Yves Winkin

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Yves Winkin, né en 1953, est un enseignant-chercheur belge spécialisé dans les sciences de l'information et de la communication. Il est connu pour avoir introduit dans le monde francophone plusieurs courants d’idées des sciences humaines et sociales américaines qu’il intègre dans une « anthropologie de la communication ». Il introduit également le concept d'« enchantement » dans les sciences sociales, il étudie le comportement des piétons dans les espaces urbains et analyse l'œuvre d'Erving Goffman en relation avec sa vie. Il s'intéresse également à l'organisation et l'accueil des publics dans les musées.

Yves Winkin a été professeur à l’Université de Liège, puis à l’École normale supérieure de Lyon et enfin au Conservatoire national des arts et métiers de Paris. Il est directeur délégué à la culture scientifique et technique, directeur du musée des Arts et Métiers de janvier 2015 à janvier 2019.

Formation[modifier | modifier le code]

Yves Winkin reçoit une formation à l'Université de Liège en philosophie (1972-1974) et en communication (1974-1976)[1]. Il obtient un Master of Arts in Communication à l’Annenberg School for Communication de l’Université de Pennsylvanie (1979)[2]. Lors de ce séjour, il côtoie Erving Goffman[3]. En 1982, il reçoit un doctorat en « Information et Arts de diffusion » de l’Université de Liège pour une thèse intitulée : La communication : de l’interaction à l’institution. Approche ethnographique d’une Maison internationale d’étudiants aux États-Unis.[1].

Carrière[modifier | modifier le code]

Durant les années 1980-1990, Yves Winkin travaille à l’Université de Liège[4] où il a enseigné l’anthropologie de la communication et créé un « Laboratoire d’anthropologie de la communication ».

Nommé professeur des universités en France en 1999[5], il rejoint l’École normale supérieure de Lyon[1] la même année. Il est directeur adjoint chargé de la recherche et des relations internationales à l'ENS Fontenay St Cloud de 2007 à 2010[6],[7]. Il est directeur de l’Institut français de l’Éducation[8],[9], une composante de l’École Normale Supérieure de Lyon issue de l’Institut national de recherche pédagogique, entre 2011 et 2012. À l’ENS de Lyon, il crée une Équipe d’accueil, « Communication, Culture et Société »[1].

En 2014, il rejoint le Conservatoire national des arts et métiers. Il y est professeur ainsi que directeur du musée[10], mais il démissionne de cette 2e fonction en décembre 2018[11].

Entre 2008 et 2018, il enseigne à l’Université de Liège comme professeur extraordinaire avant de devenir émérite.

Par ailleurs, il enseigne sur invitation dans différentes universités telles que l’Université du Wisconsin-Parkside dans le cadre du programme Fulbright[12], l’Université du Québec à Montréal[13] l’EHESS (à l'invitation de Pierre Bourdieu) ou encore à l’Université de Californie à Berkeley[13].

Sujets de recherche[modifier | modifier le code]

L'anthropologie de la communication[modifier | modifier le code]

Yves Winkin contribue à l'élaboration d'une « anthropologie de la communication »[14]et rédige des articles pour l'Encyclopædia Universalis [15]. Dans La Nouvelle Communication, il propose une métaphore éclairante sur ces types de communication, dans le contraste entre l’ancienne communication « télégraphique » de la transmission des signaux entre émetteur et récepteur et la nouvelle communication « orchestrale ». L’ancienne communication, dite télégraphique, est celle qui suit le « paradigme de Laswell » : « qui dit quoi, par quel canal, à qui et avec quel effet ? ». Dans la « nouvelle communication », « Winkin substitue la communication de type « orchestral », c'est-à-dire une communication dans laquelle tous les acteurs participent et sont impliqués. Comme dans un orchestre, chacun joue sa partition et s'accorde avec les autres pour créer un ensemble. Dans cette situation, tout compte (le verbal comme le non-verbal) pour assurer la communication »[16].

Erving Goffman[modifier | modifier le code]

Yves Winkin se consacre depuis le début des années 1980 à reconstituer la trajectoire intellectuelle et sociale du sociologue américain Erving Goffman[17]. Il a séjourné dans tous les lieux qui ont compté dans la vie de Goffman, de sa ville natale aux campus des universités de Chicago, Berkeley et Pennsylvania. Il s’est rendu sur deux de ses trois grands terrains : l’île de Unst et l’hôpital St.Elizabeths à Washington[18], (les casinos de Las Vegas et de Reno où Goffman a réalisé son troisième grand terrain se sont avérés impossibles à identifier). Il s’est entretenu en tête à tête avec une centaine d’amis, de collègues, de connaissances de Goffman. Il en a résulté un livre en 1988 (Les Moments et leurs hommes), un livre avec Wendy Leeds-Hurwitz en 2013 (Erving Goffman: A Critical Introduction to Media and Communication Theory), ainsi que de nombreux articles. En 2022, pour célébrer le centenaire de la naissance de Goffman et le quarantenaire de sa mort, il publie D'Erving à Goffman. Une œuvre performée ?[19],[20] Ses travaux sur Goffman ont intéressé les chercheurs, notamment aux États-Unis (il a préfacé l'édition anglophone de la thèse de Goffman[21]) et en Amérique latine[22],[23].

La sociologue Sherri Cavan (en) est en désaccord avec Winkin quant à la classe sociale à laquelle la famille d'Erving Goffman appartenait ainsi que sur la laïcité ou non de son foyer[24].

L'enchantement[modifier | modifier le code]

Yves Winkin travaille également à construire une « anthropologie de l’enchantement ». Par enchantement, il entend l’emboîtement d’un dispositif et d’une disposition résultant en une « suspension volontaire de l’incrédulité », selon la formule du poète anglais William Coleridge (1817). Le « dispositif », c’est tout lieu qui accueille des participants qui viennent avec une certaine « disposition ». L’exemple le plus frappant, c’est Disneyland. D’un côté une énorme machinerie, gérée par des « ingénieurs de l’enchantement » ; de l’autre, des visiteurs, qui sont prêts à se laisser immerger.

Cette approche de l’enchantement s’est révélée opératoire dans des domaines aussi différents que les interactions avec les dauphins, la marche urbaine, le tourisme[25],[26] ou encore l’apprentissage de l’informatique par les enfants [27]. Un colloque au Centre culturel international de Cerisy-la-salle en juillet 2021 a comparé les méthodes autour du concept, avec la participation active de Winkin[28].

La marche urbaine[modifier | modifier le code]

Le plus souvent en collaboration avec Sonia Lavadinho, Yves Winkin a proposé une série de textes programmatiques sur l’avenir de la marche urbaine dans des revues comme Urbanisme[29], des actes de colloque[30] ou dans un livre à destination des agences d’urbanisme[31][source primaire]. « Conscients de l'enjeu environnemental que représente aujourd’hui la « prise de pouvoir » de la marche à pied sur les autres modes de locomotion, ils réfléchissent aux moyens et conditions à mettre en œuvre pour inciter le citadin à la marche et renforcer la place du piéton en ville. L’intérêt de leur proposition réside dans le lien qu’ils donnent à penser entre la dimension symbolique des aménagements urbains ou privés et la marche elle-même.[...] En renforçant chez le piéton un sentiment d’égalité vis-à-vis des autres véhicules partageant l’espace public urbain, ils lui permettraient également d’accroître son emprise sur la ville et de « reprendre […] une place historiquement première ». La prise en compte de cette dimension symbolique de la marche en ville, et un intérêt accru porté à la manière dont les piétons marchent quotidiennement dans l’espace public urbain, pourraient alors, sinon compenser, du moins infléchir des partis pris parfois très lourds faits en matière d’urbanisme et d’aménagement de l’espace » [32].

Les musées[modifier | modifier le code]

Dans Réinventer les musées ? paru en 2020 chez MkF éditions, Yves Winkin rappelle qu'en apparence tout va bien : il n’y a jamais eu autant de musées en France et jamais autant de monde dans les musées. Mais le succès de quelques grands musées ne cache-t-il pas une réalité plus complexe ? En France, il existe une grande hétérogénéité de petits musées qui sont uniquement fréquentés par des groupes scolaires ou du troisième âge, des musées sans moyens dont l'animation ne repose que sur leurs collections. En repartant des résultats de la mission du Ministère de la Culture « Musées du XXIe siècle » [33], Yves Winkin propose au lecteur de prolonger cette réflexion en l'enrichissant de son expérience d'anthropologue de la communication et de directeur de musée[34],[35],[36]. Il participe notamment à remettre en lumière le modèle prometteur des écomusées[37]. « Pour Yves Winkin, la réinvention des musées passe par la création d’un effet d’enchantement. D’après sa pensée, les musées devraient offrir un équilibre entre récit historique et poésie et ainsi attirer davantage les visiteurs. Il faudrait décloisonner les musées, les rendre plus inclusifs et invitants »[34].

Publications[modifier | modifier le code]

Ouvrages[modifier | modifier le code]

Distinctions[modifier | modifier le code]

Il a reçu un doctorat honoris causa de l’Université du Québec à Trois-Rivières en 2022[38].

Bibliographie critique[modifier | modifier le code]

  • Florence Andreacola, « Yves Winkin. 2020. Ré-inventer les musées ?  », Culture & Musées, no 36 ,‎ (DOI 10.4000/culturemusees.5842, lire en ligne)
  • Jean-Luc Bouillon, «  Jacques Dubois, Pascal Durand, Yves Winkin, dirs, Le symbolique et le social. La réception internationale de la pensée de Pierre Bourdieu  »,  Questions de communication, no 10,‎ (DOI 10.4000/questionsdecommunication.7784, lire en ligne).
  • Christophe Dargère, « Ressentir et contenir une « rage froide » en situation d’ethnographie », dans Les émotions dans la recherche en sciences humaines et sociales (lire en ligne), p. 205-221.
  • Pierre Delcambre, «  Anthropologie de la communication, de la théorie au terrain  »,  Études de communication, no 19 ,‎ (DOI 10.4000/edc.2427, lire en ligne).
  • François Demers, « Compte rendu de Yves Winkin, Anthropologie de lacommunication. De la théorie au terrain, Paris et Bruxelles, DeBoeck Université, coll. Culture et Communication, 1996, 239 p., fig., bibliogr., index. », Anthropologie et Sociétés, vol. 23, no 2,‎ , p. 163–164 (DOI 10.7202/015611ar, lire en ligne [PDF]).
  • Björn-Olav Dozo, «  Jacques Dubois, Pascal Durand, Yves Winkin, Le symbolique et le social. La réception internationale de Pierre Bourdieu  »,  Lectures,‎ (DOI 10.4000/lectures.272, lire en ligne).
  • Alexandre Eyries, «  Yves Winkin, Ré-inventer les musées ? Suivi d’un dialogue avec Milad Doueihi sur le musée numérique  », Questions de communication, no 38,‎ (DOI 10.4000/questionsdecommunication.24578, lire en ligne).
  • Élisabeth Fichez-Vallez, «  La nouvelle communication  »,  Études de communication, no 3 ,‎ (DOI 10.4000/edc.3306, lire en ligne).
  • Luca Greco, « Yves Winkin. De Erving à Goffman. Une œuvre performée Paris, MkF éditions, 2022, 190 p. », Langage et société, vol. 3, no  180),‎ , p. 173 à 176 (lire en ligne).
  • Thomas Heller et Bernard Miège, «  Yves Winkin, La communication n’est pas une marchandise. Résister à l’agenda de Bologne  », Questions de communication, no 5 ,‎ (DOI 10.4000/questionsdecommunication.7169, lire en ligne).
  • Hugues Hotier, « La communication n'est pas une marchandise d'Yves Winkin, Éditions Labor, Éditions espace de Libertés, Bruxelles, Collection « Liberté j’écris ton nom », 95 pages », Communication et organisation, no 23,‎ (DOI 10.4000/communicationorganisation.2877, lire en ligne).
  • Guy Lochard, « Yves Winkin, La Communication n’est pas une marchandise. Résister à l’agenda de Bologne, Bruxelles, Éditions Labor et Espace de Libertés, coll. « Liberté j’écris ton nom », 2003 », Hermès, no 38,‎ , p. 219 (lire en ligne).
  • Jean-Luc Maurin, «  Anthropologie de la communication De la théorie au terrain, de Yves Winkin. Éditions De Boeck Université, Collection Culture & Communication, Bruxelles, 1996, 239 pages, 130 francs  », Communication et organisation, no 9 ,‎  1996 (DOI 10.4000/communicationorganisation.1861, lire en ligne).
  • Dominique Picard, « De la théorie au terrain : Yves Winkin Anthropologie de la communication », Communication et langages, no 112,‎ 2ème trimestre 1997, p. 124 (lire en ligne).
  • Alain Prujiner, « Yves Winkin. La nouvelle communication, 1981 », Communication Information, vol. 4, no 2,‎ , p. 152-154 (lire en ligne).`
  • Tiphaine Zetlaoui, « La communication n'est pas une marchandise, résister à l'agenda de Bologne, Yves Winkin, Labor/Espace de Libertés, collection Liberté j'écris ton nom, 2003 », Quaderni, no 54,‎ , p. 137-138 (lire en ligne).

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c et d (en) Joint Research Institute for Science and Society, « Yves Winkin: Curriculum Vitae November 2010 », sur ENS LLyon, .
  2. (en) University of Pennsylvania, « Commencement program May 1980 » [PDF], sur University of Pennsylvania Archives, (consulté le )
  3. (en) Renée Fox (en), « Remembering Erving Goffman », sur UNLV, .
  4. Université de Liège, « WINKIN Yves », sur Université de Liège (consulté le )
  5. « Décret du 16 décembre 1999 portant nomination (enseignements supérieurs) », sur Legifrance
  6. « Arrêté du 25 janvier 2007 portant nomination du directeur adjoint chargé de la recherche et des relations internationales à l'Ecole normale supérieure de Fontenay - Saint-Cloud »
  7. Fédération internationale des Ceméa, « L’institut Français de l’education [IFE] [Ex-INRP, Institut National de Recherches Pédagogiques] créé lundi 18 Avril 2011. », sur Fédération internationale des Ceméa, (consulté le )
  8. ENS de Lyon, « Agenda de l'ENS de Lyon », sur ENS de Lyon, (consulté le )
  9. Olivier Rey, « L’Institut français de l’Éducation est créé », sur Hypotheses, (consulté le )
  10. « Yves Winkin, Directeur du Musée des Arts et Métiers à Paris : Gardien du Versailles des Techniques », sur lemauricien.com, .
  11. « Le directeur du Musée démissionne : l'Administrateur général perd un second bras droit », sur SUD éducation CNAM,
  12. (en) « Yves Winkin, International Communication; Communication in everyday life », sur fullbrightscholars.org.
  13. a et b (en) Center for Intercultural Dialogue, « Yves Winkin Profile », sur Center for Intercultural Dialogue, (consulté le ).
  14. Gérard Derèze, « À propos de l'anthropologie de la communication : Une lecture du livre d'Yves Winkin », Recherches en Communication,‎ (lire en ligne) (ISBN 978-2020402842)
  15. « Yves Winkin », sur Universalis.fr (consulté le ).
  16. Olivier Aim et Stéphane Billiet, Communication - 2e éd, Dunod, , 304 p. (lire en ligne), p. 141.
  17. [audio]La Grande table par Caroline Broué, « Qui était Erving Goffman ? », sur France Culture, (consulté le )
  18. Jean-François Laé, « Erving Goffman, l’art des interactions », En attendant Nadeau,‎ (lire en ligne).
  19. Winkin 2022.
  20. Michaël Bourgatte, « D’Erving à Goffman. Une œuvre performée ? » Accès libre, sur https://blogs.mediapart.fr/,
  21. (en) Yves Winkin, « The cradle: Introduction to the Mediastudies.press Edition »
  22. traduit en portugais dans E. Gastaldo, « Erving Goffman : what is a life ? The uneasy making of an intellectual biography. », Desbravador do Cotidiano, Porto Alegre, Tomo Editorial,‎ , p. 13-36
  23. Joanne Speirs Littlefield, « Erving Goffman: a critical introduction to media and communication, volume 4 by Yves Winkin and Wendy Leeds-Hurwitz », Taylor & Francis,‎ (lire en ligne).
  24. Sherri Cavan, « When Erving Goffman was a boy: The formative years of a sociological giant », Symbolic Interaction,‎ (lire en ligne).
  25. Véronique Duchenne, « L'ethnologue peut il se tromper de terrin », Recherches en Communication,‎ (lire en ligne).
  26. Kotsi, Filareti, La communication enchantée. Une anthropologie réflexive du tourisme religieux autour du Mont Athos (Grèce), École normale supérieure de Lyon, thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication, (lire en ligne).
  27. Barchechath, Magli, Winkin 2006.
  28. CCIC Cerisy, « L’enchantement qui revient [2021] | Centre Culturel International de Cerisy », sur cerisy-colloques.fr, (consulté le ).
  29. Sonia Lavadinho, Yves Winkin, « Du marcheur urbain », Urbanisme N° 359,‎ , p. 44-49 (lire en ligne)
  30. Yves Winkin, « Les vieux qui marchent (encore). Auto-ethnographie prospective » », dans Le Génie de la marche. Poétique, savoirs et politiques des corps mobiles, Paris, Hermann, (lire en ligne), p. 389-394.
  31. Sonia Lavadinho et Yves Winkin,  Vers une marche plaisir en ville: boîte à outils pour augmenter le bonheur de marcher, Lyon,  Éditions du CERTU (Centre d’Études sur les Réseaux, les Transports et l’Urbanisme), (présentation en ligne).
  32. Rachel Thomas, « La marche en ville. Une histoire de sens : (section) La marche, un instrument de composition de la ville », L'Espace géographique, t. 36, no 1,‎ , p. 15 à 26 (lire en ligne).
  33. « Rapport de la mission "Musées du XXIe siècle" », sur www.culture.gouv.fr, .
  34. a et b Marilyne Brick, « Yves Winkin : « Nos musées sont-ils à réinventer ? » », La Gazette de la Mauricie,‎ (lire en ligne).
  35. Yves Winkin, « Faire sortir les musées français de leurs cadres », sur Mondes Sociaux, (consulté le )
  36. Florence Andreacola, « Réinventer les musées ? », sur Open Edition Journal (consulté le )
  37. Les musées du XXIe siècle seront des écomusées, « Diacritik », sur Diacritik, (consulté le ).
  38. Jean-François Hinse, « Un doctorat honoris causa pour trois hommes d’exception », sur Université du Québec à Trois-Rivières, (consulté le ).

Liens externes[modifier | modifier le code]