Problème à N corps

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Modélisation du mouvement de trois particules, montrant le caractère chaotique de leurs trajectoires.

Le problème à N corps est un problème de mécanique céleste consistant à déterminer les trajectoires d'un ensemble de N corps s'attirant mutuellement ; plus précisément, il s'agit de résoudre les équations du mouvement de Newton pour N corps interagissant gravitationnellement, connaissant leurs masses ainsi que leurs positions et vitesses initiales. Le cas N = 2 (problème à deux corps) a été résolu par Newton, mais dès N = 3 (problème à trois corps) apparaissent des solutions essentiellement impossibles à expliciter, car sensibles aux conditions initiales.

Il s'agit d'un problème mathématique fondamental pour l'astronomie classique, c’est-à-dire dans le cas où les effets de la relativité générale peuvent être négligés : vitesses des corps petites devant la vitesse de la lumière dans le vide, et champs de gravitation faibles, ce qui est essentiellement le cas dans le Système solaire.

Par extension cette appellation a été conservée dans le cas où l'on s'intéresse à un ensemble de particules liées par un potentiel quelconque ; le problème à N corps se pose également dans le cadre de la relativité générale, mais son étude y est encore plus difficile que dans le cadre newtonien.

Formulation mathématique[modifier | modifier le code]

Le problème à N corps est modélisé par une équation différentielle. Étant donné les valeurs initiales des positions q j(0) et des vitesses des N particules (j = 1, 2, …, N) avec q j(0) ≠ q k(0) pour tout j et k distincts, il s'agit de trouver une solution du système du second ordre

où G est la constante gravitationnelle, m1, m2, …, mN sont des constantes[note 1] représentant les masses des N particules, et q1, q2, …, qN sont leurs vecteurs position (à trois dimensions) dépendant du temps t.

Cette équation est simplement la seconde loi du mouvement de Newton ; le terme de gauche est le produit de la masse de la particule et de son accélération, tandis que le terme de droite est la somme des forces gravitationnelles qui s'exercent sur la particule. Ces forces sont proportionnelles aux masses concernées et varient proportionnellement à l'inverse du carré de la distance de ces masses. Puisqu'il faut tenir compte de la direction de ces forces (pour les mesurer par un produit scalaire avec un des vecteurs unitaires du repère spatial dans lequel on mesure aussi les accélérations subies par chaque particule), il faut insérer un q jq k au numérateur et le compenser par un cube au dénominateur (et non plus un simple carré).

La formule est valide si on suppose que l'espace est cartésien et orthogonal au temps (de même que sa norme pour mesurer les distances), ce qui n'est vrai qu'en mécanique classique (pour des vitesses pas trop importantes par rapport à la limite maximale de la vitesse de la lumière dans un vide absolu, et pour des masses pas trop importantes non plus). Mais elle n'est qu'une approximation locale en mécanique relativiste, où l'espace a une courbure négative avec le temps (qui est implicite dans la formule pour exprimer l'accélération comme une dérivée seconde selon le temps) et où la norme ne suit pas la logique cartésienne (en effet la mesure des distances ainsi que la notion de repère cartésien et de base vectorielle universelle pour mesurer l'espace dépendent du temps propre et de l'accélération relative de l'observateur situé au centre de son repère de référence), et ne s'applique pas non plus de façon universelle en mécanique quantique où l'espace est également courbé par la présence des masses (qui impliquent également l'existence d'autres forces interagissant entre particules massives).

La formule suppose aussi que seule la gravitation est prise en compte (on suppose par exemple que les particules sont non chargées pour ne pas subir d'interaction électromagnétique et sont suffisamment éloignées pour que ni l'interaction forte ni l'interaction faible ne puissent avoir d'effet significatif), que l'espace entre les particules n'est constitué que du vide absolu n'interagissant donc pas directement lui-même sur les particules (il n'y a pas de masse noire ni d'énergie noire), que la totalité de la masse de chaque particule peut être concentrée en un seul point de l'espace, que l'espace et le temps sont continus (non quantifiés) et isotropes dans toutes les directions, et que la masse individuelle des particules se conserve avec leurs vitesses et accélérations relatives, de même que la quantité de mouvement totale des particules relative à l'observateur.

Problème à deux corps ou mouvement képlérien[modifier | modifier le code]

Dans la mécanique de Newton, le problème à deux corps est entièrement résoluble analytiquement. Toutefois, dans les cadres de la relativité générale et dans celui de la relativité restreinte, le problème à deux corps n'admet pas de solution analytique exacte.

Problème à N corps[modifier | modifier le code]

En dehors de quelques cas rarissimes où une solution exacte est connue, il faut en général recourir à des méthodes de résolution approchées. Deux approches sont utilisées :

Depuis les travaux de Henri Poincaré (en particulier le théorème qu'il a publié en 1890 dans l'article Sur le problème des trois corps et les équations de la dynamique[1]), on sait par ailleurs que dès le problème à trois corps apparaissent des solutions sensibles aux conditions initiales, et pour lesquelles une solution analytique efficiente, même approchée, est illusoire ; les méthodes statistiques de la théorie ergodique sont utilisées dans ce cas.

Configurations particulières[modifier | modifier le code]

Remarque sur le problème à trois corps[modifier | modifier le code]

Contrairement à une idée répandue, le problème à trois corps possède une solution analytique exacte, découverte par Karl Sundman en 1909[2]. Le problème est non résoluble avec une méthode algébrique, utilisée pour résoudre le problème à deux corps, car il manque des intégrales premières. La solution formulée par Sundman se présente sous la forme d'une série infinie qui converge très lentement, ce qui la rend en pratique inefficiente et in fine moins fiable que d’autres approches numériques, comme la méthode perturbative[3].

Entre 1918 et 1932, Jean Chazy confirme dans le cas le plus général la solution de Sundman et réalise une classification des sept sortes de mouvement[4].

Le mathématicien Qiudong Wang (en) généralise en 1991 le développement de Sundman en construisant une solution exacte du problème à N corps[3].

En 2000, le problème à trois corps a trouvé un renouveau par la solution périodique en huit, trouvée par Alain Chenciner et Richard Mongomery[5].

L'article sur les points de Lagrange en décrit une solution pour un cas particulier.

Singularités[modifier | modifier le code]

Il a été montré en 1992 qu'il est possible à partir de cinq corps de construire un système tel qu'il existe une durée pour laquelle au moins deux corps peuvent se trouver arbitrairement loin de leur point de départ avant l'écoulement de cette durée ; autrement dit, il est théoriquement possible d'aller infiniment loin en un temps fini[6],[7]. Cependant, cette construction ne peut se réaliser en pratique, car à des vitesses proches de celle de la lumière, la relativité restreinte s'applique et non la mécanique newtonienne.

Dans la culture[modifier | modifier le code]

Le problème à trois corps est évoqué dans le roman de science-fiction Le Problème à trois corps.

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Strictement positives.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Henri Poincaré, « Sur le problème des trois corps et les équations de la dynamique », Acta Mathematica, vol. 13,‎ , p. 1-270.
  2. Malte Henkel, Sur la solution de Sundman du problème des trois corps, Philosophia Scientiae 5 (2) (2001), 161-184. Texte complet disponible sur l'ArXiv : physics/0203001.
  3. a et b Malte Henkel, « Sur la solution de Sundman du probleme des trois corps », arXiv:physics/0203001,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  4. [PDF] Sur le problème plan et symétrique des trois corps, Christos Caratzénis, 1931. [PDF]
  5. (en) Alain Chenciner, « Three body problem », Scholarpedia, vol. 2, no 10,‎ , p. 2111 (ISSN 1941-6016, DOI 10.4249/scholarpedia.2111, lire en ligne, consulté le ).
  6. (en) Zhihong Xia, « The Existence of Noncollision Singularities in Newtonian Systems », Annals of Mathematics, vol. 135, no 3,‎ (lire en ligne).
  7. (en) Donald Gene Saari et Zhihong Xia, « Off to infinity in finite time », Notices of the American Mathematical Society, vol. 42, no 5,‎ (lire en ligne).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Initiation[modifier | modifier le code]

Accessibles à partir du premier cycle universitaire.

  • (en) Florin Diacu et Philip Holmes, Celestial Encounters - The Origin of Chaos, Princeton University Press (1996), (ISBN 0-691-00545-1). L'origine du « chaos » moderne se trouve dans les travaux pionniers d'Henri Poincaré réalisés à la fin du XIXe siècle à propos d'un vieux problème de mécanique Newtonienne : le problème à N corps. Les auteurs du présent ouvrage, mathématiciens spécialistes du domaine, retracent élégamment l'histoire de ce problème et de ses développements de Poincaré à nos jours
  • (en) Forest R. Moulton, An introduction to celestial mechanics, Dover (1970) (ISBN 0-486-64687-4). Réédition de la seconde édition publiée originellement en 1914 ; un ouvrage d'introduction très clair
  • (en) Bill Casselman, The three body problem, Société Américaine de Mathématiques. Quelques solutions exactes du problème à trois corps, des plus anciennes (Euler, Lagrange, Hill) à la plus récente : la chorégraphie en forme de 8 d'Alain Chenciner et al. (2000)
  • (en) Sverre J. Aarseth, www.sverre.com. Le site personnel d'un professeur d'astronomie à l'université de Cambridge spécialiste de l'intégration numérique des équations différentielles du problème à N corps. On peut d'ailleurs télécharger ses codes de calcul sur le serveur ftp de l'université de Cambridge, ou encore à partir de cette page web
  • Richard Montgomery, « Le problème des trois corps rebondit », Pour la science, no 508,‎ , p. 26-35

Textes plus techniques[modifier | modifier le code]

Les modernes[modifier | modifier le code]
  • Malte Henkel, Sur la solution de Sundman du probleme des trois corps, Philosophia Scientiae 5 (2) (2001), 161-184. Texte complet disponible sur l'ArXiv : physics/0203001.
  • (en) Douglas C. Heggie, The Classical Gravitational N-Body Problem, Encyclopaedia of Mathematical Physics, Elsevier (A paraître : 2006). Texte complet disponible sur l'ArXiv : astro-ph/0503600.
  • (en) Vladimir Arnold, V.V. Kozlov & A.I. Neishtadt ; Mathematical Aspects of Classical and Celestial Mechanics, Encyclopaedia of Mathematical Sciences, Springer-Verlag (2e édition-1993).
  • (en) Vladimir Arnold, Mathematical Methods of Classical Mechanics, Springer-Verlag (2e édition-1989) (ISBN 0-387-96890-3). Une synthèse de l'état de l'art en mécanique analytique (formalismes Lagrangien & Hamiltonien) avec l'accent mis sur l'interprétation géométrique de ces formalismes, par l'un des plus brillants mathématiciens du domaine. À partir du second cycle universitaire.
  • (en) Christian Marchal, The three-body problem, Elsevier , 1990; (ISBN 0-444-41813-X) : livre avec beaucoup de détails très précieux pour un élève de dynamique des systèmes gravitationnels. Évidemment, il ne peut intégrer les travaux de Chenciner, Simo, Saari.
  • (en) Carl L. Siegel et Jürgen Moser, Lectures on celestial mechanics, Classics in Mathematics, Springer-Verlag (1995). Quelques résultats mathématiques sur le problème à trois corps. Niveau second cycle universitaire minimum.
  • (en) June Barrow-Green, Poincaré and the Three Body Problem, AMS & LMS, coll. « History of Mathematics » (no 11), (lire en ligne)
  • (en) Donald G. Saari, Collisions, Rings, and Other Newtonian N-Body Problems, CBMS Regional Conference Series in Mathematics 104, American Mathematical Society (2005), (ISBN 0-8218-3250-6).
  • (en) Kenneth R. Meyer et Glen R. Hall, Introduction to Hamiltonian Dynamical Systems and the N-Body Problem, Applied Mathematical Sciences 90, Springer-Verlag (1991), (ISBN 0-387-97637-X).
  • (en) Vladimir Arnold et André Avez, Ergodic Problems of Classical Mechanics, Advanced Book Classics, Pearson Addison Wesley () ASIN : 0201094061. Il existe aussi en français! Problèmes ergodiques de la mécanique classique ; ed Gauthier-villars , 1967.
Les classiques[modifier | modifier le code]
  • Pierre-Simon Laplace, Traité de mécanique céleste, Éditions Jacques Gabay, 1990. Réédition d'un ouvrage classique de la fin du XIXe siècle, en 4 volumes. — Niveau second cycle universitaire.
  • François-Félix Tisserand, Traité de mécanique céleste, Éditions Jacques Gabay, 1990. Réédition d'un ouvrage classique de la fin du XIXe siècle, en 4 volumes. — Niveau second cycle universitaire.
  • Henri Poincaré, Leçons de mécanique céleste, 3 tomes, 1905-1910, réédité par Jacques Gabay, Paris, 2003. — Une somme de référence, par le grand mathématicien qui a tant contribué au sujet. Niveau second cycle universitaire.

Analyse numérique[modifier | modifier le code]

  • (en) Sverre J. Aarseth, Gravitational N-body Simulations: Tools and Algorithms, Cambridge Monographs on Mathematical Physics, Cambridge University Press (2003), (ISBN 0-521-43272-3).
  • (en) Piet Hut and Jun Makino, The Art of Computational Science [1]
  • (en) A. Marciniak, Numerical Solutions of the N-Body Problem, Mathematics and its Applications, Springer-Verlag (1989), (ISBN 90-277-2058-4).

Quelques travaux récents[modifier | modifier le code]

  • (en) Alain Chenciner et Richard Montgomery, A remarkable periodic solution of the three-body problem in the case of equal masses, Annals of Mathematics (2) 152 (2000), no. 3, 881--901 (lire en ligne, sur ArXiv).
  • (en) Cristopher Moore et Michael Nauenberg, New Periodic Orbits for the n-Body Problem, 2005 (lire ne ligne, sur ArXiv).
  • (en) C. Duval, G. Gibbons & P. Horvathy ; Celestial Mechanics, Conformal Structures, and Gravitational Waves, Physical Review D 43 (1991), 3907 (lire en ligne, sur ArXiv).

Liens externes[modifier | modifier le code]