Aller au contenu

Dictature du prolétariat

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Affiche de propagande soviétique datant d'octobre 1918 sur la dictature du prolétariat.

La dictature du prolétariat est un concept central du marxisme désignant une phase transitoire de la société entre le capitalisme et le communisme.

Cette expression[1] employée à l'origine par Louis Auguste Blanqui[2], dans le droit fil de la pensée de Jean-Paul Marat et de Gracchus Babeuf[3] et parfois employée par Karl Marx, est au cœur de vifs débats, notamment en ce qui concerne sa mise en œuvre et la nature que devrait prendre l'État durant cette phase.

Marx et Friedrich Engels conçoivent la dictature du prolétariat comme une phase transitoire de dictature révolutionnaire, supposée nécessaire pour abattre le pouvoir de la bourgeoisie. Sur le plan économique, elle se traduit par la suppression de la propriété privée des moyens de production, et donc par la mise en place du collectivisme économique et d'une démocratie au travail via un processus de socialisation des biens. Selon la théorie marxiste et léniniste, la période de dictature du prolétariat, phase « inférieure » du socialisme, conduira ensuite à un processus naturel de dépérissement de l'État et au passage à une société sans classes, phase dite « supérieure » qui correspondra au communisme proprement dit[4].

Après la révolution russe de 1917, le concept est repris par Lénine : les bolcheviks ont présenté leur gouvernement comme une « dictature du prolétariat », mais ce qualificatif est contesté par nombre de leurs opposants. Les adversaires du marxisme (y compris sociaux-démocrates, au sens actuel du terme) voient dans la notion de « dictature du prolétariat » un danger pour les libertés et pour la démocratie parlementaire, et arguent qu'en son nom, bureaucratie et nomenklatura ont accaparé le pouvoir de manière sanglante dans les régimes politiques se réclamant du marxisme.

Les deux mots furent introduits dans la terminologie politique moderne à l’époque de la Révolution française dont les leaders et penseurs se servaient de l’antique République romaine comme modèle. Les jacobins furent en faveur d’une « dictature » par une minorité de révolutionnaires (on passe ainsi d'un unique dictateur à un groupe de dictateurs) pour écraser la résistance de la noblesse[réf. nécessaire].

Dans Le Capital, Marx définit le prolétaire comme « le salarié qui produit le capital et le fait fructifier »[5].

Les deux termes dictature et prolétaires furent repris des révolutionnaires français par leurs héritiers politiques du siècle suivant, et parmi eux, les « communistes utopistes » chez qui Marx puisa une partie de son socialisme.

La définition de Marx et Engels

[modifier | modifier le code]
Schéma des différentes phases conduisant à l'établissement de la société communiste.

C’est au lendemain du Printemps des peuples, qu’apparaît, sous la plume de Marx l’expression de « dictature de classe du prolétariat »[6]. Auparavant, Marx et Engels ne parlaient que du « prolétariat organisé en classe dominante »[7]. Marx fera explicitement la liaison entre ces deux notions en 1850[8].

Chez Marx, le terme prolétariat ne signifie pas « les gens pauvres »[9] en général mais seulement ceux qui travaillent contre des salaires, c’est-à-dire la classe ouvrière.

La « dictature du prolétariat » fut donc, pour lui, l’exercice du pouvoir politique par la classe ouvrière dans son ensemble, et dans son propre intérêt. Ce qui pour Marx impliquait une « démocratie politique complète » dans laquelle la classe ouvrière – la majorité dans la société capitaliste – gouvernerait. Il ne s'agit toutefois pas d'une démocratie au sens libéral du terme : les partis "bourgeois" n'ont plus leur place dans la cité, et doivent être réduits par la violence.

Dans Les Luttes de classes en France, Marx défend la « dictature de la classe ouvrière »[10] et définit la « dictature de classe du prolétariat » et « la révolution en permanence » comme les deux mots d'ordre qui distinguent le communisme du socialisme petit-bourgeois[11]. La même année, la « dictature du prolétariat » est inscrite comme objectif de la société universelle des communistes révolutionnaires dans ses statuts[12]. En 1852, Marx considère que ses réflexions sur la dictature du prolétariat font partie des trois contributions originales qu'il a apportées sur les historiens bourgeois :

« Maintenant, en ce qui me concerne, ce n'est pas à moi que revient le mérite d'avoir découvert l'existence des classes dans la société moderne, pas plus que la lutte qu'elles s'y livrent. Des historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi l'évolution historique de cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient décrit l'anatomie économique. Ce que j'ai apporté de nouveau, c'est :

  1. de démontrer que l'existence des classes n'est liée qu'à des phases historiques déterminées du développement de la production ;
  2. que la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat ;
  3. que cette dictature elle-même ne représente qu'une transition vers l'abolition de toutes les classes et vers une société sans classes. »

— K. Marx, [13]

En 1871, la Commune de Paris ouvre de nouvelles perspectives politiques. Pour Engels, « c'était la dictature du prolétariat »[14]. Marx lui reproche toutefois de se montrer « trop gentille » avec la réaction, de ne pas attaquer Versailles dès qu'elle en a l'occasion[15], et d'être trop indulgente avec les comploteurs, les incendiaires et les espions contre-révolutionnaires :

« Même les sergents de ville, au lieu d'être désarmés et mis sous les verrous comme on aurait dû le faire, trouvèrent les portes de Paris grandes ouvertes pour aller se mettre en sûreté à Versailles. Les hommes d'ordre non seulement ne furent pas molestés, mais ils eurent la faculté de se rassembler et d'occuper plus d'une position forte au centre même de Paris. […] Toutefois, pendant quelque temps, les exécutions de prisonniers [communards] furent suspendues. Mais à peine Thiers et ses généraux décembriseurs furent-ils avisés que même leurs espions de la gendarmerie pris dans Paris sous le déguisement de gardes nationaux, même les sergents de ville pris avec des bombes incendiaires sur eux, étaient épargnés, à peine s'aperçurent-ils que le décret de la Commune sur les représailles n'était qu'une menace vaine, que les exécutions en masse de prisonniers furent reprises et poursuivies sans interruption jusqu'à la fin. »

— K. Marx, [16], 1871

Pour Marx et Engels, la dictature du prolétariat s’identifie exactement à la démocratie révolutionnaire. Cependant, cette démocratie n’exclut ni la puissance économique, ni la force militaire de l’État. Ils écrivent à propos de la démocratie :

« Nous avons déjà vu plus haut que la première étape dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie. »

— K. Marx & F. Engels, [17], 1847

« Une chose absolument certaine, c'est que notre Parti et la classe ouvrière ne peuvent arriver à la domination que sous la forme de la république démocratique. Cette dernière est même la forme spécifique de la dictature du prolétariat, comme l'a déjà montré la grande Révolution française. »

— F. Engels, [18], 1891

De la puissance économique de l'État :

« Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l'État, c'est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter au plus vite la quantité des forces productives. »

— K. Marx & F. Engels, [19], 1847

« Pourquoi luttons-nous donc pour la dictature politique du prolétariat si le pouvoir politique est économiquement impuissant ? La violence (c’est-à-dire le pouvoir d’État) est, elle aussi, une puissance économique ! »

— F. Engels, [20]

Enfin, sur sa force militaire :

« Avec la victoire de la « République rouge » à Paris, des armées seront dépêchées de l’intérieur de leur pays aux frontières et au-delà d’elles, et la force réelle des partis en lutte se manifestera dans toute sa pureté. »

— K. Marx, [21], 1848

« Mais, avant de réaliser un changement socialiste, il faut une dictature du prolétariat, dont une condition première est l'armée prolétarienne. Les classes ouvrières devront conquérir sur le champ de bataille le droit à leur propre émancipation. La tâche de l'Internationale est d'organiser et de coordonner les forces ouvrières dans le combat qui les attend. »

— K. Marx, [22]

« Une révolution est certainement la chose la plus autoritaire qui soit, c'est l'acte par lequel une fraction de la population impose sa volonté à l'autre au moyen de fusils, de baïonnettes et de canons, moyens autoritaires s'il en est ; et le parti victorieux, s'il ne veut pas avoir combattu en vain, doit continuer à dominer avec la terreur que ses armes inspirent aux réactionnaires. »

— F. Engels, [23], 1873

Dans les Luttes des classes en France, et plus encore dans la Guerre civile en France, Marx développe sa conception de l'alliance des ouvriers et des paysans sous la dictature du prolétariat. Dans le premier livre, il écrit :

« On comprendra quelle fut la situation des paysans français quand la République eut ajouté encore de nouvelles charges aux anciennes. On voit que son exploitation ne se distingue que par la forme de l'exploitation du prolétariat industriel. L'exploiteur est le même : le Capital. Les capitalistes pris isolément exploitent les paysans pris isolément par les hypothèques et l'usure. La classe capitaliste exploite la classe paysanne par l'impôt d'État. Le titre de propriété est le talisman au moyen duquel le capital l'a jusqu'ici ensorcelée, le prétexte sous lequel il l'a excitée contre le prolétariat industriel. Seule, la chute du capital peut élever le paysan, seul, un gouvernement anticapitaliste, prolétarien, peut le faire sortir de sa misère économique, de sa dégradation sociale. La République constitutionnelle c'est la dictature de ses exploiteurs coalisés, la République social-démocrate, la République rouge, c'est la dictature de ses alliés. »

— K. Marx, [24], 1850

Dans le deuxième, Marx expose de nombreuses revendications susceptibles de lier les paysans à la Commune : exproprier la grande propriété foncière, déplacer la charge de la guerre sur les épaules de la bourgeoisie, élire les fonctionnaires et les rendre responsables devant le peuple, mettre « l'instruction par le maître d'école à la place de l'abêtissement par le prêtre », annuler les dettes hypothécaires. Marx estimait que trois mois seulement de libre communication entre Paris et la province auraient suffi à emporter les paysans dans la révolution. La Commune était pour Marx, non seulement le véritable gouvernement de la France, mais aussi un gouvernement ouvrier, et par là même, un gouvernement international, le gouvernement de tous les travailleurs[25].

En 1875, Karl Marx donne sa dernière appréciation de la dictature du prolétariat avant sa mort :

« Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période de transformation révolutionnaire de celle-là en celle-ci. À quoi correspond une période de transition politique où l'État ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat. »

— K. Marx, [26], 1875

Plusieurs auteurs soutiendront cependant que Marx n'évoque que peu de fois la dictature du prolétariat dans son œuvre[27].

Sur les autres projets Wikimedia :

Interprétations

[modifier | modifier le code]

Définition de dictature

[modifier | modifier le code]

Le terme « dictature » fut choisi pour souligner que le capitalisme consisterait en la « dictature de la bourgeoisie », celle d'une seule classe sociale qui détient tout le pouvoir politique et économique (que ce soit sous la forme politique du régime parlementaire ou de la dictature telle qu'on l'entend aujourd'hui). Pour renverser cette classe, la classe des gens d'aucune classe - les prolétaires - devait prendre dans un premier temps tout le pouvoir, pour supprimer la division de la société en classes.

Le mot dictature choque parfois aujourd'hui. Cependant, selon le philosophe et militant trotskiste Daniel Bensaïd, « Les mots n’ont pas aujourd’hui le même sens qu’ils pouvaient avoir sous la plume de Marx. À l’époque, la dictature, dans le vocabulaire des Lumières, s’opposait à la tyrannie ; elle évoquait une vénérable institution romaine : un pouvoir d’exception délégué pour un temps limité, et non pas un pouvoir arbitraire illimité »[28].

Une démocratie directe

[modifier | modifier le code]

Il y a toutefois deux spécificités[réf. nécessaire] : la dictature du prolétariat nécessite une révolution prolétarienne préalable qui aboutit à la prise du pouvoir populaire. D'autre part, le pouvoir sera exercé par une seule classe sociale, le prolétariat.

Friedrich Engels voit la Commune de Paris comme une application de la dictature du prolétariat. Ainsi, avec cet exemple, cette dictature se présenterait comme organisée de façon démocratique avec des élus mandatés au suffrage universel et révocables.

Lénine définit la dictature du prolétariat comme « un pouvoir conquis par la violence que le prolétariat exerce, par l'intermédiaire du parti, sur la bourgeoisie et qui n'est lié par aucune loi »[29].

Chez Lénine, le concept de « dictature du prolétariat » joue un rôle central[30] :

« L'essentiel dans la doctrine de Marx, c'est la lutte des classes. C'est ce qu'on dit et c'est ce qu'on écrit très souvent. Mais c'est inexact. Et, de cette inexactitude, résultent couramment des déformations opportunistes du marxisme, des falsifications tendant à la rendre acceptable pour la bourgeoisie. Car la doctrine de la lutte des classes a été créée non par Marx, mais par la bourgeoisie avant Marx ; et elle est, d'une façon générale, acceptable pour la bourgeoisie… Celui-là seul est un marxiste qui étend la reconnaissance de la lutte des classes jusqu'à la reconnaissance de la dictature du prolétariat. C'est ce qui distingue foncièrement le marxiste du vulgaire petit (et aussi du grand) bourgeois. C'est avec cette pierre de touche qu'il faut éprouver la compréhension et la reconnaissance effective du marxisme[31] »

Pour Charles Roig, on est là à « l'origine de la transformation idéaliste de la pensée de Lénine dans la mesure où elle permet désormais d'interpréter le monde dans les termes de cette force personnalisée et agissante qu'est le prolétariat. La dictature du prolétariat n'est plus que la dramatisation de l'action de cette force en lutte contre la bourgeoisie dans le cadre d'une nouvelle période historique[32] ».

Dans L'État et la Révolution (qui date de septembre 1917, avant la révolution d'Octobre), Lénine affirme sans ambages :

« Or, la dictature du prolétariat, c'est-à-dire l'organisation de l'avant-garde des opprimés en classe dominante pour mater les oppresseurs, ne peut se borner à un simple élargissement de la démocratie. En même temps qu'un élargissement considérable de la démocratie, devenue pour la première fois démocratie pour les pauvres, démocratie pour le peuple et non pour les riches, la dictature du prolétariat apporte une série de restrictions à la liberté pour les oppresseurs, les exploiteurs, les capitalistes. Ceux-là, nous devons les mater afin de libérer l'humanité de l'esclavage salarié ; il faut briser leur résistance par la force ; et il est évident que, là où il y a répression, il y a violence, il n'y a pas de liberté, il n'y a pas de démocratie. […]
Démocratie pour l'immense majorité du peuple et répression par la force, c'est-à-dire exclusion de la démocratie pour les exploiteurs, les oppresseurs du peuple ; telle est la modification que subit la démocratie lors de la transition du capitalisme au communisme. »

— Lénine, L'État et la Révolution[33].

En 1918, la constitution de la Russie révolutionnaire (future Union soviétique) se revendique comme étant une application pratique de la dictature du prolétariat.

« La dictature du prolétariat, c'est la guerre qui exige le plus d'abnégation, la guerre la plus implacable de la nouvelle classe contre un ennemi plus puissant, contre la bourgeoisie dont le renversement (ne fût-ce que dans un seul pays) a décuplé la résistance et dont la puissance ne réside pas seulement dans la force du capital international, dans la force et la solidité des liens internationaux de la bourgeoisie, mais encore dans la force de l'habitude, dans la force de la petite production. […] Pour toutes ces raisons, la dictature du prolétariat est indispensable…
Je le répète, l'expérience de la dictature victorieuse du prolétariat en Russie a montré concrètement à ceux qui ne savent pas penser ou qui n'ont pas eu l'occasion de méditer ce problème qu'une centralisation absolue et la discipline la plus rigoureuse du prolétariat sont une des conditions essentielles de la victoire sur la bourgeoisie. »

— Lénine, La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), 1920[34].

Applications et critiques

[modifier | modifier le code]

L'expression « dictature du prolétariat » figure dans l'article 2 de la constitution révisée de 1936[35]. La position soviétique a longtemps été défendue par les principaux partis se réclamant du communisme à travers le monde. Cette position a été affaiblie par les révélations du rapport Khrouchtchev en 1956, entraînant la multiplication des positions communistes critiques dans les années 1960-1970.[réf. nécessaire]

Très tôt cependant, des théoriciens et militants des divers courants marxistes ont considéré que l'utilisation par Lénine puis par Staline du concept de « dictature du prolétariat » constituait en fait une trahison de Marx. Ils ont affirmé dès sa création que l'URSS n'était ni une dictature du prolétariat, ni un « État socialiste », mais une dictature sur le prolétariat, voire un capitalisme d'État.

L'historien et militant Boris Souvarine, opposant au stalinisme depuis les années 1920, estime ainsi que « Marx et Engels l’entendaient dans un sens absolument contraire à celui qu’il acquiert dans le léninisme, puis dans le stalinisme. (…), si l’on s’y réfère, contredit entièrement l’interprétation arbitraire incluse dans le léninisme et transmise dans le stalinisme »[27].

La marxiste révolutionnaire Rosa Luxemburg écrit dès septembre 1918 que le pouvoir bolchevik est « une dictature, il est vrai, non celle du prolétariat, mais celle d'une poignée de politiciens, c'est-à-dire une dictature au sens bourgeois »[36].

En 1920, lors du Congrès de Tours, Léon Blum dénonce la politique léniniste, qu'il considère comme une trahison de l'idée de Marx. Blum souligne en effet que, pour Marx, la dictature du prolétariat est la « dictature d'une classe » et qu'elle doit « conserver une forme démocratique », tandis que Lénine la conçoit comme « une dictature exercée par un parti centralisé, où toute l'autorité remonte d'étage en étage et finit par se concentrer entre les mains d'un comité patent ou occulte », avec pour résultat la « dictature de quelques individus ». Blum résume sa propre position sur la question ainsi : « Dictature d’un parti, oui, dictature d’une classe, oui, dictature de quelques individus, connus ou inconnus, cela, non. » [37].

Les communistes de conseils allemands (marxistes révolutionnaires) font de même dans les années 1920.

Le Cercle communiste démocratique dénonce en 1931 la « dictature sur le prolétariat » en URSS[38].

Pour le Groupe des Communistes internationaux (néerlandais) : « Ce qui existe en Russie est un capitalisme d’État. Ceux qui se réclament du communisme doivent aussi attaquer ce capitalisme d’État[39] ». « Le bolchévisme, capitalisme d’État et dictature des bureaucrates » selon le marxiste conseilliste Otto Rühle[40].

Charles Rappoport dénonce dans ses Mémoires « la dictature « à la Staline » d'une clique de bureaucrates sur le prolétariat »[41].

Ces analyses sont corroborées par celles des marxistes mencheviks en exil : Salomon Schwarz dénonce le capitalisme d’État en URSS[42] ; Théodore Dan parle de « dictature jacobine du bolchévisme » qui « n’est pas une dictature de la classe ouvrière », ainsi que de « capitalisme industriel d’État », qui selon lui « contredit d’une façon si évidente la doctrine de Marx »[43].

Ces analyses sont reprises par la suite par ces différents courants, et dans les années 1960 par de nouveaux courants marxistes comme l’Internationale situationniste.

En 1976, le concept de dictature du prolétariat cesse d'être utilisé par le Parti communiste d'Espagne (1976) et le Parti communiste français. Cette évolution a lieu dans le contexte de l'Eurocommunisme, auquel le PCE et le PCF participent avec le Parti communiste italien. Pierre Birnbaum souligne que « C'est à cause de la théorie du CME que le PCF ne se conçoit plus comme l'unique expression du prolétariat, qui exercerait sa dictature à travers son parti » : le contexte politique de l'époque favorise le recentrage des principaux partis communistes d'Europe de l'Ouest, dont le PCF qui, en proposant « l'Union du peuple de France », déborde l'Union de la gauche et en vient même à tendre la main aux gaullistes[44].

Le Parti communiste chinois, au pouvoir depuis 1949, se réclame de la dictature du prolétariat ; cependant, le terme ne figure qu'indirectement dans la Constitution de la république populaire de Chine de 1954. La Constitution de 1975 (en) intègre la « théorie de la révolution continue sous la dictature du prolétariat ». La Constitution de 1982 reprend dans son préambule les « Quatre principes fondamentaux » : voie socialiste, dictature du prolétariat, rôle directeur du Parti communiste chinois, marxisme-léninisme et pensée de Mao Zedong, tout en les combinant avec les principes de la réforme économique énoncés en 1978 par Deng Xiaoping et réintroduisant l'économie de marché[45].

Notes et références

[modifier | modifier le code]
  1. La dictature démocratique et la démocratie populaire. Oxymore et pléonasme… chez quelques marxistes, sur le site persee.fr
  2. « Plus tard, Blanqui parlera de « dictature du prolétariat » », Maintenant, il faut des armes, Auguste Blanqui, textes choisis par Dominique Le Nuz, La Fabrique éditions, 2007 - 427 pages.
  3. « Marat avait conçu partiellement l'idée que pour mater les forces de la contre-révolution, il fallait « un chef éclairé et incorruptible », un « dictateur », un « tribun militaire » (ou encore un triumvirat), qui aurait fait preuve de son intelligence de la situation et de son dévouement à la cause démocratique. On lui aurait alors confié une magistrature extraordinaire, pour déjouer les complots et mener le peuple à la victoire. » {Gracchus Babeuf (1760-1797) et le Communisme, Alain Maillard, 2001, http://www.theyliewedie.org/ressources/biblio/fr/Maillard_Alain_-_Gracchus_Babeuf.html].
  4. André Piettre, Marx et marxisme, Presses universitaires de France, 1966, p. 79-91
  5. Karl Marx, le Capital, Chapitre XXV : Loi générale de l’accumulation capitaliste, note 1.
  6. Les luttes de classes en France. Du 13 juin 1849 au 10 mars 1850, K. Marx, sur marxists.org
  7. Manifeste du parti communiste, II. Prolétaires et communistes - Marx & Engels, sur marxists.org
  8. Déclaration dans œuvre, T. IV, K. Marx, p.567
  9. Le terme latin Proletarii désignait les citoyens pauvres qui ne contribuaient en rien à l’État sinon en faisant des enfants (en latin proles signifie « lignée »).
  10. les Luttes de classes en France, De février à juin 1848 - K. Marx, sur le site marxists.org
  11. les Luttes de classes en France, Du 13 juin 1849 au 10 mars 1850 - K. Marx, sur le site marxists.org
  12. Statuts de la société universelle des communistes révolutionnaires, Adam, J. Vidil, K. Marx, August Willich, F. Engels et G. Julian Harney
  13. Lettre à J. Weydemeyer, 5 mars 1852, sur le site marxists.org
  14. Introduction à la Guerre civile en France - F. Engels, sur le site marxists.org
  15. Lettre à Kugelmann, 12 avril 1871 - K. Marx, sur le site marxists.org
  16. la Guerre civile en France, chapitre 2, sur le site marxists.org
  17. Manifeste du parti communiste II. Prolétaires et communistes, sur le site /marxists.org
  18. Critique du programme d'Erfurt, sur le site marxists.org
  19. Manifeste du parti communiste II. Prolétaires et communistes, sur le site marxists.org
  20. Lettre à Conrad Schmidt, 28 octobre 1890, sur le site marxists.org
  21. la Nouvelle Gazette Rhénane, œuvre (t.4), la Pléiade, p.76
  22. Discours de commémoration du septième anniversaire de l'Association internationale des travailleurs, le 25 septembre 1871 à Londres, sur le site marxists.org
  23. de l'autorité, sur le site marxists.org
  24. Les luttes des classes en France, Du 13 juin 1849 au 10 mars 1850, sur le site marxists.org
  25. la Guerre civile en France, chapitre 3, K. Marx
  26. Critique du programme de Gotha, IVe partie, sur le site marxists.org
  27. a et b Boris Souvarine, Le Stalinisme, Spartacus, 1964, p. 9.
  28. Daniel Bensaïd, Marx débordait son temps et anticipait sur le nôtre, site alencontre, janvier 2007.
  29. Nicolas Werth, « Lénine (1870-1924) », Encyclopædia Universalis (lire en ligne) Consulté le 20 juillet 2013
  30. Charles Roig, La Grammaire politique de Lénine, p. 43.
  31. Lénine, L'État et la Révolution, p. 51. Cité par Charles Roig, La Grammaire politique de Lénine, p. 41, L'Âge d'Homme, Lausanne, 1980.
  32. Charles Roig, La Grammaire politique de Lénine, p. 42.
  33. Lénine, L'État et la Révolution, éditions en langues étrangères, Pékin, 1966, p. 110.
  34. Lénine. La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), chapitre II, p. 12, Éditions du Progrès, Moscou, 1979.
  35. Constitution soviétique 1936 (lire en ligne)
  36. Rosa Luxemburg, La Révolution russe.
  37. Michel Winock, Le Socialisme en France et en Europe, Seuil, 1992, p. 82-83
  38. La Critique sociale no 2, juillet 1931
  39. Rätekorrespondenz, février 1937
  40. Otto Rühhe, Fascisme brun, fascisme rouge, 1939, Spartacus, p. 65 ; voir aussi le chapitre « Dictature sur le prolétariat », p. 37-41
  41. Charles Rappoport, Une vie révolutionnaire 1883-1940, MSH, p. 158
  42. Salomon Schwarz, Le Combat Marxiste no 12, 1934
  43. Théodore Dan et Julius Martov, La Dictature du prolétariat, Ed. de la Liberté, 1947[réf. incomplète]
  44. Pierre Birnbaum, Genèse du populisme : Le peuple et les gros, Paris, Fayard/Pluriel, coll. « Pluriel », , 288 p. (ISBN 978-2-8185-0225-9), p. 157.
  45. Robert Guillaumond, Lu Jianpin et Li Bin, Droit chinois des affaires, Bruxelles, Larcier, coll. « Manuels Larcier », , 482 p. (ISBN 978-2-8044-5743-3), « II. 2. Le droit chinois contemporain : un droit hors modèle »

Liens externes

[modifier | modifier le code]