Cyclades (réseau)

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Cyclades était un projet expérimental français ayant pour but de créer un réseau global de télécommunication utilisant la commutation de paquets. Créé en 1971, conçu par Louis Pouzin, il fut abandonné en 1978. Ses concepts ont influencé les travaux de développement de l'Internet en inspirant sa suite de protocoles.

Genèse

En 1970, à la suite de la visite d'une délégation française chez BBN aux États-Unis, le projet ARPANET, ancêtre d'Internet, est connu en France. Cela déclenche un renouveau d'intérêt pour la notion de réseau informatique partagé. Jusqu'à présent existaient seulement des réseaux dédiés (agence Havas, agence AFP, groupe Drouot) privés et onéreux, car à base de lignes louées à temps plein, au lieu d'être partagées (en débit comme en coût) entre acteurs économiques.

Le projet Cyclades fut la conséquence de l'engouement de spécialistes pour les premières bases de données[1], en particulier dans le domaine universitaire, financier et administratif. Alors que l'inertie amène leur cloisonnement, quelques pionniers sont chargés de déployer des efforts pour les rendre accessibles à l'extérieur[1].

À l'époque, toutes les administrations françaises voulaient mettre en place leurs propres bases de données. Les universités coopèrent au projet par le biais de contrats de recherche et la délégation générale à l'informatique, menée par Maurice Allègre, souhaite les interconnecter via un réseau de données.

Chargé du projet, Louis Pouzin réunit une petite équipe, qui démarre en 1971 à six personnes environ[2], et choisit des gens à l’extérieur de l’IRIA comme Jean-Louis Grangé, Hubert Zimmermann, Jean-Pierre Touchard, Michel Elie, Jean Le Bihan et Gérard Le Lann, qui se rendra chez Arpanet en 1973. L'IRIA avait des mètres carrés disponibles à Rocquencourt, selon « pour qui connaît bien l’histoire de l’IRIA, puis de l’INRIA, cet institut vers 1969-1970 n’a pas totalement défini sa voie et sa politique de recherche, et aucun projet de réseau n’y est encore installé »[3].

Les échanges avec Arpanet

Les échanges entre Cyclades et Arpanet, nombreux, ont été facilités par la présence de Français dans l'équipe de début d'Arpanet. L'équipe Cyclades entretient des contacts réguliers avec celle qui travaille à Arpanet, notamment avec Vinton Cerf et Bob Kahn [4].

Au printemps 1972, Louis Pouzin, en tournée aux États-Unis, constate quelques «aspects insuffisamment pratiques d'Arpanet», ce qui amène Cyclade à introduire des fonctions supplémentaires et à en simplifier d'autres. «Les travaux de Pouzin nous ont beaucoup apporté, explique Vinton Cerf. Nous avons utilisé son système de contrôle de flux pour le protocole TCP/IP (1). C'était motivant de parler avec lui.» [5]. L'un des membres de l'équipe, Gérard Le Lann, rejoint Vinton Cerf à Stanford dès 1973, pour travailler sur le protocole TCP, qui voit le jour la même année[4].

Début 1974 sont mises en place des communications réseaux entre Cyclades, le réseau interne du National Physical Laboratory et le réseau Arpa[6], dont un nœud est en cours d’installation à l’University College of London. Des coopérations sont également montées avec l'Institut Polytechnique de Milan, l'Université de Waterloo (Canada), Datel (organisme mixte PTT allemands-constructeurs d'ordinateurs). La coopération de Cyclades avec l’étranger se fait également par l’intermédiaire des centres participants, comme la collaboration entre l’Ensimag (université de Grenoble) et le Canada[6], ou le réseau Dataroute a eu du succès et un projet de réseau entre universités confié à Terry Shepard et Doug Parkhill[7].

Deux concurrents

Cyclades faisait le choix technique de transmettre ses paquets indépendamment les uns des autres (sans souci de leur ordre d'arrivée), car ils étaient réassemblés au point de destination.

Un autre réseau qui sera développé parallèlement et au départ par les Postes et Télécommunications, Transpac, fait un choix plus conservateur : le chemin censé assurer un débit garanti au moment de la connexion (même si ce n'est pas le plus court), afin de permettre les conversations téléphoniques.

Le chemin reste figé jusqu'à la fin de la conversation il n'y a donc pas besoin de réassemblage. Le réseau est utilisé avec une moindre granularité : il véhicule une connexion au lieu d'un groupe de paquets.

Avantages obtenus en contrepartie :

  • moins de logiciel (pas besoin d'assembler les paquets à l'arrivée) même s'il faut en réalité des couches logicielles nouvelles pour la compatibilité informatique/télécom
  • une infrastructure de contrôle plus légère (il n'est pas très grave que la recherche du meilleur chemin prenne un peu de temps si on la fait une fois par connexion et non par paquet)

Inconvénients additionnels :

  • un nœud ne peut guère se permettre de lâcher une fois la communication établie. Elle serait alors perdue et à recommencer entièrement.

Pour schématiser grossièrement,

  • Transpac adopte une approche qui semble permettre les transferts de fichiers, et le traitement par lot (batch) avec peu d'interactivité ; il n'en sera pas moins utilisé ensuite par le Minitel et des terminaux ASCII, mais avec une forte consommation de ressourses (64 octets par caractère transmis, sauf pour le Minitel[8]).
  • Cyclades propose une plus grande souplesse et une plus grande possibilité d'interactivité au prix d'un besoin beaucoup plus important en protocoles de routage dynamique.

À peu près à la même époque, Najah Naffah a développé le "Terminal-Paquet", un IBM 3270 reprogrammé au niveau du micro-programme, pour gérer tous les protocoles de réseau jusqu’au niveau transport. Ses développeurs pouvant voir les séquences de caractères passant sur la ligne, pouvaient beaucoup plus facilement détecter les problèmes de protocole[9].

Dénominations successives

Au début, Louis Pouzin a appelé le réseau Mitranet, en référence à l'ordinateur Mitra 15 alors utilisé par l'IRIA[10], mais quelqu’un au ministère des Finances a dit « Ce n’est pas possible, Mitranet ce n’est pas un nom français »[9]. Du coup, Louis Pouzin l’a appelé "Cigale", car lors de la démonstration effectuée fin 73, "à tout le ban et l’arrière-ban, les ministres et cetera, on avait mis un haut-parleur sur la ligne, et quand il passait un paquet, ça faisait « creuh creuh »".

Mort de Cyclades

La première démonstration de Cyclades a eu lieu en 1972. Le réseau fut opérationnel en 1974, avec la participation et la coopération du CNET[11], qui a pourtant un parc de matériel différent, mais dès 1975 des choix politiques s'y opposent[12].

Louis Pouzin parvient à faire admettre l'idée de développer un réseau de paquets indépendant des PTT « sans qu'il en résulte des mesures de rétorsion notables de la part du CNET ». Mais l'élection de Valéry Giscard d'Estaing à la présidence de la République entraîne « une révision de la politique informatique », car au « cœur du problème » se trouve la « concurrence entre les deux grands groupes industriels de l'électronique, la CGE et Thomson CSF »[13].

Le financement du projet, pourtant modeste, a été définitivement arrêté en 1978, au motif qu'il entrait en concurrence avec Transpac. Le réseau Minitel passa donc par ce dernier, avec pour ses utilisateurs un coût plus élevé et le rationnement de l'accès aux données.

Cyclades avait pourtant été renforcée dès le début par la DSA de CII-Honeywell-Bull, architecture ouverte, conçue pour l'informatique distribuée en mettant en avant les mini-ordinateurs Mitra 15 puis Mini 6, face aux deux grandes architectures rivales, Decnet, de DEC, et SNA d'IBM, d'architectures propriétaires et centralisées. Le réseau Transpac a rendu la vie difficile à l'architecture DSA sur son propre territoire d'origine, la France.

Une argumentation inattendue

Il est en revanche surprenant de constater que dans les rapports remis à Hugues de l'Estoile et François Polge de Combret figuraient des indications présentant le fait que les paquets Cyclades arrivent en ordre quelconque (ce qui était parfaitement prévu) comme un « vice de conception » du système. Ceux de Transpac arrivant par construction même dans l'ordre de leur émission, ce système fut préféré. S'il est exact que cela permit de simplifier les points d'accès au réseau (points d'assemblage et désassemblage PAD', ou points d'accès vidéotex PAVi) en les dotant de moins de mémoire — très onéreuse à l'époque — le taux d'utilisation des lignes ne s'en trouvait en revanche pas amélioré, amenant à dépenser en cuivre ce qu'on économisait en silicium. L'évolution des coûts respectifs de chacun de ces deux ingrédients révèlera après coup ce choix malheureux sur le moyen terme.

Le choix à la lumière de la décennie 2000

En 2004, avec les baisses des coûts de lignes dues à la fibre optique - bien plus rapides (-80 % par an sur 1995-2005) que celle des composants silicium (-40 % par an)-, les avis sont en revanche partagés. Le taux d'erreurs sur ligne ayant diminué de trois ordres de grandeur, les contrôles permanents d'X.25 ne sont plus justifiés et ne subsistent en compétition que commutation par paquets et relais de trames simple.

L'infrastructure de Transpac a par ailleurs changé depuis cette époque, ce dernier réseau utilisant en interne du relais de trames demandant bien moins de contrôles intermédiaires (car la fiabilité des lignes a elle aussi nettement augmenté) et n'ayant conservé le X.25 que pour ses interfaces chez ses clients.

Protagonistes

Cyclades a été un projet pilote de l'IRIA (ancêtre de l'INRIA), conçu et dirigé par Louis Pouzin. Ce projet a mis en œuvre plusieurs techniques reprises peu après par Internet.

Les décideurs et préparateurs de son remplacement par Transpac ont été, outre Hugues de l'Estoile et François Polge de Combret, Jean-Claude Pelissolo et Michel d'Ornano.

Voir aussi

Notes et références

  1. a et b "How the Web was Born: The Story of the World Wide Web", par James Gillies, R. Cailliau, page 36 [1]
  2. Le Réseau Cyclades et Internet : quelles opportunités pour la France des années 1970 ?, par Valérie Schafer. Professeur agrégée, doctorante à l'Université de Paris IV-Sorbonne, Comité d'histoire du Ministère des Finances, Séminaire Haute Technologie du 14 mars 2007, page 2 [2]
  3. Le Réseau Cyclades et Internet : quelles opportunités pour la France des années 1970 ?, par Valérie Schafer. Professeur agrégée, doctorante à l'Université de Paris IV-Sorbonne, Comité d'histoire du Ministère des Finances, Séminaire Haute Technologie du 14 mars 2007, page 3 [3]
  4. a et b "Dans les coulisses de l'internet: RENATER, 20 ans de Technologie, d'Enseignement et de Recherche", par Valérie Schafer et Bernard Tuy, Éditions Armand Colin, 6 févr. 2013, page 1969 [4]
  5. Et la France ne créa pas l'Internet, par Laurent Mauriac et Emmanuèle Peyret, dans Libération du 27 mars 1998 [5]
  6. a et b Thèse de Valérie Schaffer
  7. “Un réseau d'un océan à l'autre”, récits et réalisations de ceux qui ont contribué à l'essor d'Internet au Canada,
  8. Le flux caractères Minitel accédait lui-même un PAVi - point d'assemblage vidéotex - qui les regroupait et les transmettait en mode paquet sur Transpac à chaque pression d'une touche débanalisée... y compris malheureusement la touche Correction !
  9. a et b "Du datagramme à la gouvernance de l’Internet" Entretien avec Louis Pouzin par Claudia Marinica et Marc Shapiro, dans le Bulletin de la société informatique de France – numéro du 6 juillet 2015, page 21 [6]
  10. "Du datagramme à la gouvernance de l’Internet" Entretien avec Louis Pouzin par Claudia Marinica et Marc Shapiro, dans le Bulletin de la société informatique de France – numéro du 6 juillet 2015, page 18 [7]
  11. "Cyclades, comment perdre un marché", dans La Recherche [8]
  12. "Histoire d'un pionnier de l'informatique: 40 ans de recherche à l'Inria", par Alain Beltran et Pascal Griset [9]
  13. Entretien avec Lousi Pouzin dans la Revue de l'électricité et de l'électronique" [10]

Lien interne

Bibliographie

Liens externes