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Émile ou De l'éducation

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Émile
Édition princeps imprimée chez Nicolas Bonaventure Duchesne à Paris, sous les nom et lieu de Jean Néaulme à La Haye.
Format
Langue
Auteur
Genre
Sujets
Date de parution
Pays
Éditeur
Jean Néaulme (Duchesne) à La Haye (Paris)
Nombre de pages
1712 (4 tomes)

Émile ou De l’éducation est un traité d'éducation de Jean-Jacques Rousseau publié en . Il demeure, aujourd’hui encore, l’un des ouvrages les plus lus et les plus populaires de philosophie de l'éducation.

Présentation générale

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L’Émile porte sur « l'art de former les hommes ».

Les quatre premiers livres décrivent l’éducation idéale d’un jeune garçon fictif, Émile, et sont ordonnés chronologiquement, abordant, étape par étape, les questions éducatives qui émergent à mesure qu’il grandit. Le dernier livre traite de l’« éducation », ou plutôt le manque d'éducation des filles à partir d’un autre exemple fictionnel : Sophie, élevée et éduquée pour être l’épouse d’Émile.

Parallèlement aux théories proprement pédagogiques, l’Émile comprend la célèbre Profession de foi du Vicaire savoyard (livre IV), qui fournit de précieuses indications sur les idées religieuses de Rousseau. Elle se voulait un modèle quant à la manière d’introduire les jeunes gens aux questions religieuses. Le personnage du vicaire savoyard a été créé en « réunissant M. Gâtier avec M. Gaime[1] », l’abbé Gaime, le précepteur des enfants du comte de Mellarède, et l’abbé Gâtier, un de ses éducateurs, à l'hospice des catéchumènes de Turin[1].

Également graphié Émile, ou De l’éducation, ce titre a été donné lorsqu'il habitait Montmorency. Si le titre de l'édition originale de 1762 comporte une virgule, la plupart des autres éditions ne la reprennent pas. De même, le premier volume du manuscrit, détenu par la Bibliothèque de l'Assemblée nationale, porte le titre Émile, ou, De l’éducation, alors que les deux suivants sont graphiés sans aucune virgule[2].

L'ouvrage comporte comme épigraphe une phrase latine tirée du dialogue « De ira - De la colère » de Sénèque : « Sanabilibus ægrotamus malis ; ipsaque nos in rectum genitos natura, si emendari velimus, juvat. », c'est-à-dire : « Nous souffrons de maux guérissables : et la nature elle-même nous aide, qui sommes nés pour faire le bien, si nous voulons nous soigner ».

Rousseau justifie la rédaction de cet ouvrage par l'absence d'ouvrages qui, selon lui, traitent de l'enfant en tant qu'enfant. En effet, ceux qui l'ont précédé « cherchent toujours l'homme dans l'enfant, sans penser à ce qu'il est avant que d'être homme », et passent à côté de ses caractéristiques essentielles. Il manifeste son projet philosophique en écrivant que « la littérature et le savoir de notre siècle tendent beaucoup plus à détruire qu'à édifier »[3].

Il se refuse par conséquent à traiter des théories qui ont déjà fait l'objet d'ouvrages, car, dit-il, il « n'aime point à remplir un livre de choses que tout le monde sait ». Il ne se donne pas de bornes dans sa réflexion pédagogique, et critique ceux qui lui ont demandé de s'en tenir à ce qui est faisable : « Proposez ce qui est faisable, ne cesse-t-on de me répéter. C'est comme si l'on me disait : Proposez de faire ce qu'on fait ; ou du moins proposez quelque bien qui s'allie avec le mal existant[3]. »

Livre I – L'âge de nature : le nourrisson (infans)

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« Voilà la règle de la nature, pourquoi la contrariez-vous ? » par Simonet d’après Moreau le Jeune.

Une anthropologie pessimiste qui rend l'éducation nécessaire

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Rousseau réaffirme une conception pessimiste de l'homme. Il écrit que si « tout est bien sortant des mains de l'Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l'homme ». Il appelle les mères, qui éduquent les enfants, à s'en occuper au plus tôt : « Cultive, arrose la jeune plante avant qu'elle meure : ses fruits feront un jour tes délices »[3].

L'éducation est nécessaire pour l'homme. En effet, « tout ce que nous n'avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l'éducation ». Les femmes ont un rôle essentiel car elles sont les premières à socialiser l'enfant : « la première éducation est celle qui importe le plus, et cette première éducation appartient incontestablement aux femmes »[3].

Le philosophe délivre des conseils pour être un bon citoyen : « pour être quelque chose, pour être soi-même et toujours un, il faut agir comme on parle ; il faut être toujours décidé sur le parti que l'on doit prendre, le prendre hautement, et le suivre toujours ». C'est à ce titre que Rousseau peut dire que le père a une triple tâche : « il doit des hommes à son espèce, il doit à la société des hommes sociables ; il doit des citoyens à l'État. Tout homme qui peut payer cette triple dette et ne le fait pas est coupable »[3].

Le bon enseignement

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Rousseau se montre très critique envers les établissements d'éducation de son époque et le conformisme des enseignants. Faisant référence aux universités, il écrit qu'il « n'envisage pas comme une institution publique ces risibles établissements qu'on appelle collèges », quoiqu'il ajoute immédiatement : « Il y a dans plusieurs écoles, et surtout dans l'Université de Paris, des professeurs que j'aime, que j'estime beaucoup, et que je crois très capables de bien instruire la jeunesse, s'ils n'étaient forcés de suivre l'usage établi »[3].

L'auteur défend une éducation humaniste qui place l'émancipation individuelle avant l'apprentissage d'un métier. Il écrit : « Qu'on destine mon élève à l'épée, à l'église, au barreau, peu m'importe. Avant la vocation des parents, la nature l'appelle à la vie humaine. Vivre est le métier que je lui veux apprendre. En sortant de mes mains, il ne sera, j'en conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre ; il sera premièrement homme »[3].

Le développement physique de l'enfant

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Il est essentiellement traité, dans ce premier livre, du développement physique de l’enfant. Le livre I d'Émile traite de l'enfant qui ne parle pas encore. Les gestes plus humbles de la nourrice sont déjà orientés vers la fin visée : empêcher que la nature ne soit contrariée et que l'enfant ne découvre qu'il peut commander par des signes.

Rousseau critique le recours aux nourrices, qu'il voit comme une trahison du devoir élémentaire des mères. « Depuis que les mères, méprisant leur premier devoir, n'ont plus voulu nourrir leurs enfants, il a fallu les confier à des femmes mercenaires, qui, se trouvant ainsi mères d'enfants étrangers pour qui la nature ne leur disait rien, n'ont cherché qu'à s'épargner de la peine. »[3]. Cela a, selon lui, des conséquences civilisationnelles importantes : les femmes ne veulent déjà plus faire d'enfants, et « cet usage, ajouté aux autres causes de dépopulation, nous annonce le sort prochain de l'Europe. Les sciences, les arts, la philosophie et les mœurs qu'elle engendre ne tarderont pas d'en faire un désert »[3].

Livre II – 2/12 ans : L'âge de la nature

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« La nature étaloit à nos yeux toute sa magnificence. » par Simonet d’après Moreau le Jeune.

Pour Rousseau, cet âge doit moins être celui des livres que celui où s’étendent et se multiplient les relations d’Émile avec le monde, de façon à développer les sens, et à habituer l’enfant à procéder, à partir des données sensibles, à des déductions.

Ce livre se conclut par l’exemple d’un garçon pour qui cette phase de l’éducation a réussi. Le père emmène l’enfant faire du cerf-volant, et lui demande de trouver la position du cerf-volant à partir de son ombre. Bien qu’on ne lui ait pas appris à le faire, l’enfant, ayant développé sa capacité de compréhension du monde physique, et sa capacité à procéder à des inférences, y parvient sans peine.

Livre III – 12/15 ans : L'âge de la force

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Ici, commence à se poser la question du choix d’un métier. Rousseau considère comme nécessaire l’apprentissage d’un métier manuel, moins pour des raisons économiques que pour des raisons sociales : l’apprentissage est un moyen idéal de socialisation.

Livre IV – 15/20 ans : La puberté

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Le quatrième livre est particulièrement consacré à l’amour et à la religion. La profession de foi du vicaire savoyard, souvent éditée à part, qui examine les origines de la foi, fut l’objet de multiples controverses.

Livre V – L’âge adulte : le mariage, la famille, et l’éducation des femmes

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Moment de la rencontre de Sophie, qui constitue une transition entre le Livre IV — dans lequel le développement du corps produit l'ouverture sur autrui et l'éveil à la sexualité — et la fin de la pédagogie de Rousseau, qui consiste à former un citoyen juste. La rencontre de Sophie est à la fois rencontre amoureuse, mais aussi entrée dans la vie sociale, par le mariage et la vie de famille que cela suppose. Émile va devoir, sur les prescriptions de son gouverneur, quitter momentanément Sophie, pour lui revenir citoyen. C'est là qu'apparaissent le moment des voyages d'une part, afin de comprendre les mœurs et usages d'autres peuples et ainsi pouvoir choisir les plus convenables, et le moment du résumé du « contrat social » ; ces deux étapes sont deux faces — l'une pratique, l'autre théorique — d'un même enseignement : assimiler les fondements et les raisons de la société civile, pourtant corrompue. Car, où qu'Émile soit allé, c'est l'intérêt particulier, l'abus de pouvoir, et le dépérissement de l'État qui règne. Où habiter quand tout est corrompu ? Le choix sera le suivant : là où Émile est né. Quelle sera la fonction de l'homme éduqué selon la nature au milieu d'une institution pervertie ? Émile évitera au maximum cette perversion en habitant à la campagne, là où les mœurs et les usages sont les plus stables ; sa mission sera d'exercer sa nature, c'est-à-dire être juste, et de fonder une famille avec Sophie. C'est le moment de la paternité d'Émile, qui marque, du reste, la fin de son éducation.

L'œuvre fut condamnée à être brûlée par le Parlement de Paris le [4], puis par l’archevêque Christophe de Beaumont qui publie un mandement contre le texte le . Rousseau réagira à son tour en publiant en sa lettre à Christophe de Beaumont.

Le 19 juin 1762, le Petit Conseil (gouvernement de Genève) condamne l’Émile, en raison de La profession de foi du vicaire savoyard. Rousseau réagit en renonçant officiellement à son titre de citoyen de Genève en [5]. Le 30 juillet, Émile est condamné en Hollande; le 9 septembre il est mis à l'Index; la Sorbonne le censure en novembre[6].

L’œuvre de « l'homme le plus mal élevé qui soit au monde[7] » a été mal acceptée par d’autres philosophes des Lumières, comme Voltaire, dont la critique tient notamment au fait que Rousseau d'après ses Confessions, a abandonné ses cinq enfants[7] : « Ce monstre ose parler d’éducation ! lui qui n’a voulu élever aucun de ses fils, et qui les a mis tous aux enfants trouvés[7]. » Quant à l’œuvre, elle est jugée sans appel : « un fatras d’une sotte nourrice en quatre tomes[7]. »

Le père Legrand, qui avait été chargé, en 1762, de la censure de cette œuvre, la soutint par six lettres datées de , et par des observations, en réponse aux Nouvelles ecclésiastiques qui l’avaient attaquée.[réf. souhaitée]

Lors de la Révolution française, les révolutionnaires vont mettre en pratique les principales recommandations d'Émile : « condamnation des nourrices, du maillotage, des châtiments physiques et, inversement, promotion de l'éducation négative qui proportionne l'acquisition des connaissances au progrès physique et moral de l'enfant[8]. »

Louise d'Épinay, qui fut l'amie de Rousseau, publiera Les Conversations d'Émilie en 1774, dans lequel elle tente d'étendre les principes d'éducation développés par Rousseau dans l'Émile à l'éducation des filles[9]. De nombreuses personnes, au XVIIIe siècle, dont la reine Marie-Antoinette, elle-même, s'inspireront des méthodes de Rousseau pour élever leurs propres enfants. Selon un écrivain de l'époque :

« Lors de l'apparition de ce livre, le prince de Conti lui fit proposer l'éducation de son fils ; le philosophe répondit ainsi : Si j'acceptais cette offre et que je me trompisse dans ma méthode, ce serait une éducation manquée : si je réussissais, ce serait bien pis; mon élève renierait son titre, et ne voudrait plus être prince[10]. »

Les thèses d’Émile ou De l'éducation ont commencé une révolution dans la pédagogie et ont influencé tous les éducateurs célèbres du XIXe siècle, tels que Pestalozzi, Herbart ou Fröbel[11]. Aujourd'hui, Rousseau est considéré comme un pionnier dans divers mouvements de réformateurs comme l’éducation expérientielle, l’éducation visuelle ou l’éducation anti-autoritaire.

S'inscrivant dans la continuité épistémologique du projet rousseauiste exposé dans Émile ou De l'éducation, Thomas Day a mis en œuvre, avec Sabrina Sidney, une démarche expérimentale novatrice en matière pédagogique, qui trouvait sa genèse dans les tensions subjectives de Day, confronté à l'impossibilité de rencontrer un partenaire féminin qui satisfasse pleinement ses constructions philosophiques et axiologiques[12].

Édition originale

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Notes et références

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  1. a et b Pierre-Alexandre Du Peyrou (éd.), Collection complète des œuvres de J. J. Rousseau, citoyen de Genève : Les Confessions, t. 10, Genève, s.n., , 534 p., 15 vol., pl. ; in-4º  (lire en ligne sur Gallica), p. 154.
  2. Cf. Liens externes
  3. a b c d e f g h et i Jean-Jacques Rousseau, Émile : ou, De l'éducation, Paris, Flammarion, (ISBN 978-2-08-120692-2 et 2-08-120692-7, OCLC 632086317).
  4. Jean-Marie Tremblay, « Les Classiques des sciences sociales: Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation (1762) », sur texte, (consulté le ).
  5. « Jean-JacquesRousseau », sur Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), (consulté le ).
  6. Trousson 1993, p. 220.
  7. a b c et d Henri Gouhier, Rousseau et Voltaire : portraits dans deux miroirs, Paris, Vrin, , 480 p., 24 cm (ISBN 978-2-7116-0810-2, OCLC 1014738546, lire en ligne).
  8. Boudon 2006, p. 19.
  9. Louise d'Épinay, Les Conversations d'Émilie, Paris, Pissot, , 208 p., in-16 (lire en ligne sur Gallica).
  10. Mercier 1791, p. 22.
  11. (de) Kindlers Literaturlexikon im dtv. Deutscher Taschenbuch Verlag München, 1974, vol. 8, p. 3077.
  12. (en) Patricia Comitini, Vocational Philanthropy and British Women's Writing, 1790-1810 : Wollstonecraft, More, Edgeworth, Wordsworth, Routledge, , 176 p., 24 cm (ISBN 978-1-315-31772-4, OCLC 56050999, lire en ligne), p. 191.

Bibliographie

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Liens externes

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