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Suzanne Amomba, épouse Paillé (date de naissance inconnue, morte le 28 janvier 1755) est une esclave guyanaise affranchie. Née en Afrique ou à Cayenne, analphabète, Suzanne Amomba est vendue comme esclave en Guyane au service du lieutenant François de La Mothe, qui l’affranchit. Le 29 juin 1704, elle épouse par consentement mutuel un soldat de garnison, Jean Paillé. Ensemble, ils fondent une exploitation prospère à Macouria qui comptera jusqu'à 67 esclaves. Lorsque son époux décède en 1739, il lui lègue l’intégralité de ses biens. Cependant, l’Administration royale tente de la mettre sous tutelle. Elle livre alors une bataille acharnée pour faire reconnaître ses droits, et lègue à sa mort en 1755 une partie de son héritage aux Jésuites – notamment pour faire œuvre auprès des enfants orphelins.

Biographie[modifier | modifier le code]

Suzanne Amomba est une esclave née à la fin du XVIIIe siècle. Des incertitudes demeurent cependant sur ses date et lieu de naissance : elle serait née soit en Afrique, soit dans une habitation de l'île de Cayenne.

Suzanne Amomba entre d'abord au service du lieutenant François de La Mothe Aigron, qui l'affranchit finalement suite à sa relation avec un soldat de garnison, maitre-maçon et tailleur de pierres de son métier : Jean Paillé. Celui-ci est d'ailleurs congédié de sa garnison pour avoir convolé avec elle[1]. La cérémonie a lieu à l'église Saint-Sauveur de Cayenne, sous l'office du père Mousnier, alors prêtre de la paroisse .

Ensemble, ils mettent en valeur une habitation de taille modeste qui compte, en 1737, une soixante d'esclaves. Une carte dressée en 1766 par François Haumont, ingénieur du roi, indique la position exacte de l’habitation Paillé. On peut la distinguer aujourd'hui sur la carte IGN au 1/25 000e de Macouria, sur la rive gauche de la crique, la mention “Ile Paillé"[2]. L'habitation produit du cacao, de l'indigo, du café et du rocou ainsi que des productions vivrières. Elle possède des bovins, des ovins et des porcins et dégage des profits remarquables pour la colonie[3] .

A la mort de son mari sans héritier direct en 1746 , Suzanne Paillé se retrouve à la tête d’une petite fortune au regard de la colonie, attisant convoitise et jalousie [4]. Certains habitants « gens avides et peu délicats » selon la lettre de M. Chateaugué, gouverneur de Guyane, adressée au ministère, lui proposent le mariage afin de récupérer ses biens. Elle-même n'exclut point un remariage puisqu'à deux reprises, elle souhaite souscrire à la demande comme le signale le père Panier, curé de la paroisse de Cayenne et supérieur des jésuites de la colonie[5]. Cette volonté de remariage est grandement freinée par l'administration coloniale et religieuse.

En 1741, le procureur du roi, tout en lui laissant "la jouissance de ses revenus" obtient du conseil supérieur de la colonie que "toute la disposition de ses biens lui [soit] interdite sans l'autorité de la justice." Le curateur désigné pour ses biens reçoit l'approbation du Père Panier. Les motifs invoqués pour cette mise sous tutelle sont pétris de bienveillance raciste, les autorités civiles et religieuses voulant officiellement protéger de la rapacité de ses congénères, une veuve âgée, ignorante et frappée selon d'Albon « d'imbécillité »[6] . Suzanne Paillé saisit alors la Cour de Justice de la colonie, car elle s'estime spoliée de ses droits par la personne chargée de gérer ses biens depuis la mort de son mari. Il s'avère que la personne en question, Jacques Mallécot, était alors greffier en chef du conseil supérieur et par ailleurs propriétaire d'une habitation jouxtant celle des Paillé à Macouria. Elle perd son procès et son interdiction juridique est confirmée par le Conseil d'Etat en 1742. Cependant, cette interdiction est levée en décembre 1744 : l'ordonnateur D'Albon, après enquête, rétablit la pleine liberté de Suzanne Amomba-Paillé à disposer de ses biens.

Probablement encouragée par un entourage pressant, Suzanne Paillé fait rédiger son testament en 1742. Elle scinde son bien en trois parts : la première pour financer sa sépulture et la lecture de prières pour elle et son époux. La deuxième revient à des œuvres sociales et religieuses : c'est ainsi qu'elle lègue à sa mort plusieurs maisons dans Cayenne évaluées à 7 000 livres aux autorités coloniales afin qu'elles développent l'instruction des enfants de Cayenne[7], et une part importante à l'église St Sauveur de Cayenne, à l'hôpital, à la mission de Kourou et en vue de l'établissement d'une paroisse dans le quartier de Macouria. La troisième part est partagée entre des personnes privées, qui sont deux filleules de son époux, une négresse libre, des personnalités exerçant un pouvoir dans la colonie (juge, procureur, capitaine, etc.), des voisins et d'autres habitants. Le motif souvent invoqué pour ces donations est un remerciement "pour [les] bons et agréables services" qui lui ont été rendus. Elle n'affranchit cependant pas ses esclaves - mis à part son commandeur Lucas, pour avoir sauvé son mari de la noyade. Elle lui donne « pour le servir pendant qu'il vivra » ses enfants François et Rose. Mais le testament précise qu'à la mort de celui-ci, ses enfants redeviendront esclaves « au profit du légataire universel », monsieur de Villiers de l'Isle Adam, contrôleur et commissaire de la marine de Cayenne [5].

Ainsi, comme le souligne Marie Polderman, « ce testament, rédigé selon les règles en vigueur, traduit une volonté de reconnaissance à l'égal des autres habitants. Il traduit une volonté d'insertion dans la société coloniale » [8].

Suzanne Amomba-Paillé meurt en 1755, et obtient le privilège pour une personne de couleurs d'être inhumée à l'Eglise Saint-Sauveur de Cayenne[1].

Controverses[modifier | modifier le code]

La situation de Suzanne Amomba-Paillé cristallise de nombreuses crispations révélatrices de la société esclavagiste guyanaise. Cette colonie de Guyane est alors si “petite”, qu’elle ne compte que quelques dizaines de Noirs libres (avec un maximum de 23 en 1698) pour une population totale qui atteint les 2 500 habitants en 1714. Devenue veuve, Suzanne Amomba-Paillé dérange la société de l'époque, parce qu'elle est noire, libre et riche[2]. Son cas fait l'objet de nombreuses correspondances entre les autorités coloniales de l'époque : Monsieur de Chateaugné et d'Albon l'évoque au secrétaire d'Etat à la marine dans une lettre datée du 1er septembre 1740 (soit un peu moins d'une année après la mort de son mari). Puis en septembre 1741, le scandale qui a éclaté dans la colonie est clairement exprimé par l'ordonnateur d'Albon au ministre : "Scavoir sy, Sa Majesté trouve bon de tolérer le mélange de sang par mariage avec des négresses. Secondement sy, un nègre ou négresse, en tant qu'affranchie et n'ayant point d'héritiers, peuvent contre le droit romain disposer de leurs biens au préjudice du domaine royal, surtout dans la circonstance présente d'interdiction judiciaire pour cause d'imbécilité"[6]. Suzanne Amomba-Paillé fait également l'objet d'une lettre du Père Panier, supérieur des Jésuites de la colonie, adressée au ministre pour lui faire part de ses inquiétudes quant aux sollicitations de re-mariage dont fait l'objet Suzanne Paillé qu'il appelle "cette vieille facile à surprendre"[6].

Ainsi, selon la chercheuse Marie Polderman, Suzanne Paillé "symbolise aux yeux des Blancs la montée en puissance numérique des libres qui, de moins de 10 à la fin du XVIIe siècle, dépasse la centaine vers 1750. Les réactions sont à la hauteur de la crainte tout autant que de la convoitise qu’elle suscite : en témoigne l’abondante correspondance officielle la concernant, correspondance qui entre 1740 et 1748 aboutit au même phénomène de blocage social que l’on observe dans les îles"[9]. Cette affaire est un révélateur des inquiétudes des colons blancs qui prennent alors conscience de leur déclin démographique, mais aussi économique par l'avènement de ces nouveaux propriétaires d'habitations noirs, et aussi culturel du fait de la gestation de la langue créole dès la fin du XVIIIe siècle.

Ces crispations se heurtent aussi aux idées raciales et racistes qui alimentent les idéologies de l'Ancien-Régime. La faiblesse numérique des femmes en Guyane contraint de nombreux hommes au célibat. Mais certains comme le soldat Paillé vont faire des choix qui bousculent le cadre établi par le Code noir en épousant des femmes noires. Si ces unions avaient été interdites en Louisiane par l'arrêt du Conseil supérieur du 18 décembre 1728[10], elles restaient légales en Guyane. Généralement, elles sont le fait d'hommes de condition modeste, et font naître des enfants métis qui sont à l'origine d'un nouveau groupe social dans les colonies : les libres de couleurs. En effet, le Code noir n’envisageait l’existence de l’homme noir que dans son statut d’esclave, et celle du Blanc que dans sa fonction de maître[11]. De telles unions révèlent des enfants naturels de parents parfois enrichis qui bousculent l'ordre établi, et fragilisent la position dominante des Blancs en Guyane[12], en plus de mettre en péril à leur yeux la pureté de leur sang. Comme le souligne le philosophe Louis Sala-Molins, "il ne faudrait pas que les affranchis prennent leur liberté trop au sérieux et qu'ils se mettent à acheter et à vendre, à négocier ou à faire de l'argent"[13], et ce même si théoriquement, dès 1741, une ordonnance royale les autorise à disposer de leurs biens. C'est pourquoi une autre ordonnance royale de 1733 tente d'y mettre fin : "Je veux que tout habitant qui se mariera avec une négresse ou mulâtresse ne puisse être officier, ni posséder aucun emploi dans les colonies". Les mariages mixtes impliquent à partir de cette date le renoncement à toute position sociale existante ou à venir[3].

Enfin, la situation dominante de la veuve Paillé - femme noire riche et influente - dérange les autorités locales qui s'attendaient de sa part à une discrétion et à une mise en retrait des affaires, selon leur vision de la bonne moralité appliquée à la femme noire[14]. Cette image de femme noire dominante entre en contradiction totale avec les présupposés de l'époque.

Postérité[modifier | modifier le code]

En l'honneur de cette généreuse donatrice, la rue du Collège de Cayenne a été rebaptisée "Rue Madame Payée"[15], avec cependant une petite faute d'orthographe sur son nom.

  1. a et b Bellance, Hurard, 1946-, La police des Noirs en Amérique (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Saint-Dominique) et en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Ibis rouge, (ISBN 978-2-84450-369-5 et 2-84450-369-1, OCLC 752070244, lire en ligne)
  2. a et b Marie Polderman, « L’esclavage en Guyane française sous l’Ancien. Régime : sources, repères et éléments d’analyse. Quelques aspects du champ de la question », Les traites et les esclavages,‎ , p. 53-66 (lire en ligne)
  3. a et b Artur, Jacques François, 1708-1779. et Impr. France Quercy), Histoire des colonies françoises de la Guianne, Ibis rouge éd, (ISBN 2-84450-147-8 et 978-2-84450-147-9, OCLC 469726299, lire en ligne)
  4. Céline Ronsseray, « "Administrer Cayenne": Sociabilités, fidélités et pouvoirs des fonctionnaires coloniaux en Guyane française au XVIIIe siècle », {{Article}} : paramètre « périodique » manquant, Université de La Rochelle,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. a et b Olivier Grasset, « Mme Suzanne Amomba Paillé (Payée ?) », France Guyane (consulté le )
  6. a b et c Artur, Jacques François, 1708-1779. et Impr. France Quercy), Histoire des colonies françoises de la Guianne, Ibis rouge éd, (ISBN 2-84450-147-8 et 978-2-84450-147-9, OCLC 469726299, lire en ligne)
  7. Bernard Chérubini, Cayenne, ville créole et polyethnique : essai d'anthropologie urbaine, Paris, Karthala, (ISBN 9782865372003), p. 40
  8. Marie Jacques le Seigneur Polderman, « La Guyane française 1676-1763 : mise en place et évolution de la société coloniale, tensions et métissages », {{Article}} : paramètre « périodique » manquant, Toulouse 2,‎ (lire en ligne, consulté le )
  9. Marie Polderman, « L’esclavage en Guyane française sous l’Ancien. Régime : sources, repères et éléments d’analyse. Quelques aspects du champ de la question », Les traites et les esclavages,‎ , p. 53-66 (lire en ligne)
  10. (en) Alice Bairoch de Sainte-Marie, « Loi, nationalité et mariages mixtes entre Français et autochtones: Le cas de l'arrêt du Conseil supérieur de la Louisiane du 18 décembre 1728 », French Colonial History, vol. 17, no 1,‎ , p. 1–34 (ISSN 1543-7787, lire en ligne, consulté le )
  11. Cécile Vidal, « Francité et situation coloniale : Nation, empire et race en Louisiane française (1699-1769) », Annales. Histoire, Sciences Sociales,‎ , p. 1019 à 1050 (lire en ligne)
  12. Lydie Choucoutou, « L’esclavage en Guyane, 1652-1848 », Histoire de la justice, vol. 26, no 1,‎ , p. 29 (ISSN 1639-4399 et 2271-7501, DOI 10.3917/rhj.026.0029, lire en ligne, consulté le )
  13. Louis Sala-Molins, Le Code Noirou le calvaire de Canaan, Paris, Presses universitaires de France, , 83 à 198 (lire en ligne)
  14. Olivier Grasset, « Madame Suzanne Amomba Paillé (Payée) », France Guyane, (consulté le )
  15. Mam-Lam-Fouck, Serge., L'esclavage en Guyane : entre l'occultation et la revendication : l'évolution de la représentation de l'esclavage dans la société guyanaise (1848-1977), Ibis rouge éditions, (ISBN 2-911390-26-1 et 978-2-911390-26-5, OCLC 40733567, lire en ligne)