Ex-voto de 1662

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Ex-voto de 1662
La Mère Catherine-Agnès Arnauld et la sœur Catherine de Sainte Suzanne Champaigne, fille de l'artiste.
Artiste
Date
1662
Type
Matériau
Dimensions (H × L × l)
165 × 229 × 8,5 cmVoir et modifier les données sur Wikidata
Propriétaire
No d’inventaire
INV 1138
Localisation
Musée du Louvre, peintures françaises, salle 24, aile Sully, Paris (France)

La Mère Catherine-Agnès Arnaul et la sœur Catherine de Sainte Suzanne de Champaigne, dit Ex-voto de 1662, est un tableau de Philippe de Champaigne réalisé en 1662 pour le couvent de Port-Royal des Champs, en remerciement du miracle rendant à sa fille l'usage de ses jambes.

Sujet du tableau[modifier | modifier le code]

Ce tableau est un ex-voto qui dépeint un miracle impliquant la fille de Philippe de Champaigne, Catherine, ainsi qu'Agnès Arnauld. L'événement se serait déroulé au couvent cistercien de Port-Royal des Champs.

La fille de Philippe de Champaigne devint sœur à Port-Royal en 1656, ce qui contribua à renforcer les liens que Philippe de Champaigne entretenait avec ce couvent[1]. Or, à partir d', la sœur Catherine perdit l'usage des jambes[2] et malgré de nombreuses potions, bains, onctions et saignées, elle avait toujours besoin d'être portée pour le moindre déplacement[3]. Le , Agnès Arnauld commença une neuvaine et, le neuvième jour, alors qu'elle faisait ses prières après vêpres, elle ressentit que la guérison viendrait[3]. Durant la nuit, l'inconfort de la sœur Catherine s'accrut énormément, mais au lever du jour, lorsque la messe fut chantée, peu de temps après neuf heures, elle sentit qu'elle pourrait marcher[3]. Elle se dressa sur ses jambes puis commença à marcher avec difficulté, en se tenant aux objets et murs qui l'entouraient, mais très vite elle réussit à marcher de nouveau avec aisance[3]. Cependant, elle n'osait pas encore franchir la porte de sa chambre, aussi s'agenouilla-t-elle en signe de remerciement[3]. Puis, après que la messe fut finie, elle vint d'elle-même jusqu'à Agnès Arnauld pour l'informer du miracle[3].

Philippe de Champaigne, par reconnaissance pour cette guérison, réalise un tableau représentant cet événement considéré comme un miracle[4] ; le moment représenté est celui où Agnès Arnauld, priant, reçoit la révélation de la guérison de la sœur Catherine[2].

Description de l'œuvre[modifier | modifier le code]

Description de la scène[modifier | modifier le code]

Cette toile présente un ensemble très dépouillé[2], l'action se déroule dans une pièce faiblement éclairée, cependant qu'un rayon de lumière se pose sur Agnès Arnauld, à gauche de la composition, et sur les jambes de Catherine, à droite[1]. Chacune de ces femmes a les mains jointes et porte un accessoire religieux ; Agnès Arnauld porte un chapelet et Catherine un reliquaire ainsi qu'une croix en bois clouée au mur qui la précède[1]. Les deux femmes ne s'observent pas, Agnès Arnauld a le regard qui sort du cadre[1] tandis que la sœur Catherine regarde le début de l'inscription latine[5].

La gamme de couleurs est assez limitée et se compose essentiellement de beige et de gris[2], mais le rouge très vif contraste avec cette austérité chromatique et, accompagné des voiles noirs, contribue à encadrer et donc à mettre en valeur les visages[1].

Inscription en latin[modifier | modifier le code]

Christo uni medico
animarum et corporum

Soror Catharina Suzanna de
Champaigne post febrem 14 mensium
contumacia et magnitudine
symptomatum medicis formidatam
intercepto motu dimidii fere corporis
natura jam fatiscente medicis
cedentibus junctis cum Matre
Catharina Agnete precibus puncto
temporis perfectam sanitatem
consecuta se iterum offert

Philippus de Champaigne hanc
imaginem tanti miraculi et
laetitiae suae testem
apposuit
A[nno] 1662

[6][Notes 1]

Interprétation[modifier | modifier le code]

Défense et illustration du jansénisme[modifier | modifier le code]

La relative austérité du tableau peut contribuer à l'intégrer dans un style janséniste, ce dépouillement permet d'essentialiser la scène[1]. Alors que les deux moniales rendent grâce à Dieu, Philippe de Champaigne semble en faire de même par son œuvre[1]. La rigueur de la position des personnages, interdisant toute expression émotive, accompagnée de cette foi rayonnant sur leurs visages[2], exprime une foi rigoureuse et fondée sur la raison, significative des jansénistes[7]. Or, à cette époque, Port-Royal fait face à des tourments, notamment parce que le jansénisme est vivement critiqué, en particulier par le Formulaire d'Alexandre VII qui récuse cinq thèses de l'Augustinus de Jansenius. Ce tableau se voudrait donc autant un ex-voto pour Dieu qu'un soutien à Port-Royal qui était le principal foyer du jansénisme.

Cependant il est difficile d'affirmer un changement significatif dans le style de Philippe de Champaigne à partir de 1648, date à laquelle il devient janséniste, même s'il est vrai que cette peinture évoque très bien le jansénisme par sa sévérité dans les couleurs et les formes et, en particulier, le modelé très particulier qui donne aux deux femmes l'apparence de statues[3].

Entre texte et image[modifier | modifier le code]

L'inscription en latin qui accompagne cette représentation a cela de particulier qu'elle n'est par hors de la toile, sur un encadrement à la manière d'un texte explicatif, mais est inscrite directement sur la toile[8]. Ce texte entretient un rapport très particulier avec la scène représentée, il n'est pas du tout traité comme un élément dissociable car la sœur Catherine, contrairement à Agnès Arnauld, ne regarde pas hors du cadre, elle regarde les mots « Christo uni medico » pour signifier que c'est bien du Christ qu'elle reçoit sa guérison[5]. Ce long texte en latin confère à cette peinture un aspect archaïsant et iconique[2] qui, du fait de son lien étroit avec la scène représentée, dénature le tableau en tant que tableau pour lui donner une dimension nouvelle, celle de l'ex-voto ; le texte ôte, en effet, au tableau sa dimension purement représentative pour en faire un pur signifiant, celui du miracle qui a eu lieu à la fin de la neuvaine d'Agnès Arnauld[8].

Histoire de tableau[modifier | modifier le code]

Ce tableau est offert par Philippe de Champaigne à Port-Royal en 1662[2] et reste longtemps au chapitre de Port-Royal[4]. Le tableau est saisi à la Révolution avant de rejoindre les collections du Musée du Louvre[2].

Le tableau fait partie des « 105 œuvres décisives de la peinture occidentale » constituant le musée imaginaire de Michel Butor[9].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Transcription de Louis Marin : « Au Christ unique médecin des âmes et des corps La sœur Catherine Suzanne de Champaigne après une fièvre de 14 mois qui avait effrayé les médecins par son caractère tenace et l’importance de ses symptômes, alors que même la moitié de son corps était paralysée, que la nature était déjà épuisée, que les médecins l’avaient déjà abandonnée, s’étant jointe de prière avec la Mère Catherine Agnès, en un instant de temps, ayant recouvré une parfaite santé, s’offre à nouveau. Philippe de Champaigne, cette image d’un si grand miracle et un témoignage de sa joie a présenté en l’année 1662. »

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e f et g Jean Hubac, « Ex-voto de 1662 », sur www.histoire-image.org (consulté le ).
  2. a b c d e f g et h Guillaume Kazerouni, « La Mère Catherine-Agnès Arnault et la sœur Catherine de Sainte Suzanne de Champaigne | Musée du Louvre | Paris », sur www.louvre.fr (consulté le ).
  3. a b c d e f et g (en) Olan A. Rand Jr., « Philippe de Champaigne and the Ex-Voto of 1662: A Historical Perspective », The Art Bulletin,‎ , pp. 78-93.
  4. a et b Charles-Augustin Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 4, Paris, Renduel, , pp. 144-148.
  5. a et b Louis Marin, « Les mots et les choses dans la peinture », Annales d’Histoire de l’art et d’Archéologie, no 6,‎ , p. 69-86 (lire en ligne).
  6. « Un ex voto au Louvre (1) | La question du latin », sur enseignement-latin.hypotheses.org (consulté le ).
  7. Encyclopédie de l'art, Paris, Librairie générale française, (ISBN 978-2-253-13025-3), p. 204.
  8. a et b Louis Marin, « Signe et représentation: Philippe de Champaigne et Port-Royal », Annales. Histoire, Sciences Sociales, no 1,‎ , p. 37-38.
  9. Michel Butor, Le Musée imaginaire de Michel Butor : 105 œuvres décisives de la peinture occidentale, Paris, Flammarion, , 368 p. (ISBN 978-2-08-145075-2), p. 172-173.

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Ouvrages[modifier | modifier le code]

  • Charles-Augustin Sainte-Beuve, Port-Royal t.  4, Paris, Renduel, 
  • Encyclopédie de l'art, Paris, Librairie générale française, 2005
  • Louis Marin, Philippe de Champaigne ou la présence cachée, Paris, Hazan, 1995

Articles[modifier | modifier le code]

  • Olan A. Rand Jr., « Philippe de Champaigne and the Ex-Voto of 1662: A Historical Perspective », The Art Bulletin, , pp. 78-93
  • Louis Marin, « Les mots et les choses dans la peinture », Annales d’Histoire de l’art et d’Archéologie, n° 6, 1984, p. 69-86
  • Louis Marin, « Signe et représentation: Philippe de Champaigne et Port-Royal », Annales. Histoire, Sciences Sociales, no 1, 1970, p. 37-38

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]