À l'automne 633, le calife Abou Bakr As-Siddiq envoya quatre armées attaquer le Sud de la Palestine. La rencontre avec les troupes byzantines eut lieu près de Gaza en février 634 ; les Byzantins furent battus à la bataille de Dathin (en) et Sergius, commandant de l'armée pour la Palestine, fut tué. Héraclius, qui était alors revenu en Orient et se trouvait à Édesse (Osroène), rassembla une armée sous le commandement de son frère Théodore et l'envoya à la rencontre des armées arabes. D'autres troupes arabes qui se trouvaient déjà en Mésopotamie depuis 633 rejoignirent la Palestine, et à leur arrivée la ville de Bosra se rendit aux Arabes musulmans. Le , les armées byzantines et arabe s'affrontèrent à Adjnadaïn, à mi-chemin entre Gaza et Jérusalem ; le prince Théodore fut lourdement défait. Dans son prêche de Noël 634, le patriarche Sophrone de Jérusalem déplore l'impossibilité cette année-là de se rendre en pèlerinage de Jérusalem à Bethléem du fait de la présence dans le pays d'« Arabes sans Dieu », selon lui. Au cours de l'année 635, les villes de Damas et d'Émèse se rendirent aux musulmans.

Pendant ce temps, Héraclius regroupait les forces dont il pouvait disposer sous le commandement de deux nouveaux généraux, Théodore Trithyrius (qualifié de sakellarios, c'est-à-dire « trésorier ») et Baanès (c'est-à-dire Vahan, nom arménien). Au début 636, dans un premier temps, les Byzantins parvinrent à reprendre le contrôle de Damas et d'Émèse, mais ce fut un succès sans lendemain : l'armée de Théodore Trithyrius fut d'abord défaite près d'Émèse, puis les Arabes se tournèrent vers celle de Baanès. La rencontre eut lieu au sud de Damas, près du fleuve Yarmouk : le , les Byzantins y furent écrasés par les troupes de Khalid ibn al-Walid, dans des conditions telles que la Palestine et la Syrie étaient clairement perdues. Héraclius prit alors des mesures pour assurer la défense de l'Égypte, et quitta l'Orient pour Constantinople après avoir ordonné que la relique de la Vraie Croix soit à nouveau transférée dans la capitale. Une armée arabe lancée à sa poursuite ayant atteint Mélitène et y ayant été reçue par les habitants, l'empereur ordonna que la ville soit entièrement détruite.

Au cours de l'année 637, les Arabes s'emparèrent d'Antioche et d'Alep, dans le nord de la Syrie. Dans le même temps, le roi des Perses, Yazdgard III, dont les armées avaient été également mises en déroute, devait abandonner sa capitale, Ctésiphon, pour s'enfuir vers le nord. Le calife Omar ibn al-Khattâb se déplaça en personne pour recevoir la reddition de Jérusalem des mains du patriarche Sophrone.

À son retour dans la capitale, Héraclius s'installa dans le palais de Hiéreia, sur la rive asiatique du Bosphore, refusant de traverser le détroit par peur panique d'embarquer sur un navire ; il semble en effet, à la fin de sa vie, avoir manifesté des troubles de comportement[30]. Un complot fut ourdi contre lui qui impliquait son fils bâtard Atalarichos et son neveu Théodore, le fils de son frère du même nom qui avait été auparavant déchu de ses titres et emprisonné, apparemment à cause de son hostilité envers l'impératrice Martine. Le complot fut déjoué, les deux princes eurent le nez et les mains coupées, Atalarichos fut emprisonné sur l'île de Büyükada et Théodore envoyé à Malte, où on lui coupa encore une jambe[31]. Enfin, au début 638, la constitution d'un pont de navires sur le Bosphore permit à l'empereur de rentrer dans sa capitale.

La progression des Arabes continua inexorablement : au cours de l'année 639, ils s'emparèrent de la Mésopotamie byzantine (reddition de la ville d'Édesse, prise de la forteresse de Dara). En décembre 639, le général musulman Amr ibn al-As pénétra en Égypte à la tête d'une armée. Le commandant militaire de la province, Jean de Barka, fut tué au premier accrochage avec les Arabes près du Nil. Son remplaçant, nommé Théodore, et le patriarche Cyrus de Phase, s'installèrent dans la forteresse de Babylone du Caire. Entre-temps, Amr ibn al-As reçut de considérables renforts, et pendant l'été 640 mit en déroute l'armée byzantine à la bataille d'Héliopolis, au nord de Babylone, après quoi il entama le siège de la forteresse. Héraclius réagit en envoyant de Constantinople une autre armée commandée par un certain Marianus, mais elle fut complètement défaite en deux batailles. Le patriarche Cyrus de Phase négocia avec Amr une trêve et le paiement d'un tribut, et se rendit à Constantinople pour soumettre l'accord à l'empereur. Héraclius, furieux, le rejeta et destitua Cyrus. Les choses en étaient là quand il mourut début 641.

Héraclius et la prophétie de Mahomet

Héraclius est resté une grande figure dans la tradition musulmane des siècles suivants.

La trentième sourate du Coran intitulée « Ar-Rum » (littéralement « les Romains »), qui fut révélée à Mahomet autour de l'an 614 du calendrier julien, prophétisait déjà la victoire des Byzantins contre les Perses impies. Celle-ci est une bonne annonce faite aux croyants dans la mesure où les chrétiens étaient vu comme un moindre mal par rapport aux Perses shirk (mazdéens) qui avaient des visées expansionnistes sur la péninsule arabique depuis plusieurs décennies. Les idolâtres de La Mecque se moquèrent de ses ayat (versets) - (les Byzantins avaient déjà perdu tout le Levant à ce moment là et leur situation allait de mal en pis) et s'est alors qu'Abou Bakr As-Siddiq (futur successeur de Mahomet) tint pari avec l'un d'entre eux (Oubay Ibn Khalaf (en)) sur dix ans, lui promettant de nombreux chameaux en cas de défaite de Héraclius (donc en contradiction avec la révélation). Dix ans plus tard, la victoire des musulmans à Badr (en) coïncidait avec les premiers succès militaires de Héraclius[32].

Par la suite, Héraclius fut présenté par nombre d'auteurs musulmans comme un souverain très sage et d'une grande piété. Dans un hadîth authentique, rapporté par Abdullah ibn Abbas et recueilli par l'imam Mouhammad al-Boukhârî dans son Sahih al-Bukhari, il est notamment fait état d'une discussion que Héraclius aurait eu à Jérusalem avec Abu Sufyan ibn Harb (alors le pire ennemi de Mahomet) pendant la trêve d'Houdaybiya. À l'issue de cette conversation, Héraclius reconnut comme prophète Mahomet et affirma que s'il avait l'occasion de le rencontrer, il lui laverait les pieds. Il fit ensuite apporter et lire à sa cour la lettre que le prophète avait fait remettre au gouverneur de Bosra par l'intermédiaire de Dihyah Kalbi (en) et qui lui était adressé (à l'inverse de Khosro II qui déchira une lettre similaire[33])[note 3]. Cette lettre appelait Héraclius à se convertir à l'islam (sans quoi il serait coupable d'avoir égaré son peuple) et comportait le verset suivant : « Ô gens du Livre, venez à une parole commune entre nous et vous : que nous n'adorions qu'Allah, sans rien Lui associer, et que nous ne prenions point les uns les autres pour seigneurs en dehors d'Allah. » Puis, s'ils tournent le dos, dites : « Soyez témoins que nous, nous sommes soumis. » (3:64). Sa lecture engendra le désordre dans le palais qui dût être évacué. Héraclius confia ultérieurement au gouverneur de Jérusalem que les astres lui avaient prétendument indiqués l'avènement du prince des circoncis. Demandant à ses courtisans quels peuples pratiquaient encore la circoncision, ces derniers lui répondirent : « les Juifs seuls » et lui conseillèrent d'ordonner le génocide de ceux présents dans l'Empire, afin qu'ils ne lui ravissent pas son pouvoir. C'est à ce moment là qu'un émissaire du prince des Ghassanides interrompit leur conciliabule pour leur parler du nouveau prophète en Arabie. Circonspect, Héraclius demanda à le faire examiner. Lorsqu'il s'avéra que l'homme était circoncis, Héraclius comprit qu'il s'agissait des Arabes et non des juifs, ce qui le renforça dans sa conviction que Mahomet était un vrai prophète de Dieu. Il réunit de nouveau sa cour, cette fois-ci à Émèse, et exhorta les grecs à prêter allégeance à Mahomet. Les réactions furent beaucoup plus négatives qu'à Jérusalem. Choqués par de tels propos émanant de leur empereur et le pensant fou, les hauts dignitaires se ruèrent vers les portes du palais « avec la furie d'ânes sauvages ». Héraclius comprit donc qu'il ne pourrait jamais les faire embrasser l'Islam et que s'il s'obstinait dans cette voix il risquait de perdre sa vie et son pouvoir terrestre. Il s'adressa alors à eux en ces termes : « Le discours que je viens de vous tenir n'avait d'autre but que d'éprouver la force de votre attachement à votre religion ; et je l'ai constaté. ». Ravis et rassurés par cette déclaration, ils se prosternèrent alors devant lui[34].

L'action religieuse et culturelle

Héraclius rapporte la croix sur le calvaire par Palma le Jeune.

L'empereur Héraclius se consacra beaucoup aux questions religieuses : comme nombre de ses contemporains, c'était un esprit d'une piété ardente, et d'autre part la religion tenait une place très importante dans la politique de cette époque. Empereur « croisé », il acheva de donner au régime romano-byzantin un caractère théocratique très marqué. Au début de son règne, il consulta le saint homme Théodore de Sykéon, et après la mort de celui-ci en 613, fit apporter solennellement sa dépouille à Constantinople et s'agenouilla publiquement devant elle. Il fut un grand adorateur de reliques, et les chroniqueurs signalent que, pendant ses campagnes militaires en Orient, il visita de nombreux sanctuaires et se fit remettre des reliques de saints, notamment pour re-pourvoir les lieux de culte de l'Empire qui avaient été dévastés par les Perses infidèles. Lorsque ceux-ci atteignirent les faubourgs asiatiques de Constantinople, il fit transférer les reliques de sainte Euphémie de Chalcédoine dans la salle d'apparat du palais d'Antioche[35]. Il entoura également d'une grande vénération les reliques liées à la vie du Christ, notamment celle de la Vraie Croix qui se trouvait à la fin de son règne à Constantinople. Il organisa à plusieurs reprises des cérémonies de vénération publique de ces reliques. Son règne fut aussi une période de grand développement en Orient du culte des icônes : il donna l'exemple avec l'icône acheiropoiêtos qui lui servit d'étendard.

L'une des actions les plus importantes menées par Héraclius dans le domaine religieux fut sa tentative, poursuivie pendant la plus grande partie de son règne, de réunifier les chrétiens divisés par leurs querelles dogmatiques. Il eut une discussion doctrinale avec le catholicos nestorien Ichoyahb II à l'occasion de leur rencontre diplomatique à Alep à l'été 630. Mais la question principale qui l'occupa fut la réconciliation des deux tendances religieuses dominantes dans l'Empire romain d'Orient : l'Église officielle constituée des partisans du symbole de Chalcédoine et les monophysites. Il collabora dans cette entreprise avec le patriarche de Constantinople Serge Ier. Celui-ci menant le débat théologique depuis la capitale, notamment par échange de courriers avec d'autres dignitaires ecclésiastiques, Héraclius mit à profit ses nombreux déplacements à travers l'Orient pour faire des rencontres et organiser des réunions, jouant ainsi dans la vie de l'Église un rôle personnel très important.

À partir de 617 environ, Serge Ier, en liaison avec l'évêque égyptien Théodore de Pharan, proposa une formule théologique de conciliation appelée monoénergisme : le Christ avait bien deux « natures » distinctes, mais on pouvait se mettre d'accord sur le fait qu'il n'y avait en lui qu'une seule « activité » ou « opération » (energeia). C'est Héraclius qui rencontra dans le royaume de Lazique, en 626, celui qui devait devenir le principal champion de cette doctrine : l'évêque Cyrus de Phase, qui se montra d'abord réticent mais, mis en contact avec Serge Ier de Constantinople, se laissa convaincre. Après la rétrocession de l'Égypte aux Byzantins par les Perses, en 631, Cyrus de Phase fut nommé patriarche melkite d'Alexandrie, et Héraclius y ajouta la fonction de préfet d'Égypte, lui conférant ainsi les pleins pouvoirs pour obtenir le ralliement de la majorité monophysite de la population égyptienne à l'Église officielle byzantine. En fait, malgré un acte d'union qu'il parvint à conclure en juin 633, sa politique faite principalement de répression contre les monophysites récalcitrants n'aboutit à rien. D'autre part, au printemps 631, Héraclius négocia lui-même pendant douze jours, à Hiérapolis de Syrie (l'actuelle Manbij), le ralliement de l'Église syrienne jacobite, représentée par son patriarche, Athanase Ier d'Antioche, et par douze autres évêques. Le patriarche aurait finalement accepté une formule d'union, mais de façon ambiguë et sans vouloir rien signer ; il mourut de toute façon en juillet de la même année, et le conflit fut rallumé par le transfert de la cathédrale d'Édesse, au moment du retrait des Perses, à un évêque de l'Église officielle. Enfin, peu après, Héraclius présida lui-même à un concile de réconciliation avec l'Église apostolique arménienne, dirigée par le catholicos Ezr Ier de Paraznakert ; ce concile se tint à Théodosiopolis (l'actuelle Erzurum), et semble avoir abouti en partie par des pressions politiques et la corruption ; quoi qu'il en soit, les Arméniens annulèrent l'union à leur concile de Dvin en 649.

Mais la doctrine du monoénergisme commença à susciter des oppositions au sein de l'Église officielle, notamment de la part du respecté moine palestinien Sophrone, qui fut élu fin 633 ou début 634 patriarche de Jérusalem sans que le gouvernement impérial ait pu l'en empêcher. De passage à Constantinople pendant l'été 633, il avait fait serment de ne pas attaquer directement la politique de réunification des Églises menée par les patriarches Serge Ier de Constantinople et Cyrus de Phase, en échange de la promulgation par Serge d'un « jugement » (psêphos), qui disposait que, maintenant l'union réalisée, on ne parlerait plus ni d'une, ni de deux « opération(s) » en Jésus-Christ. Serge s'entendit par échange de courriers avec le pape Honorius Ier sur l'idée qu'on pouvait en revanche parler d'une seule « volonté » (thelêsis) : ce fut le principe d'une nouvelle doctrine, le monothélisme, officialisé par un manifeste appelé l'ecthèse qui fut placardé dans le narthex de la basilique Sainte-Sophie en septembre ou en . Le monothélisme fut désormais, par la volonté d'Héraclius et de Serge Ier, la théologie officielle de l'Empire. Mais la papauté, dès l'élection de Séverin, successeur d'Honorius Ier, en , dénonça fermement cette doctrine, et ce fut l'origine d'un nouveau schisme.

Bilan du règne

Le règne d'Héraclius constitua un tournant dans l'histoire de l'Empire romain d'Orient. Il perdit alors, momentanément aux mains des Perses, puis définitivement aux mains des Arabes, plusieurs de ses riches, populeuses et symboliques provinces orientales (Syrie, Palestine, Égypte). Il perdit aussi complètement la province de Spania (ancienne province romaine de Bétique), récupérée par Justinien en Espagne. Il vit également lui échapper la presque totalité de la péninsule des Balkans, envahie par les Avars et aussi, jusque dans le Péloponnèse, par des tribus slaves qui y formaient des communautés autonomes appelées « Sklavinies »[36] ; pendant plusieurs décennies, on ne put plus aller de Constantinople à Thessalonique que par la mer. C'est sous ce règne que ce qui s'appelait toujours officiellement l'Empire romain cessa d'être réellement un État multi-ethnique entourant la Méditerranée pour devenir un État presque purement grec centré sur l'Asie Mineure. Mais cette évolution mit encore plusieurs décennies pour s'imposer à l'esprit des contemporains.

Pendant le règne d'Héraclius, presque toutes les provinces de l'Empire, sauf l'Afrique et la Sicile, connurent les affres de la guerre. De très nombreuses villes furent assiégées ou dévastées par des envahisseurs, parfois changeant de mains deux ou trois fois, et massacres et déportations de populations entières sont signalés à plusieurs reprises. L'insécurité fut permanente à peu près partout, entraînant le délitement de l'économie. Cette situation chaotique se poursuivit bien après la mort d'Héraclius, dont le règne constitue le seuil de ce qu'on appelle l'« âge sombre » (dark ages) de l'empire d'Orient. L'économie s'effondra, les ressources de l'État fondirent, l'administration fut désorganisée[37]. On a attribué à Héraclius plusieurs réformes dans l'organisation de l'État et de l'armée qui n'intervinrent en fait que sous les règnes suivants, mais c'est sous le sien que l'ordre ancien subit un coup fatal du fait de cette situation de guerre généralisée. À cela s'ajoutèrent des calamités naturelles (tremblement de terre qui détruisit la grande ville d'Éphèse en 614 ; présence lancinante pendant tout ce siècle de la peste bubonique, entre autres à Constantinople en 618 et en 640), que l'extrême affaiblissement de l'État et de l'économie ne permettait plus de surmonter comme dans les ères de prospérité. Sous Héraclius, la population des villes commença à se réduire fortement : plusieurs métropoles, en Asie Mineure ou dans les Balkans, furent ravalées en quelques décennies au rang de simples bourgades ou de forteresses ; la chute de la population de Constantinople fut sûrement accélérée par l'interruption de l'annone en 619 ; l'aqueduc qui alimentait la capitale en eau, très endommagé pendant le siège de la ville par les Avars en 626, ne fut pas réparé avant 766. Cependant, il faut également souligner que, face aux Perses ou face aux Arabes, l'État et l'armée de l'Empire romain d'Orient ne s'effondrèrent jamais tout à fait : sa destinée contraste avec celle du royaume des Perses sassanides, qui disparut devant l'invasion musulmane[38].

La culture ancienne héritée de l'Antiquité classique et païenne acheva de disparaître : déjà le christianisme était devenu très intolérant depuis le règne de Justinien ; la longue période d'épreuves qui commença sous le règne d'Héraclius vit sombrer complètement la littérature et la philosophie classiques et la culture se recentrer presque exclusivement sur la religion chrétienne. L'Empire romain d'Orient se vécut de plus en plus comme le « nouvel Israël » en butte de tous côtés aux barbares païens ou infidèles. C'est sous Héraclius que vécurent les derniers écrivains représentants de genres profanes de l'Antiquité tardive (l'historien et épistolographe Théophylacte Simocatta, le poète Georges de Pisidie), et aussi le dernier professeur de philosophie connu (Étienne d'Alexandrie). Ensuite la culture humaniste à Constantinople subit une éclipse de deux siècles. À côté de l'historiographie savante, ce règne a transmis aussi deux exemples de chroniques universelles sans prétention littéraire : celle de Jean d'Antioche, et le texte appelé Chronicon Paschale, rédigé par un clerc de Sainte-Sophie dans les années 630 ; mais même ce genre populaire n'est plus représenté ensuite (en tout cas pour ce qui est conservé) avant le IXe siècle. Dans le domaine de la peinture religieuse, l'image naturaliste et illusionniste en trois dimensions issue de la tradition antique céda de plus en plus la place aux figures frontales, sans mouvement, sans décors naturalistes, représentées en deux dimensions, des icônes médiévales : ainsi, dans la basilique Hagios Démétrios de Thessalonique, un incendie survenu dans les années 620 ayant détruit les précédentes mosaïques à scènes illusionnistes (dont des fragments sont encore visibles), elles furent remplacées par des figures frontales sur fond abstrait.

Portrait de l'empereur

Léon le Grammairien, compilateur d'une chronique byzantine du Xe siècle, écrit qu'il était « robuste, large de poitrine, avec de beaux yeux bleus, des cheveux blonds, le teint clair et une barbe épaisse ». Selon une tradition recueillie par Raban Maur, un moine allemand du IXe siècle, il était « un soldat d'une grande énergie, un homme très éloquent, beau physiquement, adonné à toutes les activités profanes, et néanmoins dévoué tout entier à la foi catholique, soumis à l'Église, bienveillant et zélé envers elle ». Dans sa vieillesse il fut atteint d'hydropisie ; devint obèse, et mourut. D'autre part, il semble dans ses dernières années avoir manifesté des signes de désordres nerveux, voire d'une altération de ses facultés mentales. L'historien américain Warren Treadgold le décrit comme « une imposante mais tragique figure, qui [a] survécu à sa réputation et à ses succès ».

Succession

Héraclius eut un fils illégitime appelé Jean Athalarichos. Christian Settipani se basait sur son nom pour le considérer comme le fils d'une fille inconnue de Germanus Postumus et de sa femme Charito, parce que la mère de celui-ci était la sœur d'Athalaric, le roi des Ostrogoths. En 635 ou 637, il conspira contre son père pour usurper le trône avec son cousin le magister Théodore et d'autres, ils furent mutilés et exilés.

Héraclius avait fait couronner dès 613, alors qu'il n'avait pas un an, son fils aîné Héraclius Novus Constantin, né le dans le palais de Sophianæ, dans la banlieue de Constantinople, et pendant tout le reste du règne ce dernier fut officiellement co-empereur, appelé évidemment à la succession. Cependant, Constantin III fut toujours, semble-t-il, de santé très précaire, et il resta toujours à Constantinople, sans participer jamais à aucune campagne militaire. Il épousa en 629 ou début 630 sa cousine Grégoria Anastasia, fille du patrice Nicétas qui fut préfet d'Égypte, et de sa femme Grégoria ; le couple eut deux fils, dont l'aîné, le futur Constant II, naquit dès le . De son premier mariage, Héraclius eu aussi une fille, Eudocia (ou Epiphania), née le 7 ou dans le palais d'Hiéreia, sur la rive asiatique du Bosphore, fiancée vers 625 ou vers 631 avec un prince turc, mort en combat en 631, et mariée avec Harbis Ier, roi des Khazars de 630 à 640.

Avec sa seconde épouse Martine, qui était aussi sa nièce maternelle, Héraclius eut onze enfants, dont quatre moururent en bas âge et deux étaient handicapés. Ce mariage incestueux passa aux yeux de beaucoup pour maudit. En 617, il fait le premier de ses fils, Constantin, né en 615, César, mais il mourut vers 631. Son deuxième fils, Flavius ou Fabius, né vers 616 et qui avait un cou paralytique, mourut vers la même année, ainsi que deux filles, nées vers 618 et vers 620. Son fils Théodosius, né en Perse en 622, était sourd-muet. Il mourut aussi vers la même année que ses frères et sœurs ou, en alternative, avant 641, et se maria avec sa cousine Nike, née vers 615 et décédée après 630, fille de Nicétas et de sa femme Grégoria, sans postérité. Le , en présence de son fils aîné, Héraclius fit couronner un des fils de Martine, Héraclonas, né en 626, et le fit donc cohéritier. Cette démarche incompréhensible, qui faisait peser une menace d'affrontement après sa mort, fut attribuée à l'influence qu'avait acquise l'ambitieuse Martine sur l'esprit troublé du vieil empereur malade. Son fils David, né en Asie Mineure le , fut renommé Tiberius et fait César en 637 et Auguste en 641, et son autre fils Marinus, né vers 632, fut aussi fait César. Les deux furent assassinés en 641 dans le même exil de sa mère et de son frère aîné. Ses deux filles, Augustina née vers 634 et Martina née vers 636, furent également faites Augustes en 638 et moururent après cette date.

Voir aussi

Articles connexes

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Notes et références

Notes

  1. Ce personnage, dont Tong est le nom dans les textes chinois, est appelé Ziebêl, khagan des Khazars, dans la chronique de Théophane. Les dénominations des populations turco-mongoles du centre de l'Eurasie sont souvent flottantes : le mot « khazar » semble d'ailleurs avoir signifié simplement « nomade ». Les historiens parlent d'un État « khazar » après la dislocation du khanat dit des Köktürks vers 650.
  2. Nous avons une interprétation chrétienne contemporaine de ces événements dans La Conquête de Jérusalem, d'Antiochus Stratégius, moine de Mar Saba et compagnon d'exil du patriarche Zacharie (un texte conservé dans des versions latine et géorgienne).
  3. Cet épisode constitue d'ailleurs la scène d'introduction du film Al Rissalah réalisé par Moustapha Akkad en 1976.

Références

  1. A History of the Byzantine State and Society par Warren Treadgold, 1997, p. 287. « Le nouvel empereur avait passé la majeure partie de sa vie adulte en Afrique, bien que sa famille était des Arméniens de la Cappadoce. »
  2. Kaegi 2003, p. 21-22.
  3. Kaegi 2003, p. 23.
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  30. D'autre part, il croyait beaucoup en l'astrologie, et selon la Vie de Basile le Macédonien, Étienne d'Alexandrie, examinant son horoscope de naissance, lui aurait prédit qu'il périrait par l'eau.
  31. (en) Joseph Bezzina, Gozo's Government : the autonomy of an island through history, Gaulitana, (ISBN 99909-57-24-X).
  32. Abû Bakr Al-jazâ'irî (trad. Harakat Abdou), Le Prophète de l'Islam [« هذا الحبيب »], Beyrouth, Dar El Fikr,‎ , 568 p. (lire en ligne), p. 161
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  35. Stéphane Yerasimos, 2014, p. 83.
  36. Au Xe siècle, l'empereur Constantin VII Porphyrogénète, dans son De administrando imperio, rapporte qu'Héraclius organisa par des traités l'installation des Serbes et des Croates dans les Balkans, s'alliant avec eux contre les Avars et leur envoyant des missionnaires chrétiens. Ils auraient d'abord été établis dans la région de Thessalonique, puis sur les territoires qu'ils occupent actuellement. L'origine et la valeur de ces informations sont incertaines. En tout cas, il y eut une révolte des Slaves contre les Avars après l'échec du siège de Constantinople en 626, et Héraclius tira aussi parti de la révolte des Bulgares.
  37. La Vie de saint Jean l'Aumônier, par Léontios de Néapolis, illustre la situation de détresse économique qui régnait dans une bonne partie de l'Empire dans les années 610, avec de nombreux réfugiés fuyant les zones de guerre.
  38. Il semble que sous Héraclius, on croyait beaucoup en la fin prochaine du monde. Ainsi, la prédiction qu'on lit chez Théophylacte Simocatta et qui est citée dans une note précédente a probablement été inventée après la victoire d'Héraclius en 628, mais avant l'écoulement du délai de sept ans attribué à la domination « romaine », soit sans doute vers 630. De même l'obsession du comput astronomique pour établir la chronologie de l'histoire du monde, dont témoigne entre autres le Chronicon Paschale, serait une manifestation de cet état d'esprit. Sur ces questions, voir P. Magdalino, op. cit..

Bibliographie

Textes de référence

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  • Théophane le Confesseur, Chronographia, (texte grec et traduction anglaise par Harry Turtledove, University of Pennsylvania Press, 1982).


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