Événements de Gafsa (1980)

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Les événements de Gafsa désignent une action armée menée contre le régime tunisien et organisée par son voisin, la Libye, en 1980.

Contexte

La Libye abrite des partis issus du Front national des forces progressistes fondé à Tripoli par d'anciens partisans de Salah Ben Youssef écartés du champ politique tunisien.

Un commando armé est formé grâce à plusieurs dizaines d'hommes qui auraient été enrôlés de force en Libye[1]. Selon Nicole Grimaud, des « boumediénistes » sont aussi impliqués dans cette entreprise de déstabilisation[2].

Déroulement

Attaque

Le 26 janvier, le commando attaque la ville minière de Gafsa, considérée comme frondeuse vis-à-vis du gouvernement[1], qui se réveille sous un tir nourri d'armes automatiques[3]. Les habitants s'enferment et restent sourds aux appels d'une radio pirate les exhortant à déclencher une insurrection populaire contre le régime du président Habib Bourguiba. Le 27, le commando s'empare de la caserne de la ville. L'armée est alors chargée de mater l'insurrection[3] mais met onze heures pour arriver sur place après une manœuvre d'intimidation libyenne à la frontière[réf. nécessaire].

Le commando se fait connaître par un communiqué diffusé à Paris par l'Agence France-Presse :

« L'Armée de libération tunisienne intervient à ce second anniversaire du massacre sanglant perpétré par le régime tunisien le 26 janvier 1978. C'est le point de départ d'un mouvement qui aboutira finalement à la libération du pays de la dictature du parti PSD et de la domination néo-coloniale[3]. »

Contre-offensive

Le 28 janvier, le président Bourguiba, qui au moment de l'attaque se repose à Nefta, à près d'une centaine de kilomètres de Gafsa, ne change pas le programme de son séjour. À sa demande, la France décide d'envoyer des avions de transport, des hélicoptères Puma et un groupe de conseillers militaires. Trois bateaux de guerre et leur escorte de cinq sous-marins doivent être dépêchés de Toulon au large des côtes tuniso-libyennes[3]. L'aide des États-Unis, de son côté, doit se manifester par l'envoi de navires de guerre non loin du littoral tunisien et par la livraison rapide d'hélicoptères et d'engins de transport pour « renforcer la capacité défensive du pays »[3]. Le Maroc déclare envoyer deux avions de transport et des hélicoptères. Toutefois, ces aides arriveront après la fin de l'attaque : Gafsa est reprise le 3 février en main par l'armée au prix de 48 morts et d'une centaine de blessés[réf. nécessaire].

Réactions

Le 30 janvier, Bourguiba rompt les relations diplomatiques avec la Libye et rappelle les 400 coopérants tunisiens stationnés sur place[4]. Le 4 février, des manifestants libyens incendient l'ambassade de France à Tripoli et le centre culturel français de Benghazi est également attaqué[4]. En réaction, la France rappelle le 5 février son ambassadeur[4].

Le 7 février, la Libye accuse la Tunisie de « constituer un nouveau pont impérialiste en Afrique »[4]. Le président algérien Chadli Bendjedid déclare pour sa part que « le gouvernement algérien suit avec préoccupation toute présence de forces étrangères à ses frontières »[4]. Quant à Hassan II, il dénonce l'opération comme un « acte criminel »[5].

Bourguiba, refusant de rentrer à Tunis, charge son épouse Wassila Bourguiba de se rendre à Gafsa où elle tient un meeting populaire devant le siège du gouvernorat situé au centre de la ville. Le 6 février, l'agence de presse Tunis Afrique Presse rapporte que deux membres du commando arrêtés — Larbi Akremi et Azzedine Chérif — ont convoyé les armes à partir de la Libye[3] ; l'un et l'autre avaient déjà été condamnés lors d'un complot découvert en 1962.

Conséquences

Procès

L'enquête révèle que trente des attaquants, venant de Tripoli, sont arrivés à Alger via Beyrouth et Rome pour franchir ensuite la frontière tuniso-algérienne aux abords de Tébessa[3]. D'autres sont arrivés à Tunis via Marseille et Rome. Tous ont séjourné clandestinement à Gafsa pendant plusieurs jours[3]. L'un d'eux avait déjà été condamné en 1972, à Tunis, pour avoir tenté de faire sauter les immeubles de la radio, du PSD et du centre culturel américain[réf. nécessaire] ; il fut gracié en 1976. Le commando devait se proclamer « gouvernement révolutionnaire » et attendre, le cas échéant, des « secours extérieurs » et le « ralliement du peuple »[3].

En avril, la Cour de sûreté de l'État condamne une quarantaine de prévenus : quinze sont exécutés et vingt-cinq récoltent des peines de travaux forcés à perpétuité[4]. Dix d'entre eux doivent être graciés mais Yasser Arafat, leader de l'OLP, intercède en leur faveur, ce qui provoque la colère de Bourguiba qui refuse finalement toute grâce[4].

Faiblesse ou avantage

Reste que le régime tunisien est encore une fois mis à l'épreuve : le pays, qui reste fragile à l'intérieur, se révèle vulnérable face aux menaces extérieures. Les événements de Ksar Hellal en octobre 1977, la répression de la grève générale du 26 janvier 1978, le congrès du PSD en septembre 1979, qui est favorable à Hédi Nouira, et l'attaque sur Gafsa ne manquent pas d'ébranler Bourguiba et de le convaincre de prendre seul et vite les décisions qu'il pense s'imposer. Cet événement finit par convaincre les États-Unis d'accroître leur aide militaire à la Tunisie ; celle-ci est multipliée par quatre entre 1981 et 1986[6].

Du côté libyen, cette affaire permet au colonel Mouammar Kadhafi de « tester la détermination française » et d'« affirmer ses prétentions hégémoniques dans l'espace saharien en s'y posant en adversaire principal de la France »[7]. Sur le plan intérieur, il renforce également son pouvoir en mobilisant la population autour de l'idée du « complot extérieur »[8].

Références

  1. a et b René Otayek, La politique africaine de la Libye : 1969-1985, coll. Les Afriques, éd. Karthala, Paris, 1986, p. 56
  2. Nicole Grimaud, « La spécificité tunisienne en question », Politique étrangère, vol. 60, no 2, 1995, p. 390
  3. a b c d e f g h et i Tahar Belkhodja, Les trois décennies Bourguiba. Témoignage, éd. Publisud, Paris, 1998, p. 172
  4. a b c d e f et g Tahar Belkhodja, op. cit., p. 173
  5. Abdelkhaleq Berramdane, Le Sahara occidental, enjeu maghrébin, éd. Karthala, Paris, 1992, p. 172
  6. Abdelkhaleq Berramdane, op. cit. p. 183
  7. René Otayek, op. cit., p. 56-57
  8. René Otayek, op. cit., p. 57