Solipsisme

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Le solipsisme (du latin solus, seul et ipse, soi-même) est une « attitude » générale pouvant être théorisée sous une forme philosophique et non métaphysique, « […] d'après laquelle il n'y aurait pour le sujet pensant d'autre réalité que lui-même […][1] ». La question ici ne relève d'abord pas de « l'esprit », mais d'une constatation que le « moi », ou l'ego, est la seule manifestation de conscience dont nous ne puissions pas douter (voir Descartes). Seul l'ego peut donc être tenu pour assurément existant et le monde extérieur avec ses habitants n'existe dans cette optique que comme une représentation hypothétique, et ne peut donc pas être considéré, sans abus de langage, autrement que comme incertain. Il pourrait s'agir seulement d'une position épistémologique « constructiviste ». Si on l'envisage aussi sur un plan ontologique, on se rapproche alors quelque peu du « pyrrhonisme » puisque la connaissance de quoi que ce soit d'extérieur à soi-même ne reste qu'une conjecture incertaine.

Selon le philosophe Lalande[2], le solipsisme est une « doctrine présentée comme une conséquence logique résultant du caractère idéal (idéel) de la connaissance ; elle consisterait à soutenir que le moi individuel dont on a conscience, avec ses modifications subjectives, est toute la réalité, et que les autres moi dont on a la représentation n'ont pas plus d'existence indépendante que les personnages des rêves ; ou du moins à admettre qu'il est impossible de démontrer le contraire. » Le médecin Claude Brunet en aurait été le seul représentant[2]. Kant se sert de ce terme dans la Critique de la raison pratique (3e section, §3), mais pour désigner l'amour de soi éprouvé par le moi empirique, par contraste avec le sujet transcendantal[2].

Définition

Attitude généralement conçue comme le cas limite de l'idéalisme, selon laquelle l'existence du sujet s'interrogeant constitue l'unique certitude. Si aucune philosophie ne se fonde sur le solipsisme définitif, par contre un solipsisme momentané peut accompagner une attitude de doute systématique, comme c'est le cas de Descartes au début de ses Méditations métaphysiques, lorsque le philosophe, récusant les évidences communes, pose la seule certitude de son existence.

Le doute chez Descartes

L'utilisation du doute hyperbolique, qui fonde le cogito (je pense donc je suis), par Descartes dans le Discours de la Méthode (1637), l'a exposé à des accusations de solipsisme. Toutefois, si le cogito suffit à fonder, par une expérience de pensée, la certitude subjective de l'existence du sujet pensant, il ne suffit en aucun cas à fonder la réalité absolue de la substance pensante. En effet, seul Dieu pourrait être un tel fondement de cela, par sa création continuée. Aussi, la théorie cartésienne n'est pas exactement solipsiste.

Selon une interprétation, dominante dans l'histoire de la philosophie, Descartes préfigurerait ainsi l'avènement de la subjectivité dans la philosophie moderne, c'est-à-dire de la conscience de soi (Hegel attribuait l'émergence de celle-ci au christianisme).

L'idéalisme empiriste de Berkeley

George Berkeley est peut-être l'un des philosophes qui est allé le plus loin sur le terrain du solipsisme, depuis le pyrrhonisme antique. Son idéalisme empiriste renvoyait en effet à Dieu l'origine de nos sensations. Dès lors, le monde n'avait pas d'existence matérielle en tant que telle : Berkeley s'opposait à toute position réaliste qui considèrerait que le monde possède une réalité extérieure hors de notre perception : esse est percipi (être c'est être perçu), selon sa formule célèbre. Mais en fait toutes nos perceptions subjectives renvoient à la perception divine. L'autre, dès lors, existe-t-il ?

Cette position partage certains aspects avec la théorie de la monade de Leibniz, chaque monade n'étant en lien immédiat qu'avec Dieu, et chacune exprimant l'univers entier.

Le solipsisme dans le Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein

Le solipsisme peut être défini à partir de la proposition 5.63 de cet ouvrage — « Je suis mon monde. (Le microcosme.) »[3]

En soi, le solipsisme ne peut être dit mais il peut être montré et comme le souligne Wittgenstein dans son avant-propos, "tout ce qui peut être dit peut être dit clairement, et sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence."

Le solipsisme comme philosophie ou comme doctrine fait donc nécessairement partie du « Mystique » (6.522 - « Il y a assurément de l'indicible. Il se montre, c'est le Mystique. ») et n'est par conséquent pas « une méthode correcte en philosophie » (aphorisme 6.53) bien que « ce que le solipsisme veut signifier est tout à fait correct » (aphorisme 5.62).

Si l'on ne peut que simplement montrer le solipsisme c'est parce qu'en tant que définition du monde, il est absurde : 5.631 - « Il n'y a pas de sujet de la pensée de la représentation. Si j'écrivais un livre intitulé Le monde tel que je l'ai trouvé, je devrais y faire aussi un rapport sur mon corps, et dire quels membres sont soumis à ma volonté, quels n'y sont pas soumis, etc. Ce qui est en effet une méthode pour isoler le sujet, ou plutôt pour montrer que, en un sens important, il n'y a pas de sujet: car c'est de lui seulement qu'il ne pourrait être question dans ce livre. » En effet, le sujet qui voit en lui le monde (solipsisme radical), ne peut en toute rigueur se définir lui même puisqu'il devrait être en dehors de lui, en dehors du monde : « l'œil, en réalité, tu ne le vois pas. Et rien dans le champ visuel ne permet de conclure qu'il est vu par un œil. » Ce qui implique une impossibilité du sujet métaphysique (le je du solipsisme) à être « dans le monde ». « Le je philosophique […] est le sujet métaphysique, qui est frontière — et non partie — du monde. » (aphorisme 5.641)

Mais cela implique aussi que le solipsisme est une sorte de lieu vide de la pensée (absurde) et de la réalité (frontière du monde qui n'a donc par définition pas d'espace) puisque « développé en toute rigueur, [il] coïncide avec le réalisme pur. Le je du solipsisme se réduit à un point sans extension, et il reste la réalité qui lui est coordonnée ». (aphorisme 5.64)

Chez Sartre

Dans son premier ouvrage La Transcendance de l'Ego, Jean-Paul Sartre a proposé une réfutation de solipsisme censée être plus pertinente que celle d' Husserl, puis il y est revenu dans L'Être et le Néant (chapitre  : « L’écueil du solipsisme »)

Solipsisme bouddhique

Le solipsisme représente, de fait, l'attitude d'une minorité des écoles de pensées bouddhiques ; il s'agit d'une théorie qui ne découle pas nécessairement de la voie du milieu, et qui peut même paraître opposée à l'idée de samsara (les mondes dans lesquels les êtres évoluent), à la cosmologie bouddhique, voire à l'éthique qui se dégage tant de cette représentation de l'univers que de la causalité exprimée par la loi du karma.

Tout bouddhiste considère en effet l'impression d'être « un » (l'égo ou le moi) comme voilant la réalité, ou comme une illusion. Le Moi ne proviendrait que d'une perception incomplète du monde induite par le plaisir et la douleur, et qui conditionne au fil du temps la conscience elle-même. La plupart des philosophies bouddhiques admettent donc l'existence de phénomènes extérieurs, d'une réalité tangible, caractérisée en ce qu'elle est sans Soi (pris au sens d'impersonnel) (chaque chose est sans Soi, anatta : sans atmân).

Certaines écoles du bouddhisme Mahâyâna ont formulé des interprétations penchant pour le solipsisme obligé de l'égo, en opposition à celui de l'après éveil (en sanskrit "bouddha" signifiant l'« éveillé ») qui permet alors de voir le monde, tel qu'il est. Voir par exemple Yogacara, connue d'abord pour son idéalisme.

Bertrand Russell

Le philosophe Bertrand Russell mentionne dans ses Essais sceptiques une lettre d'une de ses correspondantes[4] lui écrivant « qu'elle était une solipsiste et qu'elle était surprise qu'il n'y en eût pas d'autres ». Il ajoute "la dame étant logicienne, sa surprise me surprend".

Références

  1. cité d'après Le Petit Robert de la langue française, Paris, 1990, p. 1830.
  2. a b et c André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, Quadrige, 1926 (5e éd., 1999).
  3. Tractatus Logico-philosophicus, Paris, Gallimard, 1993 [1922]. Traduction de Gilles-Gaston Granger.
  4. Elle se nommait Christine Ladd Franklin (en), Ph. D. : Citations de Bertrand Russell.htm

Voir aussi