Traités d'Utrecht

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
(Redirigé depuis Traité d'Utrecht (1713))
Traités d'Utrecht
Description de cette image, également commentée ci-après
La première édition des traités, imprimée en espagnol, latin et anglais.
Langue français, latin, espagnol, anglais
Signé et
Utrecht
Effet Début du règne de Philippe V sur l'Espagne
Parties
Parties Drapeau du royaume de France Royaume de France
Drapeau de l'Espagne Monarchie espagnole
Drapeau de la Grande-Bretagne. Grande-Bretagne

Les traités d’Utrecht sont deux traités de paix signés à Utrecht[1] (aux Provinces-Unies) en 1713 à la fin de la guerre de Succession d'Espagne. Le premier est signé le entre le royaume de France et le royaume de Grande-Bretagne, le deuxième le entre l'Espagne et la Grande-Bretagne.

La guerre de Succession d'Espagne oppose de 1700 à 1714 plusieurs puissances européennes, en premier lieu la France de Louis XIV et la maison des Habsbourg d'Autriche, soutenue par une vaste coalition incluant notamment l'Angleterre (Royaume-Uni à partir de 1707) et les Provinces-Unies.

Les traités d'Utrecht officialisent le passage de l'Espagne des Habsbourg aux Bourbons[2], qui règnent encore sur ce pays de nos jours[3], mais au prix de pertes territoriales pour l'Espagne, notamment au profit de la maison d'Autriche (Pays-Bas espagnols).

Contexte[modifier | modifier le code]

La guerre de Succession d'Espagne[modifier | modifier le code]

L'enjeu initial de cette guerre est la succession au trône d'Espagne après la mort sans descendance du dernier représentant de la maison des Habsbourg d'Espagne, Charles II[2], revendiquée par les Habsbourg d'Autriche et par le roi de France Louis XIV au nom de son petit-fils Philippe de Bourbon, duc d'Anjou.

Louis XIV réussit à placer son petit-fils sur le trône espagnol, mais celui-ci se heurte à l'opposition d'une partie des Espagnols, notamment dans l'ancien royaume d'Aragon, et à une vaste coalition formée autour de la maison d'Autriche, puissance dont le chef porte habituellement le titre (électif) d'empereur et détient de nombreux fiefs et États, notamment l'archiduché d'Autriche (qui lui donne son nom), mais aussi le royaume de Bohême, le royaume de Hongrie et le royaume de Croatie.

De la bataille de Villaviciosa (1710) à la bataille de Denain (1712)[modifier | modifier le code]

Après des déboires militaire, la France reprend l'initiative stratégique en Espagne en remportant la victoire à Villaviciosa (10 décembre 1710).

Des pourparlers préliminaires s'engagent alors à Londres, qui aboutissent à la décision de réunir une conférence de la paix.

Celui-ci débute en janvier 1712 à Utrecht, mais sans l'empereur dans un premier temps. La victoire française de Denain (24 juillet 1712) permet à la France de renforcer sa position diplomatique.

Le congrès d'Utrecht[modifier | modifier le code]

Ouverture du Congrès d'Utrecht, .

Les négociations[modifier | modifier le code]

Le congrès débute en à Utrecht, capitale de la province d'Utrecht, une des sept entités formant la république des Provinces-Unies.

Signature et ratification des traités[modifier | modifier le code]

Le traité, le premier rédigé en français depuis Henri II, inaugure la primauté du français comme langue diplomatique, qui durera jusqu'au traité de Versailles en 1919.

Contenu des traités[modifier | modifier le code]

Les cessions territoriales à la suite des traités d'Utrecht, de Stockholm, de Nystad et de Passarowitz.

Dispositions concernant la succession espagnole[modifier | modifier le code]

Philippe de Bourbon (1683-1746) est reconnu par les signataires comme le roi d'Espagne Philippe V, sous réserve qu'il renonce aux droits qu'il a sur le trône de France[4] en vertu des règles de dévolution de la couronne de France.

En ce qui concerne le trône d'Espagne, renoncent à tous leurs droits (et aux droits de leurs descendants) :

  • le duc de Berry, frère de Philippe V,
  • le duc d'Anjou, neveu de Philippe V (futur Louis XV)[5],
  • les membres de la maison d'Orléans, cousins des Bourbons,
  • les membres de la maison de Habsbourg.

Cela signifie qu'il ne peut y avoir d'union des couronnes de France et d'Espagne.

Dispositions concernant les territoires espagnols[modifier | modifier le code]

En 1700, le roi Charles II était à la tête de trois types de territoires : l'Espagne (les anciens royaumes de Castille, d'Aragon et de Navarre) ; l'empire colonial espagnol (les vice-royautés de Nouvelle-Espagne et du Pérou) ; les possessions de la maison des Habsbourg d'Espagne en Italie et aux Pays-Bas (Pays-Bas espagnols, royaume de Sicile, royaume de Naples, duché de Milan).

En contrepartie de sa reconnaissance comme roi, Philippe V doit renoncer à toutes les possessions d'Europe hors de la péninsule ibérique :

En 1720, le duc de Savoie échangera le royaume de Sicile contre son royaume de Sardaigne, initiant un État dynastique, le royaume de Sardaigne incluant la Savoie et le Piémont, qui va durer jusqu'à l'unification de l'Italie en 1861.

En Espagne même, Philippe V doit renoncer à Gibraltar et à l'île de Minorque, attribuées à la Grande-Bretagne qui les occupe depuis quelques années. Le Royaume-Uni détient toujours Gibraltar de nos jours[6].

En ce qui concerne l'empire colonial, l'Espagne doit reconnaitre la souveraineté portugaise sur le fleuve Amazone, situé à l'ouest du méridien du traité de Tordesillas (46° 37') et restituer au Portugal l'établissement de Colonia do Sacramento, établi au nord du Río de la Plata, face à Buenos Aires.

Le règne ultérieur de Philippe V (jusqu'en 1746) est cependant marqué par un redressement du pouvoir royal, avec la reprise de Barcelone et le début d'une certaine centralisation (au détriment des institutions aragonaises). Aidé de conseillers français, puis italiens, Philippe V rétablit la situation diplomatique de l'Espagne : il obtient la rétrocession par les Habsbourg, en 1738 du royaume de Naples et du royaume de Sicile, et en 1745 du duché de Parme et Plaisance.

Dispositions concernant la France[modifier | modifier le code]

Le grand projet de la fin du règne de Louis XIV, le rapprochement des couronnes espagnole et française, est réduit à néant : il n'y aura jamais de monarchie commune aux deux pays.

Abandon des territoires occupés[modifier | modifier le code]

Louis XIV restitue les territoires occupés sur la rive droite du Rhin : (Brisach, Fribourg-en-Brisgau, et Kehl).

Sur la frontière du nord, les villes de Tournai, Menin, Furnes et Ypres reviennent aux Pays-Bas autrichiens.

L'armée française quitte aussi le duché de Savoie, occupé depuis le début de la guerre.

Acquisition de la principauté d'Orange[modifier | modifier le code]

En contrepartie, Louis XIV obtient la principauté d'Orange, jusque là fief du Saint-Empire, possession de la maison de Nassau de 1543 (Guillaume le Taciturne, 1532-1584) à 1702 (Guillaume III, stathouder de Hollande, Zélande, Utrecht, Drenthe et Overijssel, devenu roi d'Angleterre en 1688). Avec la mort de Guillaume, la branche hollandaise de Nassau s'éteint. La principauté passe par testament à Jean-Guillaume-Friso de Nassau, de la branche allemande, par la suite stathouder de Frise et de Groningue, mais elle est aussi revendiquée par le roi de Prusse[7], Frédéric Ier.

Le traité d'Utrecht cède la principauté à Louis XIV.

Territoire du Dauphiné[modifier | modifier le code]

Dans le Dauphiné, la vallée de l'Ubaye est rattachée à la France en échange de la haute vallée de Suse (territoire relevant du dauphinoise), cédé au duc de Savoie. Cela ramène la frontière du royaume sur la ligne de partage des eaux (col du Montgenèvre, Mont-Viso) plus aisée à défendre, et dont la zone a déjà commencé à être fortifiée suivant les plans de Vauban (verrous de Briançon et de Mont-Dauphin).

Pour les populations du Briançonnais, qui avaient acheté au dernier dauphin, Humbert II, certains privilèges (grande charte des droits du Briançonnais de 1343) au moment de la cession du Dauphiné au royaume de France, et établi un système de gestion communautaire (les Escartons, il s'agit d'un traumatisme avec l'amputation de trois des cinq escartons : Oulx, Val Cluson-Pragela et Châteaudauphin (Casteldelfino). La France perd ainsi la forteresse de Pignerol (Pinerolo), gardienne de la frontière depuis 1631.

Briançon devient alors pour plus de deux siècles ville de garnison, gardienne de la frontière avec le Piémont.

Relations avec le Royaume-Uni[modifier | modifier le code]

La France est obligée de renoncer à soutenir les Stuart en Grande-Bretagne.

Elle est aussi tenue de détruire les fortifications de Dunkerque et de bloquer le port pour des opérations de course maritime.

Carte de la côte française de Terre-Neuve.

Empire colonial français : progrès du Royaume-Uni[modifier | modifier le code]

L'Acadie française est cédée à la Grande-Bretagne, sauf l'île du Cap-Breton et l'île-du-Prince-Édouard.

L'article XV du traité d'Utrecht permet aux Britanniques d'obtenir le protectorat sur le territoire iroquois qui recoupe celui de la vallée de l'Ohio.

Louis XIV confirme la possession de Terre-Neuve et de la baie d'Hudson aux Britanniques. L'établissement de Plaisance est abandonné. Mais la France obtient un droit exclusif de pêche sur une partie importante du littoral de l'île de Terre-Neuve, appelé « côte française de Terre-Neuve » (French Shore) (ce droit exclusif sera abandonné en 1904).

Aux Antilles, l'île Saint-Christophe est cédée aux Britanniques.

En Guyane, le traité d'Utrecht fait de l'Oyapock la frontière avec la colonie portugaise du Brésil.

Redressement de l'Autriche[modifier | modifier le code]

L'Autriche remplace l'Espagne en Italie, où elle reprend une partie du Milanais, Mantoue, Naples et la Sardaigne, qu'elle échangera en 1719 contre la Sicile avec la Savoie. Elle obtient également les Pays-Bas du Sud (Belgique et Luxembourg actuels).

Toutefois, ce redressement est partiel. Territorialement, dès 1730 et 1738, les Habsbourg devront rétrocéder Naples et la Sicile aux Bourbons d'Espagne. Les cessions iront à une branche cadette de la monarchie espagnole, sans être rendues à l'Espagne. La sortie d'Italie de l'Espagne est définitive. L’Autriche la remplacera en Italie du Nord jusqu'à la réunification italienne.

Militairement, la puissance Habsbourg reste surclassée par l'armée française, comme l'ont montré les campagnes de l'armée française en Allemagne, en 1712 et 1713. Par ailleurs, les Habsbourg doivent renoncer à la couronne d'Espagne, qui appartenait à leur dynastie depuis Charles Quint, et ils doivent reconnaître comme définitives toutes les conquêtes de Louis XIV.

Déclin des Provinces-Unies[modifier | modifier le code]

Bien que victorieuses, les Provinces-Unies ne retirent presque rien de la guerre. L'influence néerlandaise est marginale durant la négociation du traité, même si elle s'est tenue à Utrecht. L’isolement diplomatique des Provinces-Unies est relevé par le négociateur français Melchior de Polignac lorsqu'il nargue ses vis-à-vis néerlandais de cette boutade : « de vous, chez vous, sans vous »[8]. Après soixante années de guerres ruineuses, les Provinces-Unies croulent sous les dettes, ce qui amorce un déclin financier et commercial qui profite à la France mais surtout à la Grande-Bretagne.

Cependant, les Provinces-Unies obtiennent d'occuper huit places fortes qui constituent une barrière contre la France : Furnes, Ypres, Menin, Tournai, Mons, Charleroi, Namur et Gand. Les conditions en sont réglées après la mort de Louis XIV au traité de la Barrière, signé avec l'Autriche le à Anvers. L'entretien de ces places sera fort coûteux pour les finances néerlandaises.

Ascension de la Grande-Bretagne[modifier | modifier le code]

Territorialement, la Grande-Bretagne se voit confirmer la possession de Terre-Neuve et de la baie d'Hudson. La France cède l'Acadie et Saint-Christophe aux Antilles. Les colons français d'Acadie auront un an pour quitter leurs terres, mais ils décident pour la plupart de rester. De 1755 à 1763, ils en seront massivement chassés par le «grand dérangement ».

La Grande-Bretagne acquiert une relative prédominance sur les mers qui bordent l'archipel britannique (mer du Nord, Manche), aux dépens des Provinces-Unies. La prédominance maritime est encore renforcée en Méditerranée par les bases de Gibraltar et de Minorque, prises au nom du roi d'Espagne (Charles III de Habsbourg) en 1704.

L'article XV du traité met les Iroquois sous le protectorat de la couronne britannique[9]. La Grande-Bretagne obtient également le monopole de l'asiento (traite des esclaves dans les colonies espagnoles) pour trente ans.

Cette prédominance sur les espaces maritimes et en Amérique sera un des facteurs qui permettront au Royaume-Uni de remporter la guerre de Sept Ans (1756-1763), mais en 1715, rien n'est encore joué dans la compétition qui l'oppose à la France.

Italie et Allemagne[modifier | modifier le code]

Les deux régions restent divisées, mais les puissances qui les unifieront au XIXe siècle émergent : la Prusse et la Savoie.

La maison de Savoie retrouve son territoire homonyme, qui a été occupé par la France depuis le début de la guerre. Elle obtient également la prospère Sicile, qui avait été échangée en 1718 par le traité de Londres avec la maison d'Autriche contre la Sardaigne, érigée en royaume. Cet échange est effectif en 1720, à l'issue de la guerre de la Quadruple-Alliance.

Enfin, elle échange Barcelonnette contre Fenestrelle et le val de Suse (Exilles, Bardonnèche, Oulx et Châteaudauphin) avec la France.

L'électeur de Brandebourg, Frédéric Ier Hohenzollern, obtient le titre de roi en Prusse, la Haute-Gueldre et Neuchâtel, mais il cède ses droits sur Orange à Louis XIV.

Clauses controversées[modifier | modifier le code]

La clause de renonciation des droits à la couronne de Philippe V a été reniée le 9 novembre 1728 par lui au Parlement de Paris : « mon intention, Messieurs, est de vous manifester que si, ce qu'à Dieu ne plaise, le Roi Louis XV, mon très cher frère et neveu, venait à décéder sans laisser de successeur issu de lui, je prétends jouir du droit que ma naissance me donne de lui succéder à la Couronne de France à laquelle je n'ai jamais pu valablement renoncer... Dès que j'apprendrai la mort du Roi de France... je partirai pour venir prendre possession du trône des rois, mes pères »[10].

Traités annexes[modifier | modifier le code]

Outre le traité de la Barrière, qui le précède de quelques mois, le traité d'Utrecht est complété l'année suivante par le traité de Rastatt. Signé le par le maréchal de Villars et le prince Eugène, qui représente l'empereur, le traité en précise les modalités d'application pour ce qui concerne la France et l'Empire.

Le traité de Baden du en étend les clauses à toutes les principautés allemandes.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Prononcé /y.tʁɛɣt/ en néerlandais.
  2. a et b Jean Sellier et André Sellier, Atlas des peuples d'Europe occidentale, éditions La Découverte, , p. 43
  3. « Les Bourbons à Madrid ? », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  4. Olivier Chaline, Le Règne de Louis XIV, Flammarion, 2009, tome 2, p. 427.
  5. Max Gallo, L'Hiver du Grand Roi, p. 309.
  6. Minorque a été rétrocédée à l'Espagne en 1802 par la paix d'Amiens de 1802
  7. Avec le titre officiel (dans le Saint-Empire) de « roi en Prusse » (König in Preussen), étant donné que le royaume de Prusse originel (capitale Königsberg) ne faisait pas partie du Saint-Empire.
  8. Szabo, I., The State Policy of Modern Europe from the Beginning of the Sixteenth Century to the Present Time. Vol. I, Longman, Brown, Green, Longmans and Roberts, 1857, p. 166.
  9. Guy Frégault, Le Grand marquis : Pierre de Rigaud de Vaudreuil et la Louisiane, 1952, Montréal : Fides, 481 pages.
  10. Philippe Erlanger, Philippe V d'Espagne : un roi baroque, esclave des femmes, Paris, Librairie Académique Perrin, coll. « Présence de l'histoire », , 408 p. (ISBN 2-262-00117-0), p. 364. Également cité par Paul Watrin, La tradition monarchique (thèse de doctorat d'État en droit), Paris, Diffusion Université-Culture, , 2e éd. (1re éd. 1916) (ISBN 2-904092-01-3), partie 3, chap. III (« Le règne de Louis XV »), p. 181.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]