Entomologie médico-légale

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L’entomologie médico-légale ou entomologie forensique[1] ou simplement entomologie légale[2] est l'étude scientifique (et ses applications) des interactions entre les arthropodes (insectes, araignées, crustacés, etc) et les affaires de justice.

Cette branche de l'entomologie concerne typiquement l'étude des insectes nécrophages pour la datation des cadavres dans les enquêtes criminelles. Mais elle concerne également la détermination de l'origine géographique de marchandises, la protection des animaux (indices de cruauté envers les animaux) et la protection d'espèces protégées[2].

Historique

Il existe différents témoignages historiques de l'application ou de connaissances entomologiques dans la résolution d'affaires légales. Par exemple, dans un traité criminel du médecin et juge chinois Song Ci (1188-1251) ou les expériences du médecin italien Francesco Redi (1626-1697), l'application à une affaire criminelle par le médecin français Bergeret d’Arbois (vers 1850). Si le concept d'entomologie criminelle remonte au XIIIe siècle, le recours systématique à l'entomologie dans les enquêtes criminelles date seulement d'une trentaine d'années.

Les bases de l’entomologie médico-légale ont été posées en France à la fin du XIXe siècle par le vétérinaire Jean Pierre Mégnin (1828-1905) qui publia en 1894 La Faune des cadavres. Dans cet ouvrage, il décrivait huit vagues d’insectes, baptisées « escouades », dont la succession connue et immuable devait permettre de dater le décès. Cette vision a depuis été largement remise en cause, et de nouveaux outils de datation, plus précis et plus fiables, ont été développés [3].

Réalisation d’une enquête entomologique

La première étape d'une expertise entomologique a lieu sur le site de découverte du corps. Il faut alors prélever des échantillons de l'entomofaune que l’on trouve sur le cadavre et autour de celui-ci : insectes vivants, morts ainsi qu'à différents stades de développement. La recherche de pupes (cocon dans lequel l'asticot se métamorphose en mouche) doit absolument être faite sur place, car ces pupes ne se trouvent pas sur le corps mais à proximité (dans la terre ou sur le sol). Ces prélèvements doivent être accompagnés d'une fiche précisant l’emplacement, la date, l’heure des prélèvements, l’état du cadavre, les conditions de prélèvement… [4] Les insectes ainsi prélevés sont séparés en deux lots équitables :

  • Une partie est conservée dans l’alcool.
  • L'autre partie, conservée vivante, est destinée à l’élevage en laboratoire. Ces élevages, réalisés en conditions contrôlées, permettent d'obtenir des insectes adultes.


On identifie les insectes que l’on trouve, on détermine :

  • L’âge des stades larvaires.
  • La durée d’incubation des œufs.
  • Le temps d'arrivée de ces insectes sur le cadavre.

En tenant compte des conditions environnementales, on peut ainsi estimer le délai post mortem du cadavre.

Les types d’arthropodes qu’on trouve sur les cadavres et leur utilité

L’examen de la faune permet une estimation du délai post mortem, une éventuelle mobilisation du corps ainsi qu’une identification du lieu du décès. Les meilleurs indicateurs parmi les arthropodes sont les diptères. Plusieurs types d’arthropodes peuvent se trouver sur un cadavre :

  • Des arthropodes nécrophages qui se nourrissent du cadavre.
  • Des arthropodes nécrophiles qui se nourrissent des autres espèces animales précédentes c’est-à-dire les arthropodes nécrophages et de leurs larves (comme les larves de Diptères ou asticots). Parmi ces arthropodes nécrophiles, les coléoptères de la famille des Histeridae sont particulièrement abondants.
  • Des arthropodes omnivores se nourrissant à la fois du cadavre et de la faune présente sur le cadavre, comme c’est le cas de certains hyménoptères et de certains coléoptères.
  • Des arthropodes opportunistes dont la présence n’est pas systématique pour tous les cadavres mais due au hasard comme les araignées par exemple. Ceux-ci ne sont donc pas utiles pour l’estimation du délai post mortem.

Voir: Entomologie forensique en Suisse :http://www.entomologieforensique.ch/

Méthode et condition des prélèvements d’insectes sur des cadavres

Un minimum de matériel est indispensable aux prélèvements :

  • Les insectes volants nécessitent un filet et du papier adhésif de type « attrape-mouche ».
  • Les autres insectes une pince à raquette, une pince souple d’entomologie, un pinceau doux, des flacons, des étiquettes, des crayons, un thermomètre et un hygromètre ainsi que des conservateurs.

Ce matériel spécifique complète le matériel de protection et de photographie. Le développement des arthropodes dépend beaucoup des conditions du milieu dans lequel on les trouve. On doit donc mesurer :

  • L’état du corps.
  • La température.
  • L’hygrométrie.
  • L’exposition.
  • On étudie également le microclimat et l'environnement local.

Les conditions ne sont pas les mêmes selon l’endroit où le corps est découvert

La faune des cadavres à l’air libre

Cette faune est notamment étudiée dans les fermes des morts.

On dénombre en tout et pour tout huit escouades différentes, mais seules les trois premières permettent une datation précise. La ponte se fait le plus souvent de jour et ne survient habituellement pas en dessous de 4°C.

  • La première escouade est essentiellement constituée de diptères (mouches vertes, à damiers, bleues…). Elle arrive quelques heures à peine après la mort, et à 20 °C les larves implantées dans le cadavre peuvent atteindre l’âge adulte en deux semaines.
  • La deuxième escouade arrive après un mois, attirée par la décomposition des matières fécales. Elle est composée de sarcophagiens et disparaît au 6e mois.
  • La troisième escouade apparaît entre le 3e et le 9e mois et est constituée de dermestes (petits coléoptères) et parfois de lépidoptères, attirés par l’odeur de graisse rance.

Les autres escouades apparaissent successivement :

  • Au 10e mois (escouade coryétienne).
  • Vers deux ans (escouade silphienne).
  • Lorsque le corps n’est plus que poussière, après deux ou trois ans, les septième et huitième escouades achèvent le travail de leurs prédécesseurs.

La faune des cadavres inhumés

La faune des cadavres inhumés est beaucoup moins abondante que celle d’un cadavre laissé à l’air libre puisque les opportunités pour les mouches de pondre sur ce cadavre sont beaucoup moins importantes. Dans ce cas, seules se développeront des larves ayant pu entrer en contact avec le cadavre. Il y a ainsi trois cas possibles :

  • Les larves ont été pondues dans la chambre mortuaire de l’individu.
  • Les larves ont été pondues dans une région proche de celle dans laquelle repose le cadavre.
  • Les larves proviennent de la surface du sol, dans le cas où le cadavre a été enterré à même le sol, ou du cercueil en bois dans lequel repose la dépouille.

L’apparition de larves sur le corps du défunt dépend également d’autres circonstances :

  • Intervalle de temps entre la mort et l’enterrement.
  • Durée d’exposition du cadavre dans la chambre mortuaire.
  • Présence d'un cercueil.
  • Nature du cercueil (plomb ou bois).
  • Profondeur de l’enfouissement.

La faune présente sur un cadavre inhumé est constituée de mouches et de coléoptères en majorité. Ils apparaissent là aussi successivement sur le cadavre, ce qui permet de dater la mort.

La faune des cadavres immergés

On détermine approximativement le délai post mortem via la présence de certaines espèces aquatiques et de certaines espèces présentes habituellement sur le corps d’un cadavre trouvé à l’air libre [5]. D’après une étude expérimentale faite aux États-Unis et portant sur la succession des insectes et la décomposition des cadavres de porcs immergés, l’eau limite le nombre d’espèces présentes sur le cadavre, ainsi que les Arthropodes nécrophages sur le cadavre. On trouve globalement un tiers des espèces présentes sur un cadavre à l’air libre.

De l’arrivée des insectes sur le cadavre et de leur prolifération

L’organisme humain, une fois mort, constitue une énorme réserve en nutriments pour les bactéries ainsi que pour les insectes. Les cellules du corps n’étant plus protégées par le système immunitaire, sont alors la proie d’insectes nécrophages voraces. Ces derniers vont se servir du corps de l’individu décédé, afin de se nourrir, ou de nourrir leurs progénitures. Quelques minutes après la mort de l’organisme, il se produit des réactions d’autolyse qui sont des transformations fermentatives (qui s’observent sans l’action de bactéries ou d’agents étrangers à l’organisme). Les substrats produits lors de ces réactions dégagent des odeurs spécifiques (pas forcément perceptibles par l’Homme), attirant ainsi les premiers insectes qui vont pondre leurs œufs dans les orifices naturels (sphincters, pores de la peau) et dans les blessures. La ponte se fait le plus souvent de jour et ne survient habituellement pas en dessous de 4 °C. L'apparition des larves peut se faire en moins d'un quart d'heure après la ponte. Au cours du temps, l’altération du cadavre se traduit par le dégagement d’odeurs, spécifiques à une période donnée. En effet, à mesure que la décomposition progresse, les réactions d’autolyse changent, ainsi que les substrats produits et donc les odeurs dégagées. Ces nouvelles odeurs vont repousser les femelles attirées par les premières odeurs. D’autres femelles viennent ensuite, sélectivement, coloniser le cadavre, et constituent des escouades. L’insecte est attiré sélectivement par ce qui lui convient et il évite le reste.

Utilisation pratique

La composition des escouades, ainsi que leur « durée de travail », peuvent varier suivant les facteurs qui influencent la faune entomologique locale et les processus d’altération du cadavre :

  • La région et sa zone géographique.
  • Le type de localité (ville ou campagne).
  • Le type d'emplacement (dans une habitation ou à l’extérieur).
  • Des données climatiques et météorologiques (dont la saison).
  • Les conditions de stockage du corps (à l'air libre, immergé, inhumé…).
  • Le volume du cadavre.


La décomposition d’un cadavre réunit une faune très diverse d’insectes. On les classe généralement en quatre catégories :

On dénombre en tout et pour tout huit escouades différentes, mais seules les trois premières permettent une datation précise.

  • La première escouade est essentiellement constituée de diptères (mouches vertes, à damiers, bleues…). Elle arrive quelques heures à peine après la mort, et à 20 °C les larves implantées dans le cadavre peuvent atteindre l’âge adulte en deux semaines.
  • La deuxième escouade arrive entre 48h et 72h, attirée par l'odeur du cadavre liée au début de la décomposition du corps.
  • La troisième escouade apparaît entre le troisième et le neuvième mois et est constituée de dermestes (petits coléoptères) et parfois de lépidoptères, attirés par l’odeur de graisse rance.

Les autres escouades apparaissent bien plus tardivement :

  • La quatrième escouade, ou escouade coryétienne, arrive au dixième mois.
  • La cinquième escouade, ou escouade silphienne, environ 2 ans après le décès.
  • Les sixième et septième escouades achèvent le travail de leurs prédécesseurs au bout de deux ou trois ans, lorsque le corps n’est plus que poussière.

Cependant cette méthode est loin d'être parfaite et pour de nombreux entomologistes, tel Claude Wyss, elle doit être utilisée avec précaution. En effet, selon l'endroit où une personne va mourir, les insectes présents ne seront pas les mêmes et une espèce d'insecte pourra très bien être présente dans la première escouade alors qu'elle n'est censée apparaître qu'à la quatrième parce que des individus étaient proches du cadavre au moment de sa mort et auront donc pu le sentir.

Développement des larves de quelques mouches en fonction du temps :
Mouche domestique (Musca domestica) Mouche bleue (Calliphora vicina) Mouche verte (Lucilia caesar) Mouche à damier (Sarcophaga carnaria)
1 (ponte) Œufs Œufs Œufs Larves
1 jours Éclosion (2 mm) Éclosion (2 mm) Éclosion (2 mm) Éclosion (2 mm)
2 jours Larve (3 mm) Larve (5 mm) Larve (3 mm) Larve (5 mm)
4 jours Larve (1 mm) Larve (7 mm) Larve (9 mm) Larve (11 mm)
5 jours Larve (4 mm) Larve (6 mm) Larve (9 mm) Larve (21 mm)
6 jours Larve (7 mm) Larve (13 mm) Larve (17 mm) Larve (19 mm)
7 jours Larve (8 mm) Larve (8 mm) Larve (9 mm) Larve (15 mm)
8 jours Pupaison (5 mm) Pupaison (10 mm) Pupaison (6 mm)
10 jours Pupaison (10 mm)
14 jours Adulte
20 jours Adulte

Remarque :

  • L’incubation des œufs dure entre 12 h et 24 h lorsque la température ambiante avoisine 25 °C ; elle est inférieure à 12 h si elle vaut environ 15 °C.

Remarques :

  • Si un cadavre froid est découvert sans faune dans un lieu où des arthropodes sont présents, cela indique que le corps a été conservé dans un lieu isolé, d’autant plus si le corps se trouve en début d’autolyse.
  • Si un cadavre ne comporte que des œufs, alors la phase post mortem est inférieure à 48 h.
  • Si le cadavre est en voie d’altération et comporte seulement des œufs, alors le corps a été transporté ou déposé sur les lieux depuis moins de 48 h.
  • Si un cadavre comporte des pupes vides, cela est une conséquence de l'arrivée d'au moins un cycle de diptères dont la durée est de plus de 12 jours à 22 °C, de plus de 14 jours à plus de 20 °C et de plus de 19 jours à 18 °C.

Détermination de la température dans l’évaluation de l’âge des insectes

Pour procéder à la détermination de l’âge des larves trouvées sur le cadavre (et donc à la détermination du moment de la mort), il faut tout d’abord connaître la température moyenne quotidienne du site sur lequel elles ont été trouvées [6]: un relevé des températures (effectué quotidiennement par Météo-France) est donc nécessaire, si possible sur plusieurs stations météorologiques voisines du site. Mais cela ne suffit toujours pas pour avoir une température moyenne du site, celle-ci pouvant être différente de celle donnée par les stations : aussi prendra-t-on soin de calculer la différence de température en comparant celle du site et les données météorologiques durant une vingtaine de jours.

Détermination de la date de ponte

Pour qu’une espèce nécrophage puisse se développer de l’œuf à l’insecte parfait, il lui faut une somme de température spécifique à l’espèce. Cette somme est calculée en additionnant les moyennes de température par jour, moins l’indice également spécifique à l’espèce. Lorsque la somme est atteinte, elle correspond au jour de ponte de l’espèce.

Le travail de datation du décès est une tâche fastidieuse. Le problème de dater l’instant à partir duquel commence la mort ne se résout pas à l’aide d’une méthode miracle. La résolution de ce problème est l’œuvre de la concordance entre plusieurs résultats apportés par des méthodes de datation distinctes. Ces méthodes font à la fois appel à l’examen du corps en lui-même mais aussi à la constatation de l’action de la faune sur celui-ci. Seule la mise en commun des dates apportées par les différents types de datation permet une datation des plus précises. Cette datation et sa précision dépendent de deux facteurs qui sont le temps et le lieu de séjour du corps.

Cependant, toujours dans le cadre d’une enquête judiciaire, ce travail de datation n’est parfois pas un travail suffisant. Il est nécessaire quelquefois de réaliser au préalable une identification pour pouvoir replacer la victime dans le cadre de l’enquête, (c’est-à-dire ne pas s’appuyer sur des preuves fausses pour juger un homme), ce qui s’avère très souvent difficile. En effet, le corps est parfois dans un état de difformité assez important (gonflé d’eau dans le cadre d’un noyé, ou dans un état de décomposition extrême) qui rend ce travail d’identification souvent difficile. La datation n’est alors d’aucune utilité si la victime n’est pas identifiée. Ce problème de l’identification est un problème qui va de pair totalement avec la datation, et c’est un sujet qu’il faudrait traiter afin de parfaire les connaissances apportées par cet exposé.

Bibliographie

Notes et références

  1. De l'anglais forensic entomology
  2. a et b https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/ircgn/L-Expertise-Decodee/Sciences-Medico-Legales/L-entomologie-legale-les-insectes-au-service-de-l-enquete
  3. Klotzbach H, Krettek R. et al., « The history of forensic entomology in German-speaking countries », Forensic. Sci. Int., vol. 144, nos 2–3,‎ , p. 259–263 (PMID 15364399, DOI 10.1016/j.forsciint.2004.04.062)
  4. Greenberg, Bernard, and John C. Kunich. Entomology and the Law. United Kingdom: Cambridge University Press, 2002.
  5. González Medina A, Soriano Hernando Ó, Jiménez Ríos G, « The Use of the Developmental Rate of the Aquatic Midge Chironomus riparius (Diptera, Chironomidae) in the Assessment of the Postsubmersion Interval », J.Forensic.Sci, vol. 60, no 3,‎ , p. 822-826 (DOI 10.1111/1556-4029.12707)
  6. Villet MH, Amendt J, 2011. Advances in entomological methods for estimating time of death. In: Turk EE, ed. Forensic Pathology Reviews. Heidelberg: Humana Press, pp. 213-238

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