Société des saisons

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Société des saisons
Création 1837
Dissolution 1839
Nombre de membres 1500

La Société des saisons (SDS) est une association républicaine, à tendance jacobine, qui a joué un rôle important sous la monarchie de Juillet. Fondée en 1837 par Blanqui, Barbès et Bernard, elle succède à la Société des familles (SDF) et, forte de quelque 1 500 membres, lance en mai 1839 une insurrection. Son échec aboutit à sa disparition.

Les origines[modifier | modifier le code]

À l'origine du mouvement républicain des années 1830, on retrouve des hommes rescapés de la Révolution française, parmi lesquels il faut distinguer Philippe Buonarroti. Proche successivement de Robespierre et de Gracchus Babeuf, avec lequel il organise la conjuration des Égaux, il organise jusqu'à la fin de sa vie des réseaux de sociétés secrètes à travers toute l’Europe, et inspire aux générations révolutionnaires nées dans la lutte contre l'ordre européen du congrès de Vienne un idéal républicain où se rejoignent la tradition jacobine et les idées néo-babouvistes d'un communisme égalitaire. Le jeune Blanqui, de son propre aveu, a été grandement influencé par sa rencontre avec le vieil homme.

À l'origine des sociétés secrètes républicaines, on trouve également la Carboneria.

En 1831, Blanqui fonde la « Société des Amis du Peuple », qui fait suite à ses « Cercles républicains ». En 1833, malgré la répression de l'insurrection républicaine de 1832, « plus de cent sociétés secrètes gangrènent Paris qui n'en peut mais », selon Vidocq.

En septembre-octobre 1833, la Société des droits de l'homme (SDH) est réorganisée. Après plusieurs mois de conflits internes entre les « Girondins », autour de Raspail, et les « Montagnards », comprenant Napoléon Lebon ou Albert Laponneraye, la composante montagnarde l'emporte. Au sein de la Société est fondé un Comité de propagande chargé de l'instruction et de l'organisation ouvrières. Il rassemble des néo-babouvistes comme Napoléon Lebon, Buonarroti et Marc Voyer d'Argenson, ainsi que des ouvriers, comme le tailleur Alphonse Grignon et le cordonnier Z. Efrahem. Plusieurs de ses membres seront emprisonnés en novembre comme « instigateurs de coalitions d'ouvriers ». La SDH fonde une section lyonnaise et publie son « Manifeste » dans La Tribune.

Le est créée la Société philanthropique des ouvriers tailleurs de Nantes. Elle fut décapitée le .

Les 11 et , les dirigeants de la SDH, accusés d'avoir préparé une émeute en juillet, à la date anniversaire des « Trois Glorieuses », sont jugés lors du « procès des vingt-sept ».

Le , pour lutter contre ces mouvements républicains, est votée une loi sur les associations, qui soumet à l'agrément officiel les associations fractionnées en sections de moins de vingt personnes.

Toutefois, en 1834, peu après le démantèlement de la Société des droits de l'homme par la police, Barbès lance l'éphémère « Société des vengeurs » puis, l'année suivante, la « Société des familles », qui comptera bientôt de 900 à 1 600 membres, recrutés parmi les artisans de la capitale, les étudiants ou les volontaires de la Garde nationale et regroupés en « familles », petits groupes de cinq initiés dirigés par un « chef de famille ». Le , il parvient à faire évader 28 conjurés de Sainte-Pélagie. Son action est cependant bientôt interrompue par son arrestation et celle de Blanqui, le et une condamnation à un an de prison, à la suite de la découverte d'une fabrique de poudres, rue de l'Oursine (le 8 mars). Le gouvernement profite alors de l’émoi suscité par l’attentat de Fieschi contre le roi, le , pour décapiter l’opposition.

En avril-juillet 1837 est menée une campagne d'affichage de sept proclamations enflammées, sortant de l'« Imprimerie de la République », qui annoncent la réorganisation de la Société des familles sous le nom de « pelotons ».

La même année, la SDF se scinde en deux groupes : la « Société des saisons » et les « Phalanges démocratiques », dirigées par Mathieu d'Épinal, Pornin et Vilcocq.

Les actions[modifier | modifier le code]

Fondée en 1837 par Blanqui, Barbès et Martin Bernard, la Société des saisons se subdivise en « semaines » qui regroupent six hommes et un chef. Quatre semaines forment un « mois » de « 28 jours » (comptant donc 28 initiés et un chef). Trois « mois » constituent une « saison » et quatre « saisons » forment une « année ». Au moins trois « années » ont vu le jour.

L'insurrection de mai 1839[modifier | modifier le code]

Le , la Société des saisons lance une insurrection visant à renverser le régime de la monarchie de Juillet et à instaurer une république sociale[1]. Passée à l'action à deux heures de l'après-midi, elle déclenche le soulèvement rue Saint-Denis et rue Saint-Martin, tentant de s'emparer de la préfecture de police et de l'hôtel de ville de Paris. Les meneurs sont Martin Bernard, Armand Barbès et Auguste Blanqui, libérés après l'amnistie de 1837.

L'affaire tourne mal, les insurgés ne parvenant ni à s'emparer de leurs objectifs ni à déclencher un processus révolutionnaire. Préparée dans le plus grand secret, l'opération manque de base populaire, d'autant qu'à l'hôtel de ville, Barbès prononce une proclamation dont la phraséologie néo-jacobine effraie les modérés.

Barbès, blessé, est arrêté le jour même, Martin Bernard quelques jours plus tard. On relève 77 tués et au moins 51 blessés du côté des insurgés, 28 morts et 62 blessés chez les militaires. C'était en fait une tentative de coup d'État, mais mal préparée, sans objectifs intermédiaires, sans porte de sortie, sans réelle alternative…

Plus tard, une note de Friedrich Engels dans l'ouvrage de Karl Marx les Luttes de classe en France indiquera : « Le 12 mai 1839, les Sociétés ouvrières secrètes disciplinées par Barbès et par Blanqui (Société des familles, Société des saisons) déclenchèrent une insurrection qui fut immédiatement noyée dans le sang et entraîna la condamnation à la réclusion de ses instigateurs. » Des historiens modernes ont été beaucoup moins aimables : Georges Duveau a qualifié l'événement « de farce tragique et absurde n'ayant, dès le départ, aucune chance d'aboutir. »

La répression du mouvement[modifier | modifier le code]

692 interpellations sont menées, les jours suivants. Au total, plus de 750 dossiers d'inculpés aux procès se retrouveront devant la Cour des pairs[2].

Du 11 juin au se tient le premier procès des insurgés de mai, comptant 19 accusés. Fidèles aux traditions carbonaristes, Barbès et Bernard refusent de se défendre. Ce dernier est condamné à la déportation et Barbès à mort. À son insu, sa sœur obtient du roi, le 14, la commutation de sa peine en travaux forcés à perpétuité, de nouveau commuée en déportation le 31 décembre.

Le 14 octobre suivant, Blanqui, qui avait jusque-là réussi à échapper aux investigations de la police, est arrêté avec cinq de ses compagnons. Ces derniers ne seront pas poursuivis.

Du 13 au a lieu le second procès des insurgés de , comprenant 34 accusés. Comme Barbès et Bernard, Blanqui refuse de répondre. Condamné à mort le 31 janvier, sa peine sera commuée, sur l'intervention de sa femme et à son insu (à l'instar de Barbès), en déportation le 1er février. Il rejoindra Barbès et les autres au mont Saint-Michel, prison d'État.

En décembre 1839 sont formées les « Nouvelles saisons », mouvement emmené par Henri Dourille et Lucien de La Hodde[3]. Plus tard, en janvier 1840, sont créés les « Travailleurs égalitaires », organisation d'inspiration communiste néo-babouviste.

Les dirigeants[modifier | modifier le code]

Barbès, Blanqui et Bernard sont les trois figures principales de la Société des saisons. Ce sont trois républicains de la même veine, de la même génération. Engagés ensemble dans le combat révolutionnaire contre la Monarchie de Juillet, leurs itinéraires ont ensuite divergé.

Barbès

Armand Barbès (1809-1870) est l’homme de deux insurrections, celle du , au cours de laquelle les républicains des Saisons tentent de renverser Louis-Philippe, et celle du , au cours de laquelle les militants des clubs tentent d’imposer leur loi au gouvernement provisoire.

Républicain, son adhésion à la Société des droits de l'homme lui vaut sa première arrestation en 1834. Libéré, au début de 1835, il sert d'avocat aux 164 prévenus républicains mis en accusation pour l'insurrection de 1834 ; il aide vingt huit d'entre eux à s'évader de Sainte-Pélagie en . Après le démantèlement de la SDH, il fonde l'éphémère « Société des vengeurs » suivie, l'année suivante, par la « Société des familles ». C'est le commencement de sa longue et tumultueuse collaboration avec Blanqui.

Le , Barbès et Blanqui sont arrêtés par la police, en train de charger des cartouches dans l'appartement qu'ils partagent à Paris. Barbès, condamné à un an d'emprisonnement, amnistié en 1837, demeure quelque temps auprès des siens à Carcassonne, où il échafaude les plans d'une nouvelle société secrète et écrit la brochure qui restera sa seule contribution à la littérature révolutionnaire : Quelques mots à ceux qui possèdent en faveur des Prolétaires sans travail. Retourné à Paris en 1838, il se joint à Blanqui pour former la très prolétaire « Société des Saisons ». Après l'échec de l'insurrection, il reste en prison jusqu'en 1848.

Blanqui
Portrait d'Auguste Blanqui.

Auguste Blanqui commence par s'engager dans la charbonnerie en 1825. Blessé lors de l'émeute du faubourg Saint-Antoine, le , on le retrouve sur les barricades de juillet 1830. Parallèlement, il organise des Cercles républicains. Il fonde la « Société des Amis du Peuple » en 1831, est inculpé dans l'« affaire des 15 » en 1832, où il est condamné à un an de prison, puis arrêté en 1836 dans l'« affaire des Poudres ».

Fondateur avec Barbès de la « Société des Saisons » en 1837/1838, il dirige l'insurrection du . Arrêté six mois plus tard et condamné à mort le , il est gracié et sa peine commuée en détention perpétuelle. Il est transféré de nombreuses fois de prisons en prisons, d'hôpital en hôpital, jusqu'à sa libération, après la révolution de février 1848.

Martin Bernard

Le moins connu des trois, Martin Bernard (1808-1883) n'appartient pas à la bourgeoisie, comme ses deux camarades, mais est ouvrier. Initié aux idées de Saint-Simon puis de Pierre Leroux en 1831, il participe à la grève des imprimeurs parisiens en 1833, publie un article dans la Revue républicaine en 1834 et défend les accusés d'avril 1835. Arrêté lors du complot des poudres en 1836, il est acquitté. Il participe à la fondation de la Société secrète des Saisons, en 1837, ainsi qu'à l'insurrection du . Condamné à la déportation par la Cour des pairs, il est détenu au mont Saint-Michel, puis transféré à la citadelle de Doullens en 1844, avant d'être libéré.

L'échec du coup d'État de 1839 amène le divorce Barbès-Blanqui. Blanqui, premier chef de ce coup, semble avoir cru que Barbès, qui était resté à l'écart pendant un certain temps, avait fini par se décourager, abandonnant ses camarades insurgés.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Œuvres des principales figures de l'association
  • Armand Barbès, Quelques mots à ceux qui possèdent en faveur des Prolétaires sans travail, Carcassonne, 1837.
  • Louis Auguste Blanqui, L'Éternité par les astres, 1872, sn éd.
  • La critique sociale' reprise d'écrits antérieurs, parue seulement en 1886, sn éd.
  • Martin Bernard, Dix ans de prison au Mont-Saint-Michel et à la citadelle de Doullens, Paris, Pagnerre, 1861.
Études anciennes
  • Karl Marx, Les Luttes de classes en France, 1850 (Paris, Gallimard, 1994 (ISBN 978-2-07-042231-9).
  • B.M. de Saint-Étienne, Correspondance de Martin Bernard, sd.
  • I. Tchernoff, Républicain sous la monarchie de Juillet (Paris, 1905) par M. Le parti.
  • Suzanne Wasserman, Les clubs de Barbès et de Blanqui en 1848, Paris, 1913.
  • Alexandre Zevaes, Une révolution manquée. L’insurrection du 12 mai 1839, Paris, La nouvelle revue critique, 1933
Études récentes
  • Edgar Leon Newman (dir.), Dictionary of France from the 1815 Restoration to the Second empire, New York, Greenwood Press, 1987.
  • Georges Clemenceau, Une jeunesse républicaine, Paris, sd.
  • Claude Latta, Un républicain méconnu : Martin Bernard (1808-1883), Saint-Étienne, Centre d’études foréziennes, 1980.
  • Barbès et les hommes de 1848, colloque de Carcassonne organisé en par L’association Les Audois, les Archives départementales de l’Aude et l’université de Toulouse-Le Mirail, sous la direction de Sylvie Caucanas et Rémy Cazals.
  • Sylvie Caucanas et Marie-Noëlle Maynard, Armand Barbès et la Révolution de 1848 (catalogue de l'exposition « Barbès, 1848 », -, Carcassonne, maison des Mémoires), Carcassonne, musée des Beaux-Arts et Archives départementales de l’Aude, 79 p.
  • Le Journal, (cité par Jean-Baptiste Duroselle : Clemenceau, Paris, Fayard, 1988, p. 51).
  • Jeanjean, J.-F. Armand Barbès (1809-70), 3 vol. (Paris et Carcassonne, 1909-52).
Interrogatoires des accusés

Lien externe[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Philippe Riviale, Le gouvernement de la France : 1830-1840, Éditions L'Harmattan, (ISBN 978-2-296-14095-0, présentation en ligne).
  2. Les procès de la Cour des Pairs : Le procès de l'insurrection des 12 et 13 mai 1839, « Le procès de l'insurrection des 12 et 13 mai 1839 » (consulté le ).
  3. « Maitron.org, site d’histoire sociale », sur univ-paris1.fr via Wikiwix (consulté le ).