Sacré

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Le sacré est une notion d'anthropologie culturelle permettant à une société humaine de créer une séparation ou une opposition axiologique entre les différents éléments qui composent, définissent ou représentent son monde : objets, actes, espaces, parties du corps, valeurs, etc. Le sacré désigne donc ce qui est mis en dehors des choses ordinaires, banales, communes ; il s'oppose essentiellement au profane, mais aussi à l'utilitaire.

Introduction

Le sacré a toujours une origine naissant d'une tradition ethnique et qui peut être mythologique, religieuse ou idéologique (c'est-à-dire non religieuse). Il désigne ce qui est inaccessible, indisponible, mis hors du monde normal, et peut être objet de dévotion et de peur.

Le sacré est synonyme d'espoir, d'authentification de l'homme en un principe supérieur, celui du monde non intelligible. Ainsi, le sacré peut s'exprimer sous diverses formes, on peut prendre l'exemple de Robinson Crusoé dans Vendredi ou les Limbes du Pacifique de Michel Tournier, qui découvrant la grotte, le nombril de l'île Esperanza, enlace le Cosmos en redécouvrant son corps et vit une expérience exceptionnelle. Robinson, comprimé par les règles sociales, découvre en cette île la bonne position. "Il était suspendu dans une éternité heureuse", cette redécouverte verticalisante du monde, hors de la civilisation, c'est le sacré.

Selon Camille Tarot, le concept du sacré est conçu par les anthropologues contemporains comme la réponse à un ensemble d'expériences propres non seulement aux sociétés archaïques et traditionnelles mais aussi à toutes les autres cultures qui leur ont succédé. Il semble devoir être admis comme une donnée constitutive de la condition humaine, c'est-à-dire comme : "une catégorie universelle de toute conscience humaine", face à sa finitude et à sa condition de mortel.

Sur le plan phénoménologique, nous pouvons entrevoir ce qui, dans les cultures humaines, est visé dans les expériences du sacré : avant tout, le "numineux". Le numineux est un concept avancé par Rudolf Otto et ensuite largement utilisé. Dans son ouvrage Das Heilige - Über das Irrationale in der Idee des Göttlichen und sein Verhältnis zum Rationalen (Du sacré - Sur l'irrationnel des idées du divin et de leur relation au rationnel)[1] publié en 1917, Otto traduit le concept de sacré en référence au latin, où le terme numen se rapporte à la divinité, soit en un sens personnalisé, soit en référence à la sphère du divin en général. Pour Otto, le numineux regarde toute expérience non rationnelle du mystère, se passant des sens ou des sentiments, et dont l'objet premier et immédiat se trouve en dehors du soi.

Le numineux est aussi, selon Carl Gustav Jung : "ce qui saisit l'individu, ce qui, venant d'ailleurs, lui donne le sentiment d'être", traduisant, par conséquent, une expérience affective d'être. Le sacré entre ainsi selon Camille Tarot dans "la composition d'une essence, celle de son identité". Cette définition évoque irrésistiblement "la profondeur ontologique dans laquelle s'enracine le "sentiment" du sacré et donc l'importance de celui-ci dans toutes les cultures".

Sur le plan historique, "tantôt il [le sacré] semble s'identifier ou se confondre avec le divin : c'est le cas des religions archaïques, tantôt c'est le sacré qui s'estompe au profit du divin ou de la transcendance : c'est le cas des formes religieuses qui relativisent mythes et rites ou préconisent l'accès au divin".

Pour Roger Caillois[2], il n'existe que deux attitudes face au sacré : le respect de l'interdit ou sa transgression. Si l'Homme fait l'expérience du sacré, c'est qu'il veut précisément échapper à sa condition d'être fini et mortel ; pour ce faire, il y a a priori trois solutions : le tabou (totémisme), la magie (animisme) et la religion (surtout les religions dites naturistes).

Vue de la Grande Mosquée de Kairouan (également appelée mosquée Oqba Ibn Nafi). fondée en 670 puis reconstruite dans son état actuel au IXe siècle (836-875), elle est la plus ancienne et la plus prestigieuse mosquée de tout l'Occident musulman[3]. La Grande Mosquée est située dans la ville historique de Kairouan en Tunisie.

Enfin, toujours pour Camille Tarot, le sacré serait à l’origine du fait religieux, lequel serait à reconnaître "dans la conjonction du symbolique et du sacré".

Dans la religion romaine et la religion grecque, sont sacrés les objets qui ont été officiellement, et par un acte rituel, retranchés du monde profane pour en donner la propriété à une divinité[4]. Dans le catholicisme, l'expression le sacré désigne spécialement l'Eucharistie.

Cette notion est aujourd'hui utilisée de façon plus générale dans d'autres contextes : une nation peut définir comme sacrés ses principes fondateurs ; une société peut définir comme sacrées certaines de ses valeurs, etc. Les anthropologues contemporains disent d'ailleurs que la notion de sacré est trop floue pour pouvoir être utilisée dans l'étude des religions — même s'ils continuent à travailler dessus.

Les éléments du sacré sont généralement considérés comme intouchables : leur manipulation, même en pensée, doit obéir à certains rituels bien définis. Ne pas respecter ces règles, voire agir à leur encontre, est généralement considéré comme un péché ou crime réel ou symbolique : c'est ce qu'on nomme un sacrilège. Le pire des sacrilèges est la profanation, qui est définie comme l'introduction d'éléments profanes dans une enceinte sacrée (réelle ou symbolique).

Pour Durkheim[5], les représentations religieuses sont en fait des représentations collectives : l'essence du religieux ne peut être que le sacré, tout autre phénomène ne caractérise pas toutes les religions. Le sacré, être collectif et impersonnel, représente ainsi la société elle-même.

« Les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et isolent, et les choses profanes étant celles auxquelles ces interdits s'appliquent et qui doivent rester à l'écart des premières. La relation (ou l'opposition, l'ambivalence) entre Sacré et Profane est l'essence du fait religieux. »

— Émile Durkheim


Le sacré selon Mircéa Eliade

Les hiérophanies


« On pourrait dire », écrit Mircea Eliade, « que l'histoire des religions, des plus primitives aux plus élaborées, est constituée par une accumulation de hiérophanies […]. L'occidental moderne éprouve un certain malaise devant certaines formes de manifestations du sacré : il lui est difficile d'accepter que, pour certains êtres humains, le sacré puisse se manifester dans des pierres ou dans des arbres. Or, […] il ne s'agit pas d'une vénération de la pierre ou de l'arbre en eux-mêmes. Les arbres sacrés ne sont pas adorés en tant que tels ; ils ne le sont justement que parce qu'ils sont des hiérophanies, parce qu'ils “montrent” quelque chose qui n'est ni pierre ni arbre, mais le sacré, le ganz anderes[6]. »
Et Eliade d'ajouter :

« On n'insistera jamais assez sur le paradoxe que constitue toute hiérophanie, même la plus élémentaire. En manifestant le sacré, un objet quelconque devient autre chose, sans cesser d'être lui-même, car il continue de participer à son milieu cosmique environnant. Une pierre sacrée reste une pierre ; apparemment (plus exactement : d'un point de vue profane) rien ne la distingue de toutes les autres pierres. Pour ceux auxquels une pierre se révèle sacrée, sa réalité immédiate se transmue au contraire en réalité surnaturelle[7]. »

Mais hormis ces considérations sur l’aspect duel de l’objet sacré, Eliade, en dépit d’une œuvre considérable dédiée au sujet, ne dit, en revanche, jamais rien sur la nature probable de « cet autre chose », invisible, qui irradie, effectivement, de l’objet en question[8]. Quant aux forces qui déterminent le profane « à devenir une hiérophanie, ou à cesser de l'être à un moment donné[9] », Eliade reconnaît explicitement que « le problème dépasse la compétence de l'historien des religions[10]».

Stonehenge au solstice d'été en Angleterre (non loin de Salisbury, Comté de Wiltshire)

Selon Daniel Dubuisson, l’approche eliadienne, compte tenu de son incapacité foncière à définir « quels principes, quelles règles, quels mécanismes régissent la disposition et l'organisation[11]» de ce phénomène, conduit l’historien des religions sur une voie sans issue.

La nature relationnelle des hiérophanies

« La seule chose qu'on puisse affirmer valablement » à propos du sacré, écrit Eliade, « c'est qu'il s'oppose au profane[12] ».

Selon Albert Assaraf une telle explication reste fondamentalement à la périphérie du phénomène. « Autant, dit-il, expliquer le feu – comme le faisaient autrefois les aristotéliciens – en l’opposant à l’eau ; la terre, en l’opposant à l’air…[13]»

Toujours selon cet auteur, la grande erreur d’Eliade – erreur d’où découleront les séries d’impasses précitées – est précisément là, dans sa tentative d’expliquer le sacré en l’opposant au profane, comme si sacré et profane étaient deux entités différentes que rien ne peut rapprocher alors que sacré et profane découlent d’un phénomène commun : à savoir la propension qu'ont les signes de lier et de délier les hommes.

«  C’est en raison de notre prédisposition innée, dit-il, à classer les objets du monde selon une échelle de force [verticale], qu’une simple pierre finit par désigner quelque chose de "tout autre" qu’elle-même. Et ce "tout autre", c’est le lien ; c’est la quantité d’énergie ligative qui se dégage d’un signe à un moment donné de son histoire.[14] »

Même Eliade, fait remarquer Albert Assaraf, n’est pas sans admettre implicitement l’origine relationnelle du sacré :

«  Il subsiste, écrit Eliade, des endroits privilégiés, qualitativement différents des autres : le paysage natal, le site des premières amours, ou une rue ou un coin de la première ville étrangère visitée dans la jeunesse. Tous ces lieux gardent, même pour l'homme le plus franchement non-religieux, une qualité exceptionnelle, « unique » : ce sont les « lieux saints » de son univers privé, comme si cet être non-religieux avait eu la révélation d'une autre réalité que celle à laquelle il participe par son existence quotidienne[15]. »

« Paysage natal », « site des premiers amours », « une rue ou un coin de la première ville étrangère visitée dans la jeunesse », ne sont-ce pas là tout simplement des objets d’attachements initiaux que l’esprit humain place très haut sur une échelle imaginaire verticale ?

Sacré et échelle de forces

Afin de rendre la chose plus intelligible (et pourquoi pas exploitable par un ordinateur), Albert Assaraf propose dans son article, « Le sacré, une force quantifiable ? », paru en 2006 dans Médium no 7, d’inscrire sur une échelle de forces graduée de 1 à 10 la charge émotive irradiant d’un signe ou d’un objet.
La règle de son échelle de forces est simple.

  • Tout signe ou objet, dit-il, se référant à une entité matérielle de chair et de sang, soumise au dépérissement et à la mort, se verra attribuer au maximum une force 7.
  • Au-delà de la force 7 et jusqu’à 10, on entre dans une sphère mentale dont aucun animal n'a idée (pas même le chimpanzé avec lequel nous partageons pourtant 99 % de nos gènes[16]). La sphère des « causes premières » : esprits, démons, extraterrestres, anges, démiurges, dieux… En un mot, la sphère des surhumains.


Ce qui du coup, écrit-il par ailleurs, en paraphrasant l’égyptologue Henrietta Mac Call – « les mythes concernent les êtres divins ou semi-divins, les légendes concernent les êtres historiques ou semi-historiques[17] » – les mythes concernent les signes de forces 8 à 10 ; les légendes, les signes de forces 1 à 7[18].

Echelle de forces


Sur l’échelle de forces d’Albert Assaraf, un yaourt, par exemple, n’évoluera pas dans la même classe de signes qu’un chien. Et le signe chien, de graviter autour d’une sphère de force en deçà du signe enfant. D’où la différence patente d’affect se dégageant des trois énoncés ci-dessous dont seuls varient les mots en gras :


« J’aime mon yaourt à la folie »
« J’aime mon chien à la folie »
« J’aime mon enfant à la folie »


À l’autre bout de son échelle verticale, un prix Nobel de médecine ne jouera pas dans la même orbite qu’un médecin lambda. Le général de Gaulle surfera sur une plage de force nettement supérieure à celle d’un simple général. Un drapeau c’est bien plus qu’un bout de tissu ; un hymne national, bien plus qu’un morceau de musique. Les mots patrie, roi, père de la nation… de caracoler naturellement sur des niveaux d’énergie pouvant atteindre les 7.

Quant aux signes de forces supérieures à 7 (esprits, anges, dieux…), Albert Assaraf pense que seuls des neurones humains peuvent se les représenter. Que seuls des neurones humains peuvent être sensibles au fantastique amplificateur émotionnel que représentent l’idée de Dieu, le mot Dieu. Au point, dit-il, que dans une cité à haute teneur en signes de forces 10, toucher à iota d’une parole divine déchaîne invariablement convulsions et persécutions. Comme s’il se dégageait du signe Dieu (force 10) – au même titre que, sur l’échelle logarithmique de Richter, d’un séisme d’amplitude 10 – une énergie d’une magnitude colossale.

Propriétés des signes caracolant au sommet de l’échelle de forces d'un groupe

Albert Assaraf montre dans un autre article, « Le ligasigne », paru dans la revue Equivalences (Haute école de Bruxelles, ISTI, no 36/1-2, 2009), que plus, au sein d’un groupe, un signe gravite autour d’une orbite de forces 6 à 10, plus il augmente son pouvoir attractif. D’où le fait, précise-t-il, que les signes de forces supérieures à 7 incarnent la ligne de démarcation séparant les groupes religieux. Ou encore le fait que quiconque ose s’en prendre – dans un groupe à haute teneur en signes de forces 8 à 10 - à des signes de forces 8 à 10, déclenche invariablement sentiments d’horreur et réprobation.

Au reste, dit-il, plus un signe ou un objet caracole au sommet de l’échelle imaginaire d’un humain, plus il favorise des comportements paroxystiques. À l'exemple du comportement de l’impératrice byzantine Zoé (978-1050) au contact de son icône sacrée :

«  Pour ma part, je l’ai vue souvent dans des circonstances très malheureuses tantôt embrassant la sainte image et la contemplant, lui parlant comme à une personne vivante et l’appelant de toute une litanie de noms les plus doux, tantôt se jetant sur le sol et arrosant la terre de ses larmes, et se déchirant la poitrine de grands coups répétés. Si elle voyait l’icône prendre une teinte pâle, elle s’en allait pleine de sombre tristesse ; si elle la voyait rouge comme le feu et auréolée d’un éclat splendide, sur-le-champ elle annonçait le fait à l’empereur et lui prédisait l’avenir »

— voir Alain Ducellier, Les Byzantins, Paris, Seuil, 1988, p. 74.


Enfin, fait remarquer Albert Assaraf :

«  Plus un signe gravite autour d’une orbite de force supérieure, plus il devient massif au point de distordre la réalité, le temps et l’espace. Autant les signes de forces moindres fluctuent sans difficulté d’une plage de force à une autre, autant les signes de force 10 résistent à toute "modernisation", à toute "globalisation"[19]. »

Fluctuation dans le temps de la force irradiant d’un objet sacré

Albert Assaraf souligne encore que la force qui irradie d’un signe ou d'un objet varie sans cesse au gré de l’histoire. Il arrive même, dit-il, qu’un signe perde totalement de sa charge émotive en chemin. Exemple, le signe Osiris.

« Il y a trois mille ans, écrit-il, en l'Égypte ancienne, prononcer : « Osiris n'est pas ressuscité », c'était commettre un terrible blasphème. Seule la mort pouvait expier un acte aussi impie. Si énoncer aujourd'hui une telle phrase dans les rues du Caire porte à sourire, c'est parce que le signe Osiris s’est vidé de son pouvoir ligatif d'antan. C’est parce qu’il est passé d’une force 9 à 10 à une force ridicule de 2 à 3 (fables et légendes) [20]. »


Grâce à son concept d’échelle de forces, Albert Assaraf parvient même à coder, comme suit, à l’attention d’un ordinateur, la charge émotive (ou ligative : du latin ligare, « lier ») irradiant du signe Osiris du temps des pharaons par opposition à celle qui a cours aujourd’hui[21].

Fluctuation de la charge émotive irradiant du signe Osiris à travers les âges

Charge ligative du signe Osiris du temps des pharaons

[INT 9 (100 %, 100 %)]

Traduction : Classer le signe Osiris dans la table OBJETS INTERIEURS avec une force 9 (celle des dieux), une quantité de conjonction de 100 % et une quantité de position de 100 %.

Charge ligative du signe Osiris à notre époque

[EXT 3 (0 %, 4 %)]

Traduction : Classer désormais (update) le signe Osiris dans la table OBJETS EXTERIEURS (parce qu’une idole) avec une force 3 (celle des fables et légendes), une quantité de conjonction de 0 % et une quantité de position de 4 %.


Sacré, échelle de forces et intelligence artificielle

Il n’est pas jusqu’aux robots intelligents du futur qui ne soient, écrit Albert Assaraf, condamnés à hiérarchiser les objets du monde selon une échelle de forces graduée.
Pourquoi?

Incontournable échelle de forces
Incontournable échelle de forces

Supposons, dit-il, que je fasse part à un robot intelligent de mes sentiments pour les yaourts en général et pour ma belle-mère en particulier en ces termes :


« J’aime les yaourts à la folie »
« J’aime beaucoup ma belle-mère »


En cas de danger, qui le robot intelligent ira-t-il sauver en premier, mes yaourts ou ma belle-mère ?
Sans une échelle de forces (de type logarithmique) inscrite dans le cerveau électronique du robot intelligent, mes yaourts !...

« Pour qu’un automate intelligent, dit Albert Assaraf, s’empresse invariablement de sauver en premier une belle-mère (qu’on aime [juste] beaucoup) avant un yaourt (qu’on aime à la folie), encore faut-il qu’il se dégage du signe belle-mère quelque chose de plus que n’a pas le signe yaourt. Et ce quelque chose d’invisible à l’œil nu, c’est la quantité de valeur que notre imaginaire attribue de façon systématique aux signes qui se présentent à la conscience[22]. »

C’est dire combien le sacré, et donc la hiérarchisation des objets du monde selon une échelle de forces graduée, a une fonction vitale. Même pour un cerveau électronique.

Sacré et transcendance

Il paraît urgent de rappeler que l'expérience du sacré est celle de la transcendance : l'ouverture sur l'absolu. Il est évident qu'une telle notion ne peut pas être définie puisque le fini n'a pas la capacité de décrire l'infini. Ainsi que René Guénon l'a souligné, l'on ne peut avoir recours qu'à une formule négative : "l'infini est ce qui n'a pas de limite". Affirmer que la nature du sacré est mystérieuse serait un pléonasme. Aussi est-il aisé de comprendre que Mircéa Eliade ait dû utiliser une comparaison approximative en évoquant ce qui n'est qu'un sentiment de la notion de sacré. Une confusion est-elle possible lorsque l'éminent historien des religions ajoute : "Le Monde n'est pas un Chaos mais un Cosmos (...) cette œuvre divine garde toujours une transparence, elle dévoile spontanément les multiples aspects du sacré. Le Ciel révèle directement, "naturellement", la distance infinie, la transcendance du dieu. La Terre, elle aussi, est transparente : elle se présente comme mère et nourricière universelle. Les rythmes cosmiques manifestent l'ordre, l'harmonie, la permanence, la fécondité. Dans son ensemble, le Cosmos est à la fois un organisme réel, vivant et sacré : il découvre à la fois les modalités de l'Être et de la sacralité."[23],[24] Peut-être n'est-il pas inutile de préciser que si la science est capable de mesurer des longueurs d'ondes, c'est par référence à l'espace et au temps qui sont des "grandeurs" physiques. Il conviendra donc d'expliquer comment on prétend quantifier une "énergie ligative" qui n'est rien d'autre qu'une image censée représenter l'attrait d'une population pour un objet particulier.

Cela dit, attention à ne pas confondre l'"expérience" du sacré et la "force" qui irradie de l'objet sacré. L'une est, effectivement, impossible à définir comme il est impossible de définir ce que l'on ressent face au bleu du ciel ; l'autre, en revanche, comme le montre les travaux d'Albert Assaraf, est parfaitement quantifiable suivant une échelle de force logarithmique graduée de 1 à 10, laquelle peut encore mieux faire toucher du doigt les écarts fulgurants, "la distance infinie", séparant le sacré du profane - même si sacré et profane procèdent d'un même dispositif : la « proposension qu'a le lien de se réifier sous forme de signe, et, à l'inverse, le signe de faire lien et sens à la fois[25] ».

Utilisation courante

Le terme est parfois utilisé par extension, éventuellement par des non-croyants, pour qualifier des valeurs qui paraissent essentielles à une civilisation (exemple : Le respect de la propriété est une chose sacrée, etc.).

Il apparaît en ce sens dans la Marseillaise au 6e couplet :

Amour sacré de la Patrie
Conduis, soutiens nos bras vengeurs !
Liberté, Liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs !

Notes et références

  1. Rudolf Otto: Le Sacré, Payot, Petite Bibliothèque, 1995
  2. L'Homme et le sacré, Paris, Leroux, 1939, XI-148 p. ; 2e éd. augmentée de trois appendices sur le sexe, le jeu, la guerre dans leurs rapports avec le sacré, Paris, Gallimard, 1950, 255 p.
  3. (en) Clifford Edmund Bosworth, Historic cities of the Islamic world, éd. BRILL, 2007, p. 264
  4. Jon Scheid, Le Culte des sources et des eaux dans le monde romain, in Diffusion des cours du Collège de France, Religion, institutions et sociétés de la Rome antique, n° 2
  5. Émile Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse, 1912 — lire en ligne et Émile Durkheim - De la définition des phénomènes religieux[PDF] lire en ligne
  6. Mircéa Eliade, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, 1957, p. 17.
  7. Ibid., p. 18.
  8. voir Daniel Dubuisson, Mythologies du XXe siècle, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1993 ; voir encore Albert Assaraf, « Le sacré, une force quantifiable ? », Médium, n° 7, Paris, Éditions Babylone, 2006, p. 28.
  9. Cf. Mircea Eliade, Traité d'histoire des religions, Paris, Payot, 1964, § 4
  10. Mircea Eliade, Le sacré…, op. cit., p. 12.
  11. Daniel Dubuisson, Mythologies du XXe siècle, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1993, p. 259.
  12. Mircea Eliade, Traité d'histoire des religions, Paris, Payot, 1964, p. 12.
  13. Albert Assaraf, « Le sacré, une force quantifiable ? », Médium, n° 7, Paris, Éditions Babylone, 2006
  14. cf. Albert Assaraf, « Le sacré, une force quantifiable ? », Médium, n° 7, op. cit., p. 42.
  15. Mircea Eliade, Le sacré et le profane, op. cit., pp. 27-28.
  16. « Initial sequence of the chimpanzee genome and comparison with the human genome », Nature, 437, 2005, pp. 69-87.
  17. Henrietta Mac Call, Mythes de la Mésopotamie, Paris, Seuil, 1994, p. 40.
  18. Albert Assaraf, « Le ligasigne », Equivalences, Haute école de Bruxelles, ISTI, n° 36/1-2, 2009, p. 15.
  19. Albert Assaraf, « Le ligasigne », Equivalences, Haute école de Bruxelles, ISTI, n° 36/1-2, 2009, p. 22.
  20. Albert Assaraf, « Le sacré, une force quantifiable ? », Médium, n° 7, Paris, Éditions Babylone, 2006, p. 33.
  21. Albert Assaraf s’inspire ici du codage proposé par Frédéric Kaplan in La naissance d’une langue chez les robots, Paris, Hermes Science Publication, 2001.
  22. Albert Assaraf, « Le ligasigne », Equivalences, Haute école de Bruxelles, ISTI, n° 36/1-2, 2009, p. 13.
  23. Mircea Eliade, Le sacré et le profane, éd. Gallimard, Paris, 1967, p. 100
  24. (fr) Stanislas Deprez, MIRCÉA ÉLIADE : LA PHILOSOPHIE DU SACRÉ, éd. L'Harmattan, Paris, 1999, p. 101
  25. Albert Assaraf, « Le sacré, une force quantifiable ? », Médium, n° 7, Paris, Éditions Babylone, 2006, p. 30.

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Bibliographie

  • Rudolf Otto: Le Sacré, Payot, Petite Bibliothèque, 1995, (ISBN 978-2228888769)
  • Albert Assaraf: « Le sacré, une force quantifiable ? », Médium, no 7, Paris, Éditions Babylone, 2006.
  • Robert Tessier et José A. Prades: Le sacré, éd. Les Éditions Fides, 1991
  • Camille Tarot, Le symbolique et le sacré : théories de la religion, Paris, La Découverte, 2008, 910 p. (ISBN 978-2-7071-5428-6).
  • Jean-Jacques Wunenburger:, Le sacré, éd. Presses universitaires de France, Paris, 2009

Voir aussi

Articles connexes