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=== Les compagnons d’Hannibal ===
=== Les compagnons d’Hannibal ===


Plusieurs historiens ont été des contemporains de la deuxième guerre punique. Certains qui suivaient le point de vue carthaginois, comme l’historien Sosylos de Lacédémone, qui se vantait d’avoir enseigné le grec à Hannibal, et Silenos de Kalé Akté, que [[Cicéron]] considérait comme un spécialiste d’Hannibal<ref>[[Cicéron]], De divinatione, 1, 49</ref>, semblent avoir accompagné Hannibal dans son périple guerrier<ref>[[Cornelius Nepos]], Hannibal, 13</ref>.D’autres auteurs également pro-carthaginois ne sont connus que par leur nom : Chairéas, Eumachos de Naples. Tous sont décriés par Polybe en particulier pour ce qui concerne la traversée des Alpes, et aucun de leurs écrits ne nous sont pas parvenus<ref>{{Harvsp|Tarpin|2011|p=41-43}}</ref>.
Plusieurs historiens ont été des contemporains de la deuxième guerre punique. Certains qui suivaient le point de vue carthaginois, comme l’historien Sosylos de Lacédémone, qui se vantait d’avoir enseigné le grec à Hannibal, et Silenos de Kalé Akté, que [[Cicéron]] considérait comme un spécialiste d’Hannibal<ref group=A>[[Cicéron]], De divinatione, 1, 49</ref>, semblent avoir accompagné Hannibal dans son périple guerrier<ref group=A>[[Cornelius Nepos]], Hannibal, 13</ref>.D’autres auteurs également pro-carthaginois ne sont connus que par leur nom : Chairéas, Eumachos de Naples. Tous sont décriés par Polybe en particulier pour ce qui concerne la traversée des Alpes, et aucun de leurs écrits ne nous sont pas parvenus<ref>{{Harvsp|Tarpin|2011|p=41-43}}</ref>.


=== Polybe ===
=== Polybe ===


[[Fichier:Carte allobrogie.PNG|thumb|Territoire des Allobroges et des Tricores]]
[[Fichier:Carte allobrogie.PNG|thumb|Territoire des Allobroges et des Tricores]]
Otage grec vivant à Rome à partir de [[-168|168 av. J.-C.]] et ami des [[Scipions]], [[Polybe]] est l’auteur d’une Histoire de la République romaine qui couvre la [[seconde guerre punique]] dans son livre III, et le passage des Alpes dans les chapitres 10 à 12<ref>Polybe, ''Histoire générale'', livre III, 10-12</ref>. Il se pose en historien objectif, qui analyse et trie ses sources. Il rejette donc les exagérations des ouvrages antérieurs qui présentent les Alpes comme un obstacle infranchissable et leur franchissement comme l’exploit d’un nouvel [[Hercule (mythologie)|Hercule]], aidé par des interventions divines. Polybe affirme avoir rencontré des témoins gaulois et carthaginois ayant connu Hannibal, il s’appuie sur les récits de Sosylos de Lacédémone et Silenos de Kalé Akté, tout en les dénigrant, et dit avoir lui-même parcouru en partant d’Italie l’itinéraire suivi par Hannibal<ref>{{harvsp|Tarpin|2011|p=41}}</ref>. Malheureusement pour les historiens modernes, il dit se refuser à alourdir sa narration de détails et de noms géographiques que ses lecteurs ne pourraient pas situer. Son récit est donc relativement imprécis, et ne nomme que deux repères géographiques au départ de la traversée : Hannibal passe par le territoire des [[Allobroges]], domaine assez vaste des Alpes du nord. Le point de départ est le confluent du Rhône et d’une rivière que Polybe nomme ''Skaras'' ou ''Skaros'', et que les traducteurs identifient comme l’[[Isère (rivière)|Isère]]. Au confluent, les deux cours d’eau sont parallèles et entourent une bande de terre nommée île avant de se rejoindre.
Otage grec vivant à Rome à partir de [[-168|168 av. J.-C.]] et ami des [[Scipions]], [[Polybe]] est l’auteur d’une Histoire de la République romaine qui couvre la [[seconde guerre punique]] dans son livre III, et le passage des Alpes dans les chapitres 10 à 12<ref group=A>Polybe, ''Histoire générale'', livre III, 10-12</ref>. Il se pose en historien objectif, qui analyse et trie ses sources. Il rejette donc les exagérations des ouvrages antérieurs qui présentent les Alpes comme un obstacle infranchissable et leur franchissement comme l’exploit d’un nouvel [[Hercule (mythologie)|Hercule]], aidé par des interventions divines. Polybe affirme avoir rencontré des témoins gaulois et carthaginois ayant connu Hannibal, il s’appuie sur les récits de Sosylos de Lacédémone et Silenos de Kalé Akté, tout en les dénigrant, et dit avoir lui-même parcouru en partant d’Italie l’itinéraire suivi par Hannibal<ref>{{harvsp|Tarpin|2011|p=41}}</ref>. Malheureusement pour les historiens modernes, il dit se refuser à alourdir sa narration de détails et de noms géographiques que ses lecteurs ne pourraient pas situer. Son récit est donc relativement imprécis, et ne nomme que deux repères géographiques au départ de la traversée : Hannibal passe par le territoire des [[Allobroges]], domaine assez vaste des Alpes du nord. Le point de départ est le confluent du Rhône et d’une rivière que Polybe nomme ''Skaras'' ou ''Skaros'', et que les traducteurs identifient comme l’[[Isère (rivière)|Isère]]. Au confluent, les deux cours d’eau sont parallèles et entourent une bande de terre nommée île avant de se rejoindre.


Polybe donne une autre information géographique majeure, le point d’arrivée de l’expédition : {{citation|lorsqu'il (Hannibal) planta ses étendards dans les plaines du Pô et parmi les Insubriens<ref>Polybe, ''Histoire générale'', Livre III, 11</ref>}} et {{citation|Hannibal, arrivé dans l’Italie avec l’armée que nous avons vue plus haut, campa au pied des Alpes, pour donner quelque repos à ses troupes [...] il tâcha d’abord d’engager les [[Taurins]], peuples situés au pied des Alpes<ref>Polybe, ''Histoire générale'', Livre III, 12</ref>.}}. Ces deux peuples étaient voisins et en conflit. La capitale des Taurins, ''Taurasia'' selon [[Appien]] qui est le seul historien à la nommer<ref name="Appien I 4">[[Appien]], ''Hannibalica'', I, 4</ref>, est détruite par Hannibal. Elle est identifiée à l’actuelle [[Turin]], refondée deux siècles plus tard par les Romains<ref>{{harvsp|Maria Gambari|Rubat Borel|2011|p=64}}</ref>.
Polybe donne une autre information géographique majeure, le point d’arrivée de l’expédition : {{citation|lorsqu'il (Hannibal) planta ses étendards dans les plaines du Pô et parmi les [[Insubriens]]<ref group=A>Polybe, ''Histoire générale'', Livre III, 11</ref>}} et {{citation|Hannibal, arrivé dans l’Italie avec l’armée que nous avons vue plus haut, campa au pied des Alpes, pour donner quelque repos à ses troupes [...] il tâcha d’abord d’engager les [[Taurins]], peuples situés au pied des Alpes<ref group=A>Polybe, ''Histoire générale'', Livre III, 12</ref>.}}. Ces deux peuples étaient voisins et en conflit. La capitale des Taurins, ''Taurasia'' selon [[Appien]] qui est le seul historien à la nommer<ref group=A name="Appien I 4">[[Appien]], ''Hannibalica'', I, 4</ref>, est détruite par Hannibal. Elle est identifiée à l’actuelle [[Turin]], refondée deux siècles plus tard par les Romains<ref>{{harvsp|Maria Gambari|Rubat Borel|2011|p=64}}</ref>.

En tout la traversée avait demandé quinze jours, et infligé de lourdes pertes : Selon Polybe, Hannibal avait traversé le Rhône avec trente-huit mille hommes de pied et plus de huit mille chevaux, il ne lui restait en arrivant au pied des Alpes que douze mille Africains et huit mille Espagnols d'infanterie, et six mille chevaux.


=== Tite-Live ===
=== Tite-Live ===


Tite-Live écrit son Histoire romaine sous [[Auguste]], soit un siècle après Polybe. Son inspiration est essentiellement livresque, donc plus éloignée de la géographie. Il s’inspire largement de Polybe, et Posidonios d’Apamée<ref>{{Harvsp|Revil Baudard|2011|p=57-58}}</ref>. Comme Polybe, Tite-Live critique les historiens précédents, qui affirment une traversée dans les [[Alpes du nord]] par les [[Alpes pennines]], qui aboutissent chez les [[Salasses]] et les [[Liburnes]], et non chez les [[Taurins]]. Il rejette aussi [[Lucius Coelius Antipater|Coelius]], qui fait passer Hannibal par le ''Iugum Cremonis''<ref>Tite-Live, ''Histoire romaine'', XXI, 38</ref>. Ce ''Iugum Cremonis'' est une indication impossible à identifier, les toponymes modernes qui s'en approchent ne correspondent pas à un col qui mène directement en Italie, qu'il s'agisse du [[col de Grimone]] entre les vallées de la Drôme et de la Durance, du mont Crammont proche du [[col du Petit-Saint-Bernard]] ou du [[Grammont (sommet)|mont Grammont]] dans le [[Chablais valaisan]]<ref>Filippo Maria Gambari, Francesco Rubat Borel, ''Les Gaulois des deux versant des Alpes'', 2011, p. 61</ref>.
Tite-Live écrit son Histoire romaine sous [[Auguste]], soit un siècle après Polybe. Son inspiration est essentiellement livresque, donc plus éloignée de la géographie. Il s’inspire largement de Polybe, et Posidonios d’Apamée<ref>{{Harvsp|Revil Baudard|2011|p=57-58}}</ref>. Comme Polybe, Tite-Live critique les historiens précédents, qui affirment une traversée dans les [[Alpes du nord]] par les [[Alpes pennines]], qui aboutissent chez les [[Salasses]] et les [[Liburnes]], et non chez les [[Taurins]]. Il rejette aussi [[Lucius Coelius Antipater|Coelius]], qui fait passer Hannibal par le ''Iugum Cremonis''<ref group=A name=TL38>[[Tite-Live]], ''Histoire romaine'', XXI, 38</ref>. Ce ''Iugum Cremonis'' est une indication impossible à identifier, les toponymes modernes qui s'en approchent ne correspondent pas à un col qui mène directement en Italie, qu'il s'agisse du [[col de Grimone]] entre les vallées de la Drôme et de la Durance, du mont Crammont proche du [[col du Petit-Saint-Bernard]] ou du [[Grammont (sommet)|mont Grammont]] dans le [[Chablais valaisan]]<ref>Filippo Maria Gambari, Francesco Rubat Borel, ''Les Gaulois des deux versant des Alpes'', 2011, p. 61</ref>.


Tite-Live narre la traversée des Alpes dans les chapitres 30 à 38 de son livre 21, son récit, plus long et plus haut en couleur que celui de Polybe, en reprend la plupart des éléments : ainsi le départ se fait depuis un confluent du Rhône et d’une rivière qui entourent un terrain nommé « île », près des territoires des [[Allobroges]]. Mais les manuscrits qui ont servi à établir le texte de Tite-Live donnent plusieurs variantes pour le nom de cette rivière : ''Arar, Ibi Arar, Saras, Bissaras, Ibsara'', transcrit en ''Ibi Isara'' par le [[philologue]] du XVIIe siècle [[Philip Cluwer]], terme connu des Romains<ref>[[Strabon]], ''Géographie'', IV, 1, 11 ; [[Florus]], ''Abrégé d'Histoire romaine'', I, 37</ref> et traduit par [[Isère (rivière)|Isère]] comme le ''Skaras'' de Polybe<ref>{{Harvsp|Lancel|1955|p=123}}</ref>{{,}}<ref name=Leveau96>{{Harvsp|Leveau|Mercalli|2011|p=96}}</ref>.
Tite-Live narre la traversée des Alpes dans les chapitres 30 à 38 de son livre 21, son récit, plus long et plus haut en couleur que celui de Polybe, en reprend la plupart des éléments : ainsi le départ se fait depuis un confluent du Rhône et d’une rivière qui entourent un terrain nommé « île », près des territoires des [[Allobroges]]. Mais les manuscrits qui ont servi à établir le texte de Tite-Live donnent plusieurs variantes pour le nom de cette rivière : ''Arar, Ibi Arar, Saras, Bissaras, Ibsara'', transcrit en ''Ibi Isara'' par le [[philologue]] du XVIIe siècle [[Philip Cluwer]], terme connu des Romains<ref group=A>[[Strabon]], ''Géographie'', IV, 1, 11 ; [[Florus]], ''Abrégé d'Histoire romaine'', I, 37</ref> et traduit par [[Isère (rivière)|Isère]] comme le ''Skaras'' de Polybe<ref>{{Harvsp|Lancel|1955|p=123}}</ref>{{,}}<ref name=Leveau96>{{Harvsp|Leveau|Mercalli|2011|p=96}}</ref>.


La suite de Tite-Live donne d’autres précisions géographiques, qui sont absentes chez Polybe et sont particulièrement problématiques : après avoir reçu du ravitaillement de la part des Allobroges, {{citation|[Hannibal] se détourna vers la gauche vers le pays des [[Tricastins]], puis suivant la lisière des pays des [[Voconces]], il arriva sur le territoire des [[Tricorii|Trigoriens]], sans rencontrer d’obstacle jusqu’à la ''Druentia''<ref>Tite-Live, Histoire romaine, XXI, 31</ref>.}} Selon [[Serge Lancel]], Tite-Live mélange au moins deux sources décrivant des itinéraires différents<ref name="Lancel p122"/>, ou peut-être a-t-il en tête la traversée des Alpes au plus court effectuée par [[Jules César]] en [[-58|58 av. J.-C.]]<ref>[[Jules César]], [[Bellum Gallicum]], I, 10, </ref> par le [[col de Montgenèvre]]<ref>{{Harvsp|Lancel|1995|p=126}}</ref>.
La suite de Tite-Live donne d’autres précisions géographiques, qui sont absentes chez Polybe et sont particulièrement problématiques : après avoir reçu du ravitaillement de la part des Allobroges, {{citation|[Hannibal] se détourna vers la gauche vers le pays des [[Tricastins]], puis suivant la lisière des pays des [[Voconces]], il arriva sur le territoire des [[Tricorii|Trigoriens]], sans rencontrer d’obstacle jusqu’à la ''Druentia''<ref group=A>Tite-Live, Histoire romaine, XXI, 31</ref>.}} Selon [[Serge Lancel]], Tite-Live mélange au moins deux sources décrivant des itinéraires différents<ref name="Lancel p122"/>, ou peut-être a-t-il en tête la traversée des Alpes au plus court effectuée par [[Jules César]] en [[-58|58 av. J.-C.]]<ref group=A>[[Jules César]], [[Bellum Gallicum]], I, 10, </ref> par le [[col de Montgenèvre]]<ref name=Lancel126>{{Harvsp|Lancel|1995|p=126}}</ref>.


Pour comprendre le « vers la gauche », il faut admettre qu'Hannibal fasse demi-tour et longe le Rhône en direction du Sud, puis bifurque à gauche donc vers l’Est. Tite-Live décrit la ''Druentia'' comme une rivière difficile à traverser, non navigable, coulant en de nombreux bras entre roches et graviers, offrant partout des gués instables et des tourbillons, caractéristiques qui correspondent au lit moyen de la [[Durance]]. Cette indication est exploitée par les auteurs modernes qui proposent un itinéraire par les [[Alpes du sud]], ou est constatée comme l'écho de deux traditions inconciliables, l'une de la voie depuis l'Isère, l'autre depuis la Durance<ref name=Leveau96/>.
Pour comprendre le « vers la gauche », il faut admettre qu'Hannibal fasse demi-tour et longe le Rhône en direction du Sud, puis bifurque à gauche donc vers l’Est. Tite-Live décrit la ''Druentia'' comme une rivière difficile à traverser, non navigable, coulant en de nombreux bras entre roches et graviers, offrant partout des gués instables et des tourbillons, caractéristiques qui correspondent au lit moyen de la [[Durance]]. Cette indication est exploitée par les auteurs modernes qui proposent un itinéraire par les [[Alpes du sud]], ou est constatée comme l'écho de deux traditions inconciliables, l'une de la voie depuis l'Isère, l'autre depuis la Durance<ref name=Leveau96/>.


===Les autres auteurs latins ===
=== Les auteurs postérieurs ===


Parmi les écrivains postérieurs à Tite-Live, [[Silius Italicus]] consacre au passage des Alpes une importante partie du livre 3 de son épopée<ref>[[Silius Italicus]], ''Punica'', livre III, vers 456-556</ref>, tandis que d'autres auteurs sont brefs ou lacunaires sur cet épisode<ref>{{Harvsp|Tarpin|2011|p=48}}</ref> : [[Appien]] mentionne brièvement le passage<ref name="Appien I 4"/>, [[Dion Cassius]] n'a laissé que des fragments où manque la traversée des Alpes. [[Pline l'Ancien]] affirme qu'Hannibal est passé par les [[Alpes pennines]], c'est-à-dire par le côté suisse<ref>Pline l'Ancien, Histoires naturelles, III, 17, 123</ref>, point auparavant réfuté par Tite-Live. Plus tardif encore, [[Ammien Marcellin]] condense dans un texte confus l'approche par les [[Alpes pennines]], le trajet partant des Tricastins puis le long du territoire des [[Voconces]], l'ouverture d'un passage en entamant la roche, puis la traversée de la Durance pour atteindre l'Étrurie<ref>[[Ammien Marcellin]], livre XV, 10, 9-11</ref>.
Parmi les écrivains postérieurs à Tite-Live, [[Silius Italicus]] consacre au passage des Alpes une importante partie du livre 3 de son épopée. Il reprend les indications géographiques de Tite-Live {{citation|l'armée s'avance par le pays des Tricastins, et se porte par des chemins plus faciles dans les champs des Voconces. Là, des troncs d'arbres et des débris de roches attestent la fureur de la Durance}}, et il décrit la descente éprouvante à travers la neige et la glace<ref group=A>[[Silius Italicus]], ''Punica'', livre III, vers 456-556 [http://remacle.org/bloodwolf/historiens/italicus/punique3.htm]</ref>. Les autres auteurs sont brefs ou lacunaires sur cet épisode<ref name=Tarpin48>{{Harvsp|Tarpin|2011|p=48}}</ref> : [[Cornelius Nepos]]<ref group=A>[[Cornelius Nepos]], ''Vie des grands capitaines'', Hannibal, III [http://www.mediterranees.net/histoire_romaine/nepos/annibal.html]</ref> et [[Appien]]<ref group=A name="Appien I 4"/> mentionnent brièvement le passage, [[Dion Cassius]] n'a laissé que des fragments où manque la traversée des Alpes. Le géographe [[Strabon]] note que Polybe cite quatre cols à travers les Alpes, dont {{citation|un chez les Taurins, qui est celui que franchit Hannibal<ref group=A>[[Strabon]], ''Géographie'', IV, 6, 12</ref>}}, tandis [[Pline l'Ancien]] affirme qu'Hannibal est passé par les [[Alpes pennines]], c'est-à-dire par le côté suisse<ref group=A>Pline l'Ancien, Histoires naturelles, III, 17, 123</ref>, point auparavant réfuté par Tite-Live. Plus tardifs encore, [[Aurelius Victor]] dit sans plus de détail qu'Hannibal se fraya une route à travers les Alpes<ref group=A>[[Aurelius Victor]], ''De viris illustribus'', XLIII, [http://www.mediterranees.net/histoire_romaine/victor/43.html]</ref>, tandis qu'[[Ammien Marcellin]] condense dans un texte confus l'approche par les [[Alpes pennines]], le trajet partant des Tricastins puis longeant le territoire des [[Voconces]], l'ouverture d'un passage en entamant la roche, puis la traversée de la Durance pour atteindre l'Étrurie<ref group=A>[[Ammien Marcellin]], livre XV, 10, 9-11</ref>.


Face à des thèses contradictoires, le satiriste [[Juvénal]] peut ironiser : {{citation|Va insensé, cours à travers les Alpes escarpées, pour finalement amuser des écoliers et devenir un sujet de déclamation<ref>[[Juvénal]], ''Satires'', 10</ref>{{,}}<ref>{{Harvsp|Dalaine|2011|p=135}}</ref>}}.
Face à des thèses contradictoires, le satiriste [[Juvénal]] peut ironiser : {{citation|Va insensé, cours à travers les Alpes escarpées, pour finalement amuser des écoliers et devenir un sujet de déclamation<ref group=A>[[Juvénal]], ''Satires'', 10</ref>{{,}}<ref>{{Harvsp|Dalaine|2011|p=135}}</ref>}}.


== Les études modernes ==
== Les études modernes ==
=== Profusion d'ouvrages ===


Presque oubliée au Moyen-Âge, la question de l’itinéraire d’Hannibal à travers des Alpes est reprise par les érudits à partir du XVIe siècle, avec la redécouverte des textes de Tite-Live<ref>{{Harvsp|Lancel|1995|p=121}}</ref>, et à l’occasion des [[guerres d'Italie]], qui voient des armées rééditer l’exploit antique. Dans une inflation d’ouvrages, plus de trois cents recensés en 1902, plus de huit cents en 2001, presque tous les cols entre le [[col du Simplon]] et le [[col de Tende]] ont été proposés. Du XVIe au XVIIIe siècle, sont principalement en faveur le [[col du Grand-Saint-Bernard]], celui du [[Col du Mont-Cenis|Mont-Cenis]] ou celui du [[Col du Montgenèvre|Montgenèvre]]. Puis ce fut le tour du [[col du Petit-Saint-Bernard]], et enfin à partir de la fin du XIXe et courant du XXe, on privilégie deux cols dans le secteur du Mont Cenis, le [[col Clapier]], proposé par Jean-Baptiste Perrin, et le col de Savine-Coche, cité pour la première fois en 1956 par Marc-Antoine de Lavis-Trafford <ref>{{fr}} [http://www.chalet-lavis-trafford.com/histoire.html Histoire du chalet Lavis-Trafford]</ref>. Aujourd’hui, Internet a pris le relais dans la quête d’une hypothétique réponse avec de nombreux sites dédiés<ref> Quelques sites : {{Lien web
Presque oubliée au Moyen-Âge, la question de l’itinéraire d’Hannibal à travers des Alpes est reprise par les érudits à partir du XVIe siècle, avec la redécouverte des textes de Tite-Live<ref>{{Harvsp|Lancel|1995|p=121}}</ref>, et à l’occasion des [[guerres d'Italie]], qui voient des armées rééditer l’exploit antique. Dans une inflation d’ouvrages, plus de trois cents recensés en 1902, plus de huit cents en 2001, presque tous les cols entre le [[col du Simplon]] et le [[col de Tende]] ont été proposés. Du XVIe au XVIIIe siècle, sont principalement en faveur le [[col du Grand-Saint-Bernard]], celui du [[Col du Mont-Cenis|Mont-Cenis]] ou celui du [[Col du Montgenèvre|Montgenèvre]]. Puis ce fut le tour du [[col du Petit-Saint-Bernard]], et enfin à partir de la fin du XIXe et courant du XXe, on privilégie deux cols dans le secteur du Mont Cenis, le [[col Clapier]], proposé par Jean-Baptiste Perrin, et le col de Savine-Coche, cité pour la première fois en 1956 par Marc-Antoine de Lavis-Trafford <ref> [http://www.chalet-lavis-trafford.com/histoire.html Histoire du chalet Lavis-Trafford]</ref>. Aujourd’hui, Internet a pris le relais dans la quête d’une hypothétique réponse avec de nombreux sites dédiés <ref>Quelques sites : {{Lien web
| url = http://hannibal-dans-les-alpes.com/
| url = http://hannibal-dans-les-alpes.com/
| titre = Hannibal dans les Alpes
| titre = Hannibal dans les Alpes
Ligne 42 : Ligne 41 :
| url = http://ollier.pierre.free.fr/HANNIBAL.htm
| url = http://ollier.pierre.free.fr/HANNIBAL.htm
| titre = Itinéraire d'Hannibal lors du franchissement des Alpes en 218 avant J.-C.
| titre = Itinéraire d'Hannibal lors du franchissement des Alpes en 218 avant J.-C.
}}.</ref>.
}}.</ref>


Mais pour l'historien [[Serge Lancel]], {{citation|parcourir les Alpes avec son Tite-Live et son Polybe à la main est une entreprise plus chimérique que de prétendre trouver le vrai site d'Alésia en cherchant à faire coïncider le texte de César avec une carte d'état-major<ref name="Lancel p122">{{Harvsp|Lancel|1995|p=122}}</ref>}}. Si certains auteurs estimaient chacun avoir résolu la question de façon définitive par leurs déductions à partir de soit de Polybe, soit de Tite-Live, soit en tentant de les concilier à tout prix, les auteurs plus récents sont moins catégoriques et plus prudents et élargissent le champ d’étude à la recherche topographique de terrain<ref>{{Harvsp|Dalaine|2011|p=128}}</ref>.
Mais pour l'historien [[Serge Lancel]], {{citation|parcourir les Alpes avec son Tite-Live et son Polybe à la main est une entreprise plus chimérique que de prétendre [[Historiographie du débat sur la localisation d'Alésia|trouver le vrai site d'Alésia]] en cherchant à faire coïncider le texte de César avec une carte d'état-major<ref name="Lancel p122">{{Harvsp|Lancel|1995|p=122}}</ref>}}. Si certains auteurs estimaient chacun avoir résolu la question de façon définitive par leurs déductions à partir de soit de Polybe, soit de Tite-Live, soit en tentant de les concilier à tout prix, les auteurs plus récents sont moins catégoriques et plus prudents et élargissent le champ d’étude à la recherche topographique de terrain<ref>{{Harvsp|Dalaine|2011|p=128}}</ref>.


=== Recherches d’éléments archéologiques ===
=== Recherches d’éléments archéologiques ===


Les [[gravure rupestre|gravures rupestres]] présentes autour du massif du mont Cenis, dans la [[Maurienne]] du côté français, ou dans le [[Val de Suse]] ou la Valcenischia du côté italien ont été étudiées, mais la recherche d'éventuelles traces iconographiques du passage d'Hannibal dans les Alpes n'a pas donné d'élément probant<ref>{{Harvsp|Arcà|2011|p=69-70}}</ref>. Des gravures de personnages armés ont été trouvés dans le Val de Suse et sur le site de ''Alpe Carolei'' dans la Valcenischia, mais leur datation probable s'étale du VIe au IIe siècle av. J.-C., et les armements représentés sont trop généraux (épées, boucliers, lances) ou trop typés (haches en demi-lune) pour être rapprochés de façon probante de ceux de l'armée d'Hannibal. Ces gravures témoignent plutôt du caractère guerrier des populations antiques locales<ref>{{Harvsp|Arcà|2011|p=74}}</ref>.
Les [[gravure rupestre|gravures rupestres]] présentes autour du [[massif du Mont-Cenis]], dans la [[Maurienne]] du côté français, ou dans le [[Val de Suse]] ou la Valcenischia du côté italien ont été étudiées, mais la recherche d'éventuelles traces iconographiques du passage d'Hannibal dans les Alpes n'a pas donné d'élément probant<ref>{{Harvsp|Arcà|2011|p=69-70}}</ref>. Des gravures de personnages armés ont été trouvés dans le Val de Suse et sur le site de ''Alpe Carolei'' dans la Valcenischia, mais leur datation probable s'étale du VIe au IIe siècle av. J.-C., et les armements représentés sont trop généraux (épées, boucliers, lances) ou trop typés (haches en demi-lune) pour être rapprochés de façon probante de ceux de l'armée d'Hannibal. Ces gravures témoignent plutôt du caractère guerrier des populations antiques locales<ref>{{Harvsp|Arcà|2011|p=74}}</ref>.


Les rares représentations d'éléphants découvertes dans les Alpes franco-italiennes sont associées à des datations incompatibles avec le IIIe siècle av. J.-C. : une gravure d'éléphant sur une roche dans la zone du [[Valcamonica]] a été exécutée durant la période historique, peut-être au XVIe siècle. Une autre représentation dans la ''grotte de l'éléphant'' dans les gorges du [[Toulourenc]] (Drôme) est couverte d'un voile de calcite, et est très ancienne, probablement du [[paléolithique]]<ref>{{Harvsp|Arcà|2011|p=70-71}}</ref>.
Les rares représentations d'[[éléphant]]s découvertes dans les Alpes franco-italiennes sont associées à des datations incompatibles avec le IIIe siècle av. J.-C. : une gravure d'éléphant sur une roche dans la zone du [[Valcamonica]] a été exécutée durant la période historique, peut-être au XVIe siècle. Une autre représentation dans la ''grotte de l'éléphant'' dans les gorges du [[Toulourenc]] (Drôme) est couverte d'un voile de [[calcite]], et est très ancienne, probablement du [[paléolithique]]<ref>{{Harvsp|Arcà|2011|p=70-71}}</ref>.


Une découverte fortuite a été fait durant l'été 1944 dans un terrain marécageux près de la [[Sestrières]], dans la vallée de [[Suse (Italie)|Suse]] en Italie. Le creusement d'une tranchée par des résistants italiens mit au jour divers objets, dont des [[torque (collier)|torques]], probablement de l'[[âge du Fer]], et une surprenante défense d'éléphant. La période de conflit rendait impossible des recherches archéologiques, les objets furent dispersés, seul leur dessin a subsisté, et le lieu de la découverte fut remblayé après la guerre. La trouvaille d'une défense d'éléphant excita l'esprit des découvreurs, mais elle peut avoir été rapportée par des mercenaires celtes engagés à Carthage ou dans les royaumes hellénistiques<ref>{{Harvsp|Maria Gambari|Rubat Borel|2011|p=66-67}}</ref>, et sa disparition interdit toute étude sérieuse.
Une découverte fortuite a été fait durant l'été 1944 dans un terrain marécageux près de la [[Sestrières]], dans la vallée de [[Suse (Italie)|Suse]] en Italie. Le creusement d'une tranchée par des résistants italiens mit au jour divers objets, dont des [[torque (collier)|torques]] celtes, probablement de l'[[âge du Fer]], et une surprenante défense d'éléphant. La période de conflit rendait impossible des recherches archéologiques, les objets furent dispersés, seul leur dessin a subsisté, et le lieu de la découverte fut remblayé après la guerre. La trouvaille d'une défense d'éléphant excita l'esprit des découvreurs, mais sa provenance peut avoir plusieurs origines, elle peut avoir été rapportée par des mercenaires celtes engagés à Carthage ou dans les royaumes hellénistiques<ref>{{Harvsp|Maria Gambari|Rubat Borel|2011|p=66-67}}</ref>. Sa disparition interdit toute étude sérieuse.


== Le récit de la traversée ==
===Approche par un portrait-robot du col ===
=== Approche et montée des Alpes ===
[[Fichier:Col de Clapier (by Edward Boenig) 01.jpg|thumb|Col de Clapier (2477 m), vue sur la haute vallée de [[Suse (Italie)|Suse]] ]]
L’archéologue amateur Marc-Antoine de Lavis-Trafford a récapitulé en 1958 une série de caractéristiques du col franchi par Hannibal, extrait des textes de Polybe et de Tite-Live<ref name=Leveau97>{{Harvsp|Leveau|Mercalli|2011|p=97}}</ref> :
* comporter un emplacement assez vaste pour un campement
* être sur le versant gaulois
* disposer d’un promontoire offrant un panorama sur la plaine du Pô<ref name="Tite-Live - Histoire romaine - Livre XXI">{{fr}} [http://bcs.fltr.ucl.ac.be/LIV/XXI.html#35 Tite-Live, ''Histoire romaine'', Livre XII, 35]</ref>
* présenter au début de la descente un arrachement de terrain
* être élevé et démuni de pâturages
* avoir une exposition permettant la conservation de [[névé]]s durant l'été
* offrir plus bas des pâturages ensoleillés
* être à une distance permettant à une troupe fatiguée d’atteindre la plaine en trois jours
* aboutir au territoire des [[Taurins]]<ref>{{fr}} [http://remacle.org/bloodwolf/historiens/polybe/trois.htm#XII Polybe, ''Histoire générale'', Livre III, 12]</ref>


Polybe et Tite-Live s’accordent sur l’aide initiale qu’apportent les [[Allobroges]], qui fournissent des vivres et des vêtements chauds à la troupe d’Hannibal. En revanche, ils divergent comme indiqué précédemment sur la direction prise : selon Polybe, Hannibal suit pendant dix jours l’Isère, parcourant sans encombre et sur un terrain plat une distance de huit cents [[stade (unité)|stades]], ce qui correspond à environ 150 kilomètres<ref name=Lancel128>{{harvsp|Lancel|1995|p=128}}</ref>, tandis que selon Tite-Live, Hannibal se dirige vers la Durance <ref group=A>Tite-Live, XXI, 31</ref>.
Seuls d'une part le col Clapier ou son voisin le col de Savine-Coche, entre la vallée de la [[Maurienne]] et du [[val de Suse]], au sein du [[massif du Mont-Cenis]], et d'autre part le col de la Traversette situé au nord du [[Mont Viso]] et qui débouche sur la haute vallée du [[Pô]] satisfont à la majorité de ces critères<ref>{{Harvsp|Arcà|2011|p=69}}</ref>{{,}}<ref name=Leveau97/>.


Les historiens adeptes de la version de Polybe sont confrontés à un choix supplémentaire pour proposer leur itinéraire : sur quelle rive la troupe chemine-t-elle, dans l’hypothèse où elle veut éviter tout franchissement de rivière, malaisé voire périlleux ? Chaque voie a ses passages difficiles : la rive gauche présente un passage étroit au bec de l’Échaillon, extrémité nord du [[Vercors]] en face de [[Voreppe]], puis fait traverser le [[Drac]], petit affluent de l’Isère. Remonter la rive droite impose de traverser l’Isère, et de passer le resserrement de l’Isère contre la Chartreuse, dans le site de la future [[Grenoble]]<ref name=Lancel128/>.
Dans les Alpes septentrionales, le [[Col Clapier|Clapier]] satisferait à deux conditions : vue sur la plaine du Pô et peuplement des Taurins. C’est pourquoi, depuis le colonel Perrin en [[1883]], de nombreux auteurs se rallient à cette thèse<ref>Ce sont notamment le colonel Paul Azan (1902), le capitaine Colin (1904), H. Ferrand (1908), Spenser Wilkinson (1911), Marc-Antoine de Lavis-Trafford (1956), l’historien savoyard Jean Prieur (1968), Serge Lancel (1996), le savant suisse E. Meyer, Guy Barruol (1996), Denis Proctor (1971), Wallbank (1977) ou John Francis Lazenby (1998).</ref>.


Après la progression en terrain plat, Polybe et Tite-Live s’accordent sur les premières difficultés et les accrochages avec des populations hostiles : Hannibal commence la montée des Alpes dans des secteurs plus encaissées, son armée s’étire en longueur, dans les passages escarpés des bêtes de charge et des chevaux sont parfois victimes de chûtes collectives. La colonne est alors harcelée à plusieurs reprises par les indigènes embusqués sur les hauteurs et essuie des pertes importantes. Hannibal parvient à prendre à revers les assaillants en envoyant de nuit des détachements se poster sur les hauteurs. Puis en représailles, il pille une cité désertée par ses habitants, s'empare de tout le ravitaillement et de des bêtes de charge, et y campe pendant une journée pour reposer ses troupes<ref group=A>Polybe, III, 50, 3 ; Tite-Live, XXI, 32, 8</ref>.
De son côté, l'embryologiste [[Gavin de Beer|Sir Gavin de Beer]] (1899-1972), dans son ouvrage publié en [[1955]]) refuse la lecture ''Isaras'' qu'on fait chez Tite-Live, assimile le ''Skaras'' de Polybe à l'[[Aigues]], affluent du Rhône<ref>{{Harvsp|Lancel|1995|p=124}}</ref> transcrit au Moyen-Âge en ''Equeris'' (1278), ''Icaris'' (1321), ''Yquarum'' (1393), ''Yguaris'' (1414), rejoint les auteurs qui admettent l'itinéraire par la ''Druentia''/Durance<ref name=Leveau96/> et propose un passage par le col de la Traversette dans les Alpes méridionales, près du [[mont Viso]]. L'altitude élevée de ce col garantit selon de Beer la présence de [[névé]]s recouvert de neige lors du passage d'Hannibal<ref name=Leveau102>{{Harvsp|Leveau|Mercalli|2011|p=102}}</ref>. Toutefois, son hypothèse est violemment contestée, y compris en [[Angleterre]].


Certains chercheurs ont proposé leur identification de ces lieux d'embuscade, parmi lesquels : au bec d’[[Aiton]] à l’entrée de la vallée de l’[[Arc (rivière)|Arc]] pour [[Camille Jullian]]<ref>[[Camille Jullian]], ''Histoire de la Gaule'', tome I, Paris, 1920, p. 480</ref> ou un peu plus en amont de l’Arc, à [[Aiguebelle (Savoie)|Aiguebelle]]<ref>E de Saint-Denis, Encore l’itinéraire transalpin d’Hannibal, ''Revue des études latines'', 51, 1974, p. 141</ref> ou encore, au prix d’itinéraires détournés, les [[gorges de la Bourne]] à travers le [[massif du Vercors]] selon Lazenby<ref>{{en}} John Francis Lazenby, ''Hannibal’s War. A military History of the second punic war'', Warminster, 1978, p. 42</ref>, ou la gorge de l'[[Hyères (Savoie)|Hyères]] près de [[Vimines|Vimines-Saint Cassin]] à l’entrée du bassin de [[Chambéry]] selon Aimé Bocquet<ref name=Bocquet>[http://aimebocquet.perso.sfr.fr/hannibal.htm Site personnel d’Aimé Bocquet consacré à la traversée des Alpes par Hannibal]</ref>.
L’une des caractéristiques majeures du col par lequel Hannibal aurait franchi les Alpes est la vue que l’on a du [[Col de montagne|col]] sur la [[plaine du Pô]]. Hannibal y aurait en effet montré la plaine du Pô à ses soldats affamés et découragés<ref name="Tite-Live - Histoire romaine - Livre XXI"/>. Dans les Alpes septentrionales, du Montgenèvre au [[Col du Grand-Saint-Bernard|Grand-Saint-Bernard]], seuls le col de Savine-Coche et le col de Larche permettraient cette vue<ref>{{fr}} [http://hannibal-dans-les-alpes.com/11-hypotheses-maurienne.htm Hypothèse de la Maurienne (Hannibal dans les Alpes)]</ref>. Reste que les partisans du Petit-Saint-Bernard contestent le sens de la phrase de [[Polybe]]. L’usage habituel des historiens antiques étant d’imaginer des discours vraisemblables placés dans la bouche des personnages historiques, il n’y a guère de raisons de croire à l’authenticité absolue de cette scène, et au geste d’orateur qui l’accompagne. Dès lors qu’il est possible que la scène relatée soit la [[figure de rhétorique]] du général qui exhorte sa troupe, un [[lieu commun]] des récits antiques, la comparaison des divers chemins envisageables ne peut emporter de décision définitive.


Des émissaires gaulois viennent parlementer et proposent leur aide à Hannibal, qui accepte de suivre leurs guides. Par prudence, il organise la marche de son armée en colonne défensive, avec sa cavalerie en tête, suivi des éléphants et des transports, et les fantassins lourds en arrière-garde. Cette disposition le sauve du désastre lorsque ces guides le mènent dans un passage entouré de falaises où il est assailli. Coupé de son avant-garde et de ses bagages pendant une nuit, Hannibal finit par repousser les attaques, au prix de nouvelles pertes en hommes et en montures<ref group=A>Polybe, III, 53 ; Tite-Live, XXI, 34</ref>.
Les partisans du Petit-Saint-Bernard affirment aussi que les [[brouillard]]s qui s’élèvent souvent de la plaine du Pô empêchent de voir celle-ci. Pourtant, cette plaine a été vue et photographiée de nombreuses fois, un exemple figurant sur le [[site web]] de Patrick Hunt, professeur d’[[archéologie]] à [[Université Stanford|Stanford]], consacré à ses recherches du col par lequel Hannibal serait passé en Italie ; ce dernier considère le [[Col Clapier|Clapier]] comme le seul col qui réponde parfaitement aux textes antiques.
Là encore, diverses localisations de cette embuscade sont proposées selon l'itinéraire supposé : la haute vallée de l’Arc pour Serge Lancel<ref name=Lancel130>{{harvsp|Lancel|1995|p=130}}</ref>, l’[[Étroit du Siaix]] creusé dans la [[vallée de la Tarentaise]] par l'[[Isère (rivière)|Isère]] selon Aimé Bocquet.


Les attaques se font plus rares à la fin de la montée, et ne visent que les traînards isolés. Le col aux sommets enneigés est atteint au neuvième jour de montée, au début du coucher des [[Pléiades (astronomie)|Pléiades]]<ref group=A name=PTLcol>Polybe, III, 53, 9 ; Tite-Live, XXI, 35, 4</ref>, événement astronomique qui se produit au début du mois de novembre<ref name=Lancel131>{{harvsp|Lancel|1995|p=131}}</ref>. Hannibal stationne deux jours en ce point pour regrouper les traînards et les bêtes égarées avant d’entamer la descente.
=== Théories sur les itinéraires nord ===

Ici Polybe et Tite-Live placent une scène célèbre, quasi théâtrale, que de nombreux chercheurs considèrent comme un indice déterminant pour l’identification du col : s’avançant sur un piton qui domine le site, Hannibal ranime le moral de ses soldats épuisées en leur montrant la [[plaine du Pô]] qui s’étalait sous leurs yeux et où les attendent des populations accueillantes<ref group=A name=PTLcol/>.

=== Descente du col ===

Les péripéties de la descente faites par Polybe et par Tite-Live coïncident à tel point que certains présument que Tite-Live a pratiquement copié Polybe<ref>Paul Jal, traduction de Tite-Live, livre XXI, 1988, Les Belles Lettres, {{isbn|2-251-01345-8}}, pp.XVI-XVII</ref>, ou que tous deux ont compilé un même auteur, qui selon Serge Lancel serait Silenos, compagnon d’Hannibal et témoin oculaire de la traversée des Alpes, source directe de Polybe, et indirecte de Tite-Live par l’intermédiaire de [[Lucius Coelius Antipater|Coelius]]<ref name=Lancel131/>, ou bien [[Quintus Fabius Pictor|Fabius Pictor]]<ref>{{harvsp|Lancel|1995|p=50}}</ref>.

Le versant italien offre un trajet plus court mais plus raide que le côté gaulois. Bientôt un obstacle bloque l’avance : un tronçon de la voie est coupé par un éboulement, seuls quelques fantassins parviennent à avancer en se cramponnant à la végétation. Une tentative de contournement par une zone de [[névé]]s se révèle vite impraticable : la neige fraîche déposée par-dessus une neige glacée de l’année précédente se transforme rapidement sous les piétinements en une gadoue glissante, des chutes collectives entraînent hommes et bêtes. Après une nuit de bivouac, on entreprend de reconstituer le chemin détruit par l’éboulement.

A l’inverse de Polybe, Tite-Live donne des détails techniques précis, repris plus tard par [[Silius Italicus]] et [[Ammien Marcellin]], et qui ont suscités des problèmes de compréhension : Tite-Live indique que la roche est attaquée par le feu de troncs d’arbres énormes et arrosée de [[vinaigre]]<ref group=A>Tite-Live, XXI, 37, 2</ref>. L’anecdote a été discutée et même qualifiée de légendaire, tant pour la dissolution de la roche par du vinaigre que pour ces troncs énormes pris on ne sait où dans un environnement dénudé. De surcroit, certains traducteurs dont Paul Jal ont noté la difficulté de compréhension de plusieurs mots employés par Tite-Live : le mot ''rupis'' pour désigner la roche correspondrait plutôt à une plaque rocheuse en plan inclinée qu’à une paroi verticale, et non à l’énorme rocher décrit par [[Ammien Marcellin]]<ref group=A>Ammien Marcellin, XV, 10, 11</ref> ; le mot ''putrefactio'' employé pour qualifier l’action du vinaigre sur la roche est parfois traduit par ''dissolution '', ce qui semble absurde<ref name=Tarpin48/>. Néanmoins, ces points ont reçus des explications. Le vinaigre fait partie de l’approvisionnement courant des armées antiques, sa présence ne doit pas surprendre<ref>{{Harvsp|Lancel|1995|p=132}}</ref>. Son épandage sur une roche brulante est un procédé de fragmentation par [[choc thermique]], décrit par Pline, le vinaigre étant réputé être un liquide de nature froide<ref group=A>[[Pline l'Ancien]], ''Histoires naturelles'', II, 59 , 2 ; III, 21, XXIII, 27, 4</ref>. Enfin, l’utilisation d’arbres pour le feu donne une indication altimétrique, l’obstacle à franchir devant être dans l’[[étage alpin]], un peu au-dessus de la [[limite des arbres]]<ref>{{Harvsp|Leveau|Mercalli|p=99-101}}</ref>.

Après un jour d'efforts, le passage devient suffisant pour les chevaux et les mulets que l’on parque dans un [[alpage]] en contre-bas. Trois jours de plus rendent le chemin praticable par les éléphants, et le reste de la troupe achève la descente.

En tout la traversée avait demandé quinze jours, au prix de lourdes pertes : Selon Polybe, Hannibal avait traversé le Rhône avec trente-huit mille hommes de pied et plus de huit mille chevaux, il ne lui restait en arrivant au pied des Alpes que douze mille Africains et huit mille Espagnols d'infanterie, et six mille chevaux. Il faut ajouter la perte de nombreuses bêtes de somme, avec les bagages et les approvisionnements qu’elles portaient. Mais Hannibal a réussi à surprendre les Romains par son irruption dans la Gaule cisalpine<ref>{{Harvsp|Lancel|1995|p=136}}</ref>. Enfin, il est parvenu à faire franchir les Alpes par un groupe d’éléphants, qui n'ont joué un rôle qu’à la [[bataille de la Trebbia (deuxième guerre punique)|bataille de la Trébie]].

== Localisation du col emprunté ==
=== Accès par les Alpes du nord ===


====Le col du Grand-Saint-Bernard====
====Le col du Grand-Saint-Bernard====
En remontant le haut [[Rhône]] et en passant par le [[col du Grand-Saint-Bernard]], on franchit les [[Alpes pennines]], les ''Alpes poeninae'' des Romains. L’écrivain romain [[Lucius Coelius Antipater|Coelius Antipater]], cité par [[Tite-Live]], a fait le rapprochement entre ce nom et l'adjectif ''poenus'' qui veut dire [[punique]], et considère que l'appelation dérive du passage d'Hannibal. Tite-Live critique cette étymologie, et donne comme argument que les tribus locales, les [[Sédunes]] et les [[Véragres]], rapportent que ce nom vient du dieu ''Poeninus'' adoré sur leurs sommets<ref>[[Tite-Live]], ''Histoire romaine'', XXI, 38</ref>. Malgré Tite-Live, les écrivains postérieurs reprirent cette étymologie fantaisiste, [[Pline l'Ancien]]<ref>[[Pline l'Ancien]], ''Histoires naturelles'', III, 17, 123</ref>, [[Ammien Marcellin]]<ref>[[Ammien Marcellin]], livre XV, 9-11</ref>, [[Isidore de Séville]], jusqu'au moderne [[Gaffiot]] (édition [[2000]]) qui donne cette étymologie sans discuter.
En remontant le haut [[Rhône]] et en passant par le [[col du Grand-Saint-Bernard]], on franchit les [[Alpes pennines]], les ''Alpes poeninae'' des Romains. L’écrivain romain [[Lucius Coelius Antipater|Coelius Antipater]], cité par [[Tite-Live]], a fait le rapprochement entre ce nom et l'adjectif ''poenus'' qui veut dire [[punique]], et considère que l'appelation dérive du passage d'Hannibal. Tite-Live critique cette étymologie, et donne comme argument que les tribus locales, les [[Sédunes]] et les [[Véragres]], rapportent que ce nom vient du dieu ''Poeninus'' adoré sur leurs sommets<ref group=A name=TL38/>. Malgré Tite-Live, les écrivains postérieurs reprirent cette étymologie fantaisiste, [[Pline l'Ancien]]<ref group=A>[[Pline l'Ancien]], ''Histoires naturelles'', III, 17, 123</ref>, [[Ammien Marcellin]]<ref group=A>[[Ammien Marcellin]], livre XV, 9-11</ref>, [[Isidore de Séville]], jusqu'au moderne [[Gaffiot]] (édition [[2000]]) qui donne cette étymologie sans discuter.


Des chercheurs modernes ont fait dériver ce nom du gaulois ''pennos'', « tête, sommet, extrémité », qui aurait formé un nom de divinité ''Penn''. Toutefois, la prononciation de ''poeninus'' avec une [[diphtongue]] marquée « ''oe'' » empêche ce rapprochement. Deux inscriptions rupestres découvertes dans la commune de [[Carona (Italie)|Carona]] près de [[Bergame]] et étudiées en 2008 par Filippo Motta confortent la thèse de Tite-Live faisant provenir l’appellation du nom d’une divinité locale : datables des IIIe-IIe siècles av. J.-C. et rédigées dans l'alphabet de Luguno employé par les Celtes de Gaule cisalpine, les inscriptions semblent être des dédicaces indigènes adressées à ''poininos'' et ''poinunei'', <ref>Francesco Rubat Borel, ''Poininos/Poeninus, un faux ami entre la langue celtique et Poeni, le nom des Carthaginois'', In ''Hannibal et les Alpes'', Infolio, 2011, {{isbn|978-2-88474-244-3}}, pp.90-93</ref>.
Des chercheurs modernes ont fait dériver ce nom du gaulois ''pennos'', « tête, sommet, extrémité », qui aurait formé un nom de divinité ''Penn''. Toutefois, la prononciation de ''poeninus'' avec une [[diphtongue]] marquée « ''oe'' » empêche ce rapprochement. Deux inscriptions rupestres découvertes dans la commune de [[Carona (Italie)|Carona]] près de [[Bergame]] et étudiées en 2008 par Filippo Motta confortent la thèse de Tite-Live faisant provenir l’appellation du nom d’une divinité locale : datables des IIIe-IIe siècles av. J.-C. et rédigées dans l'alphabet de Lugano employé par les Celtes de Gaule cisalpine, les inscriptions semblent être des dédicaces indigènes adressées à ''poininos'' et ''poinunei''<ref>Francesco Rubat Borel, ''Poininos/Poeninus, un faux ami entre la langue celtique et Poeni, le nom des Carthaginois'', In ''Hannibal et les Alpes'', Infolio, 2011, {{isbn|978-2-88474-244-3}}, pp.90-93</ref>.

Tite-Live avance une seconde raison pour réfuter le passage par les Alpes pennines : venant de là, Hannibal serait arrivé dans le territoire des [[Salasses]], et non chez les [[Taurins]] comme admis par tous les historiens<ref name=Lancel126/>.


====Le col du Petit-Saint-Bernard====
====Le col du Petit-Saint-Bernard====
[[Fichier:Col du Petit Saint Bernard 090922.jpg|thumb|Route moderne du col du Petit-Saint-Bernard, 2188 m]]
[[Fichier:Col du Petit Saint Bernard 090922.jpg|thumb|Route moderne du col du Petit-Saint-Bernard, 2188 m]]
Le préhistorien français Aimé Bocquet<ref>{{fr}} [http://aimebocquet.perso.sfr.fr/hannibal.htm Site personnel d’Aimé Bocquet consacré à la traversée des Alpes par Hannibal]</ref> retient un itinéraire par le Petit-Saint-Bernard<ref>{{Harvsp|Leveau|Mercalli|2011|p=95}}</ref>, Il rejette le récit de Tite-Live au profit de celui de Polybe et s’appuie aussi sur la [[Table de Peutinger]], carte antique qui décrit un trajet à travers les [[Alpes grées]] depuis [[Aoste]] jusqu'aux cités de la vallée de l'Isère, qui selon Bocquet devait emprunter un tracé plus ancien de l'époque celte et déjà praticable à l'époque d'Hannibal. De plus, Bocquet note que Polybe indique qu’« [Hannibal] planta ses étendards dans les plaines du Pô et parmi les Insubriens »<ref>{{fr}} [http://remacle.org/bloodwolf/historiens/polybe/trois.htm#XI Polybe, ''Histoire générale'', Livre III, 56]</ref> avant d’attaquer les peuples de la région de [[Turin]]. Or, selon Bocquet, Hannibal devait passer par le Petit-Saint-Bernard pour arriver chez les [[Insubres]], dans le [[val d'Aoste]].
Le préhistorien français Aimé Bocquet<ref name=Bocquet/> retient un itinéraire par le Petit-Saint-Bernard<ref>{{Harvsp|Leveau|Mercalli|2011|p=95}}</ref>, Il rejette le récit de Tite-Live au profit de celui de Polybe et s’appuie aussi sur la [[Table de Peutinger]], carte antique qui décrit un trajet à travers les [[Alpes grées]] depuis [[Aoste]] jusqu'aux cités de la vallée de l'Isère, qui selon Bocquet devait emprunter un tracé plus ancien de l'époque celte et déjà praticable à l'époque d'Hannibal. De plus, Bocquet note que Polybe indique qu’« [Hannibal] planta ses étendards dans les plaines du Pô et parmi les Insubriens »<ref group=A>Polybe, ''Histoire générale'', Livre III, 56</ref> avant d’attaquer les peuples de la région de [[Turin]]. Or, selon Bocquet, Hannibal devait passer par le Petit-Saint-Bernard pour arriver chez les [[Insubres]], dans le [[val d'Aoste]].

=== Accès par les Alpes du sud : le col de la Traversette ===

L'embryologiste [[Gavin de Beer|Sir Gavin de Beer]] (1899-1972) dans ses ouvrages publiés en [[1956]] et en [[1969]] refuse la lecture ''Isara'' qu'on fait chez Tite-Live, et assimile le ''Skaras'' de Polybe à l'[[Aigues]], affluent du Rhône<ref>{{Harvsp|de Beer|1969|p=132-135}}</ref> transcrit au Moyen-Âge en ''Equeris'' (1278), ''Icaris'' (1321), ''Yquarum'' (1393), ''Yguaris'' (1414). Il rejoint les auteurs qui admettent l'itinéraire par la ''Druentia''/Durance<ref name=Leveau96/> et propose un trajet dans les Alpes méridionales, qui longe la [[Drôme (rivière)|Drôme]] jusqu'à la hauteur de [[Die (Drôme)|Die]], puis rejoint la Durance par le [[col de Grimone]]. L'itinéraire adopté par de Beer laisse la Durance qui mènerait au [[col de Montgenèvre]], et quitte cette vallée vers [[Guillestre]] pour le [[Queyras]], remonte le [[Guil]] et franchit le col de la Traversette, près du [[mont Viso]]<ref>{{Harvsp|de Beer|1969|p=160-182}}</ref>. L'altitude élevée de ce col (2 947 mètres), préféré au [[col de Mary]], garantit selon de Beer la présence de [[névé]]s recouverts de neige lors du passage d'Hannibal<ref name=Leveau102>{{Harvsp|Leveau|Mercalli|2011|p=102}}</ref>.

Toutefois son hypothèse, jugée admissible par certains<ref>Général A. Guillaume, ''Annibal franchit les Alpes'', La Tronche-Montfleury, 1967, p. 93</ref> est contestée, y compris en [[Angleterre]]. Serge Lancel souligne notamment la difficulté d'accès ce col, brèche étroite perçant une crête entre des pentes très raides<ref>{{Harvsp|Lancel|1995|p=127}}</ref>.

=== Accès par les Alpes centrales : le col Clapier ===
[[Fichier:Col de Clapier (by Edward Boenig) 01.jpg|thumb|Col de Clapier (2477 m), vue sur la haute vallée de [[Suse (Italie)|Suse]] ]]
Les partisans d'un itinéraire qui parvienne à la latitude de Turin ne font pas progresser Hannibal jusqu'au bout de la vallée de l'Isère et le font bifuquer dans la [[vallée de la Maurienne]], pour remonter le cours de l'[[Arc (rivière)|Arc]]. Trois cols sont alors envisagés par les chercheurs pour parvenir en Italie : le [[col du Mont-Cenis]] (2083 m), le [[col du Petit Mont-Cenis]] (2182 m), le [[col Clapier]] (2482 m selon la [[carte Michelin]], 2477 m selon la carte [[IGN]]), tous permettant d'arriver directement chez les Taurins par le [[val de Suse]]<ref name=Lancel132>{{Harvsp|Lancel|1995|p=132-133}}</ref>.

Quoique le plus élevé des trois cols, le [[Col Clapier|Clapier]] satisfait à une condition supplémentaire, offrir une vue sur la plaine du Pô depuis un promontoire à côté du col : une des caractéristiques majeures du col par lequel Hannibal aurait franchi les Alpes est la vue que l’on a du [[Col de montagne|col]] sur la [[plaine du Pô]]. Dans les Alpes septentrionales, du Montgenèvre au [[Col du Grand-Saint-Bernard|Grand-Saint-Bernard]], seuls le col Clapier et le col de Larche permettraient cette vue<ref>[http://hannibal-dans-les-alpes.com/11-hypotheses-maurienne.htm Hypothèse de la Maurienne (Hannibal dans les Alpes)]</ref>. Reste que les partisans du Petit-Saint-Bernard contestent la portée de la phrase de [[Polybe]]. L’usage habituel des historiens antiques étant d’imaginer des discours vraisemblables placés dans la bouche des personnages historiques, il n’y a guère de raisons de croire à l’authenticité absolue de cette scène, et au geste d’orateur qui l’accompagne. Dès lors qu’il est possible que la scène relatée soit la [[figure de rhétorique]] du général qui exhorte sa troupe, un [[lieu commun]] des récits antiques, la comparaison des divers chemins envisageables ne peut emporter de décision définitive.

Les partisans du Petit-Saint-Bernard affirment aussi que les [[brouillard]]s qui s’élèvent souvent de la plaine du Pô empêchent de voir celle-ci. Pourtant, cette plaine a été vue et photographiée de nombreuses fois, un exemple figurant sur le [[site web]] de Patrick Hunt, professeur d’[[archéologie]] à [[Université Stanford|Stanford]], consacré à ses recherches du col par lequel Hannibal serait passé en Italie ; ce dernier considère le [[Col Clapier|Clapier]] comme le seul col qui réponde parfaitement aux textes antiques.

Aimé Bocquet réfute l’hypothèse du [[Col Clapier|Clapier]] pour des raisons climatiques, le tracé passant dans une zone où, encore en [[1860]], un glacier s’étalait sur une grande largeur. Néanmoins, au début de la phase chaude de l’époque romaine, la présence de ce glacier qui aurait empêché le passage des troupes n’est pas certaine<ref name=Leveau102/>.

C’est pourquoi, depuis le colonel Perrin en [[1883]], de nombreux auteurs se rallient à cette thèse, notamment le colonel Paul Azan (1902)<ref>Paul Azan, ''Hannibal dans les Alpes'', Paris, 1902</ref>, le capitaine Colin (1904), H. Ferrand (1908), Spenser Wilkinson (1911), Roger Dion (1962)<ref>Roger Dion, ''La voir Héracléenne et l'itineraire transalpin d'Hannibal'', coll. Latomus, LVIII, Bruxelles, 1962, p. 538</ref>, l’historien savoyard Jean Prieur (1968), le savant suisse Eduard Meyer (1958)<ref>{{de}} Eduard Meyer, ''Hannibals Alpenübergang'', Museum Helveticum, 1958, p. 241</ref>, Guy Barruol (1996), Denis Proctor (1971)<ref>{{en}} Denis Proctor, ''Hannibal's March in History'', Oxford, 1971</ref>, F. W. Wallbank (1977), Werner Huss (1985)<ref>{{de}} Werner Huss, ''Geschichte der Khartager, Munich, 1985, p 305</ref> ou John Francis Lazenby (1998).

===Approche par un portrait-robot du col ===

Le docteur et archéologue amateur Marc-Antoine de Lavis-Trafford (1880-1960), installé à [[Bramans]] dans la [[Haute-Maurienne]]<ref>Site amateur de Bramans [http://www.bonjourbramans.com/lavistra.htm Le docteur de Lavis-Trafford]</ref>, a récapitulé en 1958 une série de caractéristiques du col franchi par Hannibal, extrait des textes de Polybe et de Tite-Live<ref name=Leveau97>{{Harvsp|Leveau|Mercalli|2011|p=97}}</ref> :
* comporter un emplacement assez vaste pour un campement
* être sur le versant gaulois
* disposer d’un promontoire offrant un panorama sur la plaine du Pô
* présenter au début de la descente un arrachement de terrain
* être élevé et démuni de pâturages
* avoir une exposition permettant la conservation de [[névé]]s durant l'été
* offrir plus bas des pâturages ensoleillés
* être à une distance permettant à une troupe fatiguée d’atteindre la plaine en trois jours
* aboutir au territoire des [[Taurins]]

Seuls d'une part le col Clapier ou son voisin le col de Savine-Coche, entre la vallée de la [[Maurienne]] et du [[val de Suse]], au sein du [[massif du Mont-Cenis]], et d'autre part le col de la Traversette situé au nord du [[Mont Viso]] et qui débouche sur la haute vallée du [[Pô]] satisfont à la majorité de ces critères<ref>{{Harvsp|Arcà|2011|p=69}}</ref>{{,}}<ref name=Leveau97/>.


Marc-Antoine de Lavis-Trafford après examen du terrain propose le col de Savine-Coche, qui satisfaisait à plus de critères que le col Clapier : tous deux encadrent un promontoire d'où l'on aperçoit Turin et sont à proximité de la cuvette du [[lac de Savine]], propice à l'établissement d'un camp. Mais Savine-Coche présente de surcroit un vaste névé à l'ombre, des éboulis et un peu plus bas un alpage où la troupe aurait pu souffler. Les arguments de Lavis-Trafford sont considérés comme les plus satisfaisants parmi les divers théories par [[Serge Lancel]]<ref name=Lancel132/> et ont fait changer d'avis Eduard Meyer, anciennement partisan du col Clapier<ref>{{de}} Eduard Meyer, ''Noch einmal Hannibals Alpenübergang'', Museum Helveticum, 1964, pp. 99-100</ref>.
Bocquet réfute l’hypothèse du [[Col Clapier|Clapier]] pour des raisons climatiques, le tracé passant dans une zone où, encore en [[1860]], un glacier s’étalait sur une grande largeur. Néanmoins, au début de la phase chaude de l’époque romaine, la présence de ce glacier qui aurait empêché le passage des troupes n’est pas certaine<ref name=Leveau102/>.


== Postérité ==
== Postérité ==

Version du 1 février 2012 à 21:17

Le passage des Alpes par Hannibal est une étape majeure de la marche vers l’Italie de l’armée d’Hannibal Barca, réalisée à la fin de l’année 218 av. J.-C. au début de la deuxième guerre punique. Si le franchissement des Alpes par une armée quoique difficile n'est pas exceptionnel, la présence des éléphants lui donne un relief unique et a contribué à sa célébrité. L’itinéraire emprunté par Hannibal, déjà objet de thèses concurrentes dans l'antiquité, reste toujours sujet à polémiques. Toutes les hypothèses avancées, souvent par des spécialistes mais aussi par des auteurs plus imaginatifs, le sont sur l’interprétation des textes de Polybe, volontairement vague, et de Tite-Live, qui tantôt s'appuie sur Polybe, tantôt en diverge, tandis que l'archéologie n'a pas apporté d'éléments utiles. Près d’un millier d’ouvrages ont été déjà écrits sur le sujet. Encore actuellement, plusieurs théories s'affrontent, entre un passage par le col du Petit-Saint-Bernard, les cols Clapier ou Savine-Coche entre la vallée de la Maurienne et le Val de Suse, et le col de la Traversette dans le Queyras. Les reconstitutions réalisées au XXe siècle avec quelques éléphants sont plus des exploits médiatiques et sportifs que des arguments en faveur d'un itinéraire.

Les sources antiques

Les compagnons d’Hannibal

Plusieurs historiens ont été des contemporains de la deuxième guerre punique. Certains qui suivaient le point de vue carthaginois, comme l’historien Sosylos de Lacédémone, qui se vantait d’avoir enseigné le grec à Hannibal, et Silenos de Kalé Akté, que Cicéron considérait comme un spécialiste d’Hannibal[A 1], semblent avoir accompagné Hannibal dans son périple guerrier[A 2].D’autres auteurs également pro-carthaginois ne sont connus que par leur nom : Chairéas, Eumachos de Naples. Tous sont décriés par Polybe en particulier pour ce qui concerne la traversée des Alpes, et aucun de leurs écrits ne nous sont pas parvenus[1].

Polybe

Territoire des Allobroges et des Tricores

Otage grec vivant à Rome à partir de 168 av. J.-C. et ami des Scipions, Polybe est l’auteur d’une Histoire de la République romaine qui couvre la seconde guerre punique dans son livre III, et le passage des Alpes dans les chapitres 10 à 12[A 3]. Il se pose en historien objectif, qui analyse et trie ses sources. Il rejette donc les exagérations des ouvrages antérieurs qui présentent les Alpes comme un obstacle infranchissable et leur franchissement comme l’exploit d’un nouvel Hercule, aidé par des interventions divines. Polybe affirme avoir rencontré des témoins gaulois et carthaginois ayant connu Hannibal, il s’appuie sur les récits de Sosylos de Lacédémone et Silenos de Kalé Akté, tout en les dénigrant, et dit avoir lui-même parcouru en partant d’Italie l’itinéraire suivi par Hannibal[2]. Malheureusement pour les historiens modernes, il dit se refuser à alourdir sa narration de détails et de noms géographiques que ses lecteurs ne pourraient pas situer. Son récit est donc relativement imprécis, et ne nomme que deux repères géographiques au départ de la traversée : Hannibal passe par le territoire des Allobroges, domaine assez vaste des Alpes du nord. Le point de départ est le confluent du Rhône et d’une rivière que Polybe nomme Skaras ou Skaros, et que les traducteurs identifient comme l’Isère. Au confluent, les deux cours d’eau sont parallèles et entourent une bande de terre nommée île avant de se rejoindre.

Polybe donne une autre information géographique majeure, le point d’arrivée de l’expédition : « lorsqu'il (Hannibal) planta ses étendards dans les plaines du Pô et parmi les Insubriens[A 4] » et « Hannibal, arrivé dans l’Italie avec l’armée que nous avons vue plus haut, campa au pied des Alpes, pour donner quelque repos à ses troupes [...] il tâcha d’abord d’engager les Taurins, peuples situés au pied des Alpes[A 5]. ». Ces deux peuples étaient voisins et en conflit. La capitale des Taurins, Taurasia selon Appien qui est le seul historien à la nommer[A 6], est détruite par Hannibal. Elle est identifiée à l’actuelle Turin, refondée deux siècles plus tard par les Romains[3].

Tite-Live

Tite-Live écrit son Histoire romaine sous Auguste, soit un siècle après Polybe. Son inspiration est essentiellement livresque, donc plus éloignée de la géographie. Il s’inspire largement de Polybe, et Posidonios d’Apamée[4]. Comme Polybe, Tite-Live critique les historiens précédents, qui affirment une traversée dans les Alpes du nord par les Alpes pennines, qui aboutissent chez les Salasses et les Liburnes, et non chez les Taurins. Il rejette aussi Coelius, qui fait passer Hannibal par le Iugum Cremonis[A 7]. Ce Iugum Cremonis est une indication impossible à identifier, les toponymes modernes qui s'en approchent ne correspondent pas à un col qui mène directement en Italie, qu'il s'agisse du col de Grimone entre les vallées de la Drôme et de la Durance, du mont Crammont proche du col du Petit-Saint-Bernard ou du mont Grammont dans le Chablais valaisan[5].

Tite-Live narre la traversée des Alpes dans les chapitres 30 à 38 de son livre 21, son récit, plus long et plus haut en couleur que celui de Polybe, en reprend la plupart des éléments : ainsi le départ se fait depuis un confluent du Rhône et d’une rivière qui entourent un terrain nommé « île », près des territoires des Allobroges. Mais les manuscrits qui ont servi à établir le texte de Tite-Live donnent plusieurs variantes pour le nom de cette rivière : Arar, Ibi Arar, Saras, Bissaras, Ibsara, transcrit en Ibi Isara par le philologue du XVIIe siècle Philip Cluwer, terme connu des Romains[A 8] et traduit par Isère comme le Skaras de Polybe[6],[7].

La suite de Tite-Live donne d’autres précisions géographiques, qui sont absentes chez Polybe et sont particulièrement problématiques : après avoir reçu du ravitaillement de la part des Allobroges, « [Hannibal] se détourna vers la gauche vers le pays des Tricastins, puis suivant la lisière des pays des Voconces, il arriva sur le territoire des Trigoriens, sans rencontrer d’obstacle jusqu’à la Druentia[A 9]. » Selon Serge Lancel, Tite-Live mélange au moins deux sources décrivant des itinéraires différents[8], ou peut-être a-t-il en tête la traversée des Alpes au plus court effectuée par Jules César en 58 av. J.-C.[A 10] par le col de Montgenèvre[9].

Pour comprendre le « vers la gauche », il faut admettre qu'Hannibal fasse demi-tour et longe le Rhône en direction du Sud, puis bifurque à gauche donc vers l’Est. Tite-Live décrit la Druentia comme une rivière difficile à traverser, non navigable, coulant en de nombreux bras entre roches et graviers, offrant partout des gués instables et des tourbillons, caractéristiques qui correspondent au lit moyen de la Durance. Cette indication est exploitée par les auteurs modernes qui proposent un itinéraire par les Alpes du sud, ou est constatée comme l'écho de deux traditions inconciliables, l'une de la voie depuis l'Isère, l'autre depuis la Durance[7].

Les auteurs postérieurs

Parmi les écrivains postérieurs à Tite-Live, Silius Italicus consacre au passage des Alpes une importante partie du livre 3 de son épopée. Il reprend les indications géographiques de Tite-Live « l'armée s'avance par le pays des Tricastins, et se porte par des chemins plus faciles dans les champs des Voconces. Là, des troncs d'arbres et des débris de roches attestent la fureur de la Durance », et il décrit la descente éprouvante à travers la neige et la glace[A 11]. Les autres auteurs sont brefs ou lacunaires sur cet épisode[10] : Cornelius Nepos[A 12] et Appien[A 6] mentionnent brièvement le passage, Dion Cassius n'a laissé que des fragments où manque la traversée des Alpes. Le géographe Strabon note que Polybe cite quatre cols à travers les Alpes, dont « un chez les Taurins, qui est celui que franchit Hannibal[A 13] », tandis Pline l'Ancien affirme qu'Hannibal est passé par les Alpes pennines, c'est-à-dire par le côté suisse[A 14], point auparavant réfuté par Tite-Live. Plus tardifs encore, Aurelius Victor dit sans plus de détail qu'Hannibal se fraya une route à travers les Alpes[A 15], tandis qu'Ammien Marcellin condense dans un texte confus l'approche par les Alpes pennines, le trajet partant des Tricastins puis longeant le territoire des Voconces, l'ouverture d'un passage en entamant la roche, puis la traversée de la Durance pour atteindre l'Étrurie[A 16].

Face à des thèses contradictoires, le satiriste Juvénal peut ironiser : « Va insensé, cours à travers les Alpes escarpées, pour finalement amuser des écoliers et devenir un sujet de déclamation[A 17],[11] ».

Les études modernes

Profusion d'ouvrages

Presque oubliée au Moyen-Âge, la question de l’itinéraire d’Hannibal à travers des Alpes est reprise par les érudits à partir du XVIe siècle, avec la redécouverte des textes de Tite-Live[12], et à l’occasion des guerres d'Italie, qui voient des armées rééditer l’exploit antique. Dans une inflation d’ouvrages, plus de trois cents recensés en 1902, plus de huit cents en 2001, presque tous les cols entre le col du Simplon et le col de Tende ont été proposés. Du XVIe au XVIIIe siècle, sont principalement en faveur le col du Grand-Saint-Bernard, celui du Mont-Cenis ou celui du Montgenèvre. Puis ce fut le tour du col du Petit-Saint-Bernard, et enfin à partir de la fin du XIXe et courant du XXe, on privilégie deux cols dans le secteur du Mont Cenis, le col Clapier, proposé par Jean-Baptiste Perrin, et le col de Savine-Coche, cité pour la première fois en 1956 par Marc-Antoine de Lavis-Trafford [13]. Aujourd’hui, Internet a pris le relais dans la quête d’une hypothétique réponse avec de nombreux sites dédiés [14]

Mais pour l'historien Serge Lancel, « parcourir les Alpes avec son Tite-Live et son Polybe à la main est une entreprise plus chimérique que de prétendre trouver le vrai site d'Alésia en cherchant à faire coïncider le texte de César avec une carte d'état-major[8] ». Si certains auteurs estimaient chacun avoir résolu la question de façon définitive par leurs déductions à partir de soit de Polybe, soit de Tite-Live, soit en tentant de les concilier à tout prix, les auteurs plus récents sont moins catégoriques et plus prudents et élargissent le champ d’étude à la recherche topographique de terrain[15].

Recherches d’éléments archéologiques

Les gravures rupestres présentes autour du massif du Mont-Cenis, dans la Maurienne du côté français, ou dans le Val de Suse ou la Valcenischia du côté italien ont été étudiées, mais la recherche d'éventuelles traces iconographiques du passage d'Hannibal dans les Alpes n'a pas donné d'élément probant[16]. Des gravures de personnages armés ont été trouvés dans le Val de Suse et sur le site de Alpe Carolei dans la Valcenischia, mais leur datation probable s'étale du VIe au IIe siècle av. J.-C., et les armements représentés sont trop généraux (épées, boucliers, lances) ou trop typés (haches en demi-lune) pour être rapprochés de façon probante de ceux de l'armée d'Hannibal. Ces gravures témoignent plutôt du caractère guerrier des populations antiques locales[17].

Les rares représentations d'éléphants découvertes dans les Alpes franco-italiennes sont associées à des datations incompatibles avec le IIIe siècle av. J.-C. : une gravure d'éléphant sur une roche dans la zone du Valcamonica a été exécutée durant la période historique, peut-être au XVIe siècle. Une autre représentation dans la grotte de l'éléphant dans les gorges du Toulourenc (Drôme) est couverte d'un voile de calcite, et est très ancienne, probablement du paléolithique[18].

Une découverte fortuite a été fait durant l'été 1944 dans un terrain marécageux près de la Sestrières, dans la vallée de Suse en Italie. Le creusement d'une tranchée par des résistants italiens mit au jour divers objets, dont des torques celtes, probablement de l'âge du Fer, et une surprenante défense d'éléphant. La période de conflit rendait impossible des recherches archéologiques, les objets furent dispersés, seul leur dessin a subsisté, et le lieu de la découverte fut remblayé après la guerre. La trouvaille d'une défense d'éléphant excita l'esprit des découvreurs, mais sa provenance peut avoir plusieurs origines, elle peut avoir été rapportée par des mercenaires celtes engagés à Carthage ou dans les royaumes hellénistiques[19]. Sa disparition interdit toute étude sérieuse.

Le récit de la traversée

Approche et montée des Alpes

Polybe et Tite-Live s’accordent sur l’aide initiale qu’apportent les Allobroges, qui fournissent des vivres et des vêtements chauds à la troupe d’Hannibal. En revanche, ils divergent comme indiqué précédemment sur la direction prise : selon Polybe, Hannibal suit pendant dix jours l’Isère, parcourant sans encombre et sur un terrain plat une distance de huit cents stades, ce qui correspond à environ 150 kilomètres[20], tandis que selon Tite-Live, Hannibal se dirige vers la Durance [A 18].

Les historiens adeptes de la version de Polybe sont confrontés à un choix supplémentaire pour proposer leur itinéraire : sur quelle rive la troupe chemine-t-elle, dans l’hypothèse où elle veut éviter tout franchissement de rivière, malaisé voire périlleux ? Chaque voie a ses passages difficiles : la rive gauche présente un passage étroit au bec de l’Échaillon, extrémité nord du Vercors en face de Voreppe, puis fait traverser le Drac, petit affluent de l’Isère. Remonter la rive droite impose de traverser l’Isère, et de passer le resserrement de l’Isère contre la Chartreuse, dans le site de la future Grenoble[20].

Après la progression en terrain plat, Polybe et Tite-Live s’accordent sur les premières difficultés et les accrochages avec des populations hostiles : Hannibal commence la montée des Alpes dans des secteurs plus encaissées, son armée s’étire en longueur, dans les passages escarpés des bêtes de charge et des chevaux sont parfois victimes de chûtes collectives. La colonne est alors harcelée à plusieurs reprises par les indigènes embusqués sur les hauteurs et essuie des pertes importantes. Hannibal parvient à prendre à revers les assaillants en envoyant de nuit des détachements se poster sur les hauteurs. Puis en représailles, il pille une cité désertée par ses habitants, s'empare de tout le ravitaillement et de des bêtes de charge, et y campe pendant une journée pour reposer ses troupes[A 19].

Certains chercheurs ont proposé leur identification de ces lieux d'embuscade, parmi lesquels : au bec d’Aiton à l’entrée de la vallée de l’Arc pour Camille Jullian[21] ou un peu plus en amont de l’Arc, à Aiguebelle[22] ou encore, au prix d’itinéraires détournés, les gorges de la Bourne à travers le massif du Vercors selon Lazenby[23], ou la gorge de l'Hyères près de Vimines-Saint Cassin à l’entrée du bassin de Chambéry selon Aimé Bocquet[24].

Des émissaires gaulois viennent parlementer et proposent leur aide à Hannibal, qui accepte de suivre leurs guides. Par prudence, il organise la marche de son armée en colonne défensive, avec sa cavalerie en tête, suivi des éléphants et des transports, et les fantassins lourds en arrière-garde. Cette disposition le sauve du désastre lorsque ces guides le mènent dans un passage entouré de falaises où il est assailli. Coupé de son avant-garde et de ses bagages pendant une nuit, Hannibal finit par repousser les attaques, au prix de nouvelles pertes en hommes et en montures[A 20]. Là encore, diverses localisations de cette embuscade sont proposées selon l'itinéraire supposé : la haute vallée de l’Arc pour Serge Lancel[25], l’Étroit du Siaix creusé dans la vallée de la Tarentaise par l'Isère selon Aimé Bocquet.

Les attaques se font plus rares à la fin de la montée, et ne visent que les traînards isolés. Le col aux sommets enneigés est atteint au neuvième jour de montée, au début du coucher des Pléiades[A 21], événement astronomique qui se produit au début du mois de novembre[26]. Hannibal stationne deux jours en ce point pour regrouper les traînards et les bêtes égarées avant d’entamer la descente.

Ici Polybe et Tite-Live placent une scène célèbre, quasi théâtrale, que de nombreux chercheurs considèrent comme un indice déterminant pour l’identification du col : s’avançant sur un piton qui domine le site, Hannibal ranime le moral de ses soldats épuisées en leur montrant la plaine du Pô qui s’étalait sous leurs yeux et où les attendent des populations accueillantes[A 21].

Descente du col

Les péripéties de la descente faites par Polybe et par Tite-Live coïncident à tel point que certains présument que Tite-Live a pratiquement copié Polybe[27], ou que tous deux ont compilé un même auteur, qui selon Serge Lancel serait Silenos, compagnon d’Hannibal et témoin oculaire de la traversée des Alpes, source directe de Polybe, et indirecte de Tite-Live par l’intermédiaire de Coelius[26], ou bien Fabius Pictor[28].

Le versant italien offre un trajet plus court mais plus raide que le côté gaulois. Bientôt un obstacle bloque l’avance : un tronçon de la voie est coupé par un éboulement, seuls quelques fantassins parviennent à avancer en se cramponnant à la végétation. Une tentative de contournement par une zone de névés se révèle vite impraticable : la neige fraîche déposée par-dessus une neige glacée de l’année précédente se transforme rapidement sous les piétinements en une gadoue glissante, des chutes collectives entraînent hommes et bêtes. Après une nuit de bivouac, on entreprend de reconstituer le chemin détruit par l’éboulement.

A l’inverse de Polybe, Tite-Live donne des détails techniques précis, repris plus tard par Silius Italicus et Ammien Marcellin, et qui ont suscités des problèmes de compréhension : Tite-Live indique que la roche est attaquée par le feu de troncs d’arbres énormes et arrosée de vinaigre[A 22]. L’anecdote a été discutée et même qualifiée de légendaire, tant pour la dissolution de la roche par du vinaigre que pour ces troncs énormes pris on ne sait où dans un environnement dénudé. De surcroit, certains traducteurs dont Paul Jal ont noté la difficulté de compréhension de plusieurs mots employés par Tite-Live : le mot rupis pour désigner la roche correspondrait plutôt à une plaque rocheuse en plan inclinée qu’à une paroi verticale, et non à l’énorme rocher décrit par Ammien Marcellin[A 23]  ; le mot putrefactio employé pour qualifier l’action du vinaigre sur la roche est parfois traduit par dissolution , ce qui semble absurde[10]. Néanmoins, ces points ont reçus des explications. Le vinaigre fait partie de l’approvisionnement courant des armées antiques, sa présence ne doit pas surprendre[29]. Son épandage sur une roche brulante est un procédé de fragmentation par choc thermique, décrit par Pline, le vinaigre étant réputé être un liquide de nature froide[A 24]. Enfin, l’utilisation d’arbres pour le feu donne une indication altimétrique, l’obstacle à franchir devant être dans l’étage alpin, un peu au-dessus de la limite des arbres[30].

Après un jour d'efforts, le passage devient suffisant pour les chevaux et les mulets que l’on parque dans un alpage en contre-bas. Trois jours de plus rendent le chemin praticable par les éléphants, et le reste de la troupe achève la descente.

En tout la traversée avait demandé quinze jours, au prix de lourdes pertes : Selon Polybe, Hannibal avait traversé le Rhône avec trente-huit mille hommes de pied et plus de huit mille chevaux, il ne lui restait en arrivant au pied des Alpes que douze mille Africains et huit mille Espagnols d'infanterie, et six mille chevaux. Il faut ajouter la perte de nombreuses bêtes de somme, avec les bagages et les approvisionnements qu’elles portaient. Mais Hannibal a réussi à surprendre les Romains par son irruption dans la Gaule cisalpine[31]. Enfin, il est parvenu à faire franchir les Alpes par un groupe d’éléphants, qui n'ont joué un rôle qu’à la bataille de la Trébie.

Localisation du col emprunté

Accès par les Alpes du nord

Le col du Grand-Saint-Bernard

En remontant le haut Rhône et en passant par le col du Grand-Saint-Bernard, on franchit les Alpes pennines, les Alpes poeninae des Romains. L’écrivain romain Coelius Antipater, cité par Tite-Live, a fait le rapprochement entre ce nom et l'adjectif poenus qui veut dire punique, et considère que l'appelation dérive du passage d'Hannibal. Tite-Live critique cette étymologie, et donne comme argument que les tribus locales, les Sédunes et les Véragres, rapportent que ce nom vient du dieu Poeninus adoré sur leurs sommets[A 7]. Malgré Tite-Live, les écrivains postérieurs reprirent cette étymologie fantaisiste, Pline l'Ancien[A 25], Ammien Marcellin[A 26], Isidore de Séville, jusqu'au moderne Gaffiot (édition 2000) qui donne cette étymologie sans discuter.

Des chercheurs modernes ont fait dériver ce nom du gaulois pennos, « tête, sommet, extrémité », qui aurait formé un nom de divinité Penn. Toutefois, la prononciation de poeninus avec une diphtongue marquée « oe » empêche ce rapprochement. Deux inscriptions rupestres découvertes dans la commune de Carona près de Bergame et étudiées en 2008 par Filippo Motta confortent la thèse de Tite-Live faisant provenir l’appellation du nom d’une divinité locale : datables des IIIe-IIe siècles av. J.-C. et rédigées dans l'alphabet de Lugano employé par les Celtes de Gaule cisalpine, les inscriptions semblent être des dédicaces indigènes adressées à poininos et poinunei[32].

Tite-Live avance une seconde raison pour réfuter le passage par les Alpes pennines : venant de là, Hannibal serait arrivé dans le territoire des Salasses, et non chez les Taurins comme admis par tous les historiens[9].

Le col du Petit-Saint-Bernard

Route moderne du col du Petit-Saint-Bernard, 2188 m

Le préhistorien français Aimé Bocquet[24] retient un itinéraire par le Petit-Saint-Bernard[33], Il rejette le récit de Tite-Live au profit de celui de Polybe et s’appuie aussi sur la Table de Peutinger, carte antique qui décrit un trajet à travers les Alpes grées depuis Aoste jusqu'aux cités de la vallée de l'Isère, qui selon Bocquet devait emprunter un tracé plus ancien de l'époque celte et déjà praticable à l'époque d'Hannibal. De plus, Bocquet note que Polybe indique qu’« [Hannibal] planta ses étendards dans les plaines du Pô et parmi les Insubriens »[A 27] avant d’attaquer les peuples de la région de Turin. Or, selon Bocquet, Hannibal devait passer par le Petit-Saint-Bernard pour arriver chez les Insubres, dans le val d'Aoste.

Accès par les Alpes du sud : le col de la Traversette

L'embryologiste Sir Gavin de Beer (1899-1972) dans ses ouvrages publiés en 1956 et en 1969 refuse la lecture Isara qu'on fait chez Tite-Live, et assimile le Skaras de Polybe à l'Aigues, affluent du Rhône[34] transcrit au Moyen-Âge en Equeris (1278), Icaris (1321), Yquarum (1393), Yguaris (1414). Il rejoint les auteurs qui admettent l'itinéraire par la Druentia/Durance[7] et propose un trajet dans les Alpes méridionales, qui longe la Drôme jusqu'à la hauteur de Die, puis rejoint la Durance par le col de Grimone. L'itinéraire adopté par de Beer laisse la Durance qui mènerait au col de Montgenèvre, et quitte cette vallée vers Guillestre pour le Queyras, remonte le Guil et franchit le col de la Traversette, près du mont Viso[35]. L'altitude élevée de ce col (2 947 mètres), préféré au col de Mary, garantit selon de Beer la présence de névés recouverts de neige lors du passage d'Hannibal[36].

Toutefois son hypothèse, jugée admissible par certains[37] est contestée, y compris en Angleterre. Serge Lancel souligne notamment la difficulté d'accès ce col, brèche étroite perçant une crête entre des pentes très raides[38].

Accès par les Alpes centrales : le col Clapier

Col de Clapier (2477 m), vue sur la haute vallée de Suse

Les partisans d'un itinéraire qui parvienne à la latitude de Turin ne font pas progresser Hannibal jusqu'au bout de la vallée de l'Isère et le font bifuquer dans la vallée de la Maurienne, pour remonter le cours de l'Arc. Trois cols sont alors envisagés par les chercheurs pour parvenir en Italie : le col du Mont-Cenis (2083 m), le col du Petit Mont-Cenis (2182 m), le col Clapier (2482 m selon la carte Michelin, 2477 m selon la carte IGN), tous permettant d'arriver directement chez les Taurins par le val de Suse[39].

Quoique le plus élevé des trois cols, le Clapier satisfait à une condition supplémentaire, offrir une vue sur la plaine du Pô depuis un promontoire à côté du col : une des caractéristiques majeures du col par lequel Hannibal aurait franchi les Alpes est la vue que l’on a du col sur la plaine du Pô. Dans les Alpes septentrionales, du Montgenèvre au Grand-Saint-Bernard, seuls le col Clapier et le col de Larche permettraient cette vue[40]. Reste que les partisans du Petit-Saint-Bernard contestent la portée de la phrase de Polybe. L’usage habituel des historiens antiques étant d’imaginer des discours vraisemblables placés dans la bouche des personnages historiques, il n’y a guère de raisons de croire à l’authenticité absolue de cette scène, et au geste d’orateur qui l’accompagne. Dès lors qu’il est possible que la scène relatée soit la figure de rhétorique du général qui exhorte sa troupe, un lieu commun des récits antiques, la comparaison des divers chemins envisageables ne peut emporter de décision définitive.

Les partisans du Petit-Saint-Bernard affirment aussi que les brouillards qui s’élèvent souvent de la plaine du Pô empêchent de voir celle-ci. Pourtant, cette plaine a été vue et photographiée de nombreuses fois, un exemple figurant sur le site web de Patrick Hunt, professeur d’archéologie à Stanford, consacré à ses recherches du col par lequel Hannibal serait passé en Italie ; ce dernier considère le Clapier comme le seul col qui réponde parfaitement aux textes antiques.

Aimé Bocquet réfute l’hypothèse du Clapier pour des raisons climatiques, le tracé passant dans une zone où, encore en 1860, un glacier s’étalait sur une grande largeur. Néanmoins, au début de la phase chaude de l’époque romaine, la présence de ce glacier qui aurait empêché le passage des troupes n’est pas certaine[36].

C’est pourquoi, depuis le colonel Perrin en 1883, de nombreux auteurs se rallient à cette thèse, notamment le colonel Paul Azan (1902)[41], le capitaine Colin (1904), H. Ferrand (1908), Spenser Wilkinson (1911), Roger Dion (1962)[42], l’historien savoyard Jean Prieur (1968), le savant suisse Eduard Meyer (1958)[43], Guy Barruol (1996), Denis Proctor (1971)[44], F. W. Wallbank (1977), Werner Huss (1985)[45] ou John Francis Lazenby (1998).

Approche par un portrait-robot du col

Le docteur et archéologue amateur Marc-Antoine de Lavis-Trafford (1880-1960), installé à Bramans dans la Haute-Maurienne[46], a récapitulé en 1958 une série de caractéristiques du col franchi par Hannibal, extrait des textes de Polybe et de Tite-Live[47] :

  • comporter un emplacement assez vaste pour un campement
  • être sur le versant gaulois
  • disposer d’un promontoire offrant un panorama sur la plaine du Pô
  • présenter au début de la descente un arrachement de terrain
  • être élevé et démuni de pâturages
  • avoir une exposition permettant la conservation de névés durant l'été
  • offrir plus bas des pâturages ensoleillés
  • être à une distance permettant à une troupe fatiguée d’atteindre la plaine en trois jours
  • aboutir au territoire des Taurins

Seuls d'une part le col Clapier ou son voisin le col de Savine-Coche, entre la vallée de la Maurienne et du val de Suse, au sein du massif du Mont-Cenis, et d'autre part le col de la Traversette situé au nord du Mont Viso et qui débouche sur la haute vallée du satisfont à la majorité de ces critères[48],[47].

Marc-Antoine de Lavis-Trafford après examen du terrain propose le col de Savine-Coche, qui satisfaisait à plus de critères que le col Clapier : tous deux encadrent un promontoire d'où l'on aperçoit Turin et sont à proximité de la cuvette du lac de Savine, propice à l'établissement d'un camp. Mais Savine-Coche présente de surcroit un vaste névé à l'ombre, des éboulis et un peu plus bas un alpage où la troupe aurait pu souffler. Les arguments de Lavis-Trafford sont considérés comme les plus satisfaisants parmi les divers théories par Serge Lancel[39] et ont fait changer d'avis Eduard Meyer, anciennement partisan du col Clapier[49].

Postérité

Évocations artistiques

Hannibal franchissant les Alpes, détail d'une fresque vers 1510, Palazzo del Campidoglio (Capitoline Museum), Rome
Les inscriptions sur les rocs, Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard en 1800 par David.
Tempête de neige : Hannibal et son armée traversant les Alpes, Tuner, 1812

Si Francisco de Goya peint en 1770 la plaine italienne vue par Hannibal depuis le col [50], c'est à partir du XIXe siècle et avec l’impulsion conquérante de Napoléon, que le passage des Alpes devient comme comme sujet artistique l’épisode le plus important de la vie d’Hannibal[51]. L'évocation d'Hannibal par le peintre David dans la série de tableaux Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard (1800-1803) est toutefois allusive : les rochers à gauche sous les pieds du cheval de Napoléon franchissant le col du Grand-Saint-Bernard portent gravés les noms des conquérants qui ont réalisé cet exploit : Napoléon, Hannibal et Karolus Magnus[52].

William Turner en 1812 le prend comme prétexte pour une composition de paysage de montagne et d’éclairage dans des conditions exceptionnelles dans sa Tempête de neige, sous-titrée Hannibal et son armée passant les Alpes [51].

Plus tard, Éloi Firmin Féron en 1833 [53], Bénédict Masson et Albert Charpentier peignent des tableaux montrant Hannibal et son armée passant les Alpes, mais ils sont marginaux en regard des nombreux illustrateurs du XIXe siècle, Henri Motte, Alfred Rethel, Nicolo Sanesi, John Cousen, Gottlob Heinrich Leutemann, Adrien Marie, Nikolaus Knilling, Kaspar Braun, Friedrich Schneider, qui rendent en images les conditions de la traversée, et réalisent des restitutions à vocation archéologique[51].

Les démonstrations et célébrations

Diverses manifestations plus ou moins folkloriques ont répété le passage d’Hannibal, par des cols suggérés par les historiens. Il s’agit plus d’exploits sportifs et médiatisés que d'arguments probants de ce passage. Parmi ceux-ci, des reconstitutions avec un éléphant ont été réalisées par des amateurs passionnés : l'américain Richard Halliburton en 1935 franchit le col du Grand-Saint-Bernard ; en juillet 1959, le jeune étudiant anglais John Hoyte tenta d'accéder au col du Clapier, y renonça en raison des risques de chutes de pierres, puis franchit le col du Mont Cenis[54] ; Jack Wheeler passa le col du Clapier en 1959[55]

Le 21 août 1959, le dompteur Darix Togni part de Suse avec trois éléphants et deux chameaux de son cirque, passe le col de Clapier et redescend dans la vallée de la Clarée, le tout en huit heures[56].

En 1985, l’expédition Annibal 85 inaugure un parcours de randonnée entre le col du Clapier et le col de la Mayt, signalée par dix plaques métalliques commémoratives[56]. Plus récemment, le raid Hannibal organisé chaque année depuis 2000 est une course sportive reliant Lyon à Turin.

Notes et références

Références antiques

  1. Cicéron, De divinatione, 1, 49
  2. Cornelius Nepos, Hannibal, 13
  3. Polybe, Histoire générale, livre III, 10-12
  4. Polybe, Histoire générale, Livre III, 11
  5. Polybe, Histoire générale, Livre III, 12
  6. a et b Appien, Hannibalica, I, 4
  7. a et b Tite-Live, Histoire romaine, XXI, 38
  8. Strabon, Géographie, IV, 1, 11 ; Florus, Abrégé d'Histoire romaine, I, 37
  9. Tite-Live, Histoire romaine, XXI, 31
  10. Jules César, Bellum Gallicum, I, 10,
  11. Silius Italicus, Punica, livre III, vers 456-556 [1]
  12. Cornelius Nepos, Vie des grands capitaines, Hannibal, III [2]
  13. Strabon, Géographie, IV, 6, 12
  14. Pline l'Ancien, Histoires naturelles, III, 17, 123
  15. Aurelius Victor, De viris illustribus, XLIII, [3]
  16. Ammien Marcellin, livre XV, 10, 9-11
  17. Juvénal, Satires, 10
  18. Tite-Live, XXI, 31
  19. Polybe, III, 50, 3 ; Tite-Live, XXI, 32, 8
  20. Polybe, III, 53 ; Tite-Live, XXI, 34
  21. a et b Polybe, III, 53, 9 ; Tite-Live, XXI, 35, 4
  22. Tite-Live, XXI, 37, 2
  23. Ammien Marcellin, XV, 10, 11
  24. Pline l'Ancien, Histoires naturelles, II, 59 , 2 ; III, 21, XXIII, 27, 4
  25. Pline l'Ancien, Histoires naturelles, III, 17, 123
  26. Ammien Marcellin, livre XV, 9-11
  27. Polybe, Histoire générale, Livre III, 56

Références modernes

  1. Tarpin 2011, p. 41-43
  2. Tarpin 2011, p. 41
  3. Maria Gambari et Rubat Borel 2011, p. 64
  4. Revil Baudard 2011, p. 57-58
  5. Filippo Maria Gambari, Francesco Rubat Borel, Les Gaulois des deux versant des Alpes, 2011, p. 61
  6. Lancel 1955, p. 123
  7. a b et c Leveau et Mercalli 2011, p. 96
  8. a et b Lancel 1995, p. 122
  9. a et b Lancel 1995, p. 126
  10. a et b Tarpin 2011, p. 48
  11. Dalaine 2011, p. 135
  12. Lancel 1995, p. 121
  13. Histoire du chalet Lavis-Trafford
  14. Quelques sites : « Hannibal dans les Alpes », « Itinéraire d'Hannibal lors du franchissement des Alpes en 218 avant J.-C. ».
  15. Dalaine 2011, p. 128
  16. Arcà 2011, p. 69-70
  17. Arcà 2011, p. 74
  18. Arcà 2011, p. 70-71
  19. Maria Gambari et Rubat Borel 2011, p. 66-67
  20. a et b Lancel 1995, p. 128
  21. Camille Jullian, Histoire de la Gaule, tome I, Paris, 1920, p. 480
  22. E de Saint-Denis, Encore l’itinéraire transalpin d’Hannibal, Revue des études latines, 51, 1974, p. 141
  23. (en) John Francis Lazenby, Hannibal’s War. A military History of the second punic war, Warminster, 1978, p. 42
  24. a et b Site personnel d’Aimé Bocquet consacré à la traversée des Alpes par Hannibal
  25. Lancel 1995, p. 130
  26. a et b Lancel 1995, p. 131
  27. Paul Jal, traduction de Tite-Live, livre XXI, 1988, Les Belles Lettres, (ISBN 2-251-01345-8), pp.XVI-XVII
  28. Lancel 1995, p. 50
  29. Lancel 1995, p. 132
  30. Leveau Mercalli, p. 99-101
  31. Lancel 1995, p. 136
  32. Francesco Rubat Borel, Poininos/Poeninus, un faux ami entre la langue celtique et Poeni, le nom des Carthaginois, In Hannibal et les Alpes, Infolio, 2011, (ISBN 978-2-88474-244-3), pp.90-93
  33. Leveau et Mercalli 2011, p. 95
  34. de Beer 1969, p. 132-135
  35. de Beer 1969, p. 160-182
  36. a et b Leveau et Mercalli 2011, p. 102
  37. Général A. Guillaume, Annibal franchit les Alpes, La Tronche-Montfleury, 1967, p. 93
  38. Lancel 1995, p. 127
  39. a et b Lancel 1995, p. 132-133
  40. Hypothèse de la Maurienne (Hannibal dans les Alpes)
  41. Paul Azan, Hannibal dans les Alpes, Paris, 1902
  42. Roger Dion, La voir Héracléenne et l'itineraire transalpin d'Hannibal, coll. Latomus, LVIII, Bruxelles, 1962, p. 538
  43. (de) Eduard Meyer, Hannibals Alpenübergang, Museum Helveticum, 1958, p. 241
  44. (en) Denis Proctor, Hannibal's March in History, Oxford, 1971
  45. (de) Werner Huss, Geschichte der Khartager, Munich, 1985, p 305
  46. Site amateur de Bramans Le docteur de Lavis-Trafford
  47. a et b Leveau et Mercalli 2011, p. 97
  48. Arcà 2011, p. 69
  49. (de) Eduard Meyer, Noch einmal Hannibals Alpenübergang, Museum Helveticum, 1964, pp. 99-100
  50. (en) Francisco Goya, Hannibal the Conqueror, viewing Italy from the Alps for the first time, peinture à l’huile, 1770 (Erik Weems)
  51. a b et c Vlad 2011, p. 124
  52. Vlad 2011, p. 116
  53. Éloi Firmin Féron, Hannibal dans les Alpes, tableau au Musée de Marseille
  54. (en) John Hoyte, Trunk road for Hannibal: with an elephant over the Alps, 1960, Geoffrey Bles ; Quelques photos sur ce site
  55. Dalaine 2011, p. 132
  56. a et b Arcà 2011, p. 79-80

Bibliographie

Auteurs antiques

Auteurs modernes

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Le nombre d'auteurs ayant abordé la question du passage d'Hannibal est plétorique. On ne cite ici que ceux qui apparaissent dans l'article.

  • (en) Gavin de Beer, Alps and elephants, Hannibal's march, 1956, (ISBN 9781111860257)
  • (en) Gavin de Beer, Hannibal. The struggle for power in the Mediterranean, Londres, Thames & Hudson,
  • Marc-Antoine de Lavis-Trafford, Le col alpin franchi par Hannibal, son identification topographique, Belley, imprimerie du Bugey, 1958
  • Aimé Bocquet, Hannibal chez les Allobroges: 218 avant Jésus-Christ La Grande Traversée des Alpes, Montmélian, La Fontaine de Siloë, , 221 p. (ISBN 9782842064198)
  • Jean-Pascal Jospin (dir.) et Laura Dalaine (dir.), Hannibal et les Alpes, une traversée, un mythe, Vicence (Italie), Infolio éditions, , 144 p. (ISBN 978-2-88474-244-3)
    • Michel Tarpin, « Hannibal, les sources antiques et la construction d’un mythe », dans Hannibal et les Alpes, une traversée, un mythe, Infolio éditions, Document utilisé pour la rédaction de l’article
    • Mégane Revil Baudard, « Polybe et Tite-Live », dans Hannibal et les Alpes, une traversée, un mythe, Infolio éditions, Document utilisé pour la rédaction de l’article
    • Filippo Maria Gambaria et Francesco Rubat Borel, « Les gaulois des deux versants des Alpes », dans Hannibal et les Alpes, une traversée, un mythe, Infolio éditions, Document utilisé pour la rédaction de l’article
    • Andrea Arcà, « Les hommes en armes et les armes dans l'art rupestre du second âge du Fer dans le val de Suse et la Valcenischia », dans Hannibal et les Alpes, une traversée, un mythe, Infolio éditions, Document utilisé pour la rédaction de l’article
    • Philippe Leveau et Luca Mercalli, « Hannibal et les Alpes : l'identification du col franchi et son contexte environnemental », dans Hannibal et les Alpes, une traversée, un mythe, Infolio éditions, Document utilisé pour la rédaction de l’article
    • Petruta Vlad, « Hannibal, archétype de l'imaginaire héroïque », dans Hannibal et les Alpes, une traversée, un mythe, Infolio éditions, Document utilisé pour la rédaction de l’article
    • Laura Dalaine, « Par quel col Hannibal est-il passé ? Une littérature sans fin ... », dans Hannibal et les Alpes, une traversée, un mythe, Infolio éditions, Document utilisé pour la rédaction de l’article