Esclavage à Bourbon

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Esclaves se rendant au travail à Bourbon. Gravure de 1850 pour illustrer Paul et Virginie de Henri Bernardin de Saint-Pierre.

L'esclavage est mis en œuvre sur l'île de La Réunion dès son peuplement au milieu du XVIIe siècle. Les esclaves servent d'abord à la culture du café, puis à celle de la canne à sucre à compter du début du XIXe siècle. L'esclavage n'est définitivement aboli que sur une proclamation du commissaire de la République Joseph Napoléon Sébastien Sarda Garriga le , date devenue une fête et un jour férié sur l'île, appelée communément « fét caf » (« la fête des cafres », cafre étant le terme créole pour désigner la population noire).

Histoire[modifier | modifier le code]

Avant l'arrivée des Européens[modifier | modifier le code]

Au Moyen Âge, les îles Mascareignes sont « découvertes » par les navigateurs arabes qui quadrillent la mer de Zanj.

Arrivée des Européens[modifier | modifier le code]

Maison des maîtres de l'habitation Desbassayns, la plus grande plantation de l'île à la fin du XVIIIe siècle.

D'un point de vue européen, l'archipel des Mascareignes aurait été « découvert », ou du moins abordé, par le navigateur portugais Pedro de Mascarenhas le . Il est baptisé en son honneur en 1528 par son confrère Diogo Rodrigues, lequel a donné son nom à l'île Rodrigues.

En 1642, à la prise de possession par la France, l'île est inhabitée[1]. Elle n'est habitée durablement qu'à partir de 1663, peut-être à la Grotte des Premiers Français. La Compagnie française des Indes orientales (1664-1769) en obtient la concession, et le premier gouverneur est nommé en 1665, Étienne Regnault, pour diriger une colonie de 35 personnes. En 1715, la décision est prise à Paris d'expérimenter la plantation de caféiers, avec colons et esclaves (Afrique, Inde, Madagascar).

La traite des esclaves[modifier | modifier le code]

Un marché aux esclaves à Zanzibar, port par lequel sont passés de nombreux cafres réunionnais.

À partir de 1702, les tout premiers esclaves, traqués en Afrique occidentale, furent transportés par des navires interlopes, et revendus à Bourbon. Ils étaient alors en nombre dérisoire. La Compagnie française des Indes orientales fit ensuite transporter vers Bourbon des Africains de l'Ouest : 200 esclaves de Juda (ville côtière du royaume d'Abomey, dans l'actuelle République du Bénin) en 1729, puis 188 esclaves de Gorée (dans la baie de Dakar au Sénégal) en 1730 et 1731. Ce trafic fut interdit en 1731, puis à nouveau autorisé en 1737 par le gouverneur Mahé de La Bourdonnais. Les derniers Africains de l’Ouest arrivèrent à Bourbon en 1767[2].

Intérieur d'un navire négrier.

Dès la fin du XVIIe siècle, des esclaves furent ramenés d'Inde par des navires qui faisaient route vers la métropole. Pierre-Benoît Dumas, président du Conseil supérieur de l'île et directeur général pour la Compagnie des Indes, se rendit en 1729 à Pondichéry où il assista au recrutement des esclaves. Interrompue entre 1731 et 1734, la traite reprit sous Mahé de La Bourdonnais ; des centaines d'esclaves arrivèrent à Bourbon depuis Pondichéry. Après 1767, des traitants de Bourbon avaient des correspondants à Pondichéry et Chandernagor, des négriers allèrent aussi à Goa. Cette traite prit fin à la fin du XVIIIe siècle avec les guerres entre la France et la Grande-Bretagne[2].

Après les Portugais au XVIe siècle, les Néerlandais et les Anglais au XVIIe siècle, puis des pirates installés dans le Nord de Madagascar entre 1685 et 1726, la Compagnie française des Indes orientales s'approvisionna à partir de 1717 en esclaves de la « Grande Île », réputée française. Il y eut trois lieux de traite successifs sur la côte orientale de Madagascar : Antongil à partir des années 1720-1735 jusqu'au milieu du XVIIIe siècle environ ; puis Foulpointe devint en 1758 le centre officiel de la traite, qui commença à décliner en 1791 ; enfin Tamatave, jusque-là lieu de traite secondaire, commença à prédominer entre 1798 et 1801, c’était le débouché maritime des hauts plateaux d’où provenaient les esclaves mérinas, Tamatave n’eut jamais l’importance qui avait été celle de Foulpointe[2].

Esclaves au travail dans une plantation de café, vers 1800.

En 1721, le vice-roi de l’Inde portugaise, victime de pirates, se trouva forcé de relâcher à Saint-Denis ; il fut rapatrié au Portugal par un navire de la Compagnie des Indes ; en remerciement, il promit d’écrire aux autorités du Mozambique afin d’y faciliter la traite vers Bourbon. Mahé de La Bourdonnais fit pratiquer une traite systématique entre le Mozambique et Bourbon : chaque année, deux expéditions fournirent plusieurs centaines d’esclaves. Arrêté de 1746 à 1750, ce trafic reprit à la fin de l’époque de la Compagnie des Indes, en 1767[2].

Illustration du livre Paul et Virginie, de l'abolitionniste Bernardin de Saint-Pierre.

La côte orientale de l’Afrique fournit plus d'esclaves que Madagascar dès les dernières années de la Compagnie. Au début de la période royale (1767-1789), le nombre de « cafres » (esclaves noirs d'Afrique australe) débarqués aux Mascareignes était déjà cinq fois supérieur à celui des Malgaches. La traite vers Bourbon en provenance du cap Delgado au golfe d’Aden aurait commencé en 1754, serait devenue régulière après la fin du monopole de la Compagnie et aurait culminé vers 1785−1790[2].

Le 8 janvier 1817, la traite fut interdite par une ordonnance de Louis XVIII. Cependant, ayant peur de manquer de main-d’œuvre, Bourbon introduisit illégalement, quelque 50 000 nouveaux esclaves dans l’île, dont une très large majorité entre 1817 et 1831[2].

Marronnage[modifier | modifier le code]

Esclaves marrons à La Réunion, illustration dessinée par Fauchery pour le livre Les Marrons de Louis Timagène Houat.

Dès les premiers temps de la colonisation française se développe le marronnage : les Malgaches fuient les installations sur le littoral pour se réfugier et se cacher dans les terres hautes de l'île. La fuite des esclaves vers les montagnes de l'île est un phénomène constant[3].

La Vallée secrète est un site naturel de l'île de La Réunion, connu pour accueillir le seul ancien campement d'esclaves marrons formellement identifié par l'archéologie moderne.

On connaît plusieurs esclaves marrons légendaires, tels que Cimandef, Mafate, Dimitile, Anchaing.

Révoltes d'esclaves[modifier | modifier le code]

La révoltes des nègres.

Des révoltes d'esclaves malgaches se produisent en 1674 et 1678[4]. La révolte d'esclaves de Saint-Leu se déroule en 1811, alors que l'île est sous domination britannique.

En 1793, il y a 35 000 esclaves pour 10 000 libres. En 1825, c'est-à-dire 14 ans après la révolte, il y en a désormais respectivement 71 000 pour 25 000 libres[5]. On peut donc estimer qu'il y a environ 50 000 esclaves sur l'île en 1811, dont 5 000 dans les environs de Saint-Leu, capitale du café Bourbon, où demeuraient seulement 500 personnes libres[6].

Abolition de l'esclavage[modifier | modifier le code]

Première abolition de 1794 jamais appliquée[modifier | modifier le code]

Si la Convention montagnarde avait aboli l'esclavage une première fois en 1794, l'application de celle-ci fut bloquée par les notables de la colonie[7].

Seconde abolition en 1849 avec indemnisation des esclavagistes[modifier | modifier le code]

Chargé de mettre en application à La Réunion le décret du gouvernement provisoire de février 1848 qui abolissait l'esclavage dans les colonies françaises, Joseph Napoléon Sébastien Sarda Garriga, avec le soutien du gouvernement issu des élections françaises d'avril 1848, évite que la violence ne se retourne contre les maîtres d'hier tout en préservant leurs intérêts économiques et la supériorité de leur statut social. L'abolition s’accompagne en effet de l'indemnisation des propriétaires esclavagistes[8],[9].

« La République a voulu faire votre bonheur en vous donnant la liberté (…). Propriétaires et travailleurs (autrement dit, anciens maîtres et anciens esclaves) ne forment désormais qu'une seule famille dont tous les membres doivent s'entre aider »

— Sarda, « Aux travailleurs », 20 décembre 1848

Publication du décret d'abolition de l'esclavage à La Réunion le 20 octobre 1848 par Sarda Garriga.

En octobre 1848, le Commissaire de la République, obligeait les « nouveaux affranchis » devenus citoyens, de second ordre (au point que le mot "sitoyen" deviendra un mot péjoratif en créole), à signer un contrat de travail chez leur ancien maître devenu leur patron, faute de quoi ils seraient réputés vagabonds et jetés en prison. Et ce tout en leur demandant d'être patients si leur patron ne pouvait leur verser le salaire dû.

Les anciens esclaves quittent en foule, au risque de la prison, les « habitations » (plantations) où leurs anciens maîtres continuent pour la plupart à les traiter aussi mal après qu'avant le 20 décembre. Entre octobre et décembre 1848, Sarda Garriga rencontre affranchis et maîtres pour rassurer la population et expliquer les changements liés à l'abolition de l'esclavage permettant une abolition de l'esclavage définitive le 20 décembre sans heurts.

Les hommages à Sarda Garriga ne manquent pas à La Réunion : un lycée et de nombreuses rues portent son nom.

Une abolition devenue historiquement inéluctable, puisque la plupart des pays d'Amérique latine avaient — à la notable exception du Brésil — aboli l'esclavage entre 1811 et 1831, et que deux ans plus tard c'était le tour des colonies britanniques.

C’est la mémoire des esclaves réunionnais, si imparfaitement libérés par Sarda Garriga en 1848, que défend le poète-chanteur-maloyer réunionnais Danyèl Waro dans un de ses plus beaux poèmes, Foutan fonnker (« poème caustique ») dans lequel il dénonce les ravages de l’esclavagisme que la société réunionnaise continue de charrier : « vin désanm la pokor », le 20 décembre reste à faire.

Suites[modifier | modifier le code]

Avec l'interdiction de l'introduction d'esclaves noirs dans les colonies françaises par l'ordonnance du 8 janvier 1817, puis les lois Mackau (1845), et l'abolition de l'esclavage en 1848, les planteurs se tournent vers l'engagisme pour s'approvisionner en main-d’œuvre agricole.

Littérature[modifier | modifier le code]

Personnalités[modifier | modifier le code]

Catégorie[modifier | modifier le code]

Esclaves célèbres[modifier | modifier le code]

Abolitionnistes[modifier | modifier le code]

Chasseurs d'esclaves[modifier | modifier le code]

Esclavagistes[modifier | modifier le code]

Habitations agricoles coloniales[modifier | modifier le code]

Mémoires de l'esclavage à La Réunion[modifier | modifier le code]

Musées[modifier | modifier le code]

Œuvres d'art[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Yvan Combeau, Histoire de la Réunion, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », , p. 9
  2. a b c d e et f « Origine des esclaves de Bourbon », sur www.portail-esclavage-reunion.fr (consulté le )
  3. Yvan Combeau, Histoire de la Réunion, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », , p. 26
  4. Yvan Combeau, Histoire de la Réunion, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », , p. 25-26
  5. « Commission de l'Océan Indien », sur intnet.mu via Internet Archive (consulté le ).
  6. reunion.rfo.fr Novembre 1811 : la révolte de Saint-Leu
  7. « La première abolition de l’esclavage par la France et sa non-application à La Réunion », sur Société de plantation, histoire et mémoires de l’esclavage à La Réunion (consulté le )
  8. « Les indemnités versées aux propriétaires d’esclaves recensées dans une base de données | CNRS », sur www.cnrs.fr, (consulté le )
  9. « Repairs », sur esclavage-indemnites.fr (consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Gui Viala, Le cahier de Joseph
  • Yves Manglou, Noir mais Marron
  • Jean-Marie Desport, De la servitude à la liberté : Bourbon des origines à 1848. – 2è éd. rev. et aug.. – La Réunion : Océan éd., 1989. – 1 vol., 119 p., ill. en noir et en couleur, couv. ill. en coul.
  • Prosper Eve, Petit précis de remise en cause des idées reçues sur les affranchis de 1848 à La Réunion, Saint-Denis : CRESOI ; Saint-André : Océan éd., 2009, 1 vol., 253 p. (Histoire).
  • Prosper Eve, Le corps des esclaves à l’île Bourbon : histoire d’une reconquête, Paris : PUPS, DL 2013. – 1 vol., 541 p., ill., couv. ill. (Collection Roland Mousnier).
  • Sudel Fuma, L’esclavagisme à la Réunion : 1794-1848, Saint-Denis : Université de La Réunion ; Paris : l’Harmattan, 1992, 1 vol., 191 p. : ill.
  • Sudel Fuma, L’Esclavage à la Réunion. – Paris : l’Harmattan ; Saint-Denis : Centre de documentation et de Recherche en, 1992. – 191 p.
  • Gilles Gérard, Martine Grimaud, Des esclaves sous le fouet : le procès Morette à l’île Bourbon, Paris : l’Harmattan, impr. 2016, 1 vol., 141 p. : couv. ill.
  • Albert Jauze, Bruits, aveux, morts & exécutions des esclaves de Bourbon, Saint-Gilles-les-Hauts : Les Ed. de Villèle, Association Kan Villèle ; Saint-Paul : Cercle des muséophiles de Villèle, impr. 2012, 1 vol., 91 p., (Les inédits de l’histoire ; volume 1).
  • Albert Jauze, Traite, réification, révoltes, émancipations des esclaves à Bourbon : XVIIIe – XIXe siècles, Saint-Gilles-les-Hauts : Les Ed. de Villèle, Association Kan Villèle ; Saint-Paul : Cercle des muséophiles de Villèle, impr. 2013, 1 vol., 93 p., (Les inédits de l’histoire ; volume 2).
  • Albert Jauze, Morts violentes, peines infamantes, condamnations & faits insolites concernant les esclaves et affranchis de Bourbon (XVIIIe – XIXe siècles), Saint-Gilles-les-Hauts : Les Ed. de Villèle, Association Kan Villèle, Cercle des muséophiles de Villèle, impr. 2014. – 1 vol., 79 p., (Les inédits de l’histoire ; vol. 3)
  • Jean Valentin Payet, Histoire de l’esclavage à l’Ile Bourbon : Réunion, Paris : l’Harmattan, 1990, 1 vol. 127 p.
  • Édouard Vidal, Bourbon et l’esclavage, Paris : Hachette livre, BnF, [2013], 1 vol. 64 p. : couv. ill. ; 24 cm.
  • Prosper Eve, Le bruit du silence : parole des esclaves de Bourbon de la fin du XVIIe siècle au 20 décembre 1848, Saint-André : Océan éd., 2010, 1 vol., 436 p. (Histoire).
  • Prosper Eve, Les esclaves de Bourbon, la mer et la montagne, Paris : Karthala ; Saint-Denis : Université de La Réunion, impr. 2003, 1 vol., 366 p., couv. ill. (Collection Tropiques).
  • Sudel Fuma, La « révolte des oreilles coupées » : ou l’insurrection des esclaves de Saint-Leu en 1811 à Bourbon : Île de la Réunion, Saint-Denis : Historun, 2011. – 1 vol., 334 p.
  • Gilles Gérard, La guerre de 1811 ou la révolution des esclaves de Saint-Leu, île Bourbon (La Réunion), Paris : l’Harmattan, impr. 2015. – 1 vol., 127 p., (Historique. Série Travaux).
  • Gilles Gérard, Famiy maron ou la famille esclave à Bourbon (Ile de La Réunion), Paris : l’Harmattan, impr. 2012, 1 vol., 264 p., (Historiques. Série Travaux).
  • Claude Wanquet, La France et la première abolition de l’esclavage : 1794-1802 : le cas des colonies orientales Ile de France (Maurice) et La Réunion, Paris : Karthala, 1998, 1 vol., 724 p. : ill., (Hommes et sociétés).

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]