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Cryoconite

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photo d'une crevasse dans un glacier dont les surfaces sont recouvertes de particules noires.
Cryoconite sur les bords d'une crevasse du Langjökull.
Trou à cryoconite au glacier Taylor. Cette poussière noire, en s'échauffant au soleil, crée un micro-lac de fonte, exemple de micro-modelé glaciaire ou nival.
Diagramme d'un glacier. Les trous à cryoconite se trouvent typiquement dans sa partie inférieure appelée zone d'ablation[1].

La cryoconite (du grec ancien cryos, « froid glacial » et konía, « poussière », terme inventé en 1872 par l'exploration finlandais A.E. Nordenskjöld lors de son expédition en 1870 pour étudier les glaciers du Groënland occidental[2]) est un dépôt de poussière soufflée par le vent, composée de particules minérales de roches (dont des cendres volcaniques), de matière organique (suie, micro-organismes morts) et de microbes, à la surface de la neige, des glaciers et des calottes glaciaires[3]. En raison de cette couleur foncée, la cryoconite absorbe la lumière du soleil qui est convertie en chaleur, ce qui fait fondre la glace où elle s'y enfonce en produisant des « trous à cryoconite » remplis d'eau[4] (trous cylindriques isolés ou disposés en série allongée, d'une profondeur allant jusqu'à 60 cm et d'une largeur de quelques cm, pouvant atteindre 1 m par le processus de coalescence ou pouvant être interconnectés par des canaux d'eau de fonte (en))[5]. La cryoconite contribue ainsi à accélérer la fonte du manteau neigeux et des glaciers himalayens et alpins[6],[7],[8]. Sur les glaciers stables, les trous à cryoconite peuvent persister 100 ans, servant ainsi de refuge biologique (en) durant les périodes de froid extrême[9].

Le biofilm bactérien recouvrant ce dépôt est dominé par les espèces psychrophiles photosynthétiques (principalement des cyanobactéries filamentauses fixatrices d'azote)[10] qui sont similaires à celles qui habitent les lacs glaciaires et les tapis microbiens adjacents des vallées sèches glaciaires, ce qui suggère que ces derniers en soient la source et qu'elles adoptent les mêmes stratégies de résistances dans ces écosystèmes différents[11]. Il inclut aussi des virus, des algues vertes, des diatomées, des microchampignons (levures), et des microinvertébrés (tardigrades, rotifères, nématodes dont certaines espèces sont en activité, d'autres en dormance)[12],[13].
Ces espèces photosynthétiques retrouvées dans les trous à cryoconite seraient le principal contributeur à la productivité primaire et au recyclage biogéochimique des éléments des glaciers au sein de la cryosphère[3]. En produisant des biofilms, elles forment des niches écologiques et des micro-habitats favorables dans des conditions environnementales hostiles, abritant ainsi des concentrés de biodiversité. La cryoconite peut donc être considérée comme un hotspot glaciaire de biodiversité microbienne, c'est-à-dire une zone de biodiversité riche mais menacée par le réchauffement climatique[14].

Notes et références

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  1. (en) Lars Ganzert, Susanne Liebner, Microbial Life in the Cryosphere and Its Feedback on Global Change, De Gruyter, , p. 221
  2. (en) AEI Nordenskiöld, « Account of an expedition to Greenland in the year 1870 », Geological Magazine, vol. 9, no 100,‎ , p. 289
  3. a et b (en) Asim K. Bej, Jackie Aislabie, Ronald M. Atlas, Polar Microbiology. The Ecology, Biodiversity and Bioremediation Potential of Microorganisms in Extremely Cold Environments, Taylor & Francis, , p. 99
  4. Ce phénomène de fonte différentielle de la glace soumise aux variations de l'albédo en fonction des caractéristiques physiques de la surface, est à l'origine aussi du cône de glace et de la table glaciaire, pseudo-cheminée de fée, ou de la glace morte recouverte de débris morainiques. Cf Amédée Zryd, Les glaciers, Pillet, , p. 61
  5. (en) Pietro Buzzini, Rosa Margesi, Cold-adapted Yeasts. Biodiversity, Adaptation Strategies and Biotechnological Significance, Springer Berlin Heidelberg, , p. 66
  6. (en) Martin Sharp, John Parkes, Barry Cragg, Ian J. Fairchild, Helen Lamb, Martyn Tranter, « Widespread bacterial populations at glacier beds and their relationship to rock weathering and carbon cycling », Geology, vol. 27, no 2,‎ , p. 107–110 (DOI 10.1130/0091-7613(1999)027<0107:WBPAGB>2.3.CO;2)
  7. (en) Nozomu Takeuchi, Shiro Kohshima & Katsumoto Seko, « Structure, Formation, and Darkening Process of Albedo-reducing Material (Cryoconite) on a Himalayan Glacier: A Granular Algal Mat Growing on the Glacier », Arctic, Antarctic, and Alpine Research, vol. 33, no 2,‎ , p. 115-122 (DOI 10.1080/15230430.2001.12003413)
  8. (en) Rosa Margesin, G. Zacke & F. Schinner, « Characterization of Heterotrophic Microorganisms in Alpine Glacier Cryoconite », Arctic, Antarctic, and Alpine Research, vol. 34, no 1,‎ , p. 88-93 (DOI 10.2307/1552512)
  9. (en) D.R. Mueller, W.F. Vincent, Wayne H. Pollard, McGill University, Christian Fritsen, « Glacial cryoconite ecosystems: A bipolar comparison of algal communities and habitats », Nova Hedwigia Beihefte, vol. 123, no 1,‎ , p. 173-197
  10. Ces cyanobactéries dominent dans les environnements aquatiques et sédimentaires glaciaires, tandis que les eucaryotes des ordres des Zygnematales et Chlamydomonadales (notamment les algues des neiges) Zygnematales et Chlamydomonadales dominent sur les surfaces nues de glace et de neige. Cf (en) Alexandre M Anesio, Stefanie Lutz, Nathan A M Chrismas, Liane G Benning, « The microbiome of glaciers and ice sheets », NPJ Biofilms Microbiomes, vol. 3, no 10,‎ (DOI 10.1038/s41522-017-0019-0)
  11. (en) John C. Priscu, Brent C. Christner, « Earth's Icy Biosphere », dans Alan T. Bull (dir.), Microbial Diversity and Bioprospecting, ASM Press, , p. 130-145
  12. (en) Andrew Fountain, Martyn Tranter, Thomas Nylen, Karen J. Lewis, « Evolution of cryoconite holes and their contribution to meltwater runoff from glaciers in the McMurdo Dry Valleys, Antarctica », Journal of Glaciology, vol. 50, no 168,‎ (DOI 10.3189/172756504781830312)
  13. (en) Andy Hodson, Alexandre M. Anesio, Martyn Tranter, Andrew Fountain, Mark Osborn, John Priscu, Johanna Laybourn-Parry & Birgit Sattler, « Glacial Ecosystems », Ecological Monographs, vol. 78, no 1,‎ , p. 41-67 (DOI 10.1890/07-0187.1)
  14. (en) Eva Bellemain, Marie L Davey, Håvard Kauserud, Laura S Epp, Sanne Boessenkool, Eric Coissac, Jozsef Geml, Mary Edwards, Eske Willerslev, Galina Gussarova, Pierre Taberlet, James Haile, Christian Brochmann, « Fungal palaeodiversity revealed using high-throughput metabarcoding of ancient DNA from arctic permafrost », Environ. Microbiol., vol. 15, no 4,‎ , p. 1176-1189 (DOI 10.1111/1462-2920.12020)

Bibliographie

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  • Michel Brochu, « Les trous à Cryoconite du Glacier Gilman (Nord de l'Ile d'Ellesmère) », Alfred Wegener Institute for Polar and Marine Research & German Society of Polar Research,‎ , p. 32-44 (lire en ligne).
  • (en) Robert A. Wharton, Jr., Christopher P. McKay, George M. Simmons, Jr. & Bruce C. Parker, « Cryoconite Holes on Glaciers », BioScience, vol. 35, no 8,‎ , p. 499-503 (DOI 10.2307/1309818)

Articles connexes

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