Distinction type-jeton

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La dichotomie type–jeton est la différence entre le fait de nommer une classe (type) d'objets et le fait de nommer les instances individuelles (jetons) de cette classe. Comme chaque type peut être représenté par plusieurs jetons, il y a généralement plus de jetons que de types d'un objet.

Par exemple, on pourra alors associer un jeton « Einstein» à un type comme « être humain ». La formulation « Einstein est un être humain » est alors sans ambiguïté sur la formulation « est un ». « Est-un » est parfois utilisé dans le langage pour relier directement un type à un type, comme dans l’exemple « l’humain est un animal », une des utilités de la dichotomie est de préciser la nature de la relation décrite par ce type de formule du langage naturel. Il arrive parfois qu’on fasse référence plusieurs fois à un « type » sans qu’il soit impliqué de jeton de ce type, on parle alors d’occurrence d’un type. La dichotomie peut être utilisée dans de multiples disciplines telles que la logique, la linguistique, la métalogique, la typographie, la programmation informatique et d’autres. En linguistique, elle permet par exemple d’exhiber des ambiguïtés sur la signification de certains mots qui désignent parfois un objet concret, et parfois utilisés de manière abstraite pour faire référence à tous les objets de ce type. La distinction est également pertinente pour certaines disciplines dans la description d’objets plus subjectifs comme les sensations ou les émotions, à condition d’identifier des états physiques mesurables à des types d’états mentaux.

Aperçu[modifier | modifier le code]

La phrase « ils ont la même voiture » est ambiguë. Il est possible que nos deux individus conduisent le même modèle de voiture. Il est également possible qu’ils soient en couple et conduisent tous deux la voiture unique du foyer. La distinction type-jeton permet de mettre en lumière et à résoudre ce type d’ambiguïté en séparant clairement dans l’univers du discours ce qui relève du concept abstrait et désigne une catégorie d’objet (ou d’événements), et ce qui désigne des exemples précis d’objet ou d’événement. Les premiers sont appelés les « types ». Ils sont abstraits et décrivent une catégorie d’objets. Les seconds sont les « jetons » et représentent des objets concrets, qui exemplifient (on dit aussi « instancient ») un ou plusieurs types.

Par exemple : on pourrait désigner par le terme « vélo » le type qui décrit conceptuellement une bicyclette (un moyen de transport à deux roues et à pédales); alors que « mon vélo » désigne un représentant de ce type d’objet. Dans la phrase « le vélo est de plus en plus populaire », le mot « vélo » désigne un type, alors que dans la phrase « le vélo est dans le garage », le mot « vélo » est un jeton représentant un objet particulier.

Occurrences[modifier | modifier le code]

Il existe une distinction étroitement liée à la dichotomie type-jeton, qui introduit le concept d’occurrence. Pour l’illustrer prenons la phrase: « Rose is a rose is a rose is a rose »[1], en français « Une rose est une rose est une rose ». Demandons-nous combien de mots sont présents dans cette phrase. Suivant notre manière de penser, nous pouvons répondre qu'il y a huit ou trois mots dans la phrase, aucune des réponses n’étant réellement fausse. Il est possible de considérer que les mots « rose », « is » et « a » constituent la phrase, et nous compterons trois mots. Nous avons ici compté les types distincts de mots qui constituent la phrase. Avec l’autre manière de penser, si j’écris cette phrase sur un papier, et que j’en crée donc un jeton, j’aurai écrit huit jetons du type « mot ». Il est entendu que la phrase non écrite n’est elle-même n’est pas un jeton mais un type : il en existe de multiples jetons qui sont créés à chaque fois qu’elle est écrite, imprimée voire dite. On parlera dans la suite de « phrase type » pour désigner la phrase en tant que type des jetons de cette phrase, respectivement de « mot type » pour un type de mot. La notion d’occurrence nous permet de retrouver le nombre « 8 » sans faire référence aux jetons de cette phrase. Dans la phrase type, qui contient comme nous l’avons vu seulement 3 mots-types, il y a 4 occurrences du mot-type « rose », 3 de « a » et 3 de « is ». On peut définir le nombre d’occurrences d’un mot-type dans une phrase-type comme le nombre de jetons du mot type qu’on peut compter dans un jeton de la phrase type. Une occurrence n'est pas nécessairement un jeton.

La nécessité de distinguer les jetons de types des occurrences de types se pose également dans d’autres domaines, dès que des types d’objet peuvent se définir comme constitués d’autres types[2], quand il existe par exemple des relations d’holonymie/méronymie (tout/partie) entre les termes décrivant des objets. On peut aussi compter les occurrences de chiffres dans la représentation d’un nombre en mathématique (dans une base donnée), ou généralement le nombre d’occurrence d’un symbole de l’alphabet dans le codage d’une information, en informatique.

Questionnements philosophiques sur la définition et la nature des types et des jetons[modifier | modifier le code]

La dichotomie type jeton est une notion issue de la philosophie. Il existe dans la philosophie de nombreux débats sur la portée et la définition de cette notion, encore en philosophie contemporaine. Par exemple, la question de la relation entre les notions de type, d’universaux et de propriété.

Les philosophes discutent de la définition philosophique des types, de leur existence ou de leur incarnation dans le monde, et sur la nature de la relation entre le type et les jetons de ce type. La notion de type étant proche de la notion d’universaux, on peut trouver un premier axe de clivage identique à celui du problème des universaux entre les idéalistes, les nominalistes.

Une question qui se pose également, pas totalement indépendante des précédentes, est celle de la relation de la relation entre le type et ses jetons, souvent nommée « instanciation », ou « exemplification ». La nature exacte de ces relations dépend de notre manière de définir les types.

Types nominalistes et types réalistes[modifier | modifier le code]

Les premiers soutiennent l’existence des types en tant qu’objet abstrait, avec pour indice le fait que nous employons souvent les types dans le langage comme des objets concrets. Par exemple, nous disons « le cheval a quatre patte » comme nous dirions « mon vélo a deux roues ». Il existe deux principales variantes du réalisme : le platonisme et le réalisme d’Aristote Les platonistes soutiennent que les types existent dans le monde des idées en tant qu’archétypes de leur jetons, non localisés dans l’espace et le temps. Ces archétypes partageraient les propriétés des jetons, un archétype de cheval a le même nombre de pattes qu’un cheval concret. Dans certains cas, il est cependant difficile de trouver ce à quoi un tel archétype pourrait ressembler. Par exemple le mot type « color » en anglais a des tokens d’orthographe différentes (« colour ») et des tokens oraux. L’idée associée à ce type est alors ce qui permet de relier tous ces tokens en un seul type, étant donné que ce sont des tokens du même mot. La relation entre le type et ses jetons est alors plus complexe qu’une relation archétypale. Non seulement, comme dans une relation archétypale, le type a les propriétés que ses jetons ont, mais les jetons héritent aussi de leur type des propriétés qui ne leur sont pas intrinsèques. La prononciation d’un mot écrit ne découle pas uniquement de son orthographe, par exemple, mais aussi potentiellement de quel est son mot-type. De leur côté les aristocéliens soutiennent que le type n’existe pas dans un monde à part, mais existe dans chacune de ses incarnations. Ainsi, il n’y a pas de type sans jetons.

Les nominalistes soutiennent pour leur part que les types sont essentiellement des étiquettes commodes et conventionnelles qui existent pour désigner les tokens correspondant. Dans ce cas, dire « le cheval a quatre pattes » revient à dire « tous les chevaux normalement constitués ont quatre pattes ».

Les visions idéalistes comme les visions nominalistes ont leurs problèmes. La vision nominaliste pose par exemple problème si l’on remarque que deux langues différentes peuvent exprimer la même chose, en anglais par exemple « The horse is a four-legged animal » a le même sens que « Le cheval est un animal à quatre pattes » en français. Il semble donc que les types en tant que descriptions linguistiques viennent aussi par type, sans qu’il soit facile de désigner ces types eux-mêmes par une étiquette linguistique. Le réalisme platoniste pose le problème épistémologique de l’existence du monde des idées dans lequel les types sont supposés exister. Le réalisme aristocélien bute sur le fait qu’il semble exister une infinité de phrase type, mais que bien peu d’entre elles ont véritablement des jetons.

Nature des types[modifier | modifier le code]

Au-delà de la description du principe général, des questionnements existent autour de la formalisation des notions de type et jetons. Il a été ainsi discuté des rapprochements avec des notions mathématiques comme la notion d’ensemble mathématique, dont les jetons seraient les éléments, qui peut donner une première idée intuitive. Une telle approche est problématique, et d’autres manières plus adéquates ont été proposées, dont celle de « loi » par Quine, le créateur de la dichotomie, ou celle de « sorte ».

Les types vus comme l’ensemble de leurs jetons[modifier | modifier le code]

Il est possible d’imaginer représenter les types comme des ensembles mathématiques, dont les éléments seraient ses jetons. Cette approche ne permet cependant pas de modéliser de manière adéquate la distinction. En effet, la notion d’ensemble mathématique est définie par une théorie mathématique qui ne fais référence qu’à elle-même et pas à un univers extérieur comme le monde réel. Les propriétés des ensembles mathématiques diffèrent donc de celles de l’ensemble des jetons d’un type, par exemple deux ensembles mathématiques sont égaux s'ils ont les mêmes éléments, alors que l’ensemble des jetons d’un type peut varier dans le temps en cas de destruction d’objets de ce type par exemple. Elle ne peut donc servir qu’en approche intuitive en gardant à l’esprit ces limites.

Les types vus comme des « sortes »[modifier | modifier le code]

Une autre école, proposée par le philosophe Nicholas Wolterstorff, est celle de voir les type comme des « sortes ». Une « sorte » serait une description abstraite, un modèle, de ses jetons. Dans une telle approches la relation entre un type et les jetons de ce type est une relation d’exemplification. Il est alors possible de montrer des « exemples » de jetons de ce type, la description abstraite permet de déterminer si oui ou non un jeton correspond au modèle d’un type. Une « sorte » n’est cependant pas forcément assimilée au type, mais est juste une manière de le modéliser.

Les types vus comme les « lois »[modifier | modifier le code]

Dans le cadre de sa théorie de sa théorie de la sémiotique de Pierce, Pierce a introduit les types en utilisant la notion de « loi ». Le type en tant que loi est déterminé par les Hommes sous formes un ou plusieurs signes (mots, sons, …) qui doit permettre de déterminer ce que sont ses jetons. Une loi type est une « forme signifiante ». Il n’existe pas de type sans jeton. La relation entre un type et ses jetons est alors d’être désigné « en accord avec » la loi.

Types et « universaux »[modifier | modifier le code]

Exemple classique de propriété universelle : « être blanc » n’est pas blanc lui-même, alors que souvent les tokens d’un type possèdent les mêmes propriétés que le type lui-même, par exemple une symphonie a une clé, et un nombre de mesure identique à la clé et de même nombre de mesure que ses jetons. Tous les universaux ne correspondent donc pas à un type. Ça n’interdit cependant pas que les types soient des universaux.

Identité des jetons[modifier | modifier le code]

L’identité des jetons n'est pas triviale : un mot prononcé de même type qu’un mot écrit ? questionnement en « théorie de l’esprit », si « peine » est un type de ressenti, qu’est-ce que deux peines identiques *- https://plato.stanford.edu/entries/mind-identity/#Typ

(et idem en théorie des types bien que ce ne soit pas directement lié : une égalité est associée à chaque type)

Applications[modifier | modifier le code]

La notion de type est difficile à capturer de manière générique et abstraite. Elle est plus facile à définir, et est utile, dans le cadre de domaine d’applications précis.

En typographie[modifier | modifier le code]

En typographie, la dichotomie type jeton peut être utilisée pour déterminer la présence d'un texte imprimé en caractères mobiles[3] :

« Ce qui caractérise une impression typographique est l’identité associée à chaque forme de caractère qui encrent le texte imprimé. En d’autres termes, chaque forme de lettre qui apparait dans le texte doit être vue comme un « token » (— jeton ) d’un et un seul type qui contient l’image inversée de la lettre imprimée. »

En philosophie de l'esprit[modifier | modifier le code]

La distinction type jeton est utilisée en philosophie de l’esprit pour discuter des théories physicalistes, c’est-à-dire des théories qui stipulent que les sensations prennent racine dans des états physiques du corps et du cerveau des individus. Dans le cadre d’une théorie de l’identité psychophysique comme la théorie de l'identité esprit-cerveau, il s’agit de une théorie de déterminer si des sensations comme des événements mentaux. L’hypothèse dite de l’identité type type stipule que les types d’état et de processus mentaux sont identiques (et pas seulement réductibles) à des types d’états ou processus physiques du cerveau. De la même manière qu’un mot-type peut avoir des occurrences sonores ou imprimées qui en sont différentes facettes, la vision psychologique et la vision neurologique de ces types sont alors différentes facettes d’un type d’événement mental.

Certaines objections sont légitimes devant cette théorie très forte, la philosophe de l’Hilary Putnam a par exemple remarquée que la sensation de « vouleur » était peut-être ressentie par une hypothétique forme de vie extra terrestre dont la physiologie différerait beaucoup de la nôtre, par exemple une forme de vie dépourvue de cerveau[4]. Une telle réalité rendrait difficile l’identification de la douleur à un type d’objet physiologique du cerveau. Une version plus faible a été développée : l’identification jeton-jeton. Elle stipule qu’un jeton ou une occurrence d’un événement psychique comme la « peine » s’identifie à un jeton d’un événement physiologique. Autrement dit qu’une sensation a une trace physique mesurable d’une manière ou d’une autre, mais qu’on ne peut pas forcément simplement caractériser ces événements physiques.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. cf. Rose is a rose is a rose is a rose (en), une phrase célèbre d’une œuvre de la poésie anglo-saxonne par Gertrude Stein
  2. (en) « Types and Tokens », sur Stanford Encyclopedia of Philosophy
  3. Herbert E. Brekle (en)[ : Die Prüfeninger Weiheinschrift von 1119. Eine paläographisch-typographische Untersuchung, Scriptorium Verlag für Kultur und Wissenschaft, Regensburg 2005, (ISBN 3-937527-06-0), p. 23
  4. (en) « Identity Theory », sur utm.edu (consulté le ).

Sources[modifier | modifier le code]

  • (en) Julian Baggini, The Philosophers Toolkit: A Compendium of Philosophical Concepts and Methods, (ISBN 978-0-631-22874-5)Voir et modifier les données sur Wikidata Blackwell: 171-73
  • (en) Peper F., Lee J., Adachi S., Isokawa T. (2004) Token-Based Computing on Nanometer Scales, Proceedings of the ToBaCo 2004 Workshop on Token Based Computing, Vol.1 pp. 1–18.

Liens externes[modifier | modifier le code]