Theodore Kaczynski

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Theodore Kaczynski
Image illustrative de l’article Theodore Kaczynski
Theodore Kaczynski en 1996 (53 ans)
Information
Naissance (81 ans)
Chicago, Illinois, États-Unis
Surnom Unabomber
Patrie Drapeau des États-Unis États-Unis
Sentence prison à perpétuité
Actions criminelles attentats à la bombe à motivation écologique
Pays Drapeau des États-Unis États-Unis
Arrestation

Theodore (dit Ted) Kaczynski surnommé « Unabomber » (né le à Chicago dans l'Illinois), est un terroriste américain, mathématicien de formation, militant écologiste et néo-luddite. Il a fait l'objet de la chasse à l'homme la plus coûteuse de l'histoire du FBI, ayant aspiré deux décennies durant à devenir le « parfait tueur anonyme ». Il est en même temps philosophe et l'auteur de plusieurs textes et ouvrages[1].

Il s'est battu contre, selon lui, les dangers inhérents à la direction prise par le progrès dans une société industrielle et une civilisation technologique, une société qui s'éloigne de l'humanité et de la liberté humaine pour la majorité sinon pour la totalité de la population[2]. Après des études et une courte carrière de professeur de mathématiques, il décide de se retirer dans la nature, et convainc son frère de prendre la même direction. Suite à la disparition d'un lieu naturel où il se rendait régulièrement, il s'engage dans une campagne d'envoi de colis piégés artisanaux à diverses personnes construisant ou défendant la société technologique. Cette campagne d'attentats a duré dix-huit ans, faisant trois morts et 23 blessés avec 16 bombes envoyées.

Avant que son identité ne fût connue, le FBI se référait à lui comme UNABOM (« UNiversity and Airline BOMber »). Plusieurs variantes de ce surnom furent utilisées par les médias : Unabomer, Unabomber et UniBomer.

Selon le FBI, ses actes viendraient en partie de sa lecture du roman L'Agent secret de Joseph Conrad[3].

Biographie

Jeunesse

Theodore John Kaczynski est le premier enfant de Theodore Richard Kaczynsky, ouvrier dans une usine de saucisses, et de Wanda Theresax, née Dombek. Ses parents appartiennent à la seconde génération d'une famille d'émigrés polonais[4].

À l'âge de neuf mois, il développe une grave allergie médicamenteuse, son corps étant recouvert d'urticaire. Il est placé en isolement dans un hôpital pendant huit mois. Séparé de ses parents et de son milieu, il développe alors une altération de la personnalité. La naissance de son frère David le 9 octobre 1942 le perturbe aussi[5].

Élève surdoué, il entre à l'école en avance et saute deux classes si bien qu'il se retrouve marginalisé. Dans des résultats de test de quotient intellectuel (de type non précisé) à 10 ans[6], Kaczynski obtient le score de 167[7] — ou en tout cas entre 160 et 170[8], soit un niveau rare, nettement plus élevé que la moyenne (qui est de 100).

Il entre à Harvard à 16 ans, obtient sa licence en mathématiques avec des résultats médiocres (toujours marginalisé, il ne parvient pas à s'intégrer au milieu étudiant) et devient docteur en mathématiques à 25 ans à l'université du Michigan. En 1964, il trouve une preuve du théorème de Wedderburn n’utilisant que des résultats de théorie des groupes finis[9],[10].

Introverti, plutôt que de se tourner vers la recherche, il devient en 1967 professeur assistant en mathématiques à l'Université de Californie à Berkeley dont le département de mathématiques est considéré comme le premier dans le pays. Il démissionne en 1969 et retourne vivre chez ses parents[11].

En 1970, il part vivre dans le Montana, y achète une terre et construit une maisonnette[12]. Marqué par les travaux néo-luddites de Jacques Ellul, il adopte une forme de survivalisme et mène une vie proche de l'érémitisme[13].

Attentats

Fichier:Unabomber-sketch.png
Portrait-robot de Theodore Kaczynski.

Son premier colis piégé est envoyé à la fin du mois de mai 1978 au professeur Buckley Crist de l'université Northwestern. Le paquet est trouvé dans un parc de stationnement de l'université de l'Illinois à Chicago, avec, pour adresse de retour, celle du professeur Crist et adressé au professeur E. J. Smith de l'Institut polytechnique de Rensselaer dans l'État de New York. Le paquet est retourné à Crist. Pris de soupçons devant un paquet qu'il n'a jamais envoyé, il en informe la police du campus. Un policier, du nom de Terry Marker, ouvre le paquet, qui explose ; Marker n'a que des blessures légères.

L'attentat de 1978 est suivi par d'autres à l'encontre de compagnies aériennes, avec l'objectif de faire exploser des avions. Au début, les bombes sont l'œuvre d'un amateur et causent peu de dommages.

La première conséquence grave survient en 1985, quand un étudiant diplômé de l'université de Californie à Berkeley perd quatre doigts et la vision d'un œil. La bombe était empaquetée avec l'inscription « FC » — à ce moment-là traduit par « Fuck Computers » — que l'on a traduit plus tard par « Freedom Club ». Le propriétaire d'un magasin d'informatique californien est tué par un clou et des éclats qu'il reçoit d'une bombe laissée sur sa place de stationnement en 1985. Une attaque similaire contre un magasin d'informatique a lieu à Salt Lake City (Utah), le 20 février 1987.

Après six années d'inactivité, Kaczynski frappe de nouveau en 1993, expédiant une bombe à David Gelernter, un professeur d'informatique de l'université Yale et développeur de Linda, un système de programmation coordonné[14]. La même année, une autre bombe vise le généticien Charles Epstein. Kaczynski écrit une lettre au New York Times revendiquant pour son « groupe anarchiste », appelé FC, la responsabilité des attaques.

En 1994, un publicitaire est tué par un autre colis piégé. Dans une lettre, Kaczynski justifie le meurtre en affirmant que le travail d'un publicitaire est le développement de techniques permettant la manipulation des gens. Suit le meurtre du président de l'Association de sylviculture de Californie, Gilbert Murray, en 1995.

En 1995, il envoie des lettres à ses victimes et aux médias dans lesquelles il demande que son manifeste soit publié dans un journal réputé ou une grande revue. Si sa demande n'est pas satisfaite, il menace de continuer de tuer. Le département de la Justice des États-Unis, le directeur du FBI Louis Freeh et le procureur général Janet Reno recommandent d'accéder à son souhait dans un souci de sécurité publique et dans l'espoir qu'un lecteur reconnaisse l'auteur du manifeste. The New York Times et The Washington Post publient son pamphlet le 19 septembre 1995[15].

Arrestation, procès et emprisonnement

Theodore Kaczynski en prison en 1996 (54 ans).

Ayant reconnu l'écriture de Ted sur le manifeste publié, son frère cadet David alerte les autorités. Après comparaison des écrits d'Unabomber et des échantillons de l'écriture de Kaczynski fournis par son frère et sa mère, une équipe de graphologues détermine que tous ont été écrits par une seule et même personne, et Kaczynski est arrêté le .

Au cours du procès, ses avocats plaident sans succès la démence, un expert psychiatre ayant diagnostiqué une schizophrénie paranoïde, mais jugeant l'accusé responsable de ses actes. Kaczynski est condamné le 4 mai 1998 à la prison à perpétuité sans possibilité de liberté conditionnelle, à payer 15 millions de dollars à ses victimes et est enfermé à l'ADX Florence, dans le Colorado, une prison de très haute sécurité dite Supermax[16].

Écrits

Kaczynski a tenu un journal intime où il détaillait ses activités courantes. Ce journal était rédigé dans un langage chiffré que les policiers étaient incapables de décoder. En novembre 2006, suite à la découverte d'un annuaire cryptographique parmi les papiers de Kaczynski, la CIA parvint à le décrypter[17].

Le journal révèle que Kaczynski a eu recours à plusieurs subterfuges pour mener les policiers sur de fausses pistes. Par exemple, il a volontairement empaqueté deux cheveux, ramassés dans un arrêt d'autobus, dans une bombe. Il a aussi collé deux semelles plus courtes à une paire de chaussures, espérant tromper sur sa pointure, et donc sur sa taille[17]. Enfin, ce journal décrit sa frustration lorsqu'une bombe n'explosait pas selon ses attentes.

Manifeste et idées

Kaczynski résume ainsi les quatre postulats principaux qu'il a essayé de défendre dans ses écrits[18] :

  1. Le progrès technologique nous conduit à un désastre inéluctable ;
  2. Seul l'effondrement de la civilisation moderne peut empêcher le désastre ;
  3. La gauche politique est la première ligne de défense de la Société technologique contre la révolution ;
  4. Ce qu'il faut, c'est un nouveau mouvement révolutionnaire, voué à l'éradication de la société technologique, et qui prendra des mesures pour tenir à l'écart tous les gauchistes et consorts.

Kaczynski justifie la violence de ses actes[19] :

« À mon humble avis, l’utilisation de la violence (exemple : contre la réalisation de l’utopie d’une société technologique inhumaine), c’est de l’autodéfense. Certains peuvent en débattre, bien sûr. Si vous pensez que c’est immoral et inadéquat, alors vous devriez éviter TOUTE utilisation de la violence. Mais j’ai une question pour vous dans ce contexte : quel genre de violence a causé le plus de dégâts dans l’histoire de l’humanité ? La violence qui fut sanctionnée par les États (la société, la civilisation, l'idéologie) ou la violence qui fut utilisée sans sanction, par les individus ? »

Selon lui, la révolution industrielle conduit nécessairement à un ordre économique et politique de plus en plus contraignant qui détruit la nature vierge, réduit la liberté individuelle, transforme l'homme en simple rouage du système technologique, et à court terme détruira l'espèce humaine elle-même.

« Ce système n'existe pas pour satisfaire les besoins des hommes, et n'en est pas capable. Les désirs et le comportement des hommes doivent en fait être modifiés pour satisfaire aux besoins de ce système ».

Il en déduit que c'est toute la société moderne technologique qui doit être abattue. Il est bien conscient qu'un tel effondrement subit plongerait l'humanité dans la famine, et serait un cataclysme qui ferait périr beaucoup de gens, mais il conclut :

« On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre[20]. »

Son texte, d'abord publié sous la menace, est par la suite librement édité soit sur Internet, soit par exemple en France sous forme de livre, en 1996, avec une préface d'Annie Le Brun et, en 1998, dans une nouvelle traduction par les éditions de l'Encyclopédie des Nuisances.

Il dit que le livre dont la lecture a clarifié ses idées jusque-là confuses et instinctives est La Technique ou l'Enjeu du siècle[21] de Jacques Ellul[22],[23].

En 2008, Kaczynski publie son premier livre, L'Effondrement du système technologique, aux éditions Xenia à Vevey, en Suisse. Publié en anglais par les mêmes éditions sous le titre Road to Revolution, c'est une compilation de tous ses textes, et notamment du Manifeste, dans leur première version complète, corrigée et autorisée. Selon l'auteur, cette version doit désormais faire autorité.

En 2011, le manifeste 2083 d'Anders Behring Breivik est un large copié-collé des portions du manifeste d’Unabomber, dont il se réclame[24].

Rapport avec les anarcho-primitivistes

Dans l'article « La vérité au sujet de la vie primitive » produit après son arrestation, Kaczynski analyse les écrits et les thèses des anarcho-primitivistes qu'il juge ainsi :

  • Le mythe du progrès n'est peut-être pas encore mort… Un autre mythe prend progressivement sa place, un mythe propagé surtout par les anarcho-primitivistes mais qui se répand également au sein d'autres mouvements. Si l'on en croit ce mythe, avant la civilisation, personne n'avait besoin de travailler, il suffisait de cueillir sa nourriture dans les arbres, la mettre dans sa bouche et passer le reste du temps à se divertir. Il n'y avait pas de différence entre les hommes et les femmes, il n'y avait ni maladie, ni compétition, ni racisme, ni sexisme ou homophobie, les gens vivaient en harmonie avec les animaux et tout était amour, partage et coopération ;
  • De l'avis général, ce qui précède est une caricature de la vision des anarcho-primitivistes. La plupart d'entre eux – du moins je l'espère – ne sont pas à ce point déconnectés de la réalité. Ils sont toutefois très éloignés de notre vision et il est grand temps que quelqu'un dénonce leur mythe[25].

Critique de John Zerzan

De même, Kaczynski analyse les pages qu'il a pu récupérer de Futur Primitif[26] de Zerzan, tout en essayant de correspondre avec lui[27], et il finit par juger :

  • Il (Zerzan) a pourtant réussi à faire l'impasse sur tout ce qui pouvait dans ces livres contredire sa théorie. Puisque Zerzan s'est largement documenté sur les sociétés de chasseurs-cueilleurs, et puisque les aborigènes australiens sont parmi les plus connus des chasseurs-cueilleurs, je n'arrive pas à croire qu'il ne soit jamais tombé sur un compte rendu des mauvais traitements infligés aux femmes par des Australiens. Pourtant il n'a jamais fait allusion à de tels rapports – même pas dans le but de les réfuter ;
  • On ne doit pas nécessairement supposer qu'il y a malhonnêteté consciente chez Zerzan. Comme le disait Nietzsche : « Le mensonge le plus courant est celui que l'on se fait à soi-même ; mentir aux autres est plutôt l'exception. » En d'autres termes, on se trompe soi-même avant de tromper les autres. Un élément important à prendre ici en compte est bien connu des propagandistes professionnels : les gens ont tendance à refouler – ils ne les perçoivent pas ou ils les oublient – les informations qu'ils trouvent embarrassantes[28].

Publications

Filmographie

Notes et références

  1. L'Avenir de la société industrielle, suivi de Le Manifeste de 1971, préface de Jean-Marie Apostolidès, pp. 8 et 9.
  2. Introduction au manifeste, La Société industrielle et son avenir (1995) Theodore Kaczynski, traduction de l'anglais sur wikisource :
    1. La révolution industrielle et ses conséquences ont été un désastre pour la race humaine. Elle a accru la durée de vie dans les pays « avancés », mais a déstabilisé la société, a rendu la vie aliénante, a soumis les êtres humains à des humiliations, a permis l’extension de la souffrance mentale (et de la souffrance physique dans les pays du tiers monde) et a infligé des dommages terribles à la biosphère. Le développement constant de la technologie ne fera qu’aggraver la situation. Ce qu’auront à subir les hommes et la biosphère sera de pire en pire ; le chaos social et les souffrances mentales s’accroîtront, et il est possible qu’il en aille de même pour les souffrances physiques, y compris dans les pays « avancés ».
    2. Le système techno-industriel peut survivre ou s’effondrer. S’il survit, il PEUT éventuellement parvenir à assurer un faible niveau de souffrances mentales et physiques, mais seulement après être passé par une longue et douloureuse période d’ajustements, et après avoir réduit les êtres humains et toutes les créatures vivantes à de simples rouages, des produits calibrés de la machine sociale.
    En outre, si le système perdure, les conséquences sont inéluctables : il n’y a aucun moyen de réformer ou modifier le système de façon à l’empêcher de dépouiller les hommes de leur dignité et de leur autonomie.
  3. Cécile Dehesdin, « Luka Rocco Magnotta : les tueurs fans de pop culture », sur Slate,
  4. Jean-Marie Apostolidès, L'affaire Unabomber, Éditions du Rocher, , p. 89
  5. (en) Sharon Klayman Farber, When the Body Is the Target. Self-Harm, Pain, and Traumatic Attachments, Jason Aronson Incorporated, , p. 218
  6. Fifth grade
  7. (en) Elder, Robert K., « A brother lost, a brotherhood found », Chicago Tribune du 17 mai 2008
  8. (en) « Psychological Evaluation of Theodore Kaczynski »
  9. [PDF] Gabriel Chênevert : Le théorème de Wedderburn.
  10. T. J. Kaczynski, Another proof of Wedderburn’s theorem, Amer. Math. Monthly, vol. 71, 1964, pp. 652-653.
  11. Jean-Marie Apostolidès, op. cit., p. 102-105
  12. Jean-Marie Apostolidès, op. cit., p. 112
  13. Gilles Ferragu, Histoire du terrorisme, Perrin, , p. 57
  14. Gelernter a écrit un livre à ce sujet, Drawing Life: Surviving the Unabomber.
  15. Jean-Marie Apostolidès, op. cit., p. 75
  16. (en) Jay Robert Nash, Great Pictorial History of World Crime : Murder, Scarecrow Press, , p. 1539
  17. a et b (en) Anna Werber, Exclusive: Evidence Obtained In Unabomber Case, CBS 5, 2006-11-26.
  18. Theodore Kaczynski, avant-propos de l'auteur, L'Effondrement du système technologique, édition Xenia, pp. 25-28.
  19. Lutz Dammbeck, Voyage en cybernétique, diffusé sur Arte en avril 2008
  20. (en) We can't have the cake and eat it.
  21. Publié aux États-Unis sous le titre The Technological Society.
  22. « Interview avec Theodore Kaczynski », 28 septembre 2005.
  23. « Biographie sommaire de Jacques Ellul (1912-1994) » par Patrick Chastenet
  24. Cécile Dehesdin, « Norvège: à qui appartient le manifeste d'Anders Behring Breivik? », sur slate.fr,
  25. Theodore Kaczynski, « La vérité au sujet de la vie primitive », L'Effondrement du système technologique, éditions Xenia, p. 123
  26. [pdf] Futur primitif, traduction française téléchargeable gratuitement, L'insomniaque éditeur.
  27. traduit dans Op. cit., p. 150.
  28. Op. cit., p. 154.

Voir aussi

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Bibliographie

  • Jean-Marie Apostolidès, L’Affaire Unabomber, éditions du Rocher, 1999 (ISBN 2268023699)
  • Clifford A. Pickover, Strange brains and genius, the secret lives of eccentric scientists and madmen, Quill, William Morrow (New York), 1998 (ISBN 0688168949)
  • Ricardo Piglia, El Camino de Ida, [Pour Ida Brown, Gallimard, 2013) roman dont un personnage de terroriste s'inspire de Kaczynski[1].

Articles connexes

  • Das Netz : documentaire, sur l'histoire du Net, avec pour toile de fond un échange avec Theodore Kaczynski
  • Mad Bomber
Courants liés
Auteurs liés

Liens externes

  1. Ruben Gallo, «Campus et coutumes», dans Libération.fr, 19 mars 2014.