Boucle de rétroaction (économie)

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Une boucle de rétroaction est, en économie, un phénomène d'influence mutuelle et auto-entretenu entre deux variables économiques. Les boucles de rétroactions sont reliées par des courroies de transmission qui permettent à une variable d'influer sur l'autre, et vice versa.

Définition[modifier | modifier le code]

Les boucles de rétroaction appartiennent originellement aux sciences dures. Elles permettent de désigner des situations d'influence mutuelle qui permettent de stabiliser un système[1]. Michel Aglietta les définit comme des « dynamiques autorenforçantes », notamment basées sur les anticipations des agents économiques[2]. Pierre Jacquemot définit une boucle de rétroaction positive comme étant où « les effets secondaires tendent à renforcer la tendance de départ », et ce de manière mutuelle et entretenue par le système lui-même[3]. La boucle peut amplifier ou ralentir un phénomène[4],[5]. Jay Wright Forrester écrit que « la boucle de rétroaction est l'élément structurel de base des systèmes. Le comportement dynamique est engendré par la boucle de rétroaction »[6].

Il faut toutefois attendre la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie de John Maynard Keynes, et le manuel Economics de Paul Samuelson qui inaugure la synthèse néoclassique, qui fondent la division entre la microéconomie et la macroéconomie, pour que l'économie importe ce concept. Keynes pense la macroéconomie keynésienne comme un système économique principalement fermé (au contraire d'une économie ouverte), où les grandes variables que sont l'épargne, la monnaie, le taux d'intérêt et l'emploi agissent et s'influencent entre elles[7].

Concept[modifier | modifier le code]

Keynes insiste sur le rôle fondamental de l'interrelation entre le secteur monétaire et le secteur réel. Le taux d'intérêt, fixé sur le marché monétaire, relie le secteur réel et le secteur monétaire. En effet, le taux d'intérêt détermine l'investissement et l'emploi, en même temps que l'emploi (et donc l'offre de monnaie générée par ce dernier) influe en retour sur le taux d'intérêt[7].

Une boucle de rétroaction peut être créée de toutes pièces par une politique économique, ou renforcée. Il existe une boucle de rétroaction naturelle entre le niveau des prix et le niveau des salaires, mais l'indexation des salaires sur les prix crée une rétroaction constante entre l'évolution des prix et des salaires[8].

Dans une perspective néoclassique, et notamment celle de la Nouvelle économie classique, les boucles de rétroaction ont une capacité autorégulatrice. En effet, un marché permettant la fixation d'un équilibre entre l'offre et la demande, tout agent économique qui s'en écarte déséquilibre le marché. Si l'offre est soudainement supérieure à la demande, les prix vont chuter, incitant à la fois le producteur à réduire sa production et les consommateurs à acheter plus, rétablissant un nouvel équilibre[9]. Les boucles de rétroaction sont donc souvent utilisées dans le cadre de réflexions sur l'équilibre général[10].

Les politiques publiques doivent ainsi prendre en compte les effets des boucles de rétroaction sur l'activité économique, car les ignorer peut mener à des effets pervers, à la fois négatifs dans leurs conséquences, et non désirés[11]. Il s'agit aussi pour la puissance publique de corriger les boucles de rétroaction négatives[12].

Types de boucles de rétroaction[modifier | modifier le code]

Demande - taux d'intérêt[modifier | modifier le code]

Le modèle IS/LM, fondement de la synthèse néoclassique, a été augmenté dans une version dynamique appelée « IS-LM dynamique ». Une augmentation de la demande tire les prix vers le haut, stimule l'inflation et la croissance ; or, cela fait augmenter les taux d'intérêt. Cette hausse produit en retour une boucle négative vers la demande par deux canaux. Premièrement, le canal des prix, en produisant une éviction par les prix (baisse de la demande du fait d'une hausse des prix) ; ensuite, par le canal financier, en produisant une éviction financière qui déprime les investissements[13].

Structure du marché - comportement des firmes[modifier | modifier le code]

La théorie structure-comportement-performance soutient que la structure d'un marché influe sur le comportement des firmes, ce qui détermine leur performance. Ce modèle a été augmenté avec le temps pour inclure une boucle de rétroaction du comportement des firmes sur la structure du marché. En investissant en recherche et développement, par exemple, une entreprise peut réduire le coût de production d'un bien jusqu'au point où elle peut chasser les compétiteurs du marché du fait de son avantage concurrentiel[14].

Baisse des prix du travail - demande de travail[modifier | modifier le code]

La courbe de Philips met en évidence qu'il a existé une relation inverse entre l'augmentation du niveau des salaires et le chômage. Un surcroît de demande de travail de la part des entreprises conduit à une chute du chômage, et donc à une hausse du pouvoir de négociation des travailleurs, qui obtiennent un salaire plus élevé. La hausse du coût du travail est répercutée sur les prix, causant une diminution du salaire réel. En retour, cela provoque une augmentation de la demande de travail, et donc une baisse du chômage[15].

Épistémologie[modifier | modifier le code]

La question des boucles de rétroaction fait l'objet de réflexions épistémologiques. Penser le système économique comme étant mu par des boucles de rétroaction permet de repenser l'économie comme un système dynamique, à l'opposé des statistiques, par nature statiques, qui informaient les économistes jusqu'à la première moitié du XXe siècle[16]. Penser les boucles de rétroaction permet aussi de réfléchir aux fondements de l'économie comme les courbes de l'offre et de la demande, qui doivent être étendues pour représenter le tâtonnement par lequel l'équilibre se fait et se défait continuellement[16].

L'évaluation des évolutions des boucles de rétroaction est difficile car elle implique de réussir à identifier tous les mécanismes à l'oeuvre et à les isoler afin de connaître l'effet de l'évolution de l'une sur les autres. Les modélisations économiques exigent ainsi parfois, pour ce défaire de ces difficultés, de poser la contrainte du ceteris paribus (toutes choses égales par ailleurs)[17].

Annexe[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Alex Mucchielli, Cybernétique et cerveau humain, (Bordas) réédition numérique FeniXX, (ISBN 978-2-04-760668-1, lire en ligne)
  2. Michel Aglietta, Capitalisme: Le temps des ruptures, Odile Jacob, (ISBN 978-2-7381-4986-2, lire en ligne)
  3. Pierre Jacquemot, Le dictionnaire encyclopédique du développement durable, Sciences Humaines, (ISBN 978-2-36106-440-2, lire en ligne)
  4. Isabelle Géneau de Lamarlière et Jean-François Staszak, Principes de géographie économique, Editions Bréal, (ISBN 978-2-84291-456-1, lire en ligne)
  5. Bernard Paulré et E. Paulré, La causalité en économie: signification et portée de la modélisation structurelle, Presses universitaires de Lyon, (ISBN 978-2-7297-0223-6, lire en ligne)
  6. Mavor Michel Agbodan et Fulbert Gero Amoussouga, Les facteurs de performance de l'entreprise, John Libbey Eurotext, (ISBN 978-2-7420-0078-4, lire en ligne)
  7. a et b Isabelle Waquet et Marc Montoussé, Macroéconomie, Editions Bréal, (ISBN 978-2-7495-0472-8, lire en ligne)
  8. L'Actualité économique, Ecole des hautes études commerciales., (lire en ligne)
  9. Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l'impossible est certain: Quand l'impossible est certain, Editions du Seuil, (ISBN 978-2-02-100898-2, lire en ligne)
  10. Recherches économiques de Louvain, Université catholique de Louvain, Institut de recherches économiques, sociales et politiques, Centre de recherches économiques, (lire en ligne)
  11. Antoine d' Autume et Université de Paris I: Panthéon-Sorbonne, Keynes aujourd'hui: théories et politiques, Paris, (ISBN 978-2-7178-0842-1, lire en ligne)
  12. Claude-Pierre Vincent, Heuristique: Création, Intuition, Créativité et Stratégies d'Innovation, Books on Demand, (ISBN 978-2-322-00424-9, lire en ligne)
  13. Philippe Sigogne sous la dir. de Jean-Paul Fitoussi, Les cycles économiques, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, (ISBN 2-7246-0643-4, 978-2-7246-0643-0 et 2-7246-0641-8, OCLC 30992246, lire en ligne)
  14. Joseph Emmett Harrington et David Edward Michael Sappington, Economics of regulation and antitrust, (ISBN 978-0-262-03806-5 et 0-262-03806-4, OCLC 1015253299, lire en ligne)
  15. (en) Morley Gunderson et Douglas Hyatt, Workers' Compensation: Foundations for Reform, University of Toronto Press, (ISBN 978-0-8020-8239-8, lire en ligne)
  16. a et b Kate RAWORTH, La Théorie du donut, Place des éditeurs, (ISBN 978-2-259-27666-5, lire en ligne)
  17. Henri Bartoli, L'Économie multidimensionnelle, FeniXX réédition numérique, (ISBN 978-2-402-06316-6, lire en ligne)