Cadastre napoléonien

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Description jusque-là méconnue des branches de l'aqueduc à Fondurane dans le cadastre napoléonien (AD-83)

Le cadastre napoléonien ou ancien cadastre ou plan cadastral de 1812 est un cadastre parcellaire unique et centralisé, institué en France par la loi du , à partir du « cadastre-type » défini le . Rassemblant dans une carte homogène une centaine de millions de parcelles [1], c'est le premier outil juridique et fiscal, permettant d’imposer équitablement les citoyens aux contributions foncières.

Succédant aux plans terriers très hétérogènes dans leurs présentations et même dans leurs unités de mesure, il fut levé par les méthodes de l'arpentage et fut révisé par la loi du .

Mise en place du cadastre napoléonien[modifier | modifier le code]

Le régime instauré par Napoléon Ier — le Premier Empire — qui dura un peu plus de dix ans de 1804 à 1815, se caractérise par l’émergence d’un État fort et centralisé propice à la modernisation tous azimuts des différentes structures de l’administration.

Parmi les principales réalisations que l’on doit à Napoléon figure le Code civil, ainsi que ce qu’il voyait lui-même comme son complément indispensable : le plan cadastral. C’est pourquoi on appelle « cadastre napoléonien » les versions les plus anciennes du cadastre, qui est toujours utilisé de nos jours.

Il faut remonter aux premières années de la Révolution française pour trouver les prémices de ce qui a donné naissance au cadastre d'aujourd’hui ─ en dehors du cadastre parcellaire de certaines provinces méridionales, comme le Languedoc, établi dès le règne de Louis XVI, et qui était très en avance sur le reste du pays.

Le , l’Assemblée constituante vote une loi qui fixe le principe de la « contribution foncière », c’est en quelque sorte l’acte de naissance d’un impôt foncier qui se veut avant tout « égalitaire », c'est-à-dire proportionnel au revenu de chaque paroisse dans un premier temps, puis, plus tard, au revenu de chaque citoyen.

Le principe étant posé, reste à créer un outil destiné à inventorier et évaluer pour chaque commune sa quote-part de contribution : c'est chose faite l’année suivante, en , avec le vote d’une loi qui fixe les modes d’exécution des plans des communes. Il s’agit de concevoir un cadastre général qui aurait pour base les grands triangles de la carte de l’Académie des sciences[2].

Carte de Cassini (XVIIIe) de Paris[3].

À son origine, le plan cadastral était donc perçu comme une sorte de « cartographie de base » de tout le territoire de la République avec une double fonction : d’une part établir un montant de contribution foncière pour chaque commune, et d’autre part, décrire en détail un territoire national qui s’agrandit d’année en année. À cette époque, le seul document cartographique général à disposition de l’administration est la carte de Cassini qui vient tout juste d’être nationalisée et dont le principal mérite est le positionnement exact de l’ensemble des paroisses de l’ancien régime, mais qui malheureusement n'en précise pas chacune des limites.

Avant toute chose, des « travaux préparatoires » ont dû être lancés : il s’agit essentiellement de la délimitation précise des communes en utilisant un nouveau système de mesure, qui sera matérialisé par un étalon unique : le mètre.

À cet effet, deux astronomes de renom, Jean-Baptiste Delambre et Pierre Méchain, sont mandatés par l’Académie des sciences pour mesurer la longueur du méridien de Paris entre Dunkerque et Barcelone en reliant ces deux villes par une chaine de triangles. En pleine terreur révolutionnaire, ces deux scientifiques parcourront la France pour mener à bien leur mission. Ils réaliseront une triangulation en effectuant parfois des visées entre des points espacés de plus de 50 km. De ces mesures découle la longueur de la 1/10 000 partie du quart de méridien terrestre : ce sera la 1re définition du mètre.

Les travaux ainsi réalisés serviront de véritable « colonne vertébrale » à une triangulation générale du pays sur laquelle, lorsqu’elle sera suffisamment densifiée, s’inscrira l’ossature des plans cadastraux.

Ainsi, la notion de « géoréférencement » des plans avait été identifiée dès l’origine.

Le temps passe… L’instabilité politique est peu propice à l’avancement des levés cadastraux. Sous le Consulat, en 1802, une loi est votée pour accélérer considérablement les travaux car l’urgence est à la perception des recettes fiscales.

Pour gagner du temps, il est décidé que le cadastre sera établi par « masses de culture ». Il s’agit, ni plus ni moins, d’un inventaire des natures de culture sur toute une commune. Il n’est alors nullement question d’identifier individuellement chaque propriétaire.

Toujours dans un souci de rapidité, il est acté que seules 1 800 communes (une ou deux par arrondissement) seront cadastrées. Sur ces communes un arpentage des terres sera réalisé de façon à permettre l’évaluation des revenus par masse de terrain soumise chacune à une même nature de culture. Il restera ensuite à extrapoler les revenus obtenus aux autres communes d’un même département.

Un an plus tard, en 1803, une loi étend ce type de cadastre à tout le territoire. Les plans « par masse de culture » qui sont parvenu sont des outils très prisés. Réalisés en couleurs, ils décrivent le territoire d’une commune : le découpage en section, la toponymie, les voies, le bâti (plus ou moins détaillé), l’hydrographie, mais toutefois sans les parcelles.

En 1807, soit trois ans après l'instauration du Premier Empire, le territoire français s’agrandit et atteint bientôt 130 départements.

Le , sous l’impulsion du ministre des Finances Martin Michel Charles Gaudin, alors que les travaux des cadastres par « masse de culture » sont parfois bien avancés, une nouvelle loi impose l’abandon des travaux et un changement de méthode : désormais, un cadastre parcellaire unique et centralisé est instauré pour toutes les communes de l’Empire. Tout est donc à refaire.

« [Il faut] confectionner, pour chaque commune, un plan où sont rapportées [les parcelles], [puis] les classer toutes d’après le degré de fertilité du sol [et] évaluer le produit imposable de chacune d’elles ; [enfin] réunir au nom de chaque propriétaire les parcelles éparses qui lui appartiennent ; déterminer, par la réunion de leur produit, son revenu total et faire de ce revenu un allivrement qui sera désormais la base de son imposition... »

— Extrait de la loi du

Ainsi est né le cadastre tel que nous le connaissons aujourd’hui : un plan décrit des parcelles, chaque parcelle dispose d’un revenu fiscal et est rattaché à un propriétaire. Ces sortes de « données attributaires » sont consignées dans un allivrement que l’on nomme aujourd’hui « matrice cadastrale ».

En 1811, est publié un recueil méthodique qui compile toutes les loi, décrets, règlements, instructions et décisions sur le cadastre de la France. Cet ouvrage est une sorte de « mode d’emploi » pour l’établissement des plans cadastraux. Une large part est consacrée aux opérations techniques ce qui en fait aujourd’hui encore un ouvrage de référence sur le sujet qui a même inspiré d’autre pays dans le monde pour la mise en place de leur système cadastral.

Il faudra attendre un peu plus de quarante ans, la chute de l’Empire, le passage de trois rois et l‘avènement de la deuxième République pour que presque toutes les communes de France soient cadastrées. Si on met de côté le comté de Nice, la Corse et la Savoie qui seront cadastrés ultérieurement, il subsiste toujours en 2021 deux communes insulaires non cadastrées, toutes deux situées dans le Finistère : ainsi les habitants de l’Île de Sein et de l’Île de Molène ne paient pas d’impôt foncier et doivent cette situation particulière à Louis XIV qui ne souhaitait pas imposer les habitants de ces deux iles en compensation des dures conditions climatiques qu’ils enduraient.

En 1848 donc, toute la France est cadastrée. A un niveau plus général, on prépare la production d'une grande carte levée par le corps des officiers de l’état-Major que l’on appelle communément « Carte d’état-major ». Il est à remarquer que pour l’établissement de la planimétrie, ce monument de la cartographie française s’appuie en très grande partie sur l’exploitation directe des plans cadastraux et de leurs tableaux d’assemblage.

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle peu d’évènements notables se produisent si ce n’est l’évolution des techniques et des instruments de mesure. Au fil des décennies, un sujet émerge toutefois : la question de la mise à jour du cadastre. Il n’avait jamais été prévu d'actualiser ce plan. Cela était même illégal, seules quelques entorses à la règle ont eu cours pour pallier des situations particulières, par exemple la prise en compte des modifications des limites de communes. La règle consistait alors à maintenir à jour les matrices cadastrales sans jamais toucher au plan. Cette volonté d'immobilisme s’expliquait principalement en raison du coût que cela aurait supposé… le plan cadastral n’étant qu’un document fiscal, l'administration ne voyait pas d’intérêt à suivre graphiquement l’évolution des propriétés[4].

Utilisations contemporaines[modifier | modifier le code]

Cadastre napoléonien de Blagnac en 1809.

Tout comme les anciennes cartes d'État-Major, il reste très régulièrement consulté par les historiens, les toponymistes (qui y retrouvent des éléments intéressants de microtoponymie[5], les archéologues[6], les urbanistes, les architectes et les paysagistes notamment ceux spécialisés dans le patrimoine, des écologues (par exemple, pour cartographier la forêt ancienne[7], lire le tracé hydrographique ancien ou pour mieux comprendre un maillage bocager[8], dresser des indices de biodiversité potentielle |résumé[9] ou expliquer certaines variances de fertilité de sols agro-forestiers[10]), des climatologues qui l'utilisent (par exemple) pour mesurer le recul des glaciers depuis 1850[11], par les géographes qui étudient (par exemple) l'évolution historique récente de l'habitat rural[12] et de l'occupation des sols[13] et même les écologues qui y recherchent des informations utiles à l'écologie rétrospective, (par exemple) pour la restauration de la trame verte et bleue instituée par le Grenelle de l'environnement et les lois Grenelle[14] ; ainsi, le cadastre napoléonien a pu confirmer qu'à l'époque où il a été constitué certains départements étaient déjà très intensivement exploités par l'agriculture, l'élevage et la forêt, ou construits (par exemple dans le département du Nord, lors de la répartition du sol des 650 communes du département pour le cadastre, les marais et les friches ne constituent déjà plus que 1,31 % des sols en moyenne[15]). Il permet aussi de retrouver où étaient les zones humides (déjà relictuelles)[16] et comment l'eau était gérée[17] et les cours d'eau aménagés[18].

Ce n’est qu’au début du XXe siècle que le besoin de mise à jour du plan se fait cruellement sentir : l’industrialisation du pays, le développement des faubourgs, l’essor fulgurant du chemin de fer, l’amélioration des routes et bientôt les dommages de la Première Guerre mondiale sont autant d’évènements qui remodèlent considérablement le territoire, ce qui in-fine « désynchronise » le plan cadastral avec la réalité du terrain.

Diverses procédures d’actualisation du plan sont imaginées et mises en œuvre durant l’entre-deux-guerres. C’est aussi à cette époque que l’on commence à suivre l’évolution des parcelles avec ce que l’on appelle alors des « croquis de conservation » et « croquis d’arpentage ». D’autres procédures d’actualisation du plan feront leur apparition dans les années 1940-50. C’est ainsi que l’on parle de plans cadastraux « mis à jour » « rénovés », « renouvelés », « remaniés ». Parfois il s’agit d’actualiser des plans qui peuvent dépasser cent ans âge.

En 1956, est créée la Conservation Cadastrale qui instaure enfin un suivi rigoureux et systématique des parcelles cadastrales : division / réunion, tout est consigné sur plan et les filiations conservées sous forme littérale. C’est donc de 1956 que date le mode de gestion du plan cadastral que nous connaissons aujourd’hui.

Carte 100 000 Petit Format (XXe) [3] de Paris

Dans les années 1950 à 1980 une autre procédure de « mise à jour » est élaborée pour répondre aux enjeux de modernisation et de mécanisation de l’agriculture, à savoir la procédure remembrement qui permet de « refondre » complément le parcellaire de tout ou partie d’une commune.

À la fin des années 1980 le plan cadastral entame sa dématérialisation. Des sociétés privées ont contribué à vectoriser les quelque 99 millions de parcelles que compte le pays. Cette vectorisation n’est toujours pas achevée à ce jour mais devrait l’être dans 2 ans[Quand ?].

En 2021, le plan cadastral est utilisé pour bien d’autres usages que la fiscalité. Par exemple, il sert souvent de base pour l’établissement des documents d’urbanisme et plus largement pour servir de canevas à la définition de zonages réglementaires[4].

Au XXIe siècle, de nouveaux enjeux émergent concernant l’évolution du plan cadastral : la 3D, la parcellisation du domaine public[4]…Des outils récents comme la vectorisation informatique[19] et les Systèmes d'information géographique (SIG) peuvent encore enrichir son étude et les services qu'il rend[20],[21].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Clergeot, P. (2007). Cent millions de parcelles en France: 1807, un cadastre pour l'Empire. Publi-Topex.
  2. « L'histoire cadastre de Napoléon à Macron » (consulté le )
  3. a et b « Mon Territoire », sur open.monterritoire.fr (consulté le )
  4. a b et c « Open Mon Territoire », sur www.monterritoire.fr (consulté le )
  5. ex : Braidy, É., & Tamine, M. (2002). Corpus microtoponymique de la Marne: cadastre" napoléonien". Parc Naturel Régional de la Montagne de Reims.
  6. Baptiste, G. (1993). Le Cadastre napoléonien comme source pour l’archéologie et l’histoire de l’art. Revue d’archéologie moderne, 93-124.
  7. Dupouey J.L, Bachacou J, Cosserat R, Aberdam S, Vallauri D, Chappart G & Corvisier de Villèle M.A (2007). Vers la réalisation d’une carte géoréférencée des forêts anciennes de France. Le Monde des Cartes, 191, 85-98.
  8. Watteaux M (2005). Sous le bocage, le parcellaire... Études rurales, (3), 53-80.
  9. Larrieu L & Gonin P (2008). L’indice de biodiversité potentielle (ibp): une méthode simple et rapide pour évaluer la biodiversité potentielle des peuplements forestiers.
  10. Koerner, W. (1999). Impacts des anciennes utilisations agricoles sur la fertilité du milieu forestier actuel|résumé.
  11. Jomelli, V., Bertran, P., & Kunesch, S. (2002). Le cône de la Momie: un nouveau type de dépôt proglaciaire mis en place depuis la fin du Petit Age Glaciaire.[The Momie cone: a new type of proglacial deposit constituted since the end of the Little Ice Age]. Quaternaire, 13(3), 257-265.
  12. Mallé, M. P. (1987). Maisons du nord des Hautes-Alpes. L'habitat rural entre histoire et tradition. Terrain. Anthropologie & sciences humaines, (9), 60-71.
  13. Fabre, É., & Vernet, C. (2006). Évolution de l’occupation du sol dans les Alpes-de-Haute-Provence (début du XIXe siècle-fin du XXe siècle). Méditerranée. Revue géographique des pays méditerranéens/Journal of Mediterranean geography, (107), 35-42.
  14. Franchomme M (2008). Du cadastre napoléonien à la trame verte, le devenir des petites zones humides périurbaines en région Nord-Pas de Calais. Université de Lille, 1.|résumé
  15. Guignet, P. (2012). La répartition du sol dans les 650 communes du Nord au moment de la confection du cadastre dit «napoléonien» | Revue du Nord, (3), 577-612 |résumé.
  16. Franchomme, M., & Schmitt, G. (2012). Les zones humides dans le Nord vues à travers le cadastre napoléonien: les Systèmes d'Informations Géographiques comme outil d'analyse. Revue du Nord, (3), 661-680.
  17. Bartout, P. (2011). L’apport du cadastre napoléonien aux problématiques spatiales des retenues d’eau. Revue Géographique de l'Est, 51(3-4).
  18. Lespez, L., Garnier, E., Cador, J. M., & Rocard, D. (2005). Les aménagements hydrauliques et la dynamique des paysages des petits cours d’eau depuis le XVIIIe siècle dans le nord-ouest de la France: l’exemple du bassin versant de la Seulles (Calvados). Aestuaria, 7, 89-109.
  19. Gauthiez B (2008). Lyon en 1824-32: un plan de la ville sous forme vecteur d’après le cadastre ancien. Géocarrefour, 83(1).
  20. Ghozzi, F., Davtian, G., & Tomassin, P. (2004). Apport d'un SIG à l'étude d'un cadastre dit" napoléonien. Géomatique expert n 38, nov, 33-38.
  21. Poirier N (2006). Des plans terriers au cadastre ancien: Mesurer l'évolution de l'occupation du sol grâce au SIG. Le Médiéviste et l'ordinateur, 44, http-lemo.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Le Couédic M, Leturcq S, Rodier X, Hautefeuille F, Fieux E & Jouve B (2012). Du cadastre ancien au graphe. Les dynamiques spatiales dans les sources fiscales médiévales et modernes. ArcheoSciences. Revue d'archéométrie, (36), 71-84.
  • Pinoteau C (2003). Changer la carte, c’est changer l’objet. Études rurales, (167-168), 247-262.
  • Paul Debray, Enquête sur la valeur actuelle des plans cadastraux, rapport présenté au nom du comité d'enquête, 1893, Imprimerie nationale, Paris, lire en ligne.