Somatoparaphrénie

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La somatoparaphrénie est un trouble neuropsychologique rare qui conduit une personne héminégligente à tenir un discours producteur ou positif mais illusoire voire délirant sur l'un de ses membres, à la différence de l'anosognosie caractérisée de manière négative.

Historique[modifier | modifier le code]

En 2004, Boisson et Luauté notent que « les descriptions spécifiques de la somatoparaphrénie ne sont pas très nombreuses »[1], elles ont souvent été mentionnées sous forme « d'anecdotes » et d'une « bizarrerie » passagère et évolutive[1].

La littérature neuropsychiatrique française du XXe siècle recèle de nombreuses descriptions et explications du mécanisme cérébral qui induit la continuité sensorielle et motrice[1], Bonnier, en 1905[2], parle déjà d'aschématie[1], et dans la neuropsychiatrie de l'enfance on pose les questions de l'image du corps et du schéma corporel en lien avec le développement psychomoteur[3].

Babinsky proposait en 1914[4] le terme d'anosognosie, « description de l'hémiplégie gauche par un patient victime d’un accident vasculaire sylvien droit »[5], les observations s'étant multipliées depuis, elles donnent naissance au syndrome d'Anton-Babinski[5].

Lhermitte en 1939[6] réserve le terme de « d’hémi-asomatognosie » aux troubles du schéma corporel lié à l'hémisphère droit[5].

C'est Gertsmann qui, en 1942[7] donne la première définition de la somatoparaphrénie comme « élaboration psychique spécifique, illusions, confabulations vis-à-vis du corps absent » dans le cadre d'une classification des troubles somatognosiques[5].

Hécaen et Ajuriaguerra, en 1952[8] fourniront une synthèse solide avec pour sous-titre « Intégration et désintégration de la somatognosie », et mentionnent la possibilité d'éléments productifs[5].

En 1972, Barbizet, Ben Hamida et Duizabo[9] plaident pour l'importance de l'hémisphère droit dans la reconnaissance de la proprioception, en suivant la même approche qu'Hécaen[5].

En parallèle, dans un cadre phénoménologique, Merleau-Ponty s'intéressait au membre fantôme qu'il définit comme « l’expérience refoulée d’un ancien présent qui ne se décide pas à devenir passé » ajoutant le temps à la neurologie[5].

De la fin du XXe siècle au début du XXIe siècle, l'essor des neurosciences comprises dans le sens d'une vaste approche pluri-disciplinaire permet des rapprochements entre la neurologie, la physiologie et la psychologie[5] et renouvelle l'approche des agnosies en proposant notamment de dépasser l'opposition entre conscience et inconscient[5].

Définitions[modifier | modifier le code]

La première définition de la somatoparaphrénie est celle de Gertsmann, en 1942[7] : « illusions ou distorsions concernant la perception d’un hémicorps [...]. Affabulations ou délires affectant le côté ou les membres atteints [...]. Élaboration psychique spécifique, illusions, confabulations vis-à-vis du corps absent »[5],[10].

Boisson et Luauté la définissent comme « la version productive du trouble de conscience du corps, illusion plutôt qu’hallucination, et parfois véritable délire verbal sur le corps »[5].

D'après Ronchi et Vallar, elle « est considérée comme un symptôme pathologique rare, dont la manifestation principale, mais pas unique, est le sens de non-appartenance d’une partie du corps »[10].

Manifestations cliniques[modifier | modifier le code]

Rode en 1992[11], cite une rémission transitoire d'une somatoparaphrénie dans un cadre chronique[1]. Halligan, en 1993[12], en 1995[13],[14] dans un cadre neuropsychologique, décrit sous forme de cas cliniques la dimension émotive et affective du trouble[1].

Selon Buisson et Luauté, si les descriptions cliniques peuvent être aussi diverses que les patients, la manifestation de délire la plus fréquente concerne le membre supérieur et la main[5].

Ronchi et Vallar passent en revue 56 cas publiés dans la littérature scientifique[15].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e et f Boisson et Luauté (2004), p. 56.
  2. P. Bonnier, « Asomatognosia P. Bonnier. L'aschématie. Revue Neurol 1905;13:605-9 », Epilepsy & Behavior: E&B, vol. 16, no 3,‎ , p. 401–403 (ISSN 1525-5069, PMID 19854683, DOI 10.1016/j.yebeh.2009.09.020, lire en ligne, consulté le )
  3. Boisson et Luauté (2004), p. 56-57.
  4. Karen G. Langer et David N. Levine, « Babinski, J. (1914). Contribution to the study of the mental disorders in hemiplegia of organic cerebral origin (anosognosia). Translated by K.G. Langer & D.N. Levine. Translated from the original Contribution à l'Étude des Troubles Mentaux dans l'Hémiplégie Organique Cérébrale (Anosognosie) », Cortex; a Journal Devoted to the Study of the Nervous System and Behavior, vol. 61,‎ , p. 5–8 (ISSN 1973-8102, PMID 25481462, DOI 10.1016/j.cortex.2014.04.019, lire en ligne, consulté le )
  5. a b c d e f g h i j k et l Boisson et Luauté (2004), p. 57.
  6. Lhermitte, Jean, 1877-1959., L'image de notre corps, L'Harmattan, (ISBN 2-7384-6491-2 et 978-2-7384-6491-0, OCLC 40092451, lire en ligne)
  7. a et b Josef Gertsmann, « Problem of imperception of disease and of impaired body territories with organic lesions », Archives of Neurology & Psychiatry, vol. 48, no 6,‎ , p. 890 (ISSN 0096-6754, DOI 10.1001/archneurpsyc.1942.02290120042003, lire en ligne, consulté le ).
  8. Henri Hecaen et Juan de Ajuriaguerra, Meconnaissances et hallucinations corporelles: integration et desintegration de la somatognosie (par) H. Hecaen et J. de ajuriaguerra., Paris, Masson,
  9. J. Barbizet, M.B. Hamida et P. Duizabo, Monde de l'hémiplégique gauche, Masson, coll. « Rapport de neurologie »,
  10. a et b Ronchi et Vallar (2010).
  11. G. Rode, N. Charles, M. T. Perenin et A. Vighetto, « Partial remission of hemiplegia and somatoparaphrenia through vestibular stimulation in a case of unilateral neglect », Cortex; a Journal Devoted to the Study of the Nervous System and Behavior, vol. 28, no 2,‎ , p. 203–208 (ISSN 0010-9452, PMID 1499306, DOI 10.1016/s0010-9452(13)80048-2, lire en ligne, consulté le )
  12. P W Halligan, J C Marshall et D T Wade, « Three arms: a case study of supernumerary phantom limb after right hemisphere stroke. », Journal of Neurology, Neurosurgery, and Psychiatry, vol. 56, no 2,‎ , p. 159–166 (ISSN 0022-3050, PMID 8437005, PMCID 1014815, DOI 10.1136/jnnp.56.2.159, lire en ligne, consulté le )
  13. P W Halligan et J C Marshall, « Supernumerary phantom limb after right hemispheric stroke. », Journal of Neurology, Neurosurgery, and Psychiatry, vol. 59, no 3,‎ , p. 341–342 (ISSN 0022-3050, PMID 7673976, PMCID PMC486051, DOI 10.1136/jnnp.59.3.341-a, lire en ligne, consulté le )
  14. P. W. Halligan, J. C. Marshall et D. T. Wade, « Unilateral somatoparaphrenia after right hemisphere stroke: a case description », Cortex; a Journal Devoted to the Study of the Nervous System and Behavior, vol. 31, no 1,‎ , p. 173–182 (ISSN 0010-9452, PMID 7781314, DOI 10.1016/s0010-9452(13)80115-3, lire en ligne, consulté le )
  15. Ronchi et Vallar (2010), p. 225-226.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Roberta Ronchi et Giuseppe Vallar, « Somatoparaphrénie après lésion droite », Revue de neuropsychologie, vol. 2, no 3,‎ , p. 225 (ISSN 2101-6739 et 2102-6025, DOI 10.3917/rne.023.0225, lire en ligne, consulté le )
  • Dominique Boisson et Jacques Luauté, « Les somatoparaphénies », Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, vol. 162, no 1,‎ , p. 55–59 (ISSN 0003-4487, DOI 10.1016/j.amp.2003.12.003, lire en ligne, consulté le )
  • Stéphane Thibierge et Catherine Morin, « Que s'enseignent mutuellement la psychanalyse et la neurologie ? : Syndromes de fausses reconnaissances et somatoparaphrénie », Recherches en psychanalyse, vol. 7, no 1,‎ , p. 69 (ISSN 1767-5448 et 1965-0213, DOI 10.3917/rep.007.0069, lire en ligne, consulté le )

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]