Brun de Bismarck

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Le brun de Bismarck ou brun Bismarck est le nom commercial du premier colorant azoïque ayant eu une importance industrielle, inventé en 1863. Il sert en histologie[1], sous le nom de vésuvine comme coloration pour l'identification de bactéries, dont le bacille de Koch en 1880.

Dans le domaine de la mode, le Bismarck désignait une couleur brune plus ou moins foncée utilisé vers 1867. Elle se déclinait en plusieurs tons, bismarck malade, plus clair ; Bismarck en colère, plus rouge[2].

Le brun de Bismark n'est pas un composé unique, c'est un mélange de composés structurellement proches. On peut notamment citer :

Colorant[modifier | modifier le code]

Le brun Bismarck est un des noms commerciaux du premier colorant azoïque à avoir eu une certaine importance industrielle. Appelé aussi brun de phénylène, vésuvine, cannelle, brun de Manchester[3], décrit par Martius en 1864[4] et produit par Dale en 1866, il fut très employé pour la teinture du coton (PRV).

Dans des ouvrages anciens, il se décrit aussi comme un brun d'aniline : « On obtient un autre brun d'aniline (brun Bismarck) en fondant de la fuchsine avec du chlorhydrate d'aniline[5] », ou comme triamidoazobenzol[6] ou comme une xénylène-diamine[7]. Ces ouvrages ne donnent pas d'indication sur l'origine du nom, déjà bien établi à l'époque de leur publication.

Biologie[modifier | modifier le code]

Ce colorant sert aussi en bactériologie dans la coloration de Neisser. On colore d'abord au bleu de méthylène puis à la vésuvine (synonyme de triamidobenzol, réactif de Weigert, brun de Bismarck). Certains microbes prennent cette couleur, comme le bacille de la lèpre, d'autres, non, et se détachent ainsi en bleu sur le fond brun.

Le brun de Bismarck a ainsi servi en 1882 dans l'identification par Robert Koch du bacille responsable de la tuberculose[8].

Synthèse[modifier | modifier le code]

Le colorant est produit par couplage azo de la métaphénylènediamine (1,3-diaminobezène). La réaction est relativement simple car la diamine sert à la fois de source en cation diazonium et de partenaire de couplage. On pense que la première étape de la synthèse et la double diazotisation de la phénylènediamine :

(H2N)2C6H4 + 2 H+ + 2 HNO2 → [C6H4(N2)2]2+ + 2 H2O

On suppose ensuite que ce cation bis(diazonium) subit l'attaque de deux équivalents de 1,3-phénylènediamine :

2 (H2N)2C6H4 + [C6H4(N2)2]2+ → 2 H+ + [(H2N)2C6H3N2]2C6H4

La réaction se poursuit jusqu'à obtention du colorant, constitué de molécules possédant au moins trois groupes diazo[1]. Dans certains cas, on utilise également du 2.4 et 2.6-diaminotoluène dans le mélange réactionnel[9].

Un nom de marron[modifier | modifier le code]

« La nomenclature des couleurs est (...) variée par la fantaisie et l'allure d'esprit d'une époque. Elle augmente sans cesse. Elle diminue de même par l'abandon des noms de nuances qui désignent pendant un moment une teinte bien définie pour tout le monde. (...) Nous pouvons encore nous souvenir de cette nuance orangée rabattue que l'on avait baptisée du nom de Bismarck : c'est la nuance habituelle de la peau de veau dont on relie les livres. »

— Félix Bracquemond, 1885[10].

La « couleur Bismarck » est mentionnée en 1864 dans le Journal pour toutes, sans indication de la couleur dont il s'agit, sinon qu'il y en a plusieurs tons[11], un clair et un « plus foncé » selon La Sylphide, journal de modes[12]….

« Les Parisiennes, qui jusqu'à présent ont une réputation d'élégance justifiée du reste, ont adopté depuis quelques mois une bien singulière couleur qui ne sied à personne, pas plus aux brunes qu'aux blondes ; et cependant c'est une fureur : presque toutes les toilettes sont d'une nuance jaune foncé qu'on appelle couleur Bismarck. Est-ce parce que l'uniforme du ministre prussien est entièrement blanc ? »

— Le Moniteur de la coiffure, 10 décembre 1867[13].

Pour le quotidien La Presse, la couleur Bismarck est marron[14], comme pour le Figaro, qui précise « Dans les magasins, lorsque cette couleur est beaucoup plus pâle, on l'appelle du Bismarck malade[15] ».

« Chaque saison apporte sa couleur nouvelle et sa couleur de prédilection, la couleur Bismarck est déteinte, les femmes se vouent à l'écossais bleu et vert.

Cette couleur, à laquelle on donna le nom de Bismarck, sans doute parce qu'il nous en a fait voir, avait eu en 1782 sa vogue sous un autre nom.

Le Portefeuille politique enregistra même, à ce sujet, une assez singulière exclamation du pudibond Louis XVI.

— En 1781 avait paru une couleur jaunâtre qu'on appelait caca-Dauphin.

Elle fut mise à la mode par un partisan qui briguait une place auprès du Dauphin encore dans les mains de ses bonnes. La galanterie du caca fut trouvée délicieuse, et le lendemain les femmes en avaient par-dessus la tête.

L'année suivante, un des intimes favoris de Marie-Antoinette (qu'elle surnommait l'Ange bouffi) inventa alors la couleur des cheveux de la Reine. Cette couleur était d'un roux fauve et lorsqu'on le montra au roi, il s'écria en riant comme un fou : Ah ! ben, oui… les cheveux !! »

— Le Gaulois, 14 octobre 1868[16].

D'autres journaux ne manquent pas, eux aussi, de souligner l'ardeur inventive des marchands de modes et l'usage des noms portés à l'attention publique par l'actualité.

Rétrospectivement rouge[modifier | modifier le code]

Quarante ans plus tard, le Bismark a viré :

« Dans une de ses conversations, celui qui était le chancelier de fer [Bismarck] rappelait qu'il avait été populaire en France, un moment… Eh oui ! Trois ans avant la guerre, trois ans avant l'invasion, pendant l'exposition de 1867, on lui faisait fête, à Paris (…) On porta des robes couleur Bismarck d'une nuance se rapprochant du ponceau »

— Le Petit Parisien, 18 octobre 1906[17].

Nuanciers[modifier | modifier le code]

Dans un nuancier moderne, on trouve le M22 Bismark ____ [18].

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Jean Petit, Jacques Roire et Henri Valot, Encyclopédie de la peinture : formuler, fabriquer, appliquer, t. 1, Puteaux, EREC, , p. 293

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Gerald Booth, « Dyes, General Survey », dans Ullmann's Encyclopedia of Industrial Chemistry, Weinheim, (DOI 10.1002/14356007.a09_073)
    {{Article encyclopédique}} : l'usage du paramètre |périodique = Wiley-VCH laisse présager
    Merci de consulter la documentation des modèles et de corriger l'article.
  2. (en)Deb Salisbury, Elephant's Breath & London Smoke, Five Rivers Chapmanry, 2009 google books.
  3. Oxford English Dictionnary, « Bismarck ».
  4. 1863, d'après E. Nölting, « Société suisse de chimie », Archives des sciences physiques et naturelles, Genève, Cherbuliez,‎ , p. 83-118 (lire en ligne) (p. 435).
  5. Rudolf von Wagner (trad. Léopold Gautier), Nouveau traité de chimie industrielle : à l'usage des chimistes, des ingénieurs, des industries, t. 2, Paris, F. Savy, (lire en ligne), p. 558, 580.
  6. F. Reverdin et E. Nölting, « Progrès de l'industrie chimique à l'Exposition de Paris (suite) », Archives des sciences physiques et naturelles, Genève, Cherbuliez,‎ , p. 83-118 (lire en ligne) (p. 112-113). Dans les publications françaises, Nölting peut s'écrire Noelting ou Nœlting.
  7. G. de Bechi, « xénylène-diamines », dans Ad. Wurtz, Supplément au Dictionnaire de chimie pure et appliquée, 1892-1908 (lire en ligne), p. 1654.
  8. Van Ermengen, « Le microbe de la tuberculose », Revue mycologique, Toulouse, Paris, Berlin, Revue mycologique, J.-B. Baillière, R. Friedlaender & Sohn,‎ , p. 203-207 (lire en ligne).
  9. (en) « Vesuvine » (consulté le ).
  10. Félix Bracquemond, Du dessin et de la couleur, Paris, Charpentier, (lire en ligne), p. 55-56.
  11. [lire en ligne sur Gallica.]
  12. La Sylphide, journal de modes, de littérature, de théâtre, 10 août 1867, pages 51-52, lire en ligne sur Gallica.
  13. « Revue critique de la mode », pp. 9-10 lire en ligne sur Gallica avec plusieurs anecdotes sur cette mode.
  14. La Presse, 29 avril 1867, page 2 colonne 4, lire en ligne sur Gallica.
  15. Le Figaro, 13 juillet 1867, page 4, colonne 2 lire en ligne sur Gallica ; même note dans Le Rappel, 28 mai 1882, qui propose plaisamment, pour l'actualité, la couleur « gris souris effrayée », lire en ligne sur Gallica. Pour JoAnne Olian, c'était un genre de marron (« a kind of brown »), 80 Godey's Full-Color Fashion Plates: 1838-1880, Courrier Dover Publications, 2012, p.v. google books
  16. lire sur Gallica
  17. « Les robes » Bismark », lire en ligne sur Gallica.
  18. Municipalité de Crozet (Ain), « Nuancier communal de Crozet », sur www.crozet.fr (consulté le ).