Friedrich Jeckeln

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Friedrich Jeckeln
Friedrich Jeckeln
Friedrich Jeckeln, au centre au second plan, en casquette à tête de mort et les deux mains dans le dos, avec Otto-Heinrich Drechsler, à gauche partiellement caché, et Hinrich Lohse, le 2e à gauche, dans la gare de Riga, Lettonie, .

Naissance
Hornberg
Décès (à 51 ans)
Riga
Allégeance  Empire allemand
 République de Weimar
 Troisième Reich
Arme Waffen SS
Grade Obergruppenführer
Années de service 1914 – 1946
Commandement
  • Ve corps de montagne SS
Conflits Première Guerre mondiale
Seconde Guerre mondiale
Autres fonctions responsable des massacres de Babi Yar, Rieseberg et autres en Europe de l'Est participant à la Shoah par balles

Friedrich August Jeckeln[1], né le à Hornberg en Forêt-Noire et pendu le à Riga en République socialiste soviétique de Lettonie est un criminel de guerre nazi, membre de la SS comme Obergruppenführer (lieutenant général) durant les années 1930, et nommé chef de la police en Union soviétique occupée pendant la Seconde Guerre mondiale. Il dirige un des plus importants groupes d'Einsatzgruppen (unité mobile d'extermination) et est personnellement responsable d'avoir ordonné l'exécution de plus de 100 000 Juifs, Roms, Slaves et autres « indésirables » visés par le Troisième Reich. Il est exécuté en 1946 pour ses crimes de guerre.

Jeunesse[modifier | modifier le code]

Fils d'un propriétaire d'usine, il étudie pendant un semestre à l'école secondaire avant d'entrer à l'école polytechnique à Köthen (Anhalt). En 1913, il est mobilisé et combat sur le front ouest comme artilleur en 1915. Il obtient le grade de lieutenant en 1916 mais, à la suite d'une grave blessure, il rejoint l'armée de l'air pour s'entraîner comme pilote.

Entre-deux-guerres[modifier | modifier le code]

Au retour à la vie civile, il trouve un emploi d'ingénieur mais s'oriente rapidement vers la politique[2]. C'est à partir de 1930 qu'il commence son ascension rapide dans deux organisations : le parti nazi et la Schutzstaffel (SS). Il adhère au premier le et fait une demande d'adhésion en décembre 1929 pour être intégré à la SS, acceptée un mois plus tard () à l’époque où la SS, comparée à la Sturmabteilung (SA), n’est qu’un organisme embryonnaire. Il engage alors une fulgurante ascension dans le parti et la SS. Il passe du grade de SS-Anwärter le au grade de général commandant de la Ve SS-Freiwilligen-Gebirgskorps (Corps de montagne)[note 1].

En 1932, il est élu député au Reichstag, mais l'assemblée est rapidement rendue inutile avec l'arrivée d'Hitler au pouvoir en 1933. De 1931 à 1933, il dirige alors la IVe section SS (SS-Abschnitt) dans les provinces de Hanovre et du Schleswig-Holstein. En même temps, il prend la direction du groupe SS « sud ».

Il prend part aux pogroms de Brunswick et à Hanovre connus sous le nom de « Nuit de Cristal ».

En 1933, il est nommé chef de la Gestapo, de la police nationale et chef de la police de Brunswick par le ministre nazi de l'État libre de Brunswick, Dietrich Klagges, dont l'objectif était d'assurer un lien plus étroit entre la police et la SS. Jeckeln fut responsable en 1932 des attaques à la bombe de Brunswick, dont par exemple celle qui visa la maison du maire de Ernst Böhme (de) (SPD), qui est resté indemne. Jeckeln a été décrit comme impitoyable et brutal, complaisant et dur. Il a poursuivi sans relâche et jusqu'à leur mort les opposants politiques, en particulier les membres du KPD, SPD et des syndicats.

Il est directement impliqué dans les assassinats de Rieseberg[note 2] comme instigateur avec ses complices, Friedrich Alpers, membre du parti et ministre de la Justice et des Finances de l'État libre, et Klagges, le premier ministre. Lors de cette journée du 4 juillet 1933, en réponse à la mort d’un SS, 11 militants communistes sont assassinés. En outre, il a ordonné l'assassinat d'un SS rebelle à Brunswick.

Seconde Guerre mondiale[modifier | modifier le code]

Au cœur des Einsatzgruppen[modifier | modifier le code]

Au début de la guerre, Jeckeln est rappelé au service au sein de la Waffen-SS. Comme c'était d'usage dans la SS, Jeckeln s'engage à un rang inférieur que celui qu'il avait dans l’Altreich et sert comme officier dans le 2e régiment de la division Totenkopf. Mais en 1941, son service sur le front terminé, il est transféré par Himmler comme chef de la police dans la Russie de l'Est et SS de haut rang.

Il y a pour fonction d'organiser et de diriger les massacres de masse opérés par les Einsatzkommando des Einsatzgruppen de la région et de mener les luttes contre les opposants. Pour cela, il met au point ce qui sera nommé la « méthode de Jeckeln » ou « Sardinen Packung » (« de la boîte de sardines ») pour tuer un grand nombre de personnes. Certains membres des Einsatzgruppen, même expérimentés, sont horrifiés par sa cruauté. Ainsi Jeckeln démontre être un meurtrier très efficace et sans égard pour ses victimes, qu'elles soient non armées, âgées, ou encore des femmes et des enfants[3]. Il est entouré pour cela de groupes spécialisés pour chaque partie du processus.

La méthode initiale consiste à ce que la police régulière (Orpo) déplace les condamnés à quelques kilomètres des villages[4]. Les victimes sont dépouillées de leurs vêtements et de leurs biens. Elles creusent alors leurs propres fosses devant lesquelles elles s'alignent ensuite. On leur tire une balle dans la nuque jusqu'à ce que les fosses soient pleines, et on les recouvre ensuite.

Jeckeln trouve que les fosses se remplissent trop lentement, il décide alors d'allonger directement les personnes sur les corps déjà morts où les bourreaux tirent directement une balle dans la tête des victimes. Après chaque rangée, un officier vérifie que tous sont morts. On les recouvre alors d'une mince couche de terre et le groupe suivant vient s'allonger sur eux. Ceux qui ne sont pas encore morts finissent enterrés vivants. On rebouche la fosse après 5 ou 6 couches.

Kamianets-Podilskyï[modifier | modifier le code]

Après l'attaque allemande contre l'Union soviétique en , il a été nommé Höherer der SS und Polizeiführer, « chef de la police et de la SS ») en Russie du Sud. Il commande à ses subordonnés d'assassiner en masse la population juive de l'Ukraine occidentale. Ces mesures auront pour nom les Auskämmungsaktionen (« mesures de ratissage »). Lors de la création du Commissariat du Reich pour l'Ukraine s'est déroulé, près de la ville de Kamianets-Podilskyï, l'un des massacres de masse de Juifs les plus importants de la Seconde Guerre mondiale[note 3]. On dénombre 23 600 juifs assassinés par ses unités entre le 28 et 31 août 1941[5] dont quelque 14 000 victimes[6] avaient déjà été déportées depuis la Hongrie, les autres étant de la région[7].

Babi Yar, Rivne, et de Dnipropetrovsk[modifier | modifier le code]

Le 19 septembre 1941, Kiev est prise par les troupes allemandes, et quelques jours plus tard, le , y a lieu une réunion sur le thème « évacuation des Juifs locaux ». Parmi les participants figurent Friedrich Jeckeln, le SS-Brigadeführer (commandant de brigade) Otto Rasch, qui commande l'Einsatzgruppe C, et le commandant du Sonderkommando 4a SS, Paul Blobel. Il y est décidé de tuer tous les Juifs.

En l'espace de deux jours, le 29 et 30 septembre 1941, les Einsatzgruppen assassinent 33 771 personnes dans le ravin de Babi Yar. D'autres massacres ont lieu le 12 octobre 1941, ce qui donne un total de 51 000 victimes. En outre, des exécutions de masse ont été réalisées à Rivne, en collaboration avec Otto von Oelhafen, commandeur de l'OrPo[8], et à Dnipropetrovsk, où Jeckeln a été impliqué dans chaque cas comme en étant le principal responsable.

Ghetto de Riga[modifier | modifier le code]

Le , Jeckeln, nommé chef de police en Russie du Nord et l'Ostland, est transféré à Riga.

Friedrich Jeckeln avant la guerre

En automne 1941, il y a déjà un ghetto à Riga qui comprend des dizaines de milliers de juifs lettons. Jeckeln a, selon lui, reçu l'ordre de Himmler de liquider les juifs du ghetto, pour faire place à des déportés provenant du Reich allemand[9]. Jeckeln, aidé de Franz Stahlecker, aurait directement commencé en à entreprendre l'extermination des juifs au sein de l'Einsatzgruppen A dans la région de Riga[10]. Il a choisi une forêt près de Riga, où il a fait tuer et enterrer les juifs allemands.

Le massacre de Rumbula[modifier | modifier le code]

Dans la matinée du 30 novembre 1941, les juifs allemands et lettons sont emmenés par le SD à la forêt de Rumbula où 27 500 personnes, dont 21 000 femmes et enfants, sont exécutées en deux jours[11]. Les massacres de masse ont parfois lieu en présence de « visiteurs » : les membres des forces armées et de l'administration du commissariat général sont présents, parfois invités par Jeckeln.

Seules trois personnes survivent à ce massacre. Frida Michelson a simulé la mort, sous les chaussures entassées des victimes (plus tard récupérées par les hommes de Jeckeln). Elle raconte : « Une montagne de chaussures m'écrasait. Mon corps était endolori à cause du froid et de l'immobilité. Cependant j'étais pleinement consciente. La neige avait fondu sous mon corps à cause de sa chaleur. Il y a eu un silence pendant un temps. Soudainement, on entendit un cri d'enfant venant de la tranchée « Maman, Maman, Maman ! » Il y a eu quelques coups de feu. Puis, à nouveau le calme. Il avait été tué. »[12]

Le , un nouveau train transportant des juifs allemands en provenance de Berlin arrive en gare de Riga. Himmler lui aurait donné l'ordre par télégramme de ne pas les tuer, mais l'ordre arrive trop tard. Ce qui conduit Himmler à fortement critiquer Jeckeln pour son manque d’obéissance[13].

En , Jeckneln reçoit une décoration (Croix du Mérite de guerre, Kriegsverdienst ou KVK) pour le massacre de 25 000 personnes à Rumbula[14].

À partir du 22 août 1942, Jeckeln dirige l'opération dite « Sumpffieber » (« fièvre des marais ») : 6 500 hommes sont déployés dans le but de tuer tout être humain se trouvant dans les marais et forêts environnant les villages de la zone d'opération ; 8 350 juifs sont tués, dont certains du ghetto de Baranavitchy. Mais l'opération est arrêtée le 21 septembre, considérée par Himmler comme un échec.

Dans ces opérations comme dans les autres, Jeckeln attache une grande importance à toujours impliquer personnellement ses hommes. Jeckeln n'est pas un technocrate calculateur, mais un fanatique anticommuniste et antisémite qui, pour cette raison, jugeait nécessaire d'assassiner les juifs d’Europe.

Fin de la guerre[modifier | modifier le code]

Friedrich Jeckeln sert jusqu'en comme Höhere SS- und Polizeiführer dans l'Ostland, puis en Courlande avant de prendre le commandement du 5e corps SS de montagne le .

Captivité, procès et exécution[modifier | modifier le code]

photographie lors du jugement de 1946

Jeckeln est capturé par les troupes soviétiques pendant l'avancée de l'Armée rouge vers l'ouest, avec d'autres nazis qui opèrent dans le district. Ils sont jugés du au par un tribunal militaire siégeant à Riga. Reconnus coupables, ils sont tous pendus le jour de la sentence devant des milliers de personnes, au bord de la Daugava.

Résumé de sa carrière SS[modifier | modifier le code]

Littérature[modifier | modifier le code]

Jeckeln est présent dans le roman historique (notamment pour son rôle dans les massacres de la Seconde Guerre mondiale) du Français Jonathan Littell : Les Bienveillantes, publié en 2006. Ce roman connaît un très grand succès en France et rapporte deux prix à son auteur : le Grand prix du roman de l'Académie française et le prix Goncourt en 2006.

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Plus de détails sur ses grades dans Résumé de sa carrière SS.
  2. Petite localité située dans la municipalité de Königslutter à quelque 30 km à l’est de la ville de Brunswick en Allemagne.
  3. Le Massacre de Babi Yar fait 33 770 victimes en 2 jours

Références[modifier | modifier le code]

  1. Andreas Schulz, Günter Wegmann et Dieter Zinke, "Porträt Friedrich August Jeckeln S" in Die Generale der Waffen-SS und der Polizei, Die militärischen Werdegänge der Generale, sowie der Ärzte, Veterinäre, Intendanten, Richter und Ministerialbeamten im Generalsrang, Band 2 (Hachtel-Kutschera), Biblio-Verlag, Bissendorf, 2005, p. 343-357
  2. Cf « F.Jeckeln » de Michaël Prazan, in Dictionnaire des assassins et des meurtriers de François Angelier et Stéphane Bou chez Calmann-lévy, 2012.
  3. Andrew Ezergailis, The Holocaust in Latvia 1941-1944 -- The Missing Center, Historical Institute of Latvia (in association with the United States Holocaust Memorial Museum), Riga, 1996, p. 239-270
  4. Yves Plasseraud et Henri Minczeles, Lituanie juive 1918-1940, message d'un monde englouti, Autrement, 1996
  5. Pour plus de détails sur ce massacre, voir Croire et détruire : les intellectuels dans la machine de guerre SS de Christian Ingrao chez Fayard, 2010, p. 273-276
  6. Christian Ingrao, dans Croire et détruire : les intellectuels dans la machine de guerre SS, indique 11 000 en p. 273.
  7. (en) Mark Mazower, Hitler's empire : Nazi rule in occupied Europe, Londres, Penguin, , 768 p. (ISBN 978-0-14-101192-9, OCLC 1023162099) , p. 370
  8. (en) Jeffrey Burds, « The Holocaust in Rovno »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur jewishgen.org, (consulté le ).
  9. Christopher Browning (trad. de l'anglais par Jacqueline Carnaud et Bernard Frumer), Les origines de la solution finale : l'évolution de la politique antijuive des nazis, septembre 1939-mars 1942, Paris, Les Belles Lettres Ed. du Seuil, coll. « Histoire », , 631 p. (ISBN 978-2-7578-0970-9, OCLC 937777483), p. 418
  10. Mark Mazower 2009, p. 175
  11. Suzanne Champonnois et François de Labriolle, La Lettonie, de la servitude à la liberté, Karthala, 1999, p. 314
  12. Frida Michelson, I Survived Rumbula, Unites States Holocaust, 1982 p. 93
  13. Christopher Browning, Les origines de la solution finale, les Belles Lettres, 2007, p. 327-330
  14. Gerald Fleming, Hitler and the Final Solution, University of California Berkeley, 1984, p. 99-100 : « There can be no doubt that the Higher SS and Police Leader Friedrich Jeckeln received the KVK First Class with swords in recognition of his faithful performance: his organization of the mass shootings in Riga, 'on orders from the highest level' (auf höchsten Befehl). »

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (en) Mark Mazower, Hitler's Empire : Nazi rule in occupied Europe, Londres, Allen Lane, , 725 p. (ISBN 978-0-7139-9681-4).
  • Yves Plasseraud (dir.), Henri Minczeles (dir.) et al., Lituanie juive, 1918-1940 : message d'un monde englouti, Paris, Éd. Autrement, coll. « mémoires » (no 44), , 286 p. (ISBN 978-2-86260-617-0).
  • Florent Brayard, La solution finale de la question juive : la technique, le temps et les catégories de la décision, Cachan (Val-de-Marne) Paris, Institut d'histoire du temps présent Fayard, , 650 p. (ISBN 978-2-213-61363-5)
  • Christopher Browning (trad. de l'anglais par Jacqueline Carnaud et Bernard Frumer), Les origines de la Solution finale : l'évolution de la politique antijuive des nazis, septembre 1939-mars 1942, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Histoire », , 631 p. (ISBN 978-2-251-38086-5).
  • Christian Ingrao, Croire et détruire : les intellectuels dans la machine de guerre SS, Paris, Fayard, , 521 p. (ISBN 978-2-213-65550-5).
  • François Angelier (dir.) et Stéphane Bou (dir.), Dictionnaire des assassins et des meurtriers, Paris, Calmann-Lévy, , 607 p. (ISBN 978-2-7021-4306-3).