Espace métrique hyperbolique

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

En mathématiques, un espace métrique hyperbolique est un espace métrique satisfaisant des relations supplémentaires sur les distances ; cette notion, introduite par Mikhaïl Gromov, généralise les propriétés métriques de l'espace hyperbolique usuel, mais aussi celles de certains arbres. L'hyperbolicité est une propriété globale, qui intervient dans l'étude de certains groupes infinis, les groupes hyperboliques.

Définitions[modifier | modifier le code]

On définit d'abord la notion d'espace -hyperbolique ; un espace métrique est dit hyperbolique (au sens de Gromov) s'il est -hyperbolique pour un certain .

À l'aide du produit de Gromov[modifier | modifier le code]

Soit un espace métrique. Le produit de Gromov de deux points par rapport à un troisième est défini par la formule :

On dit alors que est -hyperbolique si pour tout quadruplet , on a la condition (si cette condition est vérifiée pour tous les et un point fixé , elle l'est pour tous les quadruples avec une nouvelle constante  ; pour cette raison, on omet souvent l'indice en écrivant cette condition[1]).

Avec des triangles[modifier | modifier le code]

Si est un espace de longueur, c'est-à-dire si deux points quelconques sont les extrémités d'un segment géodésique (une image isométrique d'un intervalle de [2]), une définition équivalente n'utilise que les propriétés des triangles de [3],[4],[5].

La condition pour qu'un triangle soit δ-mince.

Soit  ; un triangle géodésique de sommets est la réunion de trois segments géodésiques . Si alors pour tout point il existe un point tel que , et s'il en est de même pour les deux autres côtés, on dit que le triangle est -mince . Un espace de longueur est alors -hyperbolique si tous ses triangles géodésiques sont -minces ; cette définition est généralement attribuée à Eliyahu Rips.

Une autre définition utilise la notion de centre -approximatif (ou -centre) d'un triangle géodésique : il s'agit d'un point situé à une distance inférieure ou égale à de tous les côtés du triangle. Un espace de longueur est -hyperbolique si tout triangle géodésique possède un -centre.

Ces deux définitions ne coïncident pas exactement, mais il existe un tel qu'un espace -hyperbolique au premier sens soit -hyperbolique au second, et réciproquement[6] ; la notion d'espace hyperbolique ne dépend donc pas de la définition choisie.

Exemples[modifier | modifier le code]

Le plan hyperbolique est un espace hyperbolique à ce sens ; en fait, le cercle inscrit d'un triangle géodésique (le plus grand cercle contenu dans le triangle) a un diamètre inférieur à celui d'un triangle idéal (dont tous les sommets sont à l'infini) et ceux-ci, tous isométriques entre eux, ont un cercle inscrit de rayon ln(3)[7]. Pour la même raison, le plan euclidien n'est pas hyperbolique, les cercles inscrits pouvant être de rayon arbitrairement grand.

Deux exemples « dégénérés » sont les espaces bornés, et la droite réelle (pour laquelle les triangles sont tous triviaux).

Les arbres sont les plus simples exemples d'espaces hyperboliques, et même 0-hyperboliques (tous les triangles sont homéomorphes à des tripodes, c'est-à-dire qu'il existe un point commun à leurs trois côtés).

Le 1-squelette d'une triangulation du plan est hyperbolique si chaque sommet est de degré au moins égal à 7.

Hyperbolicité et courbure[modifier | modifier le code]

Le plan hyperbolique de courbure de Gauss égale à -1 est 2-hyperbolique. Si on multiplie les distances d'un espace -hyperbolique par un facteur , on obtient un espace -hyperbolique ; la courbure est divisée par et on voit que « plus un espace est courbé, plus sa constante d'hyperbolicité est petite ».

Le même résultat est vrai dans les espaces CAT de courbure négative. Toutefois, la courbure est une propriété essentiellement locale, alors que l'hyperbolicité ne « voit » pas ce qui se passe dans une région bornée : la réunion d'un espace hyperbolique et d'un compact reste hyperbolique, alors que la courbure peut changer de signe par endroits.

Propriétés[modifier | modifier le code]

Invariance par quasi-isométries[modifier | modifier le code]

Une façon de préciser le sens de « propriété globale » est de demander qu'elle soit invariante par quasi-isométrie (en), c'est-à-dire par applications respectant les distances à transformation affine près[8]. C'est vrai en particulier de l'hyperbolicité : si un espace de longueur est quasi-isométrique à un espace -hyperbolique , il existe tel que soit -hyperbolique[9].

Arbres d'approximation dans un espace hyperbolique[modifier | modifier le code]

La définition par le produit de Gromov revient à dire que les relations métriques entre quatre points quelconques sont les mêmes qu'elles le seraient dans un arbre, à la constante additive près. Plus généralement, tout sous-ensemble fini d'un espace hyperbolique ressemble à un arbre fini : si sont des points d'un espace -hyperbolique , il existe un arbre fini et un plongement tel que pour tous les , et , où est une constante qu'on peut prendre égale à avec , cette valeur étant la meilleure possible[10]. Ce résultat a pour conséquence que si l’on se déplace aléatoirement en ligne brisée dans un espace hyperbolique, on ne peut le plus souvent faire beaucoup mieux, pour retourner à son point de départ, que de revenir sur ses pas[11].

Croissance exponentielle des distances et inégalités isopérimétriques[modifier | modifier le code]

Dans tout espace hyperbolique , on a la propriété suivante [12] :

Il existe des constantes telles que pour tous les avec , tout chemin reliant à et restant à une distance de est de longueur au moins .

De façon non rigoureuse, cela signifie que le périmètre d'un « cercle » de rayon grandit exponentiellement avec . Ce résultat rappelle le théorème isopérimétrique dans le plan euclidien ; le résultat suivant est plus précis[13] :

Soit un complexe cellulaire de dimension 2 dont le 1-squelette est hyperbolique, et tel que la frontière de toute 2-cellule contienne au plus 1-cellules ( étant une constante ne dépendant que de ). Alors il existe une constant telle que pour tout sous-complexe fini , on a .

L'aire d'un 2-complexe est le nombre de ses 2-cellules, et la longueur d'un 1-complexe est le nombre de ses 1-cellules. Cet énoncé est une inégalité isopérimétrique linéaire ; l'existence d'une telle inégalité caractérise les espaces hyperboliques au sens de Gromov[14]. Ces inégalités furent découvertes en s'inspirant de conditions venues de la théorie combinatoire des groupes.

Sous-espaces quasi-convexes[modifier | modifier le code]

Un sous-espace d'un espace de longueur est dit quasi-convexe s'il existe une constante telle que toute géodésique de entre deux points de reste à une distance de inférieure à . Tout sous-espace quasi-convexe d'un espace hyperbolique est également hyperbolique.

Cônes asymptotiques[modifier | modifier le code]

Tous les cônes asymptotiques d'un espace hyperbolique sont des arbres réels, et cette propriété est caractéristique des espaces hyperboliques[15].

Frontière d'un espace hyperbolique[modifier | modifier le code]

Généralisant la construction des bouts d'un arbre simplicial, on peut définir une notion de points à l'infini d'un espace hyperbolique, qui joue un rôle important dans l'étude des actions de groupe.

On suppose dans cette section que est un espace de longueur hyperbolique.

Définition à l'aide du produit de Gromov[modifier | modifier le code]

Une suite est dite convergente vers l'infini si pour un certain point (et alors pour tous) on a quand et tendent vers l'infini. Deux suites convergentes vers l'infini sont équivalentes si. La frontière de , notée , est l'ensemble des classes d'équivalence des suites qui convergent vers l'infini[16].

Si sont deux points de la frontière, leur produit de Gromov est défini par ; il est fini si . On peut alors définir une topologie métrisable sur à partir des fonctions [17],[18].

Définition à l'aide de rayons[modifier | modifier le code]

Soit deux plongements quasi-isométriques (en) de dans (on dit que ce sont des rayons quasi-géodésiques). Ils sont dits équivalents si la fonction est bornée sur . Si l'espace est propre (c'-est-à-dire si toutes les boules fermées sont compactes) alors l'ensemble des classes d'équivalence de ces plongements est homéomorphe à [19].

Exemples[modifier | modifier le code]

Si est un arbre, sa frontière est son espace des bouts, lequel est un ensemble de Cantor. Fixant un point , on définit une distance naturelle sur  : deux points representés par les rayonss d'origine sont à la distance .

Si est le disque de Poincaré, sa métrique hyperbolique est , et sa frontière est le cercle unité.

Classification des isométries selon leur action sur la frontière[modifier | modifier le code]

Une quasi-isométrie entre deux espaces hyperboliques induit un homéomorphisme entre leurs frontières.

En particuier, le groupe des isométries de agit par homéomorphismes sur . Cette action peut être utilisée pour classifier les isométries en fonction de leur comportement dynamique sur la frontière, généralisant le cas classique de la géométrie hyperbolique[20]. Si est une isométrie de , l'un des trois cas suivants se produit :

  1. a une orbite bornée sur (si est propre, cela implique que a un point fixe dans ). On dit que est une isométrie elliptique ;
  2. a exactement deux points fixes sur , et toutes les orbites s'accumulent seulement sur . On dit que est une isométrie hyperbolique ;
  3. a exactement un point fixe sur , et toutes les orbites s'y accumulent. On dit que est une isométrie parabolique.

Autres exemples[modifier | modifier le code]

La théorie des groupes hyperboliques fournit d’autres exemples d’espaces hyperboliques ; ainsi, on sait que les graphes de Cayley de certains modèles de graphes aléatoires sont très souvent hyperboliques.

Il est parfois difficile de montrer que certains espaces sont hyperboliques ; ces démonstrations ont cependant permis de découvrir de nouveaux résultats. Ainsi :

  • L'hyperbolicité du complexe des courbes (en)[21] a conduit à de nouveaux résultats sur le groupe des classes d'applications[22].
  • De même, l'hyperbolicité de certains graphes associés au groupe des automorphismes extérieurs (le quotient du groupe des automorphismes par le groupe des automorphismes intérieurs) a amené à de nouveaux résultats sur ce groupe[23].

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Coornaert, Delzant et Papadopoulos 1990, p. 2–3
  2. Plus rigoureusement, cela veut dire qu'il existe telle que , et pour tous , .
  3. de la Harpe et Ghys 1990, chapitre 2, proposition 21..
  4. Bridson et Haefliger 1999, chapitre III.H, proposition 1.22.
  5. Coorneart et Delzant Papadopoulos.
  6. Bridson et Haefliger 1999, chapitre III.H, proposition 1.17.
  7. Coornaert, Delzant et Papadopoulos 1990, p. 11–12
  8. Plus rigoureusement, il s'agit d'applications telles que , et que
  9. de la Harpe et Ghys 1990, chapitre 5, proposition 15.
  10. Bowditch 2006, Chapter 6.4.
  11. C’est ce que démontre David Madore dans son exposé sur ses labyrinthes hyperboliques.
  12. Bridson et Haefliger 1999, Chapter III.H, Proposition 1.25.
  13. Un résultat encore plus précis figure dans Bridson et Haefliger 1999, chapitre III.H, proposition 2.7.
  14. Bridson et Haefliger 1999, chapitre III.H, théorème 2.9..
  15. (en) Anna Dyubina (Erschler) et Iosif Polterovich, « Explicit constructions of universal R-trees and asymptotic geometry of hyperbolic spaces », Bull. London Math. Soc., vol. 33,‎ , p. 727–734 (MR 1853785).
  16. de la Harpe et Ghys 1990, chapitre 7, page 120..
  17. de la Harpe et Ghys 1990, Chapitre 7, section 2.
  18. de la Harpe et Ghys 1990, chapitre 7, section 3..
  19. de la Harpe et Ghys 1990, chapitre 7, proposition 4..
  20. de la Harpe et Ghys 1990, chapitre 8.
  21. (en) Howard A. Masur et Yair N. Minsky, « Geometry of the complex of curves. I. Hyperbolicity », Invent. Math., vol. 138,‎ , p. 103–149 (DOI 10.1007/s002220050343, MR 1714338)
  22. (en) François Dahmani, Vincent Guirardel et Denis Osin, « Hyperbolically embedded subgroups and rotating families in groups acting on hyperbolic spaces », Memoirs of the American Mathematical Society, vol. 245, no 1156,‎ (DOI 10.1090/memo/1156, arXiv 1111.7048)
  23. (en) Mladen Bestvina et Mark Feighn, « Hyperbolicity of the complex of free factors », Advances in Mathematics, vol. 256,‎ , p. 104–155 (DOI 10.1016/j.aim.2014.02.001 Accès libre, MR 3177291).

Bibliographie[modifier | modifier le code]