Guerre d'indépendance turque

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Guerre d'indépendance turque
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Dans le sens des aiguilles d'une montre à partir du haut à gauche : une délégation s'est réunie au Congrès de Sivas pour déterminer les objectifs du Mouvement national turc ; Des civils turcs transportant des munitions à l'avant ; l'infanterie Kuva-yi Milliye ; la cavalerie turque à cheval à la poursuite ; la capture de Smyrne par les forces turques.
Informations générales
Date
(3 ans, 4 mois et 22 jours)
Lieu Anatolie, Nord de la Mésopotamie, Thrace.
Casus belli

Défaite de l'Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale

Issue

Victoire turque

Belligérants
Mouvement national turc (tr)
Drapeau de la Grèce Royaume de Grèce
République démocratique d'Arménie
Drapeau de la France France
Drapeau du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande
Drapeau de l'Empire ottoman Empire ottoman
Drapeau du Royaume d'Italie Royaume d'Italie
Commandants
Mustafa Kemal Pacha
Fevzi Pacha
Karabékir Pacha
Ali Fouad Pacha
Ismet Pacha
Noureddine Pacha
Yakub Chevki Pacha
« Topal » Osman Agha

Anastásios Papoúlas
Geórgios Hatzanéstis
Leonídas Paraskevópoulos


Drastamat Kanayan
Movsès Silikian (en)

Henri Gouraud
Louis Franchet d'Espèrey


George Milne
Somerset Gough-Calthorpe
Charles Harington Harington


Damat Ferid Pacha
Suleiman Chefik Pacha (en)
Anzavur Ahmed Bey (en)

Batailles

Guerre gréco-turque


Guerre arméno-turque


Campagne de Cilicie

La guerre d’indépendance turque (en turc : Kurtuluş Savaşı, « guerre de libération ») est le nom donné aux conflits qui se déroulèrent en Turquie du au , date de la signature de l'armistice : guerre civile turque puis conflits franco-turc, arméno-turc et gréco-turc, qui opposèrent la résistance nationaliste turque menée par Mustafa Kemal aux puissances alliées victorieuses de l'Empire ottoman à la suite de la Première Guerre mondiale, et à l'armée du sultan ottoman.

Par leur détermination et leurs victoires face aux Grecs et aux Arméniens, les armées kémalistes contraignirent les Alliés à une révision du traité de Sèvres et à une renégociation à travers le traité de Lausanne qui s'y substituera en . La guerre d'Indépendance aura pour conséquence de provoquer la chute du sultanat turc et du système ottoman antérieur, lequel sera remplacé par la république de Turquie. Ce changement radical de régime, largement préparé par le gouvernement des Jeunes-Turcs des années 1908 et suivantes, sera une étape déterminante du processus révolutionnaire connu dans les années qui suivront sous le terme de kémalisme.

Histoire[modifier | modifier le code]

Les frontières de la Turquie redessinées par le traité de Sèvres.
Char d'assaut français à Beyazıt, Istanbul (vers 1920).

À l'issue de la Première Guerre mondiale, l'Empire ottoman étant l'un des Empires centraux, se retrouve dans le camp des pays vaincus, comme ses alliés l'Empire allemand, l'empire d'Autriche-Hongrie et le royaume de Bulgarie. Le , le traité de Sèvres, signé entre les alliés et les mandataires du sultan Mehmed VI, ampute l'Empire turc d'une grande partie de ses territoires qui deviennent soit indépendants (Arménie), soit autonomes (Kurdistan turc), soit sont placés sous l'influence et l'occupation des puissances victorieuses (accords Sykes-Picot).

Ainsi, les régions arabophones du Proche-Orient s'émancipent et sont placées pour certaines d'entre elles, sous mandat de la Société des Nations qui les confie à la France (Liban et Syrie) et au Royaume-Uni (Irak et Palestine). Les vilayets de Van, Bitlis, Trébizonde et Erzurum doivent être intégrés à la république indépendante d'Arménie, la détermination de la frontière étant soumise à l'arbitrage du président américain (articles 88 à 94 du traité). Un « territoire autonome des Kurdes » englobant le Sud-Est de l'Anatolie est constitué (articles 62 à 64 du traité) puis placé sous zone d'influence française pour la partie occidentale et britannique pour la partie orientale.

De plus, d'autres zones d'influence sont octroyées :

Enfin, Istanbul, les côtes de la mer de Marmara et les Dardanelles sont démilitarisées. Les détroits sont placés sous le contrôle d'une commission internationale.

Il ne reste à l'Empire ottoman que 783 562 km2 kilomètres carrés (soit environ 23 % des 3 400 000 km2 d'avant la guerre)[16], et un système de « garanties » vient limiter sa souveraineté sur ce territoire restant et notamment sur les détroits stratégiques du Bosphore et des Dardanelles. Entre autres, les finances du pays doivent être administrées par des commissions étrangères, et une grande part des ressources doit être affectée en priorité aux frais d'occupation et au remboursement des indemnités dues aux Alliés. Des commissions sont aussi créées afin de dissoudre intégralement l'armée ottomane pour la remplacer par une force de gendarmerie. Par ailleurs, la police, le système fiscal, les douanes, la poste, les eaux et forêts, la flotte marchande, les écoles privées et publiques doivent être soumis au contrôle permanent des Alliés.

Le 13 octobre 1922, l’Abilene Daily Reporter, basé au Texas (États-Unis), qualifie Mustafa Kemal de « George Washington de la Turquie ».

La guerre d’indépendance turque est un autre facteur exogène imposant des revers militaires, puis divisant le camp allié. Ainsi la Turquie incarne la réussite de l’insoumission. En Turquie, la lutte menée sous la direction de Mustafa Kemal, dresse des épreuves à la coalition franco-anglaise en simulant tantôt un flirt avec les Bolcheviks, et en se référant tantôt à l’islam. Ce point inquiète particulièrement :

Il existe au monde actuellement deux grandes puissances : l’Angleterre et la France. La Turquie reste le seul pays musulman réellement autonome. Tant que ce pays existera les puissances ne seront pas tranquilles, car c’est un foyer d’où l’étincelle peut se propager et crée des troubles dont on n’ose pas envisager l’étendue[17].

En effet, les populations musulmanes manifestent leur solidarité à la résistance kémaliste à partir de 1921. La guerre d’indépendance turque provoque un enthousiasme certain qui se remarque lors des manifestations pour la libération dans les pays colonisés.

Le sultan Mehmed VI, voyant son autorité s'effriter, met à prix la tête de Mustafa Kemal Pacha dont la popularité ne cesse de grandir en raison de son refus intransigeant de ce traité. Dès lors, Mustafa Kemal considère le sultan comme une marionnette des Alliés et propose l'abolition du régime monarchique. Les nouveaux députés élus lors d'un scrutin organisé par Mustafa Kemal se réunissent à Ankara et le , un nouveau pas vers la république de Turquie est accompli avec la fondation de la Grande assemblée nationale de Turquie (Türkiye Büyük Millet Meclisi). Le , un Comité exécutif est élu et déclare que le nouveau parlement est le gouvernement légal et provisoire du pays, lequel refuse alors catégoriquement les clauses du traité de Sèvres. Menacé, le sultan signe avec les Alliés un accord secret plaçant l'Empire ottoman tout entier sous mandat britannique et stipulant que le sultanat « met la puissance morale et spirituelle du Califat au service du Royaume-Uni dans tous les pays musulmans où s'exerce son influence. »[18].

Le sultan, relayé par les hodja et les religieux, exhorte alors les Turcs à prendre les armes contre les nationalistes de Mustafa Kemal, présentés comme les « ennemis de Dieu ». L'inévitable guerre civile éclate dans toute sa brutalité. À Konya, les loyalistes arrachent les ongles et écartèlent les partisans de Mustafa Kemal. En représailles, les notables de la ville sont pendus publiquement par les forces kémalistes.

Au début, les nationalistes essuient plusieurs défaites, et l'armée du Sultan se rapproche d'Ankara, siège du nouveau parlement. Des désertions ont lieu dans les troupes de Mustafa Kemal. Ce dernier se voit contraint de se replier. Des militaires nationalistes qui devaient reprendre la ville d'Hendek aux loyalistes, fraternisent avec ceux-ci. Quelques jours plus tard, une division kémaliste entière est exterminée par l'Armée du Calife qui vient de conquérir une douzaine de grandes villes turques. Une mutinerie éclate au sein d'une milice kémaliste qui passe sous le contrôle du sultan. De son côté le général kémaliste Kâzım Karabekir a du mal à tenir son armée.

Les commandants turcs İsmet Pacha et Mustafa Kemal Pacha.

Face à l'avancée des forces gouvernementales, Mustafa Kemal se replie avec ses gardes du corps dans les bâtiments d'une ancienne école d'agriculture, où il vit en état d'alerte permanente, pour se protéger des agents du sultan voulant l'assassiner.

Mais à mesure que les clauses du traité de Sèvres, signé l'été 1920 et qui consacre le dépècement de l'Empire, sont connues (et aussi à mesure que les armées alliées et les Commissions de contrôle prennent position dans le pays), le gouvernement du sultan perd le soutien des Turcs qui sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les nationalistes. Le mouvement s'inverse, et les soldats de l'Armée du Calife décident l'arrêt des combats. Mustafa Kemal amnistie tout militaire qui se joindrait (ou qui reviendrait) à lui, charge ses généraux d'organiser la défense nationale et constitue un gouvernement de « salut public ». L'Armée du Calife se désagrège d'elle-même et l'on assiste dans certaines unités à des violences où des chefs se font égorger par leurs propres hommes qui estiment avoir été trahis. Début , elle a pratiquement disparu, sauf à Izmit où elle sert de couverture à la garnison britannique.

La désagrégation de l'Armée du Calife réduit à néant le pouvoir du sultan en Turquie, met fin à la guerre civile et inaugure les débuts de la guerre d'indépendance contre les troupes d'occupation.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) Barbara Jelavich, History of the Balkans : Twentieth century, Cambridge University Press, , 492 p. (ISBN 978-0-521-27459-3, lire en ligne), p. 131
  2. (en) Anthony D'Agostino, The Russian Revolution, 1917-1945, Santa Barbara, ABC-CLIO, , 171 p. (ISBN 0313386226 et 9780313386220, lire en ligne), p. 78
  3. (ru) « Внешняя политика Азербайджана в годы cоветской власти » [archive du ] (consulté le )
  4. (tr) « Atatürk, Nerimanov ve Kurtuluş Savaşımız », sur turksolu.com.tr (version du sur Internet Archive)
  5. (en) Ahat Andican (tr), Turkestan Struggle Abroad: From Jadidism to Independence, Sota Publications, , 776 p. (ISBN 9080740365 et 9789080740365), p. 78–81
  6. (tr) Özbekistan'dan Gelen Bir Haber
  7. a b et c (tr) Abdulvahap Kara (tr), « Türkistan Türklerinin Kurtuluş Savaşı'na ve Cumhuriyet'e Katkıları », sur abdulvahapkara.com, (consulté le )
  8. The Place of the Turkish Independence War in the American Press (1918-1923) par Bülent Bilmez (en)
  9. Mütareke Döneminde Mustafa Kemal Paşa-Kont Sforza Görüşmesi par Mevlüt Çelebi (tr)
  10. Mustafa Kemal Paşa – Kont Sforza ve İtalya İlişkisi (tr)
  11. (tr) Son Güncelleme, « Türk İstiklal Savaşı’nda Ekonomik Sıkıntılar (10) Dış Ülkelerden Yapılan Para ve Silah Yardımları (b) Fransa’nın Yardımları », sur rekabet.net, (consulté le )
  12. (tr) Erhan Afyoncu, « Madagaskar Müslümanları İstiklal Savaşı’nda yanımızdaydı », sur sabah.com.tr, (consulté le )
  13. (tr) « İki Halk Kahramanı M. Kemal Atatürk ve M. Ali Cinnah » [archive du ], sur ekitap.kulturturizm.gov.tr (consulté le )
  14. (tr) Adnan Güllü, « Hindistan Müslümanlarının Milli Mücadelede Türkiye'ye Yardımları », sur elbistankaynarca.com, Elbistan Kaynarca, (version du sur Internet Archive)
  15. « Atatürk in the Nazi Imagination — Stefan Ihrig | Harvard University Press », sur www.hup.harvard.edu (consulté le )
  16. Klaus Kreiser, Der Osmanische Staat 1300–1922. Oldenbourg, Munich, 2008, (ISBN 3-486-58588-6), S. 8.
  17. Sultane Aydine, « Le réveil des peuples colonisés sous l'égide de la Turquie (1919-1923) » [Https], sur cairn.info,
  18. Jacques Ancel, La Question d'Orient, p. 287.

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

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  • Claude Farrère, Turquie ressuscitée, Paris, Cahiers libres, 1930.
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Liens externes[modifier | modifier le code]