École des Annales

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L'École des Annales est un courant historique fondé par Lucien Febvre (1878-1956) et Marc Bloch (1886-1944). Il succède à l'École méthodique de la Revue historique fondée en 1876 par Gabriel Monod. Grâce à leur évolution, les Annales domineront pratiquement toute l'historiographie française du XXe siècle.

Première génération

Début 1929, Lucien Febvre et Marc Bloch fondent une revue dont la postérité sera sans précédent en France au XXe siècle : les Annales d'histoire économique et sociale. Cette revue, tout comme l'École, essaie d'écrire une histoire complète, une histoire « totale », en ne se limitant plus aux seuls aspects politiques, militaires ou diplomatiques. Mais l'École des Annales, comme l'a montré Robert Leroux[1], trouve ses origines dans les travaux de Henri Berr et de l'école durkheimienne, notamment François Simiand, et aussi, ainsi que le rappelle Jacques Le Goff[2], dans la communication d'Henri Pirenne, en 1923, sur la méthode comparative en histoire[3], de sorte que la date de 1929 peut apparaître davantage comme un aboutissement qu'un commencement absolu.

On retrouve les expressions les plus vives de ces diverses influences dans le livre phare de Lucien Febvre, Combats pour l'histoire, qui veut secouer l'apathie et la paresse intellectuelle des historiens en s'opposant à l'histoire « traditionnelle », celle de Seignobos et de Lavisse. Dans la revue tout comme dans Combats pour l'histoire, le « social » est hissé comme bannière, afin de couvrir tout un champ encore inconnu, celui des profondeurs de l'histoire, de ses souterrains, que ce soit au niveau économique et social ou au niveau balbutiant des mentalités.

La naissance de l'École des Annales s'inscrit dans le contexte de l'entre-deux-guerres (1918-1939), où l'Occident est en proie à une grave crise de l'historicité, le sentiment du Progrès et de la continuité ayant perdu leur évidence, et la Première Guerre mondiale ayant secoué les certitudes d'une Europe triomphante. Le rôle de l'historien ne peut plus, dès lors, se réduire à l'accumulation laborieuse de petites histoires désincarnées. L'historien doit, selon l'un des fondateurs Lucien Febvre, plonger dans son présent afin d'écrire une histoire vivante, qui palpite avec son époque et qui est engagée dans ses enjeux :

« Entre l’action et la pensée, il n’est pas de cloison. Il n’est pas de barrière. Il faut que l’histoire cesse de vous apparaître comme une nécropole endormie, où passent seules des ombres dépouillées de substance. Il faut que, dans le vieux palais silencieux où elle sommeille, vous pénétriez, tout animés de la lutte, tout couverts de la poussière du combat, du sang coagulé du monstre vaincu – et qu’ouvrant les fenêtres toutes grandes, ranimant les lumières et rappelant le bruit, vous réveilliez de votre vie à vous, de votre vie chaude et jeune, la vie glacée de la Princesse endormie … »

— Combats.

L'histoire doit devenir une « histoire-problème », qui questionne le passé et remet constamment en question ses propres postulats et méthodes, afin de ne pas être en reste sur les autres sciences et sur l'histoire du monde. Cette obligation implique de sortir l'histoire de son « immobilisme académique » en diversifiant et surtout en croisant ses sources, au-delà des seules références écrites traditionnelles. Il s'agit de s'ouvrir aux autres sciences humaines, de les combiner entre elles afin de pouvoir stimuler la curiosité de l'historien. Pour citer Marc Bloch, l'autre fondateur : « Le bon historien ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier » (Apologie).

L'École des Annales, qu'on la considère comme un mouvement d'historiens ayant des préoccupations communes, ou comme un paradigme ayant produit des cohortes d'historiens, trouva dans la première génération une source inépuisable d'inspiration et d'actualisation. Ayant rédigé près de 50 % de tous les écrits de la Revue jusqu'en 1940, Lucien Febvre et Marc Bloch ont laissé une marque indélébile sur le mouvement des Annales, faisant même parfois l'objet d'un véritable culte dans les années 1960 et 1970. Dénoncé ou non, ce « culte » a permis aux générations suivantes des Annales de prôner la fidélité aux origines du mouvement tout en adaptant et actualisant les écrits et les projets des fondateurs en fonction de leur propre expérience du temps.

La Seconde Guerre mondiale et l'Occupation

En 1939, le capitaine Marc Bloch, âgé de 53 ans, reprend du service dans l'armée française. Il se voit cantonné loin du feu, au service des carburants. Une fois démobilisé, il enseigne à l'Université de Clermont-Ferrand puis à l'Université de Montpellier. Afin de mettre sa famille à l'abri, il tente de gagner les États-Unis. Il n'y parviendra pas et s'engagera dans la Résistance clandestine. Marc Bloch est arrêté en mars 1944 et torturé. Il est exécuté le 16 juin 1944, dix jours après que les Alliés ont pris pied en Normandie.

Deuxième génération

À partir de la Libération, les héritiers de cette école sont, notamment, Fernand Braudel, Pierre Goubert et Ernest Labrousse qui produisent une histoire très économique et s'intéressent davantage encore au temps long, qui permet d'apprécier l'évolution des sociétés, plutôt qu'au temps court, celui de l'événement, trop instable pour être significatif. Georges Duby écrivait dans l'avant-propos de son ouvrage Le Dimanche de Bouvines que l'histoire que lui et ses collègues historiens faisaient « rejetait sur les marges l'événementiel, répugnait au récit, s'attachait au contraire à poser, à résoudre des problèmes et, négligeant les trépidations de surface, entendait observer dans la longue et la moyenne durée, l'évolution de l'économie, de la société, de la civilisation. » Georges Duby, héritier des travaux de Marc Bloch et Lucien Febvre, appartient à la seconde génération de l'École des Annales, et révolutionne le genre en écrivant Le dimanche de Bouvines en 1973. Il y réintroduit l'événement dans l'historiographie, idées en rupture avec l'esprit initial des Annales.

Troisième génération

L’École des Annales est remontée d’une histoire économique et démographique, très productive dans les années 1950 et 1960, à une histoire culturelle, en plein essor dans les années 1970 (Philippe Poirrier, 2004). Ce dernier courant a donné naissance en 1978 à la Nouvelle Histoire de Jacques Le Goff et Pierre Nora, sans oublier Philippe Ariès et Michel Vovelle ; dans le domaine de l'archéologie on peut également citer Jean-Marie Pesez.

Quatrième génération

Alors que l'histoire semble éclater en disciplines et en courants historiographiques toujours plus nombreux, l'École des Annales tente de répondre à l'emballement par la mise en œuvre d'un tournant critique, initié à la fin des années 1980 par le comité de rédaction de la revue, sous l'instigation notamment de Bernard Lepetit.

Notes et références

  1. Histoire et sociologie en France : de l'histoire-science à la sociologie durkheimienne, Paris, Presses universitaires de France, 1998.
  2. Jacques Le Goff la Nouvelle Histoire, page 40, rééd., Ed. Complexe 1988, Retz CPEL, Paris 1978.
  3. Ve Congrès international des sciences historiques, 9 avril 1923.

Articles connexes

Bibliographie

  • Bourdé Guy et Martin Hervé, Les Écoles historiques, Paris, Seuil, 1997.
  • Burguière André, L’École des Annales. Une histoire intellectuelle, Paris, Odile Jacob, 2006.
  • Burke Peter, The French Historical Revolution. The Annales School 1929-89, Polity Press, Key Contemporary Thinkers, Stanford University Press, March 1991. (ISBN 0-8047-1837-7)
  • Giuliano Crifò, Scuola delle Annales e storia del diritto: la situazione italiana, in Mélanges de l'école française de Rome: antiquité, 93, 1981, 483-494.
  • Dosse François, L'Histoire en miettes : des Annales à la "nouvelle histoire", La Découverte, 1987.
  • Leroux Robert, Histoire et sociologie en France : de l'histoire-science à la sociologie durkheimienne, Paris, Presses universitaires de France, 1998.
  • Poirrier Philippe, Aborder l'histoire, Paris, Seuil, 2000.
  • Poirrier Philippe, Les enjeux de l'histoire culturelle, Paris, seuil, 2004.
  • "L'art, l'écriture et l'histoire. Entretien avec Georges Duby", Le Débat, histoire, politique, société, novembre-décembre 1996, no 92, pp. 174-191.