Conseil des ministres des Affaires étrangères

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Le Conseil des ministres des Affaires étrangères (CMAE) est une instance diplomatique instituée par les « Trois Grands »[a] lors de la conférence de Potsdam. Le CMAE comprend les ministres des Affaires étrangères représentant les cinq principales puissances, la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et l'Union soviétique. L'objectif assigné à cette instance est de continuer le travail préparatoire nécessaire aux règlements de paix et de traiter toutes autres questions qui pourraient, de temps à autre, être déférées au conseil par accord entre les gouvernements parties à ce conseil.

Le CMAE a essentiellement fonctionné entre 1945 et 1949, soit durant la période d'occupation complète de l'Allemagne jusqu'à sa division. Trois sessions additionnelles eurent lieu entre 1954 et 1959[1].

Dispositions de la conférence de Potsdam[modifier | modifier le code]

Les dispositions de la conférence de Potsdam relatives à la création du conseil des ministres des Affaires étrangères couvrent les objectifs et les modalités pratiques de ses réunions. L'article I du protocole de la conférence est consacré au CMAE[2].

Objectifs[modifier | modifier le code]

Selon le texte du protocole : « À titre de tâche immédiate et importante, le conseil sera autorisé à élaborer, en vue d'être soumis aux Nations Unies, des traités de paix avec l'Italie, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie et la Finlande et à proposer des règlements aux questions territoriales pendantes au moment où se terminera la guerre en Europe ».

En outre, « le conseil sera employé à préparer un règlement de paix pour l'Allemagne en vue de son acceptation par le gouvernement de l'Allemagne lorsqu'un gouvernement approprié sera établi ».

Modalités[modifier | modifier le code]

Les modalités des sessions sont très souples. Le protocole prévoit que « le conseil devra normalement se réunir à Londres, qui sera le siège permanent de son secrétariat commun ». En pratique, les réunions se tiendront à tour de rôle dans un des États membres.

Pour l'élaboration des projets de traité de paix, « le conseil sera composé de membres représentant les Etats qui furent signataires des conditions de reddition imposées à l'Etat ennemi en cause. Pour le règlement de paix avec l'Italie la France sera considérée comme une signataire des conditions de reddition pour l'Italie. D'autres membres seront invités à participer lorsque des questions les concernant directement seront discutées ».

Historique des réunions[modifier | modifier le code]

Le tableau ci-dessous liste toutes les réunions des ministres des Affaires étrangères des Quatre puissances[a] durant la guerre froide.

Sessions de 1945 à 1949[modifier | modifier le code]

Un premier cycle de sessions du CMAE se déroule de à . Chacune de ces six sessions se déroule durant plusieurs semaines, tant sont nombreux les sujets de désaccord entre les anciens Alliés de la Seconde Guerre mondiale et parfois la volonté de faire traîner en longueur les négociations.

Les ministres et leurs adjoints négocient en liaison avec leur chef d'État ou de gouvernement. L'examen de la correspondance entre Molotov et Staline montre que Staline exerce un contrôle très étroit sur son loyal ministre dont l'habileté est pourtant réelle[3].

Tel que défini par le protocole de Potsdam[2], le CMAE rassemble les cinq puissances, par ailleurs membres du Conseil de sécurité des Nations unies. Mais la question de savoir quels pays doivent participer à quelles négociations de paix est posée par les Soviétiques lors de la première session et de la session dite « intérimaire » qui suit. Finalement, les négociations relatives au règlement de la guerre en Asie sont séparées, et le CMAE devient dès le début de 1946 l'enceinte de négociation de la paix en Europe par les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et l'URSS.

Les sessions du CMAE sont principalement consacrées à l'élaboration des traités de paix entre les Alliés et les nations belligérantes alliées au Troisième Reich en Europe — la Bulgarie, la Finlande, la Hongrie, l'Italie et la Roumanie — ainsi que l'Autriche et l'Allemagne elle-même. Les modalités de la paix avec ces deux derniers pays sont particulières. L'Autriche a été annexée par le Reich et n'est donc pas à proprement parler un pays belligérant ; aussi le traité à conclure portera le nom de traité d'État. Pour autant, l'Anschluss n'empêche pas que l'Autriche soit considérée comme un pays hostile, qui sera occupé durablement par les Alliés, et auquel des conditions de paix dures sont imposées[4].

L'Allemagne est un cas encore plus complexe, puisque selon la volonté des Alliés à Potsdam il n'existe plus de gouvernement central allemand avec lequel négocier. Cette situation particulière à pour effet de repousser dans le temps les discussions sur le traité de paix proprement dit, et de focaliser les négociations sur les modalités d'occupation de l'Allemagne décidées par les Alliés mais dont la mise en œuvre se révèle complexe tant la situation du pays et sa population est dramatique et tant sont différends les objectifs réellement poursuivis par les Alliés derrière les accords généraux ou de façade conclus à Potsdam.

Le CMAE atteint le premier objectif qui lui a été assigné : les traités de paix avec l'Italie, la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie et la Finlande sont signés le [5]. En revanche, les quatrième et cinquième sessions qui se tiennent en 1947 consacrent la rupture entre les trois puissances occidentales et l'URSS[6]. Aucun accord ne se dessinant concernant l'occupation de l'Allemagne et son avenir, les Occidentaux prennent une série d'initiatives que Staline va tenter de contrer en instaurant un blocus de Berlin-Ouest à partir du . Grâce au pont aérien, le blocus échoue et les Russes se résignent à le lever le en contrepartie de la tenue d'une nouvelle session du CMAE à Paris en mai et [7].

Cette sixième session s'achève sur un constat d'échec complet. Le communiqué final acte « qu'aucun accord n'a pu être trouvé concernant la restauration de l'unité économique et politique de l'Allemagne », mais précise que la levée du blocus demeure en vigueur et que les consultations doivent se poursuivre et qu'une nouvelle session du CMAE sera organisée[8].

En pratique, la rupture est complète. La guerre de Corée incite les Américains à renforcer leur présence militaire en Europe et à structurer la défense de l'Europe occidentale autour de l'OTAN. La guerre froide atteint son apogée et les négociations relatives à l'Allemagne et l'Autriche sont figées jusqu'à la mort de Staline le .

Conférence Ordre du jour Date ouverture Date de fin
Première réunion du CMAE
à Londres[9]
* Discussion préliminaire des dispositions relatives aux traités de paix, notamment avec l'Italie ;
* Demande de l'URSS d'exclure la France et la Chine.
Conférence intérimaire du CMAE
à Moscou
[10]
Session entre les États-Unis, l'URSS et la Grande-Bretagne, sans la France et la Chine ;
* Accord sur les modalités de préparation des traités de paix avec cinq pays ;
* Accord sur les modalités de paix en Extrème-Orient ;
* Accord sur l'établissement d'une Commission de contrôle de l'énergie atomique à l'ONU.
Seconde réunion du CMAE
à Paris
(première partie)[11]
* Progrès sur les dispositions du traité de paix avec l'Italie ;
* Proposition américaine d'un traité intérimaire de désarmement de l'Allemagne pendant 25 ans, rejetée par les Russes.
Seconde réunion du CMAE
à Paris
(deuxième partie)[11]
* Nouveaux progrès sur les traités de paix avec l'Italie et d'autres pays ;
* Aucun terrain d'accord sur l'Allemagne et l'Autriche, refus soviétique d'établissement d'agences centrales allemandes pour unifier les quatre zones d'occupation sur le plan économique.
Conférence des vingt-et-une nations
à Paris
Préparation des projets de traités de paix avec l'Italie, la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie et la Finlande en présence de tous les belligérants de la Seconde Guerre mondiale en Europe.
Troisième réunion du CMAE
à New-York[12]
Accord sur les traités de paix avec l'Italie, la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie et la Finlande.
Signature des traités de paix
à Paris
[5]
Signature des traités de paix avec l'Italie, la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie et la Finlande.
Quatrième CMAE
à Moscou
[13],[6]
Pas d'accord sur les sujets discutés relatifs à l'Allemagne et l'Autriche :
* Allemagne, questions économiques : production de charbon, unité économique, réparations ;
* Allemagne, questions politiques : établissement d'un gouvernement central, statut de la Ruhr, frontières, procédure d'établissement du traité de paix ;
* Traité de désarmement de l'Allemagne ;
* Traité avec l'Autriche.
Cinquième CMAE
à Londres
[14],[6]
Pas d'accord sur les sujets discutés relatifs à l'Allemagne et l'Autriche :
* Frontières de l'Allemagne, formation d'une commission chargée de cette question, intégration économique de la Sarre dans la France ;
* Traité de paix avec une Allemagne unie, formation d'un gouvernement central allemand ;
Réparations prélevées par l'URSS en Allemagne ;
* Projet de traité avec l'Autriche.
Sixième CMAE
à Paris[8]
* Question allemande, sans accord ;
* Traité avec l'Autriche : accord sur les frontières, les réparations et diverses dispositions.

Sessions de 1954 et 1955[modifier | modifier le code]

La nouvelle direction collégiale soviétique, emmenée par Khrouchtchev et Malenkov, accepte la proposition occidentale de reprise des négociations entre les quatre puissances sur les questions allemande et autrichienne. Une nouvelle session du CMAE s'ouvre à Berlin le , quatre ans et demi après la clôture de la session précédente à Paris[15].

Américains et Soviétiques souhaitent malgré tout poursuivre le dialogue et s'accordent sur la tenue d'un sommet à Genève en juillet 1955 des quatre chefs d'État. Afin qu'il se déroule sous les meilleurs auspices, les discussions reprennent sur le traité d'État autrichien. Après des mois de négociations, une session du CMAE s'ouvre le à Genève et se conclut par la signature du traité le [4].

Le sommet des chefs d'État traduit une volonté de reprise de relations diplomatiques apaisées davantage qu'il ne se traduit par des résultats concrets[16]. L'embellie sera de courte durée. Décidée lors de ce sommet, la session du CMAE qui se tient de nouveau à Genève en octobre et ne débouche sur rien de concret[17].

Conférence Ordre du jour Date ouverture Date de fin
CMAE à Berlin[15] Asie du Sud-Est : accord sur la convocation d'une conférence à Genève sur la Corée et l'Indochine ;
Sécurité en Europe, Allemagne et Autriche : aucun accord.
CMAE à Genève[4] Traité d'État autrichien : ultimes négociations et signature du traité.
CMAE à Genève[18],[19] Sécurité en Europe et unité de l'Allemagne : aucun accord ;
Désarmement : aucun accord ;
Développement des relations Est-Ouest : aucun accord.

Sessions liées à la crise de Berlin et au règlement définitif de l'Allemagne[modifier | modifier le code]

À partir de 1956, en Union soviétique, Khrouchtchev s'impose clairement comme l'homme fort du régime et s'engage dans une politique extérieure de défi à l'égard des États-Unis, dont la crise de Berlin ouverte en 1958 est avant la crise de Cuba la manifestation la plus spectaculaire. La division de l'Allemagne et l'instauration de la RFA et de la RDA ne mettent pas fin aux droits des « Quatre puissances » sur l'Allemagne et en particulier à Berlin qui reste divisée en zones et occupée. Pourtant, Khrouchtchev tente une manœuvre pour prendre le contrôle entier de Berlin. exige le départ des troupes occidentales dans les six mois et propose d'abroger le statut quadripartite de l'ancienne capitale du Reich, pour transformer Berlin en une « ville libre » démilitarisée, dotée d'un gouvernement propre garanti par les quatre puissances ex-occupantes, la RDA, la RFA, voire l'ONU[20].

Après de nombreux échanges diplomatiques, les Soviétiques acceptent la proposition occidentale de tenue d'une CMAE, avec la participation de « Conseillers allemands » de l'une et l'autre République allemande, qui s'ouvre le à Genève. Après vingt-cinq réunions plénières, la conférence est ajournée le 5 août, sans qu'un accord soit trouvé[21]. Le mur de Berlin est érigé en 1961, mais le statu quo concernant Berlin-Ouest ne s'en trouve pas modifié.

Dix ans plus tard, la détente Est-Ouest s'installe et le chancelier allemand Willy Brandt mène son Ostpolitik qui conduit à une normalisation des relations entre la RFA et la RDA. C'est dans ce contexte favorable qu'ont lieu les longues négociations sur le règlement définitif de la situation de Berlin-Ouest. L'accord quadripartite est signé le au niveau des ambassadeurs, mais dont la ratification doit avoir lieu en CMAE. Il fait partie d'un « paquet » plus large qui inclut le traité de Moscou entre la RFA et l'URSS et le traité de Varsovie entre la Pologne et la RFA. La ratification de ces trois textes intervient simultanément le [22],[23].

Conférence Ordre du jour Date ouverture Date de fin
CMAE à Genève[21] Aucun accord n'est trouvé sur les sujets à l'ordre du jour :
* Traité de paix avec l'Allemagne ;
* Questions spécifiques concernant Berlin.
CMAE à Berlin[22] Signature et entrée en vigueur immédiate de l'accord quadripartite sur Berlin
CMAE + RFA et RDA à Bonn Négociation et signature du traité portant règlement définitif concernant l'Allemagne

Les diplomates et ministres des Affaires étrangères membres du CMAE vont se retrouver une dernière fois en 1990 pour mettre fin définitivement aux droits et responsabilités des Quatre Puissances relatifs à Berlin et à l'Allemagne dans son ensemble issus des accords de Potsdam[24],[25].

Notes[modifier | modifier le code]

  1. a et b Les « Trois Grands » désignent durant la Seconde Guerre mondiale les États-Unis, le Royaume-Uni et l'URSS. Ensuite, durant la guerre froide, les « Quatre puissances » désignent le plus souvent les puissances occupantes de l'Allemagne, c'est-à-dire les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et l'Union soviétique ; l'expression les « Trois puissances occidentales » désigne les États-Unis, la France et le Royaume-Uni.

Sources[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. (en) « Foreign Ministers, Council of », sur Columbia Encyclopedia, (consulté le )
  2. a et b Protocole de la conférence de Potsdam, 1945
  3. (en) « Foreign Policy Correspondence Between Stalin and Molotov And Other Politburo Members, September 1945-December 1946 », sur Wilson Center, (consulté le )
  4. a b et c « La reconnaissance de l'indépendance autrichienne », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  5. a et b « Il y a quarante ans La signature des traités de paix de Paris », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  6. a b et c Foreign Relations of the United States, 1947, Council of Foreign Ministers; Germany and Austria, Volume II
  7. (en) « The Jessup-Malik conversations, March15-May4, 1949 - Document 377 », sur U.S. Department of State - Office of the Historian
  8. a et b Sixth meeting of CFM - Communique, June 20, 1949
  9. First meeting of the Council of Foreign Ministers
  10. Interim meeting of Foreign Ministers
  11. a et b Second meeting of the Council of Foreign Ministers
  12. Third meeting of the Council of Foreign Ministers
  13. Fourth meeting of the Council of Foreign Ministers
  14. Fifth meeting of the Council of Foreign Ministers
  15. a et b The Berlin Conference, January 25–February 18, 1954
  16. (en) « Meeting of the Heads of Government (Summit Conference) of the United States, the United Kingdom, France, and the Soviet Union at Geneva, July 18–23, 1955 », sur U.S. Department of State - Office of the Historian
  17. The Geneva Meeting of Foreign Ministers, October 27-November 16,1955, Quadripartite Communiqué, November 16, 1955, p. 305
  18. (en) « Directive of the Heads of Government of the Four Powers to the Foreign Ministers », sur U.S. Department of State - Office of the Historian,
  19. Meeting of Four Powers Ministers of Foreign Relations, Geneva, October 1955
  20. (en) « The Berlin Ultimatum (texte) », sur German History in Documents and Images, Site
  21. a et b Conference of the Foreign Ministers of the United States, the United Kingdom, France, and the Soviet Union at Geneva May 11–August 5, 1959
  22. a et b Jean Wetz, « L'accord des Quatre est signé à Berlin - M. Gromyko se rend en visite à Bonn », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  23. Marie-Aude Bonniel, « 3 septembre 1971 : l'accord quadripartite est signé à Berlin », Le Figaro,‎ (lire en ligne)
  24. « L'Allemagne unie et souveraine La signature à Moscou de l'accord " 2 + 4 " marque le début d'un nouvel ordre européen, sans vainqueurs ni vaincus », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  25. « Le traité mettant fin aux droits des alliés en Allemagne a été signé L'unité et la souveraineté au service de la paix », Le Monde,‎ (lire en ligne)

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Compléments[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]