Surveillance de haute police

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En France, la surveillance de haute police, parfois aussi appelée la surveillance de la haute police de l’État ou bien surveillance spéciale de la haute police de l'État, était une peine complémentaire imposée à certains criminels de 1810 jusqu'à sa suppression en 1885.

Description[modifier | modifier le code]

Régime[modifier | modifier le code]

Une personne placée sous la surveillance de la haute police de l’État devait fournir une caution aux autorités, à défaut de quoi le gouvernement choisissait où elle pouvait résider ou non ; cette caution était prioritairement affectée au paiement des dommages causés par le condamné à la suite d'infractions subséquentes[Droit 1],[Droit 2].

En cas de désobéissance à l'ordre de cantonnement, le condamné pouvait être détenu durant un intervalle pouvant aller jusqu'à la période fixée pour la fin de la période de surveillance spéciale[Droit 3].

Cette surveillance pouvait être prononcée à vie ou pour un temps donné[1].

Bien que cette peine fût principalement complémentaire, elle pouvait être prononcée à titre de peine principale, comme pour les membres de bandes séditieuses n'y ayant exercé aucun commandement et s'étant retirés au premier avertissement [Droit 4].

Cibles[modifier | modifier le code]

Les personnes qui devaient être condamnées à la surveillance de haute police étaient les criminels de droit communs ainsi que les auteurs d'infractions intéressant la sureté de l’État[1],[2].

Cette peine ne pouvait être prononcée que dans les cas où la loi l'autorisait expressément[Droit 5].

Tableau représentant des exemples de personnes ciblées par la surveillance de haute police lors de la promulgation du Code pénal en 1810. En italique, cas où elle est obligatoire.
Durée de la surveillance Personnes concernées
Borne inférieure Borne supérieure
À vie
  • Tout condamné aux travaux forcés à temps ou à la réclusion[Droit 6]
  • Tout prévenu ayant été exempté de peine pour avoir dénoncé ou fait arrêter ses complices pour les crimes suivants:
Pour une durée égale à celle de leur peine
  • Personne ayant été condamnée au bannissement[Droit 9]
  • Personne ayant été condamnée pour crimes ou délits intéressant la sûreté intérieure ou extérieure de l’État[Droit 10]
10 20
5 10
2 10
- 10
  • Parents d'auteurs de complots ou d'attentats contre la sureté de l’État ne les ayant pas dénoncés[Droit 19]
2 5

Histoire[modifier | modifier le code]

Création[modifier | modifier le code]

Inconnue de l'Ancien Régime, la surveillance de haute police fut créée pour la première fois en l' pour certains acquittés ; le décret du 19 ventôse an XIII la prévoyait pour les forçats, auxquels fut interdit l’accès à Paris, aux frontières, résidences impériales ainsi qu'aux places de guerre et auxquels furent adjoint l'obligation d'indiquer un lieu de résidence, où ils seront placés sous la surveillance des autorités locales[3],[4],[Droit 23].

Le Code pénal de 1810, motivé par la volonté de garder à l’œil certaines personnes perçues comme dangereuses pour la société, tel que les anciens prisonniers ainsi que les criminels d’État[5],[6], dans un pays où les moyens de communications et de transport étaient encore lents, dont les frontières avaient été repoussées par de nombreuses conquêtes et où les souvenirs des désordres révolutionnaires étaient encore présents[Note 1],[7].

Évolution[modifier | modifier le code]

En 1812, un arrêt du Conseil d'État décida, contrairement à l'opinion du ministre de la Justice, que le cautionnement ne pouvait jamais être provoqué par le condamné, mais uniquement par les parties civiles ou le parquet, s'il n'avait pas été fixé au jugement[Droit 24],[8].

À la vue d'anciens condamnés que la surveillance de haute police marquait comme inemployables et réduisait, pour ainsi dire, à la mendicité, à la récidive où au vagabondage afin d'échapper à ses griffes ou pour pouvoir gagner leur vie, il fut apporté, en 1832, des changements à ce régime: le cautionnement fut supprimé et le condamné pouvait choisir lui-même son lieu de résidence ; un parent n'ayant pas dénoncé des crimes contre l’État ne furent plus sujets à être condamnés à cette peine ; peu de temps après, une circulaire du ministre de l'Intérieur déclara que les condamnés devait être dispensés de mesures rendant leur état public, telles que les visites bisannuelles[9].

En 1845 la surveillance de haute police fut étendue à ceux qui avaient émis des menaces envers la circulation ferroviaire[Droit 25],[9].

En 1851, six jours après le coup d'État du 2 décembre 1851, le condamné perdit le droit de choisir son domicile, il lui fut interdit de paraitre à Paris ainsi que dans sa banlieue[Droit 26],[9] ; quatre jours après, il fut décidé que tout condamné en rupture de ban serait déporté à Cayenne ou en Algérie[Droit 27]. Les circonstances atténuantes permettaient cependant de faire condamner des coupables à des peines correctionnelles et ainsi de les faire échapper à la surveillance perpétuelle de la haute police.

En 1874 la durée maximale de la surveillance passa à vingt ans[Droit 28].

Critiques[modifier | modifier le code]

Cette peine fut critiquée par le fait qu'elle stigmatisait le condamné en le signalant à la population comme un ancien délinquant, empêchant ainsi toute réinsertion et le faisait retourner au crime, à la mendicité ou au vagabondage[10], faisant préférer à certains la prison à la liberté[Note 2].

D'autres critiquaient son inefficacité, de par son emprise qu'ils jugeaient trop importante pour véritablement cibler ceux présentant un réel danger social ; de plus, arguant du premier point, ils avançaient que certains condamnés se cachaient avec de faux passeports[13].

Le cas le plus célèbre de condamné de fiction à la surveillance de haute police est Jean Valjean dans Les Misérables, que son passeport jaune désigne au mépris généralisé[14],[15],[16].

Suppression[modifier | modifier le code]

Ce régime est supprimé en 1885, remplacée par la simple interdiction de paraitre en certains lieux qui lui aura été signifiée par le gouvernement ainsi que par la relégation[Droit 29].

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Liens internes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Alfred Giraud, De la surveillance de la haute police et de la réhabilitation, , 54 p. (lire en ligne)
  • Code pénal, Jean-Paul Doucet, (lire en ligne)
  • Joseph-André Rogron, Code pénal expliqué par des motifs et par des exemples : avec la solution, sous chaque article, des difficultés ainsi que des principales questions que présentent le texte définition de tous les termes de droit, Bruxelles, H. Tarlier, , 255 p. (lire en ligne)
  • Henri de Buffon, De la surveillance de la haute police et de la réhabilitation, A. Marescq Ainé, , 108 p. (lire en ligne)
  • Victor Dalloz et Paul Dalloz, Jurisprudence générale : Répertoire méthodique et alphabétique de législation de doctrine et de jurisprudence, Bureau de la Jurisprudence générale, , 1043 p. (présentation en ligne, lire en ligne), p. 698-707

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. « Il a paru essentiel que l'autorité supérieure fût mise à portée d'exercer une surveillance spéciale sur ces hommes qui, après avoir subi déjà des condamnations, ne reportent souvent dans la société que plus de perversité et de disposition aux méfaits ; ils ne doivent y être admis qu'avec de sages précautions qui les contiennent dans la ligne du devoir. »

    — M. d'Haubersat, Législation civile, commerciale et criminelle, ou commentaire et complément des codes français

  2. Il était estimé que 79 % des condamnés pour rupture de ban avaient provoqué eux-mêmes leur arrestation[11] ; M. Châtagnier témoigna avoir vu des inculpés devant des tribunaux correctionnels ayant fait appel de peines pourtant petites mais auxquelles étaient jointes des mesures de surveillance afin d’être débarrassés de cette dernière mesure, même si leur peine devait être augmentée ; plus tard il vit des condamnés cacher leurs papiers, préférant la prison à la surveillance de haute police, afin d'avoir la certitude d’être au moins nourris[12].

Droit[modifier | modifier le code]

  1. Code pénal (1810), art. 44
  2. Code pénal (1810), art. 46
  3. Code pénal (1810), art. 45
  4. Code pénal (1810), art. 100
  5. Code pénal (1810), art. 50
  6. Code pénal (1810), art. 47
  7. Code pénal (1810), art. 108
  8. Code pénal (1810), art. 138
  9. Code pénal (1810), art. 48
  10. Code pénal (1810), art. 49
  11. a et b Code pénal (1810), art. 335
  12. Code pénal (1810), art. 221
  13. Code pénal (1810), art. 308
  14. Code pénal (1810), art. 343
  15. Code pénal (1810), art. 401
  16. Code pénal (1810), art. 420
  17. Code pénal (1810), art. 444
  18. Code pénal (1810), art. 309-315
  19. Code pénal (1810), art. 107
  20. Code pénal (1810), art. 415-416
  21. Code pénal (1810), art. 419,421
  22. Code pénal (1810), art. 452
  23. France. « Sénatus-consulte du 28 floréal de l'an XII », art. 131. (version en vigueur : 1803)
  24. Conseil d’État, Avis,
  25. France. « Loi du 18 juillet 1845 sur la police des chemins de fer », art. 18
  26. France. « Décret du 8 décembre 1851 ». (version en vigueur : 1851)
  27. France. « Décret concernant les individus placés sous la surveillance de la haute police et les individus reconnus coupables d'avoir fait partie d'une société secrète ». (version en vigueur : 12 décembre 1851) [lire en ligne (page consultée le 17 avril 2015)]
  28. France. « Loi relative à la surveillance de la haute police ». (version en vigueur : 23 janvier 1874) [lire en ligne]
  29. France. « Loi du 27 mai 1885 instaurant la relégation des récidivistes », art. 19. (version en vigueur : 1885) [lire en ligne (page consultée le 17 avril 2015)]

Références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Contenant le texte du code pénal ; -la loi sur l'administration de la justice par les cours impériales (etc.), vol. 1, Didot, , 429 p. (lire en ligne), p. 412-413
  2. Giraud (1862), p. 10-11
  3. Giraud (1862), p. 9
  4. Dalloz 1855, p. 698
  5. Jean Servais Guillaume Nypels, Le droit pénal français progressif et comparé, code pénal de 1810 accompagné des sources, des discussions au Conseil d'État, Bruylant-Christophe, , 653 p., p. 65
  6. Rogron (1832), p. 16
  7. Buffon 1871, p. 13-14
  8. Giraud (1862), p. 13
  9. a b et c Giraud (1862), p. 14
  10. Buffon 1871, p. 20
  11. Buffon 1871, p. 23
  12. Buffon 1871, p. 64-65
  13. Buffon 1871, p. 17
  14. Charles Dollfus et comte Emile Kératry, Revue moderne, Lacroix, Verboeckhoven et Cie, (lire en ligne), p. 153
  15. Charles JOFFRIN, Victor Hugo à l'École de Droit. Le Cas de J. Valjean au point de vue historique, légal et philosophique, (lire en ligne), p. 19
  16. Gabrielle Chamarat, « Des notes de « Choses vues » Aux Misérables », Revue d'histoire littéraire de la France, vol. 116, no 1,‎ , p. 79 (ISSN 0035-2411 et 2105-2689, DOI 10.3917/rhlf.161.0079, lire en ligne, consulté le )