Testem benevolentiæ nostræ

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Léon XIII.
Portrait d'Isaac Hecker, prêtre catholique américain (1819-1888)

Testem benevolentiæ nostræ est une lettre apostolique écrite par le pape Léon XIII au cardinal James Gibbons, archevêque de Baltimore, aux États-Unis, et datée du . Dans cette lettre, le pape dénonce une hérésie qu'il nomme « américanisme » et s'inquiète de l'Église catholique aux États-Unis, qui serait influencée par des valeurs considérées comme fortes aux États-Unis, surtout le libéralisme et le pluralisme religieux, qui minent la doctrine de l'Église.

Contexte[modifier | modifier le code]

Testem benevolentiae nostræ (latin pour « témoin de notre bonne volonté ») est une mise en garde du pape à propos de la culture des catholiques aux États-Unis en réponse à la préface de la traduction en français de la biographie d'Isaac Hecker[1], fondateur des paulistes. Cette biographie de Hecker par Walter Elliott, traduite par la comtesse de Ravilliax, est publiée en France onze ans après sa mort, survenue en paix avec l'Église, et sa traduction française est accompagnée d'une préface de l'abbé Félix Klein, au ton très libéral. Le pape Léon XIII passe en revue les opinions exprimées par le préfacier de cette biographie[1]. En particulier, Klein dit que l'Église doit s'adapter à la nouvelle civilisation moderne et doit relâcher sa discipline non seulement en ce qui concerne les règles morales mais aussi en ce qui concerne le dépôt de la foi en minimisant certains points de la doctrine ou en leur donnant une nouvelle signification[1].

Contenu[modifier | modifier le code]

Rejet du particularisme américain[modifier | modifier le code]

Testem benevolentiae nostrae concerne le particularisme américain, notamment dans son multiculturalisme et sa conception de la liberté individuelle. Un grand nombre d'évêques et de fidèles américains estiment alors qu'il leur faut plus de latitude afin de mieux s'assimiler dans une nation majoritairement protestante et que ce mouvement constitue un cas à part. La lettre du pape rejette cette idée de « ceux qui conçoivent et voudrait une Église différente en Amérique de ce qu'elle est dans le reste du monde »[2]. À l'époque avec l'afflux d'immigrés aux États-Unis, les nouvelles paroisses sont érigées en fonction de l'origine des paroissiens : les paroisses dites « nationales » et non pas simplement territoriales. Cela cause des divergences d'opinion entre les évêques américains, certains favorisant les unes au détriment des autres. La lettre réitère que l'enseignement de l'Église doit être le même partout dans le monde et ne doit pas être ajusté pour s'adapter à une zone particulière.

Au XIXe siècle, la doctrine catholique qualifiait le protestantisme d'hérésie, et le catholicisme était interdit ou entravé dans nombre de pays protestants. L'Église admettait toutefois que si le protestantisme portait en soi les germes de sectarisme incessant et dangereux, une personne protestante pouvait être innocente par le concept d'ignorance invincible. Les divers mouvements protestants étaient considérés à l'époque comme simplement hérétiques, et il n'était pas question d'« Églises sœurs ». En dehors de cette question, la lettre apportait une certaine consolation en ce qu'il était permis aux catholiques de s'accommoder aux normes américaines si elles n'entrent pas en conflit avec la doctrine ou l'enseignement moral de l'Église catholique.

En réalité, cette lettre intéressait davantage les catholiques de France que ceux des États-Unis. De nombreux catholiques français s'étaient offusqués des opinions de l'abbé Klein à propos de ce prêtre américain et des évêques américains partageant leur point de vue, comme l'archevêque de New York, Michael Corrigan[3]. La lettre était aussi, à certains égards, une manière pour le pape de mettre les catholiques français en garde contre le sécularisme lorsque le gouvernement français était foncièrement anti-catholique.

Léon XIII s'inquiète aussi du fait que les Américains s'attachent trop à des notions d'individualisme, à tel point que la vie religieuse et les vocations monastiques et sacerdotales leur soient devenues incompréhensibles : « Votre pays, les États-Unis, n'a-t-il pas pris sa source dans la foi et la culture des enfants de ces familles religieuses ? »[2]. Cela faisait aussi écho à l'anticléricalisme, qui sévissait en France à l'époque.

Il était alors fréquent que les évêques américains fassent appel à des congrégations apostoliques pour répondre aux besoins grandissants des immigrés en matière d'enseignement et de soins, au détriment parfois des congrégations contemplatives, qui étaient moins valorisées. Le pape déclare à ce sujet : « Il ne faut pas non plus faire de différence de louange entre ceux qui suivent l'état actif de la vie et ceux qui, charmés par la solitude, se donnent à la prière et à la mortification corporelle. »[2]

Dérives de la liberté de presse[modifier | modifier le code]

En , Francesco Satolli, qui allait devenir le premier délégué apostolique aux États-Unis, s'exprime dans une réunion des archevêques américains ayant lieu à New York et présente 14 propositions concernant la solution à des questions scolaires qui étaient en discussion depuis longtemps. Le schéma de ces propositions a été publié dans la presse de manière inopportune avec des interprétations jugées comme incorrectes et des insinuations pleines de malignité dans quelques journaux, ce qui engendrait d'âcres discussions[4].

Testem benevolentiae nostrae rejette une complète liberté de presse : « Ces dangers, à savoir la confusion de la licence avec la liberté, la passion de discuter et de verser le mépris sur n'importe quel sujet possible, le droit assumé de tenir toutes les opinions comme également valables à loisir sur n'importe quel sujet et de les publier à la face du monde, ont tellement enténébré les esprits qu'il y a maintenant de plus en plus besoin de l'enseignement de l'Église, comme jamais auparavant, de peur que les gens ne deviennent indifférents à la fois de conscience et de devoir. »[2]. Les partisans de la lettre du pape comprennent que la liberté de presse doit avoir des limites à une époque où la diffamation, la calomnie et l'incitation à la violence faisaient florès dans la presse américaine. Les journaux colportaient des histoires de couvents qui incitaient régulièrement à des violences contre les catholiques. En outre, la guerre hispano-américaine, survenue un an avant la publication de la lettre du pape, à laquelle beaucoup de catholiques s'opposaient, était blâmée dans la presse de William Randolph Hearst, ce qui donnait encore l'occasion de fustiger les catholiques. Les opposants à la lettre estimaient qu'il s'agit encore d'une manœuvre de Rome pour s'opposer à la démocratie et au progrès.

Toutefois, les deux parties s'accordent sur la constatation que Léon XIII n'a pas utilisé un style comminatoire, comme ses prédécesseurs immédiats, et a fait preuve d'un certain tact. Les critiques mettent en avant le caractère réactionnaire intrinsèque de la papauté, et les défenseurs de la lettre assurent que le pape dans son encyclique Longinqua a largement évoqué son amour de l'Amérique et ne peut donc la condamner.

Héritage et influence[modifier | modifier le code]

L'héritage de Testem benevolentiae nostrae est en question. Parmi les catholiques traditionalistes, ce texte rencontre encore une large adhésion en se portant contre un certain œcuménisme dévoyé et surtout contre le libéralisme religieux. En revanche, dans des cercles intellectuels, certains spécialistes admettent que cette lettre du pape a empêché toute fécondité intellectuelle chez les catholiques dans toute la première moitié du XXe siècle. D'autres admettent que la portée de cette lettre a été largement exagérée. Cependant, il est évident qu'elle a mis en lumière les relations difficiles entre le Saint-Siège et les États-Unis, qui n'a établi de pleines relations diplomatiques avec le Saint-Siège que sous la présidence de Ronald Reagan, dans les années 1980.

John L. Allen, Jr. estime que cette lettre visait directement les courants libéraux modernistes de France[5]. Le cardinal James Gibbons et d’autres prélats américains ont répondu presque unanimement au Saint-Siège que les opinions incriminées n’avaient pas cours au sein du peuple catholique américain et que Hecker n’a jamais entretenu la moindre opinion ou doctrine qui fût contraire aux principes catholiques entendus dans leur sens le plus strict.

La lettre a fait peu de bruit aux États-Unis, et une grande partie du peuple catholique et même de son clergé n’étaient pas même au courant de la controverse. Elle est cependant utilisée en France par l’aile conservatrice de l’Église pour renforcer son influence et son opposition au ralliement à la république (1892).

Léon XIII, dans son encyclique In Amplissimo (1902), fera un éloge soutenu du catholicisme américain dans ses efforts et ses progrès en demandant, toutefois, de régler la question noire et la question indienne.

Notes et références[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Charles Maignen, Le Père Hecker est-il un saint ?, 1898
  • (en) T. T. McAvoy : The Great Crisis in American Catholic History: 1895-1900, Chicago, 1957.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]