Fixeur

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Un fixeur (francisation du substantif anglais fixer, de to fix, « arranger »)[n 1], ou accompagnateur, est, dans une région à risque ou connaissant des troubles, une personne du cru faisant office à la fois d'interprète, de guide et d'aide de camp à d'éventuels journalistes.

Rôle[modifier | modifier le code]

La profession n’est pas un métier normalisé, elle s'apparente plus à une activité secondaire, elle n’a pas de formation et n'est régie par aucun cadre juridique, elle est de ce fait assez difficile à définir. La pratique de cette activité varie en fonction des difficultés de la zone de reportage et des personnalités qui doivent être abordées. Le fixeur est considéré comme un « homme à tout faire », « primordial[1] » : il doit bien connaitre l'environnement dans lequel évolue, il facilite aussi bien d'un point de vue relationnel (interprète, guide, d'aide de camp, psychologue…), logistique (chauffeur, sécurité...) qu'administratif (autorisation, droit à l'image...)[2],[3],[4]. Il peut également amener les sujets à traiter, ou être en surveillance des réseaux sociaux[1]. Ce fixeur peut être de n'importe quelle origine sociale ou professionnelle, le plus fréquemment d'ailleurs éloignée du journalisme : le métier est souvent improvisé[1].

Le fixeur peut travailler pour un journaliste[5], une production audiovisuelle[4] (aussi appelé « gaffeur ») ou un diplomate, il peut lui-même être par ailleurs journaliste ou membre d'un service de renseignement[6],[7]. Sa connaissance du terrain et des administrations locales fait de lui un intermédiaire indispensable avec la population et les autorités. Il s'agit souvent d'une activité de l’ombre, sans assurance, ni rémunération fixe[5]. L'activité se base plus sur un contrat moral sans lien de subordination, qu'un véritable contrat de travail[1]. Les fixeurs expérimentés restent « rares et disputés »[1]. Pour les équipes importantes de journalistes sur les conflits armés (surtout les chaînes nationales), le budget des fixeurs et chauffeurs peut atteindre un millier d'euros au quotidien[1].

Depuis les années 2010, il existe des réseaux de fixeurs pour faciliter le travail des journalistes, tel Brama Production depuis 2014[2]ou Emerge Film Solutions[4].

Conditions de travail[modifier | modifier le code]

Par son rôle, un fixeur peut devenir la cible des belligérants qui peuvent le considérer comme un traître.

Ses activités peuvent être risquée et mener à l'exil, la torture ou la mort[3],[5],[8],[9].

Exemples[modifier | modifier le code]

Tea Kim Heang, fixeur de Jean-Christian Tirat (Cambodge, 1975).

Cambodge[modifier | modifier le code]

En 1975, lors du siège de Phnom Penh par les Khmers rouges, le reporter-photographe cambodgien Dith Pran est le fixeur du journaliste américain Sydney Schanberg. Pris par les Khmers rouges au lendemain de la chute de la ville, il parvint à fuir le pays après quatre années de calvaire. Il inspire le film de Roland Joffé, La Déchirure (The Killing Field). Au moins deux fixeurs cambodgiens ont disparu pendant ces événements : Sou Vichith de l'agence Associated Press et le journaliste Tea Kim Heang ; surnommé « Moonface », ce dernier est notamment l'un des fixeurs du photographe français Jean-Christian Tirat.

La Cité du mâle[modifier | modifier le code]

Pour le tournage de La Cité du mâle, documentaire sur la domination masculine dans une banlieue française, produit par Daniel Leconte pour Arte, la boite de production Doc en stock fait appel aux services d'une fixeuse. En , le documentaire est déprogrammé à la dernière minute, sur une demande de la fixeuse qui affirme « être directement menacée »[10]. La fixeuse, en désaccord éditorial, dénonce par la suite « un reportage instrumentalisé et bidonné »[11]. Le film suscite une polémique sur le traitement des banlieues par la télévision publique[12],[13],[14],[15]. Le , la fixeuse est condamnée à huit mois de prison, dont quatre mois assortis d'un sursis, mise à l'épreuve durant dix-huit mois, pour avoir menacé de mort la réalisatrice Cathy Sanchez[11].

Guerre en Irak[modifier | modifier le code]

Hussein Hanoun al-Saadi est le fixeur de Florence Aubenas en Irak[réf. nécessaire].

En 2016, Véronique Robert, spécialiste des terrains de guerre qui effectue avec le journaliste reporter d'images Stéphan Villeneuve un reportage en Irak sur la bataille de Mossoul, destiné au magazine Envoyé spécial, a pour fixeur le Kurde Bakhtiyar Haddad[7].

Guerre en Ukraine[modifier | modifier le code]

Les civils ukrainiens peuvent être amenés à devenir fixeur afin d'accompagner les journalistes et parfois de leur suggérer des idées de reportage ou de les aider simplement à ce déplacer[1]. C'est une activité rémunératrice pour nombre d'entre eux qui ont perdu leur emploi du fait de la guerre[5].

Les fixeurs ukrainiens sont essentiels pour la couverture médiatique du conflit mené par les Russes. La barrière de la langue est l'une des premières raisons du recours à un fixeur. Les fixeurs sont majoritairement réticents à accompagner les journalistes sur les zones de guerre, comme au Donbass[5],[9]. L'activité de fixeur sur ce conflit est compliquée par la présence de nombreux journalistes[n 2] inexpérimentés des zones de guerre[1].

Lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022, un fixeur ukrainien ayant collaboré avec des équipes de Radio France en Ukraine, est enlevé le et torturé durant neuf jours par l'armée russe. Selon ses propres déclarations auprès de Reporters sans frontières (RSF), le fixeur subit la « fusillade de son véhicule », des « séances de torture au couteau et à l’électricité » ainsi que des « coups de crosse de fusils mitrailleurs sur le visage et sur le corps à plusieurs reprises, simulacre d’exécution, privation de nourriture pendant 48 heures »[16],[17].

Son témoignage est « corroborées par des entretiens avec un membre de sa famille, un de ses anciens codétenus, deux journalistes de Radio France. Un collaborateur de RSF l'a accompagné lors de son examen médical, qui a permis de confirmer les traitements subis ». Les informations recueillies par RSF sont transmises à Cour pénale internationale[6],[16].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Le dictionnaire en ligne WordReference.com donne comme traduction « personne qui règle les problèmes ».
  2. Trois semaines après le début du conflit en février 2022, l'Ukraine avait délivré 2 000 accréditations à des journalistes.

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e f g et h Véronique Groussard, « Couvrir l'Ukraine », L'Obs, no 3006,‎ , p. 46 à 49 (ISSN 0029-4713)
  2. a et b « Comment travaille un fixeur pour les productions audiovisuelles » Accès libre, sur Centre national du cinéma et de l'image animée, (consulté le )
  3. a et b Philippe Vandel, « Qu'est-ce qu'un fixeur ? Deux reporters de guerre racontent ce métier de l'ombre » Accès libre, Culture médias, sur Europe 1, (consulté le )
  4. a b et c Aliénor Manet, « Les fixeurs, James Bond du cinéma » Accès libre, sur 20 minutes, (consulté le )
  5. a b c d et e Delphine Bousquet, « Les fixeurs, ces professionnels de l'ombre essentiels aux journalistes » Accès libre, sur Réseau international des journalistes, (consulté le )
  6. a et b « Le témoignage glaçant d’un fixeur de Radio France enlevé et torturé par l’armée russe en Ukraine » Accès libre, sur Reporters sans frontières, (consulté le )
  7. a et b AFP, « La journaliste Véronique Robert blessée à Mossoul est morte » Accès libre, sur Le Point, (consulté le )
  8. Thierry Oberlé, « Bakhtiyar Haddad, le fixeur qui défiait la mort par amour de la vie, tué à Mossoul » Accès libre, sur Le Figaro, (consulté le )
  9. a et b Robin Andraca, « Profession « fixeur » : ces Ukrainiens qui aident les journalistes à raconter la guerre » Accès libre, sur Institut national de l'audiovisuel, (consulté le ).
  10. Chloé Leprince, « Pourquoi Arte a déprogrammé le docu « La Cité du mâle » » Accès libre, sur L'Obs, (consulté le )
  11. a et b AFP, « La fixeuse du documentaire "La Cité du mâle" condamnée à 4 mois ferme » Accès libre, sur Le Monde, (consulté le )
  12. Isabelle Hanne, « La «Cité du mâle», bobards en barres » Accès libre, sur Libération, (consulté le )
  13. Coline Bérard, « Pourquoi la Cité du mâle fait polémique » Accès libre, sur L'Express, (consulté le )
  14. Yannis Tsikalakis, « « La cité du mâle » : une caricature de plus | Presse & Cité » Accès libre, sur presseetcite.info (consulté le )
  15. Anouar Boukra, « « La cité du mâle » passe en correctionnelle » Accès libre, sur Bondy Blog, (consulté le )
  16. a et b « Ukraine : un fixeur de Radio France enlevé et torturé pendant neuf jours par l'armée russe » Accès libre, sur France Inter, (consulté le )
  17. Flavien Groyer, « Guerre en Ukraine : un fixeur de Radio France a été torturé pendant neuf jours par l'armée russe » Accès libre, sur France Bleu, (consulté le )

Annexes[modifier | modifier le code]

Cinématographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]