Ballade des langues ennuyeuses

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Ballade des langues ennuyeuses
Édition Levet, 1489. Les langues sont ici venimeuses et les drogues périlleuses.
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Texte intégral

La Ballade des langues ennuyeuses est un poème de François Villon qui fait partie de son Testament ou Grand Testament. Il s'agit d'une des quelques rares « Grandes Ballades » émaillant cet ouvrage où la plupart sont des « Petites Ballades », côtoyant outre les huitains composant la majorité de l’œuvre, des formes poétiques proches du Rondeau.

Autant l'appellation ennuyeuse (enuieuses) semble être acceptée de nos jours[1], autant on trouve dans les premières éditions imprimées connues (1489[2], 1490[3]) le texte « Soiêt frittes (ou frictes, et même fricassées dans l'édition sainct Nicolas de 1524[4]) ces langues venimeuses ». Ce point reste encore discuté [5].

On pourra aussi noter le texte « Car oncques morsure de serpent coup d'espee ou autre pointure ne fut venimeuse ne si perilleuse comme langue de personne envieuse » issu de La Cité des dames[6] de Christine de Pisan, que Villon a très probablement pu connaitre, et qui aurait même pu l'inspirer aussi pour la Ballade des dames du temps jadis (depuis le De mulieribus claris de Boccace, que Christine de Pisan a discuté en opposition au Roman de la Rose, premier débat littéraire français documenté).

On trouve aussi dans certaines éditions « envieuses » au lieu d'« enuieuses », mots qui se distinguent mal dans l'écriture du XVe siècle.

Titre[modifier | modifier le code]

Le titre, se référant dans les éditions les moins anciennes au vers finissant chacun des dizains de la ballade, il s'agit d'une des rares « Grandes Ballades » de cet ouvrage, qui contient surtout des « Petites Ballades ». Cette ballade fait clairement et logiquement suite au huitain la précédant qui finit par le vers « Ce Recipe m’escript, sans fable. »

Fond[modifier | modifier le code]

Pour plus de détails, voir les notes se rapportant au poème

Après avoir énuméré nombre de legs présentés très ironiquement qu'il fait à ses amis et surtout ennemis, François Villon commet ici un des rares poème de haine explicite de l’œuvre, là où il emploie plus volontiers des détours ou des suggestions ailleurs. Néanmoins, il s'agit d'une mise en commun de toutes ses haines, sans nom explicite, et qui marque un tournant dans le discours de son testament, qui redevient globalement plus sombre par la suite.

Cette œuvre ne faisant pas partie, par exemple, du manuscrit de Stockholm, et détonant quelque peu comparativement aux autres œuvres émaillant l'ouvrage, des doutes ont été émis quant à la paternité de l’œuvre.

Forme[modifier | modifier le code]

Il s'agit de ce qu'on appelle une grande Ballade, comme certaines autres de l’œuvre, à savoir :

Par opposition avec la majorité des petites ballades du texte.

Texte de la ballade et transcription en français moderne[modifier | modifier le code]

Texte de la ballade [7] et essai de traduction en français moderne.





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En reagal, en arsenic rocher,
En orpigment, en salpestre et chaulx vive ;
En plomb boillant, pour mieulx les esmorcher ;
En suif et poix, destrampez de lessive
Faicte d’estronts et de pissat de Juifve ;
En lavaille de jambes à meseaulx ;
En raclure de piedz et vieulx houseaulx ;
En sang d’aspic et drogues venimeuses ;
En fiel de loups, de regnards et blereaux,
Soient frittes ces langues envieuses !

En cervelle de chat qui hayt pescher,
Noir, et si vieil qu’il n’ait dent en gencive ;
D’ung vieil mastin, qui vault bien aussi cher
Tout enragé, en sa bave et salive ;
En l’escume d’une mulle poussive,
Detrenchée menu à bons ciseaulx ;
En eau où ratz plongent groings et museaulx,
Raines, crapauds, telz bestes dangereuses,
Serpens, lezards, et telz nobles oyseaulx,
Soient frittes ces langues envieuses !

En sublimé, dangereux à toucher ;
Et au nombril d’une couleuvre vive ;
En sang qu’on mect en poylettes secher,
Chez ces barbiers, quand plaine lune arrive,
Dont l’ung est noir, l’autre plus vert que cive,
En chancre et fix, et en ces ords cuveaulx
Où nourrices essangent leurs drappeaulx ;
En petits baings de filles amoureuses
- Qui ne m'entant n'ay suivy les bordeaux -
Soient frittes ces langues envieuses !

ENVOI.

Prince, passez tous ces friands morceaux,
S’estamine n’avez, sacs ou bluteaux,
Parmy le fons d’unes brayes breneuses ;
Mais, paravant, en estronts de pourceaulx
Soient frittes ces langues envieuses !

En réalgar, en minerai d'arsenic,
En orpiment, en salpêtre et chaux vive,
En plomb bouillant pour mieux les amorcer,
En suif et poix, détrempé de lessive
Fait d'étrons et d'urine de Juive;
En eau de lavage de jambe de lépreux;
En raclure de pied et vieux vêtements ;
En sang de vipère et drogues venimeuses ;
En bile de loup, de renards, de blaireaux,
Soient frites ces langues envieuses !

En cervelle de chat qui hait pêcher,
Noir, et si vieux qu’il n’ait dent en gencive ;
D’un vieux mâtin, qui vaut bien aussi cher
Tout enragé, en sa bave et salive ;
En l’écume d’une mule poussive,
Découpée menu à bons cisaulx ;
Dans l'eau où les rats plongent leurs museaux,
Les rainettes, les crapauds, ces bêtes dangereuses,
Les serpents, lézards, et ces nobles oiseaux,
Soient frites ces langues envieuses !

Sublimé, il est dangereux à toucher ;
Et au nombril d’une vipère ;
En sang qu’on mets à sécher en paillettes,
Chez ces chirurgiens, quand la pleine lune arrive,
Dont l’un est noir, l’autre plus vert que ciboulette,
En chancre et tumeur, et en ces répugnantes cavités,
Où les nourrices lavent les langes ;
En petits bains de filles amoureuses
- Qui ne comprend n'a fréquenté les bordels -
Soient frites ces langues envieuses !

ENVOI.

Prince, dégustez tous ces morceaux de gourmets,
Pour trier vous qui n’avez, pour tamis grossiers,
Qu'une culotte souillée
Auparavant par des étrons de porc
Soient frites ces langues envieuses !

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

Vers 1 : Reagal, arsenic rocher : le reagal dans l'ancien temps est l'arsenic blanc[8] et ne serait donc pas le réalgar, arsenic rouge dans l'acceptation moderne.

Vers 2 : Orpigment : l'orpigment est le trisulfure d'arsenic, longtemps utilisé comme pigment jaune. Il est intéressant de noter le lien que fait Villon entre reagal, arsenic et orpigment qui dénote une certaine compétence en chimie probablement rare pour l'époque.

Vers 3 : Esmorcher : si la plupart des dictionnaires du moyen français donnent amorcer en traduction, certaines éditions donnent  «réduire en morceau, en bouillie, en poudre ». Ces trois premiers vers ont été interprétés par certains comme une recette alchimique François Villon aurait été initié au Grand Art avant de connaitre ses déboires.

Vers 6 : meseaulx : lépreux, ou ladres comme on disait à l'époque.

Vers 7 : houseaulx : parure au sens large, d'une maison (lambris) ou d'une personne (cape) : dans ce cas, une housse, c'est-à-dire un vêtement.

Vers 8 : venimeuse : ou bien périlleuse comme indiqué précédemment.

Vers 10 : envieuse : ou bien venimeuse comme indiqué précédemment.

Vers 21 : sublimé : la sublimation de l'arsenic donne des vapeurs toxiques. François Villon renverrait là au premier dizain.

Vers 22 : nombril d'une couleuvre : l'omphalisme, débat sur la présence du nombril chez Adam et Eve, ramené ici au serpent ? La connotation est ici probablement religieuse, et en avance de quelques siècles sur le débat tel qu'historiquement connu. Une couleuvre vive est vraisemblablement une vipère.

Vers 24 : barbier : le chirurgien de rue, qui appelé par un médecin était habilité à pratiquer la saignée, et récupérait les humeurs dans un petit récipient de terre cuite appelé poillette, paelle, ou palette. Le noirt et le vert du vers suivant faisant référence aux saignées de sang ou de plaies infectées de pus.

Vers 26 : En chancre et fix : Le fix, ou plutôt le fic est une tumeur en forme de figue, ficus en latin (Donc hémorroïdes, aussi appelées le « mal de saint Fiacre »). L’étymologie même du nom de ce saint pourrait en être dérivé.

Références[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]