Bonne ville (France)

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Armoiries d'une bonne ville, au chef d'azur portant trois fleurs de lys d'or, Bordeaux

Une bonne ville est, dans la France de l'Ancien Régime, une ville bénéficiant de privilèges et de protections octroyées par le roi de France, assorties de l'obligation de contribuer au ban royal en fournissant un contingent d'hommes d'armes.

Les bonnes villes avaient le droit de porter des armoiries avec « un chef d'azur portant trois fleurs de lys d'or » (armes de France). Certaines d'entre elles, comme Marseille, Rennes ou Avignon, choisirent de ne pas l'inclure dans leur blason.

En diplomatique, l'expression est attestée dès le XIIe siècle. À la suite de Robert Favreau, les auteurs s'accordent désormais pour considérer que la chancellerie anglaise est la première à l'avoir employée[1]. Sa première occurrence connue figure dans une lettre datée [2]. Elle figure ensuite dans une lettre du par laquelle le roi Henri III, duc d'Aquitaine, annonce l'arrivée de l'évêque de Norwich tant aux « archevêques, évêques, abbés, prieurs, comtes, barons [et] chevaliers » qu'aux « prudhommes de La Rochelle, Niort, Saint-Jean-d'Angély et autres bonnes villes de Poitou et de Gascogne »[2],[3]. L'expression est reprise en juillet , dans des lettres accordant aux habitants de Beaucaire le droit d'exporter des vins et du blé[4].

La bonne ville : point de vue institutionnel[modifier | modifier le code]

Les relations entre le roi et une bonne ville peuvent prendre plusieurs formes :

  • dépendance administrative : le roi contrôle le gouvernement de la ville en vérifiant les magistrats et conseillers choisis. Il n’est pas dans son intérêt d’imposer un contrôle trop fort, et les bonnes villes sont trop nombreuses pour qu’il puisse le faire, mais il a intérêt à ce que les villes soient bien gouvernées et lui restent fidèles.
  • fiscalité : en cas de besoin, la guerre par exemple, les bonnes villes sont tenues de contribuer à l’effort public.
  • dépendance financière : les finances urbaines étant souvent fragiles, le roi contrôle les comptes des villes pour éviter les crises et garantir une économie urbaine prospère.
  • aides royales : en cas de besoin précis, le roi peut apporter son aide ; c’est notamment le cas pendant la guerre de Cent Ans, lorsque le roi finance les fortifications des villes les plus menacées par les combats.

Le statut prend une importance croissante à la fin du Moyen Âge, à tel point que les villes qui ne bénéficient pas de cette qualité se battent pour l’obtenir. Les bonnes villes sont très nombreuses, mais aucune liste officielle n’a été établie.

La bonne ville : un système de relations[modifier | modifier le code]

Il faut tenter d'approcher la bonne ville autrement que par une étude étroitement institutionnelle. G. Mauduech déclare que la bonne ville n'a jusqu'alors été envisagé que dans ses rapports avec la royauté ou d'un point de vue strictement institutionnel. Selon lui, "l'erreur de l'historien jusqu'à présent est d'avoir voulu considérer la bonne ville du point de vue du roi ou d'y plaquer coûte que coûte une définition juridique"[5].

Bernard Chevalier, quant à lui, caractérise la bonne ville à l'aide d'un modèle d'urbanisation très différent de la ville médiévale (qui, chronologiquement, la précède)[6]. De 1350 à 1550, l'histoire urbaine a connu des crises violentes, suivies d'une consolidation. Ceci s'est traduit par une rupture au sein de l'évolution du fait urbain qui a amené un progrès décisif de l'urbanité. La ville impose ses modèles éthiques à la société, s'affirme comme un état d'âme et non plus seulement comme un lieu d'échange et de production. Une nouvelle page de l'urbanisation a été tournée au cœur des crises du XIVe siècle. Il faut alors considérer la bonne ville qui ne se réduit ni à un fait topographique ou économique, ni à une institution (droit de s'assembler, de juger avec les échevins ou sans eux, de gérer les affaires communes) comme "un système de relations"[7].

Le concept de système suppose que tous les éléments le composant entretiennent des liens mutuels, et ces rapports sont justement ce qui structure le tout ; aussi il évoque l'idée de relation. Dans cette optique relationnelle, le conseil de ville, institution urbaine par excellence, est un reflet privilégié du fait urbain. En effet, il se définit par les interactions qui ont lieu en son sein entre les différentes composantes de la société. Il est une entité relationnelle. Né dans un contexte difficile de guerre (XIVe – XVe siècles), les conseils de ville furent souvent le résultat d'une volonté de défense unifiée chez les habitants comme ce fut le cas à Reims. Cette volonté révèle une prise de conscience d'appartenir à une même entité : la ville. Cette conscience d'appartenir à une même entité ne définit-elle pas d'une certaine façon la bonne ville ? Par exemple, à Reims, si la guerre est à l'origine du conseil de ville, c'est parce qu'elle a unifié l'espace urbain jusqu'alors éclaté en divers bans. Le conseil urbain est à l'image de la ville close, il est un organe politique urbain unifié. Avant lui, le pouvoir municipal était divisé entre plusieurs seigneurs. Bien sûr, ces derniers font sentir au conseil leurs anciens droits et prérogatives. Toutefois, le conseil reste une manifestation d'une nouvelle conception du pouvoir municipal. C'est en cela qu'il est le reflet privilégié du fait urbain. Si l'enceinte est venue contrecarrer l'organisation féodale de l'espace rémois, le conseil, lui, a remis en cause le pouvoir politique féodal. C'est là un fait nouveau qui caractérise la bonne ville. Cette dernière ayant une structure spatiale différente, elle se donne un pouvoir qui puisse la représenter en son entier. C'est peut-être ici qu'est effleurée l'essence de la bonne ville. Le conseil en effet manifeste la prise de conscience des citadins d'appartenir à un même ensemble, à une même entité : la bonne ville[8].

La bonne ville au XIXe siècle[modifier | modifier le code]

Consulat viager[modifier | modifier le code]

Sous le Consulat, le sénatus-consulte organique du 16 thermidor an X () prévoit que « le citoyen nommé pour succéder au Premier consul, prête serment à la République, entre les mains du Premier consul [...] en présence [...] des maires des vingt-quatre principales villes de la République ». Par un sénatus-consulte du 8 fructidor an X (), le Sénat conservateur en arrête la liste et l'ordre de préséance[9] :

Premier Empire[modifier | modifier le code]

Un nouveau statut de « bonne ville », largement honorifique, sera recréé sous le Premier Empire.

Sous le Premier Empire, les bonnes villes sont les villes dont les maires ont le droit et le devoir d'assister à la prestation de serment de l'Empereur.

Le sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII () prévoit que, « dans les deux ans qui suivent son avènement, ou sa majorité, l'Empereur [...] prête serment au peuple français sur l'Évangile, et en présence [...] des maires des trente-six principales villes de l'Empire ». Vingt-huit sont actuellement françaises (y compris Nice), et huit sont des villes étrangères annexées. Le décret du 3 messidor an XII () en fixe la liste et leur ordre de préséance[10]  :

Le , leurs maires assistent au sacre de Napoléon Ier. Le décret du confère aux maires des bonnes villes, ayant dix ans d'exercice, le titre viager de baron[11].

Napoléon Ier élève d'autres villes au rang des bonnes villes : Gênes dès , lors de l'annexion de la République ligurienne[12] ; Parme, Plaisance, Florence et Livourne en , lors de l'annexion du duché de Parme et de Plaisance et du royaume d'Étrurie[13] ; Montauban la même année, lors de la création du Tarn-et-Garonne[14] ; Rome en , lors de l'annexion d'une partie des États pontificaux[15] ; Amsterdam et Rotterdam en , lors de l'annexion du royaume de Hollande[16],[17] ; Hambourg, Brême et Lübeck la même année, lors de l'annexion des trois villes hanséatiques[17] ; La Haye en [18] ; et Nîmes en [19]. Leur nombre est ainsi porté de 36 à 50, dont 30 sont françaises et 20 étrangères.

Les bonnes villes se voient concéder leurs armoiries : Rouen[20] le  ; Orléans[21], Metz[22], Nantes[23] et Marseille[24] le  ; Anvers[25] et La Rochelle[26] le  ; Lyon[27] le  ; Angers[28] et Paris[29] le  ; Toulouse[30] le  ; Cologne[31], Bruxelles[32], Gênes[33], Dijon[34], Gand[35], Turin[36], Liège[37], Aix-la-Chapelle[38] et Tours[39] le  ; Clermont-Ferrand[40] le .

Seconde Restauration[modifier | modifier le code]

Sous la Seconde Restauration, cette dignité fut maintenue aux vingt-neuf bonnes villes de l'Empire situées en France (y compris Montauban et Nîmes, mais sans Nice redevenue étrangère). Onze nouvelles cités s'y ajoutèrent entre 1816 et 1821.

Par différentes ordonnances, Louis XVIII élève les villes suivantes au rang des bonnes villes : Antibes[41], Cette (auj. Sète)[42], Carcassonne[43], Avignon[44], Aix (auj. Aix-en-Provence)[45] et Pau[46] en  ; Vesoul[47] et Toulon[48] en  ; Colmar en [49] ; Cambrai en [50] ; et Abbeville en [51].

Enfin, par une ordonnance du , Louis XVIII fixe définitivement la liste des quarante bonnes villes et leur ordre de préséance[52] :

Comparée à la situation sous l'ancien régime, la liste comprend 12 anciens sièges de Parlements sur 13 (excepté Douai), 9 Chambres des Comptes (sans Bar et Nevers), les 9 Cours des Aides (notamment Clermont-Ferrand et Montauban), 21 intendances sur 34 (on note en particulier l'absence de Poitiers), et 1 Conseil supérieur sur 4 (Colmar).

Ces villes avaient le privilège d'envoyer leur maire au sacre du roi – ce qui se produisit effectivement au sacre de Charles X, le – et de mettre un chef fleurdelisé dans leurs armoiries[53].

La monarchie de Juillet, instaurée en 1830, prétendit changer les fleurs de lys contre 3 étoiles d’or, mais cet usage fut éphémère ; il réapparut brièvement sous la Seconde République (1848).

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Favreau 1987, p. 17.
  2. a et b Favreau 1987, n. 106, p. 17.
  3. Chevalier 1982, p. 8.
  4. Mauduech 1972, p. 1441.
  5. MAUDUECH, G., La "bonne ville" : origine et sens de l'expression., Annales E.S.C., 1972, p.1441.
  6. CHEVALIER, B., Histoire urbaine en France Xe – XVe siècle, L'histoire médiévale en France. Bilan et perspectives, Seuil, 1972, p.35.
  7. CHEVALIER, B., Histoire urbaine en France Xe – XVe siècle, L'histoire médiévale en France. Bilan et perspectives, Seuil, 1972, p. 38.
  8. Haramila Boufenghour, Le conseil de ville rémois dans la première partie du XVe siècle à travers son plus ancien registre de délibérations (1422-1436), mémoire de maîtrise dactylographié, Université de Reims, 1995, p.3.
  9. S.-C. , art. 1er, p. 637-638.
  10. D. , art. 1er.
  11. D. , art. 8.
  12. S.-C. , art. 5, p. 91.
  13. S.-C. , art. 10.
  14. S.-C. , art. 4, p. 195.
  15. S.-C. , 6, p. 102.
  16. D. , art. 1er, p. 180.
  17. a et b S.-C. , art. 9, p. 562.
  18. D. , art. 1er, p. 389-390.
  19. D. , art. 1er, p. 245.
  20. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Rouen, bonne ville, p. 8.
  21. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Orléans, bonne ville, p. 9.
  22. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Metz, bonne ville, p. 9.
  23. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Nantes, bonne ville, p. 10.
  24. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Marseille, bonne ville, p. 10.
  25. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Anvers, bonne ville, p. 11-12.
  26. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.La Rochelle, bonne ville, p. 12.
  27. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Lyon, bonne ville, p. 12-13.
  28. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Anger, bonne ville, p. 13.
  29. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Paris, bonne ville, p. 13-14.
  30. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Touluse, bonne ville, p. 14.
  31. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Cologne, bonne ville, p. 14.
  32. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Bruxelles, bonne ville, p. 14.
  33. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Gênes, bonne ville, p. 14-15.
  34. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Dijon, bonne ville, p. 15.
  35. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Gand, bonne ville, p. 15.
  36. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Turin, bonne ville, p. 15.
  37. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Liège, bonne ville, p. 16.
  38. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Aix-la-Chapelle, bonne ville, p. 16.
  39. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Tours, bonne ville, p. 16.
  40. Rousseau, Habib et Mérot 2011, s.v.Clermont-Ferrand, bonne ville, p. 16-17.
  41. O. , art. 1er, al. 1er, p. 333.
  42. O. , 1er, p. 478.
  43. O. , art. 1er, p. 669.
  44. O. , art. 1er, p. 228.
  45. O. , art. 1er, p. 312.
  46. O. , art. 1er, p. 3.
  47. O. , art. 1er, p. 187.
  48. O. , art. 1er, p. 274.
  49. O. , art. 1er, p. 727.
  50. O. , art. 1er, p. 243.
  51. O. , art. 1er, p. 234.
  52. O. , art. 1er, p. 370.
  53. Michel François, « Les bonnes villes », Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 119, 1975, pp. 558-559. Une quinzaine d'autres villes, comme Beauvais, Limoges et Poitiers demandèrent sans succès à être ajoutées à la liste.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Textes officiels[modifier | modifier le code]

Consulat viager[modifier | modifier le code]

Premier Empire[modifier | modifier le code]

Seconde Restauration[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

  • [Rousseau, Habib et Mérot 2011] Emmanuel Rousseau, Danis Habib et Catherine Mérot, Armorial des villes au XIXe siècle : inventaire des articles BB/29/987, 988, 991 (partiel), 992 (partiel) et BB/29/1081 à 1083, Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, , 1 vol., 169 (présentation en ligne, lire en ligne).